← Retour

Les confessions de saint Augustin, évêque d'Hippone: précédées de sa vie par S. Possidius, évêque de Calame... ; traduction nouvelle par L. Moreau

16px
100%

LIVRE SEPTIÈME

Peines de son esprit dans la recherche du mal. Par quels degrés il s’élève à la connaissance de Dieu. Erreur de ses sentiments sur la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

I
Il ne pouvait concevoir Dieu que comme une substance infiniment étendue.

Et déjà était morte mon adolescence honteuse et criminelle ; et j’entrais dans la jeunesse, et plus j’avançais en âge, plus je m’égarais en de ridicules chimères, ne pouvant concevoir d’autre substance que celle qui se voit par les yeux. Je ne vous prêtais plus, il est vrai, mon Dieu, les formes humaines, depuis que j’avais commencé d’ouvrir l’esprit à la sagesse ; je m’étais toujours préservé de cette erreur ; et je la voyais, avec joie, condamnée par la foi de votre Église catholique, notre mère spirituelle. Mais de quelle autre manière vous concevoir ? je l’ignorais et je m’évertuais à vous comprendre, homme que j’étais, et quel homme ! vous le souverain, le seul et vrai Dieu. Et je croyais de toutes les forces de mon être que vous êtes incorruptible, inviolable, incommunicable ; car, malgré mon ignorance du comment et du pourquoi, je voyais cependant avec certitude que ce qui est sujet à la corruption est au-dessous de l’incorruptible ; et je préférais sans hésiter l’inviolable à ce qui souffre violence, et l’immuable au muable.

Mon cœur protestait violemment contre ces vanités de ma fantaisie, et je cherchais à dissiper d’un seul coup l’essaim bourdonnant d’impuretés qui offusquaient le regard de ma pensée ; à peine éloigné, il revenait soudain fondre plus pressé sur mes yeux aveuglés ; et tout en renonçant à cette vaine imagination de forme humaine, je ne pouvais néanmoins me débarrasser de l’idée d’une substance corporelle pénétrant le monde dans toute son étendue, et répandue, hors du monde, dans l’infini ; et, toutefois, je lui maintenais, en tant qu’incorruptible, inviolable et immuable, la prééminence sur ce qui est sujet à corruption, déchéance et changement. Tout être à qui je refusais l’étendue ne me semblait plus qu’un rien, mais rien absolu, et non ce vide que ferait dans l’étendue la disparition de tout corps. Car l’étendue serait toujours, malgré cette vacuité de tout corps élémentaire ou céleste, vide étendu, spacieux néant.

Et dans cette pléthore de cœur, m’obscurcissant moi-même à mes propres yeux, je pensais que tout ce qui ne m’apparaissait point à l’état d’extension ou de diffusion, de concentration ou de renflement, n’était que pur néant. Car les formes sur lesquelles se promènent mes yeux étaient les seules images que parcourût ma pensée, et je ne m’apercevais pas que cette action intérieure qui me figurait ces images ne leur était en rien semblable, et qu’elle ne pouvait les imaginer sans être elle-même quelque chose de grand.

Et vous, ô vie de ma vie, c’est ainsi que je vous croyais grand ; répandu, suivant moi, dans tout le corps de l’univers, et le débordant partout à l’infini, le ciel et la terre et toute créature vous possédaient, terminés en vous ; vous, nulle part. Mais comme le corps de l’air étendu sur la terre ne résiste point à la lumière du soleil qui le traverse, qui le pénètre sans le déchirer ou le diviser et le remplit tout entier, j’imaginais que vous passiez ainsi par le corps du ciel et de l’air, et même par celui de la terre, également pénétrable en ses parties les plus grandes et les moindres à l’immanation de votre présence, qui se mêlait comme une respiration subtile au mouvement intérieur et extérieur de toutes vos créatures.

Telles étaient mes conjectures ; ma pensée ne pouvait aller au delà, et c’était encore une erreur. Car il fallait admettre qu’une plus grande partie de la terre en contenait une plus grande de vous, et une plus petite, une moindre, votre présence se distribuant de manière qu’il en tenait plus dans le corps de l’éléphant que dans celui du passereau ; beaucoup plus grand, il prenait beaucoup plus de place ; et ainsi les divisions de votre essence se proportionnaient aux inégalités des corps. Et toutefois il n’en est pas ainsi ; mais vous n’aviez point encore éclairé mes ténèbres.

