Le Pays de l'Instar
III. — Pour donner un grand dîner
— Les Robineau étaient à la Préfecture.
— Oui, mais remarque bien que, si nous nous mettons sur le pied d’inviter les Robineau, il n’y a pas de raison pour ne pas inviter aussi les Gibelin et les Chaninel, et alors toute la ville…
— Enfin, ma bonne amie, tu feras ce que tu voudras.
— Nous ne pouvons pourtant pas laisser le commandant de gendarmerie à côté de Mme Gombaud !…
— Avec une rallonge de plus, on ne pourrait pas ouvrir le buffet.
— Il me semble que quatre bouteilles suffiront.
— Mais si, ça se fait très bien, rappelle-toi à la Banque de France…
— Les coupes, c’est plus distingué.
— Oui, mais ça en tient davantage.
— N’oublie pas d’emprunter des fourchettes à dessert, tu te souviens, pour éplucher les poires…
— Il n’y aura pas assez de compotiers du beau service.
— Ce qu’il faut, c’est qu’on voie de l’argenterie quand on arrive.
— As-tu pensé aux cigares ?
— Oui, mais si je n’avais pas été un imbécile, j’aurais écrit au cousin Jules de nous envoyer des cigares de député.
— Quand tu m’auras donné les bouts de table que tu m’avais promis pour ma fête, on pourra les mettre.
— Si on ne voit pas assez clair, on aura toujours la ressource de prendre les deux grosses lampes de mon cabinet.
— D’ailleurs, tant de fleurs que ça, ça entête…
— Mme Lambert se sert chez notre pâtissier, et il m’a dit ce qu’il lui avait fourni la dernière fois.
— Est-ce que précisément, la dernière fois, chez les Lambert, ça n’a pas paru un peu juste ?
— Tu verras, à la Papeterie des Deux Mondes, il y a des menus très originaux qui représentent des petits marmitons et des hirondelles.
— Jolly les écrira, mon nouvel expéditionnaire ; il a une très belle main.
— Tu n’aurais pas pu avoir de ces choses que nous avons mangées à la Préfecture, tu sais, dans du papier, avec des truffes : ça faisait beaucoup d’effet…
— Oui, mon bon ami ; mais la Préfecture est la Préfecture, et ils font tout venir directement de chez Potin.