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Le printemps tourmenté

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TROISIÈME PARTIE
MES MAÎTRES

I

Entré dans le monde des Lettres au hasard des rencontres, j’y trouve des sympathies précieuses, entre autres celle d’Édouard Rod qui, par sa compréhension, son talent sobre et sa loyauté, m’inspira par la suite une amitié profonde.

Il dirige alors avec Adrien Remâcle la Revue Contemporaine et me publie une nouvelle, « L’Abdication », d’un romantisme déconcertant après Tous Quatre et d’un sadisme puéril auquel je ne puis penser sans rire. Une femme belle et fatale, princesse ou duchesse, allume dans la rue les suiveurs et, à l’instant décisif, les déçoit en se livrant à eux gainée, sous sa robe, d’un hermétique maillot noir. Casanova raconte une aventure analogue, mais avec plus de vraisemblance. Ce conte me valut l’indignation vertueuse d’un rédacteur du Figaro qui s’écria : « Ces messieurs n’ont donc ni mère ni sœur, pour noter sur leur front le degré d’infamie de ce qu’ils écrivent ! »

Après tout, ce maillot noir était-il, malgré sa niaiserie, si invraisemblable ? Ne devançait-il pas de vingt-cinq ans la mode anglo-américaine qui fit porter aux femmes élégantes, comme aux plus correctes bourgeoises, culotte et maillot noir, crème ou rose ?

J’eus, à la Revue Contemporaine, une inoubliable vision de Paul Verlaine, avec son crâne bossué, sa face de satyre et ce regard où une candeur d’enfant se mêlait à une trouble lueur animale. Trapu, sourcilleux, drapé d’un mac-farlane usé, il tenait d’une main un large feutre et de l’autre un gourdin, vraie arme de vagabond des routes. Était-ce bien là le doux poète, l’angélique pêcheur, l’ex-ami de Rimbaud, le paria, l’homme qui, après Baudelaire, avait trouvé les vers les plus déchirants, les aveux d’âme les plus meurtris ?

Moréas, aussi, m’apparut une seule fois, au cours d’un déjeuner au Quartier latin, dans une taverne grecque où nous bûmes du raki et dégustâmes des petits morceaux de mouton grillé en brochette. Moréas, effilant d’un air supérieur ses longues moustaches, laissait tomber avec autorité sur toutes choses des mots définitifs.

Si différente qu’elle semble de ma manière, cette médiocre nouvelle, « L’Abdication », répond au goût d’aventure qui m’a fait écrire depuis, à la surprise de quelques-uns, trois grands romans d’action, la Princesse Noire, Le Sceptre d’Or, La Cité des Fauves. J’ai toujours pensé qu’il serait tentant de relever de sa médiocrité le roman-feuilleton, en lui insufflant plus de vérité, en le faisant servir à des idées utiles, conformes à sa mission populaire. Mais il faudrait pour cela que l’écrivain pût jouir d’une liberté que les goûts actuels de la masse lui refusent. Ce genre de récits est plus méprisé que méprisable : Eugène Sue, Féval, Dumas père, Hugo même n’y excellaient-ils pas ? La variété des péripéties, les rebondissements de l’intérêt élargissent ces fictions jusqu’au drame multiforme, si bien qu’on a pu dire qu’un grand romancier d’aventures est le Shakespeare des pauvres.

Je joignis à « L’Abdication » une autre nouvelle qui donna son titre au volume : La Confession posthume. Un homme y raconte par quel enchaînement d’impulsions il tue sa femme, surprise en flagrant délit. Alphonse Daudet, plus tard, rappela que j’avais traité ce sujet avant que parut en France l’étonnante Sonate à Kreutzer, de Tolstoï. Et je n’en tire, certes, aucune vanité ridicule, les rencontres d’idées étant aussi fortuites qu’inévitables. Je ne cite ce mot de Daudet que pour rendre hommage au sentiment de justice et à la générosité qui l’animaient, tel que je le connus, à la fin de sa vie, miné par une maladie incurable et subissant des tortures sans nom avec un stoïcisme digne de tous les respects.

Trois grands noms m’éblouissent à cette époque, se font chair et verbe dans l’accueil de la poignée de main, la grâce du sourire et la bonté du regard. Je suis reçu le dimanche au Grenier de Goncourt et j’y vois Alphonse Daudet. Je vois aussi quotidiennement Léon Cladel ; car notre mère a loué une maison à Sèvres et nous y donne l’hospitalité. Les jardins de nos deux maisons se touchent.