II
Objection de Nebridius contre les Manichéens.

Il me suffisait, Seigneur, pour confondre ces imposteurs dupes et ces bavards muets, car leur bouche est toujours muette pour votre Verbe, il me suffisait de cette objection que Nebridius, à Carthage même, leur présentait d’ordinaire, et qui avait fortement remué tous ceux qui, comme moi, l’avaient entendue. Qu’aurait pu faire contre vous, leur demandait-il, cette nation de ténèbres qu’ils vous opposent comme une armée ennemie, si vous n’eussiez pas voulu combattre contre elle ? Si l’on répond qu’elle pouvait nuire, vous n’êtes plus ni inviolable ni incorruptible. Si l’on convient de son impuissance, on ne peut plus apporter aucune raison à cette lutte ; lutte si opiniâtre, qu’une partie de vous-même, un de vos membres, une production de votre propre substance engagée parmi ces puissances ennemies et les natures indépendantes de votre création, s’y trouve infectée d’une telle corruption, que, précipitée de la béatitude dans la misère, elle a besoin d’un libérateur et d’un purificateur : or, à les en croire, cette partie de vous-même est l’âme de l’homme, que votre Verbe vient, libre, délivrer de ses chaînes ; pur, de ses souillures ; intact, de sa corruption, et toutefois corruptible lui-même, puisqu’il n’est qu’une seule et même substance avec elle et avec vous.

Que s’ils reconnaissent que tout ce que vous êtes, c’est-à-dire la substance dont vous êtes, est incorruptible, toutes leurs hypothèses sont fausses et odieuses. S’ils vous tiennent pour corruptible, cela seul est un blasphème abominable à proférer. C’était assez pour se presser la poitrine avec dégoût et vomir ces pernicieux docteurs, qui, renfermés dans un cercle dont ils ne pouvaient sortir sans un horrible sacrilège de cœur et de langue, étaient condamnés à penser et à parler ainsi de vous.

III
Peine qu’il éprouve à concevoir l’origine du mal.

Mais tout en vous reconnaissant incapable de souillure, d’altération et de changement, si ferme que je fusse dans la croyance que vous êtes notre Seigneur, vrai Dieu, créateur de nos âmes et de nos corps, et non seulement des âmes et des corps, mais de tout être et de toute chose, je ne saisissais pas encore toutefois le nœud de l’origine du mal. Et néanmoins, quelle qu’elle fût, je sentais que je devais conduire mes réflexions avec assez de prudence pour ne pas en être enlacé jusqu’à trouver le Dieu immuable sujet au changement, et à ne point me laisser surprendre par l’objet de ma poursuite. Et j’y songeais avec sécurité, certain qu’il n’y avait qu’erreur dans les discours de ces hommes que je fuyais de toute mon âme, parce qu’il était évident pour moi qu’ils recherchaient la cause du mal en esprit de malice, aimant mieux croire votre substance susceptible de le souffrir, que la leur capable de le faire.

Et je m’appliquais à saisir cette vérité souvent affirmée devant moi, que le libre arbitre de la volonté est la cause du mal de nos actions, et l’équité de vos jugements, du mal de nos souffrances. Mais ici ma faible vue s’obscurcissait. En vain je travaillais à retirer les yeux de mon âme de cet abîme de ténèbres, j’y plongeais de nouveau ; et je réitérais mes efforts, et je plongeais toujours.

Une chose me soulevait un peu vers votre lumière, c’est que je n’étais pas plus certain de vivre que d’avoir une volonté. Ainsi, quand je voulais ou ne voulais pas, j’avais toute certitude que ce n’était pas autre que moi qui voulait ou ne voulait pas ; et je soupçonnais déjà que là résidait la cause de mon péché. Quant aux actes où je me portais malgré moi, je me sentais plutôt souffrir qu’agir, et je présumais que c’était moins une faute qu’un châtiment, dont je me reconnaissais justement frappé, en songeant à votre justice.