Originale demeure de Cladel ! Le grand forgeron de Lettres avec sa chevelure et sa barbe incultes, son nez d’aigle, ses perçants yeux fauves, rustique comme Jean-Jacques, et accompagné de ses vieux chiens Paf et Famine, avait une allure épique. Sous sa rudesse apparente, c’était le maître le plus bienveillant. Que d’encouragements je lui ai dus, témoin mon troisième roman, improvisation hâtive et écourtée, Maison ouverte, qu’il me fait prendre à la Justice de Clemenceau par son beau-frère, le fin lettré Louis Mullem. Le caissier m’aligne chaque semaine sur le comptoir vingt-cinq francs, comme à un bon ouvrier, en pièces de cent sous.

Ai-je relu, depuis, ce livre ? Je ne crois pas. Autant qu’il m’en souvienne, c’est l’histoire de braves bourgeois enrichis et vaniteux, qu’une bande de parasites éhontés grugent et ruinent.

La villa de ma mère était à flanc de coteau, plantée dans le haut en verger, avec force prunes et abricots, et dans le bas en jardin : le tout dévalait en pente raide jusqu’à une terrasse sur la route, après laquelle venait une grande plaine, disparue aujourd’hui sous les bâtisses, et où une voiture des Pompes funèbres, chargée de croque-morts ivres, faillit écraser un jour ma fille Ève et sa nourrice.

Des fenêtres du premier étage, Paris au loin se dessinait sur la toile d’horizon du ciel, entre les deux larges portants de ce majestueux décor : à droite, le petit château de Brimborion ; à gauche, le parc de Saint-Cloud.

Plus d’une fois, Léon Cladel nous y emmena promener, mon frère et moi ; il ne dédaignait pas de s’arrêter devant les ébats des joueurs de boules, discoboles modernes. Ses causeries étaient pleines de curieux souvenirs : il évoquait Baudelaire, Banville, Barbey d’Aurevilly, parlait de Rollinat, que j’eusse pu rencontrer chez lui, et de son étonnante musique impressive ; il sautait de là à sa propre enfance, ses années de lutte, avec une verve ardente : il racontait son âpre labeur littéraire, ce mal éloquent du style qui le torturait.

D’autres fois, il conversait chez lui, assis l’hiver au coin de sa cheminée ; l’été, sur la terrasse de son jardin. Des poules venaient picorer entre ses jambes, une chèvre se haussait jusqu’aux branches pendantes ; et de gracieuses adolescentes et un fils robuste entouraient, comme une nichée heureuse, le grand écrivain et sa noble compagne.

C’est chez eux que je vis pour la première fois Catulle Mendès. Il était beau encore, d’un blond métallique ; sa grâce séduisante de lettré passionné, jointe à sa conversation vive, répondait bien à son œuvre d’alors, d’un déluré de soubrette libertine.

Mon frère avait pour amis deux des fils de l’illustre Berthelot, qui devinrent aussi les miens : Daniel et Philippe, le très grand savant et le remarquable diplomate. L’intelligence qui rayonnait de leurs visages, leur supériorité avaient quelque chose de particulièrement attachant. Dans le jeune groupe que formaient ces deux frères, le mien, Camille de Sainte-Croix, le poète Germain Nouveau, Louis le Cardonnel, quelques autres, Philippe et Daniel Berthelot annonçaient déjà, dans toutes leurs façons d’être, la belle destinée qu’ils devaient remplir, par droit de naissance et de conquête.

La reprise d’Henriette Maréchal à l’Odéon m’avait passionnément agité. Ne savais-je pas par cœur cette pièce, célèbre autant par son audace que par son tumultueux échec, sous l’Empire ? A voir les noms de ces Goncourt, dont j’avais lu et relu tous les livres, réunis pour une gloire réparatrice, de quel cœur je me joignis aux bravos ! J’avais trop admiré les trois romans écrits, depuis, par Edmond de Goncourt seul : La fille Elisa, Les Frères Zemgano, La Faustin, pour ne pas me réjouir d’un succès qui les honorait ensemble.