Mais je me demandais ensuite : Qui m’a fait ? N’est-ce pas mon Dieu qui est bon, qui est la bonté même ? D’où m’est venu de vouloir le mal, de ne pas vouloir le bien, mon crime, mon supplice ? Qui a donc semé et planté en moi ce grain d’amertume, moi dont tout l’être est venu de mon Dieu souverainement doux. Si le diable en est l’auteur, d’où lui-même est-il le diable ? Que si, par la malice de sa volonté, d’ange il est devenu démon, d’où lui est venue cette volonté mauvaise qui l’a fait diable, lui que son créateur, souverainement bon, avait fait ange de bonté ? Et ces pensées étaient un poids mortel qui me coulait à fond, mais toutefois je ne descendais pas jusqu’au gouffre d’horreur où l’on ne vous confesse plus, où l’on vous soumet au mal pour ne pas reconnaître le crime de l’homme.

IV
Dieu, étant le souverain bien, est nécessairement incorruptible.

Je faisais donc tous mes efforts pour découvrir le reste, comme j’avais déjà découvert que l’incorruptible est meilleur que le corruptible, vous reconnaissant ainsi, qui que vous fussiez, pour incorruptible. Car jamais esprit n’a pu et ne pourra concevoir rien de meilleur que vous, suprême et souverain Bien. Or, comme il est d’évidente certitude que l’incorruptible est préférable au corruptible, préférence qui alors même ne me semblait pas douteuse, j’aurais pu saisir par la pensée quelque chose de meilleur que mon Dieu, si lui n’eût été l’incorruptible.

Ainsi persuadé de la prééminence de l’incorruptible sur le corruptible, c’est dans cette excellence que je devais vous chercher ; c’est par là que je devais concevoir d’où procède le mal, c’est-à-dire la corruption même, qui ne peut nullement atteindre votre substance, car la corruption n’a aucune prise sur notre Dieu, ni par sa volonté, ni par la nécessité, ni par survenance fortuite, parce qu’il est Dieu, qu’il ne veut que le bien, et qu’il est lui-même le bien essentiel, et que se corrompre n’est plus de l’essence du bien. Et rien ne vous contraint d’agir malgré vous, parce que votre volonté n’est pas plus grande que votre puissance ; et, pour qu’elle le fût, il faudrait que vous fussiez plus grand que vous-même, car la volonté, car la puissance de Dieu, c’est Dieu même. Et qui peut vous surprendre, vous qui connaissez tout, rien ne pouvant exister que par votre connaissance ? Et faut-il tant s’arrêter à chercher pourquoi cette substance, qui est Dieu, est incorruptible, puisque si elle ne l’était pas, elle ne serait pas Dieu ?

V
Ses doutes sur l’origine du mal.

Et je cherchais la source du mal, et je la cherchais mal, et je n’apercevais pas le mal de ma recherche même, et je faisais comparaître aux regards de mon esprit la création universelle, et tout ce qui est visible dans son étendue, la terre, la mer, l’air, les astres, les plantes et les animaux mortels ; et tout ce qui est invisible, comme le firmament, les anges et les substances spirituelles ; et ces substances mêmes, mon imagination les distribuait en divers lieux, comme si elles eussent été des êtres corporels. Et je faisais de votre création une grande masse que je classais par espèces de corps, ou réels, ou que mon erreur substituait aux esprits. Et cette masse, je me la représentais immense, non pas selon son immensité réelle qu’il m’était impossible d’atteindre, mais selon les seules limites que lui assignait mon imagination. Et je me la représentais, Seigneur, de toutes parts environnée et pénétrée de votre essence ; et je me figurais une mer sans fond et sans rivage, solitaire dans l’infini, qui contiendrait une éponge d’une immensité finie, et toute pleine de l’immense mer.