La mort de Victor Hugo, par contre, m’atterra. Que le vieillard sublime, que le « Père », que le Titan de l’Ile dût cesser d’être, ce sont choses que la raison subit, mais contre lesquelles le sentiment se révolte. Seule, la disparition de Flaubert, cinq ans auparavant, m’avait presque autant bouleversé : il m’avait semblé alors que Madame Arnoux et Madame Bovary mouraient définitivement, que la reine de Saba s’en retournait en pleurant au désert, que Bouvard et Pécuchet prenaient une retraite sans retour. Avec Hugo je sentais s’évanouir, malgré leur survie dans l’art immortel, Hernani, Ruy Blas, Didier, Triboulet, toutes ces figures d’opéra lyrique avec leur costume flamboyant. Un océan harmonieux et véhément, traversé d’écumes blanches et d’ailes d’oiseaux fous, zébré d’éclairs et de tonnerres, cesserait de faire entendre ses gémissements ou ses plaintes. L’univers me semblait vide d’une voix infinie. Volontiers eussé-je dit ; « Le grand Pan n’est plus ! »

Ce que Flaubert, en des romans précis comme la vie ou évocateurs comme le songe, avait exprimé : la vérité des êtres et des choses, Hugo, lui, l’avait traduit en poésie large et fluide, en symboles magnifiques, en rythmes peints comme par Rembrandt et sculptés comme par Rodin.

L’admiration était et est restée chez moi très puissante : elle me soutient quand je doute de moi, c’est-à-dire presque tous les jours. Que de force j’ai empruntée aux maîtres de la pensée ! Hugo tenait dans mon culte une place à part : celle d’un Dieu ! Et voilà qu’il mourait comme un homme…

Pendant deux jours, je vécus dans l’idée fixe de cette fin, étonné que la Nature ne prît pas le deuil, et de ne pas voir sur le visage de tous les passants le reflet de ma tristesse. De mon humble amour, j’assistai avec une dévotion affligée aux pompeuses obsèques que la France et Paris faisaient au plus grand des poètes. J’assistai, dans les Champs-Élysées, au défilé des innombrables corporations ; je précédai le char funèbre au coin de la rue Soufflot et du boulevard Saint-Michel ; une angoisse exaltée m’envahit quand je le vis déboucher, dans sa lente majesté, au milieu d’une escorte de cuirassiers. Je crus que mon cœur, à cette minute, éclaterait.

L’inoubliable ruée du peuple ! Une aura mystique soufflait sur les rangs houleux d’hommes et de femmes. On eût dit Paris submergé par une invasion : toutes les castes se pressaient dans un même enthousiasme. Là où je ne voulus voir que la piété française, tout se confondait : la joie d’une journée de repos et d’amusement pour les yeux. Ce fut un autre 14 juillet : on y but, on y fit ripaille, et le soir, devait écrire Edmond de Goncourt, « les prostituées des maisons closes, un crêpe noir au sexe, se mêlèrent, sur les pelouses, à l’orgie nationale ».

Qu’importe cette écume d’égout emportée dans un tel flux de vie souveraine ? On avait acclamé Victor Hugo ; et que beaucoup l’ignorassent, que pour ceux-ci il fût seulement l’ennemi de Napoléon III, pour ceux-là l’auteur des Misérables, et pour d’autres le sublime porteur de lyre, le dernier Orphée, l’essentiel était que cette foule immense eût communié, du plus haut au plus bas, par la raison, par le sentiment, par l’instinct même, dans cette gloire sans égale.

Il fallait, au paroxysme de mes regrets, un dérivatif. Le Grenier des Goncourt me l’offrit. Le grand survivant l’avait ouvert en février 1885. Les journaux avaient annoncé cet évènement littéraire, en publiant, selon leur habitude d’inexactitude et de sans-gêne, les informations les moins contrôlées.

Quand je lus, au lendemain de cette petite « première », l’article du Figaro, j’éprouvai pour ce groupement d’intelligences et d’illustrations dans les arts et les lettres une admiration crédule. Je ne soupçonnais pas que l’article citait des noms au hasard, ayant été fait de chic, et composé avant l’ouverture du Grenier, par un journaliste qui était venu s’excuser, auprès d’Edmond de Goncourt, de cette incorrection : il avait dû, expliqua-t-il, remettre son article plus tôt, son chef de service dînant à la campagne.