Ainsi je croyais vos créatures finies, pleines de votre infini, et je me disais : Voici Dieu, voilà ses créatures, Dieu bon, infiniment meilleur qu’elles, mais dont la bonté n’a pu les faire que bonnes, et c’est ainsi qu’il les environne et les remplit. Où est donc le mal, d’où vient-il, et par où s’est-il glissé ? quelle est sa racine ? quel est son germe ? Mais peut-être n’est-il pas ? Pourquoi donc redoutons-nous, pourquoi fuyons-nous ce qui n’est pas ? Et si notre crainte est vaine, cette crainte même est un mal ; c’est un mal que ce néant qui sollicite et tourmente notre cœur, mal d’autant plus pénible, qu’avec moins de sujet de craindre il nous livre à la crainte. Ainsi donc, ou nous avons la crainte du mal, ou nous avons le mal de la crainte.

Et d’où vient cela ? Car Dieu tout bon n’a rien fait que de bon. Bien souverain, ses créatures, il est vrai, ne sont que des participations diminuées de sa bonté ; mais toutefois, Créateur et créatures, tout est bon. D’où procède enfin le mal ? Est-ce de la matière qu’il a mise en œuvre ? Elle recélait peut-être, lorsqu’il lui donna la forme et l’ordre, un élément mauvais, qu’il y laissa sans le convertir en bien. Et pourquoi ? Était-il impuissant à convertir, à changer l’essence de cette matière, pour qu’il n’y restât aucun vestige de mal, lui qui est tout-puissant ? Pourquoi a-t-il voulu tirer quelque chose d’une pareille matière, et pourquoi, avec cette toute-puissance, ne l’a-t-il pas plutôt réduite au néant ? Pouvait-elle donc exister contre sa volonté ? Que si elle était éternelle, pourquoi l’a-t-il laissée ainsi pendant des espaces infinis de temps écoulés, et s’est-il décidé si tard à en faire quelque chose ? Et s’il lui est venu soudaine volonté de faire, que n’a-t-il fait plutôt qu’elle cessât d’être, et que lui seul fût, comme le Bien véritable, souverain, infini ? Ou enfin, s’il n’était pas bien que la main de celui qui est tout bon demeurât stérile d’œuvre bonne, ne devait-il pas dissiper et rendre au néant cette matière mauvaise pour en instituer une bonne, dont il eût créé toutes choses ? car il ne serait pas tout-puissant s’il ne pouvait rien faire de bon qu’à l’aide de cette matière que lui-même n’aurait pas faite.

Et voilà tout ce que roulait de pensers mon pauvre cœur, gros de tous les mordants soucis dont le pénétraient la crainte de la mort et la tristesse de n’avoir point trouvé la vérité. Et néanmoins je portais enracinée dans mon âme la foi de l’Église catholique en votre Christ, notre Sauveur et Maître ; et bien qu’elle fût encore à beaucoup d’égards informe et flottante contre la règle de la doctrine, elle tenait pourtant dans mon esprit, et y prenait chaque jour d’avantage.

VI
Vaines prédictions des astrologues.

J’avais déjà rejeté loin les trompeuses prédictions des astrologues et l’impiété de leurs délires. Oh ! que vos miséricordes, mon Dieu, en publient aussi vos louanges du fond des entrailles de mon âme ! C’est vous qui m’avez détrompé, et vous seul ; car qui nous ressuscite de la mort de toute erreur, que la vie qui ne saurait mourir ; que la sagesse qui prodigue la lumière à l’indigence des âmes, qui gouverne le monde et connaît jusqu’à la feuille qu’emporte le vent ? Vous avez pris en pitié mon obstination à combattre le sage vieillard Vindicianus, et Nebridius, ce jeune homme d’un esprit incomparable, lorsqu’ils soutenaient, l’un avec force, l’autre avec moins d’assurance, mais fréquemment, qu’il n’est point de science de l’avenir ; que si le sort dispose souvent selon les conjectures des hommes, ce n’est pas à la science des devins, mais à la multitude de leurs prophéties qu’il faut l’attribuer ; on peut prédire vrai à force de prédire. Vous m’avez donc amené un ami, assez peu savant en astrologie, mais zélé consulteur d’astrologues, quoiqu’il eût appris de son père un fait qui, à son insu, ruinait la vanité de cette science.

Cet homme, nommé Firminus, instruit dans les lettres et l’éloquence, me consultant un jour comme l’un de ses plus chers amis sur quelques grandes espérances qu’il bâtissait dans le siècle, pour savoir ce que j’en augurais d’après son horoscope, je ne refusai pas de lui donner mes conjectures et tout ce que ma pensée trouvait à tâtons, mais, inclinant déjà vers l’opinion de Nebridius, j’ajoutai que je commençais à tenir tout cela pour vain et ridicule. Alors il me conta que son père, fort curieux de cette science, avait un ami voué à la même étude, et que, mettant en commun leur laborieuse passion pour ces puérilités, ils observaient chez eux le moment de la naissance des animaux domestiques, et précisaient en même temps la situation du ciel pour fonder sur ces remarques l’expérience de leur art.

Il disait donc avoir appris de son père que, lorsque sa mère était enceinte de lui, Firminus, le sein d’une servante de cet ami grossit en même temps, ce qui ne put longtemps échapper au regard d’un maître si exact observateur de la naissance de ses chiens. Il arriva donc qu’ayant calculé les jours, heure et minute de la délivrance, l’un de sa femme, l’autre de sa servante, elles accouchèrent ensemble, en sorte qu’ils figurèrent nécessairement le même ascendant, l’un à son fils, l’autre à son esclave ; car, au moment où les deux femmes avaient ressenti les premières douleurs, ils s’informèrent mutuellement de ce qui se passait chez eux, et tinrent des serviteurs prêts à partir au moment précis de la naissance. Maîtres absolus comme ils l’étaient, ils furent ponctuellement obéis. Et la rencontre des envoyés, disait-il, s’était opérée à une distance de l’une et de l’autre maison si précisément égale, qu’il fut de part et d’autre impossible de signaler la moindre différence dans l’aspect des astres et dans le calcul des moments. Et cependant, Firminus, né dans un rang élevé parmi les siens, se promenait par les plus riantes voies du siècle, comblé de richesses et d’honneurs, tandis que l’esclave vivait toujours courbé sous le même fardeau de servitude, au témoignage même de celui qui le connaissait bien.

Ayant entendu ce récit, que le caractère du narrateur me rendait digne de foi, toutes les résistances de mes doutes tombèrent. Et aussitôt je cherchais à guérir Firminus de cette curiosité, lui montrant que j’aurais dû, pour lui dire vrai, remarquer, à l’aspect des astres de sa nativité, le rang que ses parents tenaient dans leur ville, son héritage considérable, sa naissance ingénue, son éducation honnête, son instruction libérale. Qui si cet esclave, né sous de communes influences, m’eût consulté, il eût fallu, pour lui annoncer aussi la vérité, que j’eusse reconnu, dans ces mêmes signes, la misère et la servilité de sa condition ; circonstances bien différentes et bien éloignées des premières. Or, comment l’observation des mêmes signes m’eût-elle fourni des réponses qui devaient être différentes pour être vraies, une réponse semblable étant une erreur ? D’où je conclus avec certitude que ce qui se dit de vrai après l’examen des constellations se dit, non par science, mais par hasard, et que le faux doit être imputé, non à l’imperfection de l’art, mais au mensonge de tout calcul fondé sur le sort.

Ce récit ayant ouvert la voie à mes pensées, je ruminais en moi-même comment, en attaquant les insensés que je désirais ardemment réfuter et couvrir de ridicule, je leur enlèverais jusqu’au moyen d’alléguer pour défense que Firminus m’avait abusé par un conte, ou que lui-même s’était laissé tromper par son père ; et je dirigeai mes réflexions sur ceux qui naissent jumeaux, dont la naissance se suit de si près, que le moment d’intervalle, quelle que soit l’influence qu’ils lui prêtent dans l’ordre des événements, se joue des calculs de l’observation humaine et des figures que l’astrologue doit consulter pour la vérité de ses prédictions. Mais cette vérité même est un rêve. L’examen des mêmes signes lui eût fait tirer le même horoscope d’Ésaü et de Jacob, dont la vie fut si différente. Sa prédiction eût donc été fausse ; car, pour dire la vérité, il aurait dû, de l’inspection des mêmes étoiles, augurer des fortunes différentes. Ce n’est donc pas la science, mais le hasard qui lui eût présenté la vérité.