Edmond de Goncourt avait bien voulu, à propos de Tous Quatre, m’écrire une lettre bienveillante. J’avais lu et relu cent fois la fine écriture comme burinée. Aller sonner à la porte du petit hôtel de l’avenue Montmorency (je le connaissais bien, pour avoir rôdé dévotieusement autour), quelle tentation ! Mais une pudeur, la honte de mon insuffisance me retenaient. Je dus au comte Primoli, rencontré chez Élémir Bourges, la joie craintive de cette visite où il se fit mon introducteur. Je devais par la suite lui savoir gré de deux autres présentations, aussi intéressantes pour mes souvenirs de famille que pour ma curiosité de romancier : l’une chez l’Impératrice Eugénie, au Cap Martin, l’autre rue de Berri, chez la Princesse Mathilde.

Me voici donc dans le Grenier, myope, balbutiant, craignant de mal entendre et de répliquer de travers. Edmond de Goncourt répondit, dès la première minute, à ce que j’imaginais de lui. Il avait la haute mine d’un Maréchal des Lettres (et je crois bien avoir été le premier à le qualifier ainsi), avec sa chevelure blanche ondée, sa moustache et sa mouche blanches, son beau nez droit, sa figure large et pâle, ses splendides yeux noirs à pupille dilatée.

Ni le portrait de Nittis, ni même le si beau tableau de Carrière ne m’en ont donné depuis l’idée absolument exacte : c’est à l’eau-forte de Braquemont que mon souvenir se réfère le plus volontiers, et aussi à une photographie de Paul Nadar, où le Goncourt des derniers mois, assis, vous regarde, de quel intense regard !

Sa haute grâce un peu distante me le fit aimer du premier contact. Qu’ils l’ont mal connu, ceux qui l’ont dit dédaigneux et acerbe ! Qu’ils ont peu compris sa sensibilité souffrante et son légitime orgueil d’isolé, de méconnu, d’écrivain journellement attaqué et calomnié !

Y avait-il d’autres visiteurs que le comte Primoli et moi ? Je ne sais pas ! Était-ce même un dimanche, jour de Grenier ? Je ne sais pas. Je n’aurais pu voir personne d’autre qu’Edmond de Goncourt. « Enfin, me disais-je, en voici « UN ». Un des grands, un de ceux que j’admirais dans l’ombre, un de ceux qui avaient enchanté ma jeunesse en m’enfonçant leurs visions dans l’âme comme des flèches de lumière. N’avoir pu approcher d’Hugo, avoir ignoré ce tumultueux et gigantesque Balzac, n’avoir pu contempler Gautier, ni entendre la voix retentissante, le « gueuloir » de ce Flaubert que j’aimais d’une tendresse passionnée parce qu’il avait créé Frédéric et Mme Arnoux… Au moins, à défaut de ces ombres glorieuses, leur pair, leur successeur ou leur émule se dressait là devant moi, en pied, dans son altière vieillesse.

« Oui, me répétais-je, en voici Un ! »

Cette nuit-là, j’eus la fièvre : constamment devant, moi surgissait ce visage attentif aux yeux scrutateurs ; j’entendais les paroles de bienvenue, l’invite à revenir. Avec la foi, le respect, la dulie que l’on portait autrefois aux maîtres des Lettres, que nos anciens se témoignèrent entre eux, je me disais, en proie au sourd bonheur du néophyte qui se consacre : « J’ai un Maître ! »

Ainsi encouragé, j’osai revenir ; cette fois je crois bien avec Élémir Bourges et Robert de Bonnières qui l’accompagnait. Encore me fallut-il du courage : j’avais peur de déplaire, et de ma timidité ombrageuse ; elle me causait en présence de ceux que j’admirais, la plus cuisante contrainte. Il me semblait tomber dans des gouffres de silence et de solitude. Je m’imaginais que je n’oserais jamais me lever, prendre congé et gagner la porte. Cependant la discrétion m’engageait à ne pas m’imposer trop longtemps. Et cela me rendait très heureux et très malheureux à la fois.

Qu’était-ce quand Alphonse Daudet arrivait de son pas vacillant, appuyé sur sa canne à bout de caoutchouc, vêtu à l’artiste — ainsi m’en faisais-je l’idée — dans un veston velours taupe, cravaté à la Lavallière ! Penchant, aussitôt affalé sur le divan près de la cheminée, sa délicate tête de Christ grisonnant et émacié, il avait toujours un instant de lassitude accablée. Cher visage douloureux : la souffrance y passait en plis frémissants, une infinie tristesse montait dans ses yeux d’encre, si noire ! Mais cet affaissement durait peu ; une flamme l’animait bientôt, et vive, agile, sa pensée bruissait comme une abeille.

Plus que Goncourt, malgré l’intérêt qu’il voulut bien me témoigner, il m’inquiéta, m’effraya même. Les railleurs m’ont toujours mis mal à l’aise. Et n’avait-il pas une réputation de malice terrible ? Quand il ajustait son monocle, ce regard sous la vitre semblait vous percer à fond. Je répondais avec une froideur maladroite, dont je me faisais reproche à moi-même et grief à nous deux. Il me fallut du temps pour briser cet influx nerveux. Daudet détestait les silencieux, et je sentais que mon silence devait me nuire dans son esprit.

Mais par la suite !… Je n’oublierai jamais cette pénétration, cette indulgence affectueuse ; sinon rassuré, en tout cas moins sur le qui-vive, je pus aimer sans réserves cet esprit si riche de vie, d’images, d’idées et d’observation. Entendre parler Daudet était un délice. Inimitable conteur, il faisait vivre, comme un magicien de sa baguette, tout ce qu’il touchait. L’expérience des hommes qui aurait pu l’écœurer, la féroce douleur physique qui aurait pu l’aigrir, avaient au contraire développé en lui la bonté, la bonté qui s’allie à la clairvoyance et qui sourit de tout ; cette bonté qui faisait de lui le donateur discret de plus d’un ingrat, et laissait approcher de son fauteuil de misère tous les quémandeurs. Car Daudet savait dire ce qui console, et ce n’est pas en vain qu’il se plaisait à répéter : « J’aurais pu me faire marchand de bonheur. » Que vendait-il donc ? Les illusions, l’espoir, tout ce qui n’a pas de prix, et qu’il répandait en paroles d’or.

Comprenant que mes goûts, ma sensibilité, ne me donnaient, pour sortir de l’ornière, d’autre chance de salut que l’art du romancier — car, poète, je n’avais écrit que de mauvais vers, et le théâtre que je préférais, outre la difficulté d’y parvenir, ne répondait pas à ma forme d’esprit — je me mis courageusement au travail et composai Jours d’Épreuve.

Nous passions alors les vacances à Chartrettes, en Seine-et-Marne. Poupart-Dawyl, l’auteur de La Maîtresse Légitime et de 13, rue Magloire, qui habitait Bois-le-Roi au bord de la Seine, nous avait indiqué sur le coteau cette maisonnette vieillotte, à l’odeur de pomme sure, et entourée d’un jardin de curé. La campagne m’a toujours été bienfaisante. C’est une amie au silence enveloppant, au grave sourire. Elle ordonnait ma pensée et soutenait mon courage.

Après Tous Quatre, Jours d’Épreuve annonçait un changement complet de manière, l’abandon des procédés naturalistes ; c’était une œuvre d’intimité, avec des dessous, des essais de psychologie ; le tout en grisaille, mais, je crois, pénétrant comme certaines petites pluies tenaces irisées çà et là de soleil et baignant des paysages intenses dans leur recueillement.

Tous Quatre avait été, pour la facture, un roman d’école empreint d’influences disparates, où Zola dominait. La Confession posthume et Maison ouverte marquaient le flottement. Jours d’Épreuve, œuvre de transition, me portait vers l’analyse intime, l’étude des situations moyennes, des milieux bourgeois et de la vie courante. Ce livre reflétait, avec la déformation inséparable de toute création littéraire, des circonstances qui tenaient de bien près aux déboires et aux difficultés de mon apprentissage de la vie.

C’est l’histoire d’un jeune ménage qui souffre des divergences de caractères, des privations de la médiocrité, du heurt des évènements, et qui, les enfants venus, un peu de bien-être entré dans l’humble foyer, arrive, non sans reculs, reprises et tâtonnements, à se comprendre, tout au moins à s’accepter, pour fonder l’unité de la famille, consentir aux devoirs étroits de la vie. Œuvre à tendances morales, livre de bonne foi, malgré sa conclusion trop optimiste, cet optimisme que la vie dément presque toujours et qui subsiste, au-dessus des ruines, comme l’affirmation d’un idéal trahi, d’un grand effort impuissant.

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