C’est vous, Seigneur, juste modérateur de l’univers, c’est vous qui, par une action secrète, à l’insu de tous, consulteurs et consultés, faites sortir de l’abîme de vos justices une réponse conforme aux mérites cachés des âmes. Et que l’homme ne s’élève pas jusqu’à dire : Qu’est-ce donc ? pourquoi ? Qu’il se taise ! qu’il se taise ! car il est homme.

VII
Tourments de son esprit dans la recherche de l’origine du mal.

Et déjà, ô mon libérateur, vous m’aviez affranchi de ces liens ; et j’étais encore engagé dans la recherche du mal, et je ne trouvais pas d’issue. Mais vous ne permettiez pas aux tourmentes de ma pensée de m’enlever à la ferme croyance que vous êtes et que votre substance est immuable, que vous êtes la providence et la justice des hommes, et que vous leur avez ouvert en Jésus-Christ, votre Fils, Notre-Seigneur, et dans les saintes Écritures fondées sur l’autorité de l’Église catholique, la voie de salut vers cette vie qui doit commencer à la mort.

Ces vérités sauves, et inébranlablement fortifiées dans mon esprit, je cherchais, avec angoisse, d’où vient le mal. Oh ! quelles étaient alors les tranchées de mon âme en travail ! quels étaient ses gémissements, mon Dieu ! Et vous étiez là, écoutant, à mon insu. Et lorsque, dans le silence, je poursuivais ma recherche avec effort, c’étaient d’éclatants appels à votre miséricorde que ces muettes contritions de ma pensée.

Vous saviez ce que je souffrais, et nul ne le savait. Qu’était-ce, en effet, ce que ma parole en faisait passer dans l’oreille de mes plus chers amis ? La parole, le temps eût-il suffi pour leur faire entendre le bruit des flots de mon âme ? Mais ils entraient tous dans votre oreille, vous ne perdiez rien des rugissantes lamentations de ce cœur. Et mon désir était devant vous, et la lumière de mes yeux n’était plus avec moi. Car elle était en moi, et j’étais hors de moi-même. Il n’est pas de lieu pour elle ; et je ne portais mon esprit que sur les objets qui occupent un lieu, et je n’y trouvais pas où reposer ; et je n’y pouvais demeurer, et dire : Cela suffit, je suis bien ; et il ne m’était plus permis de revenir où j’eusse été mieux. Supérieur à ces objets, inférieur à vous, je vous suis soumis, ô ma véritable joie, et vous m’avez soumis tout ce que vous avez fait au-dessous de moi.

Et tel est le tempérament de rectitude, la moyenne région où est le salut : fidèle image de mon Dieu, je devais en vous servant dominer sur mon corps. Mais mon orgueil s’est dressé contre vous, « je me suis élancé contre mon Seigneur sous le bouclier d’un cœur endurci[124] », et tout ce que je foulais aux pieds s’est élevé au-dessus de ma tête, pour m’opprimer, sans trêve, sans relâche. Tous ces corps, je les rencontrais en foule, en masse serrée, sur le passage de mes yeux ; je voulais rentrer dans ma pensée, et leurs images m’interceptaient le retour, et je croyais entendre : Où vas-tu, indigne et infâme ?

[124] Job, XV, 26.

Et telles étaient les excroissances de ma plaie, parce que vous m’aviez humilié comme un blessé superbe ; le gonflement de mon âme me séparait de vous, et l’enflure de ma face me fermait les yeux.

VIII
Dieu entretenait son inquiétude jusqu’à ce qu’il connût la vérité.

Et vous, Seigneur, vous demeurez éternellement, mais votre colère contre nous n’est pas éternelle, puisque vous avez eu pitié de ma boue et de ma cendre, et que votre regard a daigné réformer toutes mes difformités. Votre main piquait d’un secret aiguillon mon cœur agité, pour entretenir son impatience, jusqu’à ce que l’évidence intérieure lui eût dévoilé votre certitude, et mon enflure diminuait à votre contact puissant et caché, et l’œil de mon âme, trouble et ténébreux, guérissait de jour en jour par le cuisant collyre des douleurs salutaires.

IX
Il avait trouvé la divinité du Verbe dans les livres des platoniciens, mais non pas l’humilité de son Incarnation.

Et voulant d’abord me faire connaître comment vous résistez aux superbes et donnez votre grâce aux humbles, et quelles prodigalités de miséricorde a répandues sur la terre l’humilité de votre Verbe fait chair et habitant parmi nous, vous m’avez remis, par les mains d’un homme, monstre de vaine gloire, plusieurs livres platoniciens, traduits de grec en latin, où j’ai lu, non en propres termes, mais dans une frappante identité de sens, appuyé de nombreuses raisons, « qu’au commencement était le Verbe ; que le Verbe était en Dieu, et que le Verbe était Dieu ; qu’il était au commencement en Dieu, que tout a été fait par lui et rien sans lui : que ce qui a été fait a vie en lui ; que la vie est la lumière des hommes, que cette lumière luit dans les ténèbres, et que les ténèbres ne l’ont point comprise ». Et que l’âme de l’homme, « tout en rendant témoignage de la lumière, n’est pas elle-même la lumière, mais que le Verbe de Dieu, Dieu lui-même, est la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde » ; et « qu’il était dans le monde, et que le monde a été fait par lui, et que le monde ne l’a point connu ».

« Mais qu’il soit venu chez lui, que les siens ne l’aient pas reçu, et qu’à ceux qui l’ont reçu il ait donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu, à ceux-là qui croient en son nom » ; c’est ce que je n’ai pas lu dans ces livres. J’y ai lu encore : « Que le Verbe-Dieu est né non de la chair, ni du sang, ni de la volonté de l’homme, ni de la volonté de la chair ; qu’il est né de Dieu ». Mais « que le Verbe se soit fait chair, et qu’il ait habité parmi nous[125] », c’est ce que je n’y ai pas lu.

[125] Joan., I, 1-14.

J’ai découvert encore plus d’un passage témoignant par diverses expressions, « que le Fils consubstantiel au Père, n’a pas cru faire un larcin d’être égal à Dieu, parce que naturellement il n’est pas autre que lui ». Mais « qu’il se soit anéanti, abaissé à la forme d’un esclave, à la ressemblance de l’homme, qu’il ait été trouvé homme dans ses infirmités, qu’il se soit humilié, qu’il se soit fait obéissant jusqu’à la mort, à la mort de la croix ! — pour quoi Dieu l’a ressuscité des morts et lui a donné un nom au-dessus de tout autre nom, afin qu’à ce nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre dans les enfers, et que toute langue confesse que Jésus Notre-Seigneur est dans la gloire de Dieu son Père[126] » ; c’est ce que ces livres ne disent pas.

[126] Philipp., II, 6-11.

Qu’il est « avant les temps, au delà des temps, dans une immuable pérennité, comme votre Fils, coéternel à vous ; que, pour être heureuses, les âmes reçoivent de sa plénitude, et que, pour être sages, elles sont renouvelées par la communion de la sagesse résidant en lui[127] » ; cela est bien ici. « Mais qu’il soit mort dans le temps pour les impies ; que vous n’ayez point épargné votre Fils unique, et que pour nous tous vous l’ayez livré[128] », c’est ce qui n’est pas ici. Vous avez caché ces choses aux sages, et les avez révélées aux petits, afin de faire venir à lui les souffrants et les surchargés, pour qu’il les soulage. Car il est doux et humble de cœur, il conduit les hommes de douceur et de mansuétude dans la justice, il leur enseigne ses voies, et à la vue de notre humilité et de nos souffrances, il nous remet tous nos péchés :

[127] Joan., I, 16.

[128] Rom., V, 6 ; VIII, 32.

Mais élevés sur le cothurne d’une doctrine soi-disant plus sublime, les hommes d’orgueil ne l’entendent point nous dire : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes[129] » ; « s’ils connaissent Dieu, ils ne l’honorent pas, ils ne le glorifient pas comme Dieu ; ils se dissipent dans la vanité de leurs pensées, et leur cœur insensé se remplit de ténèbres ; se proclamant sages, ils deviennent fous ». Ainsi cette lecture même me montrait la profanation de votre incorruptible gloire transportée « à des idoles, aux statues formées à la ressemblance de l’homme corruptible, à l’image des oiseaux, des bêtes et des serpents[130] » ; fatal mets d’Égypte qui fait perdre à Ésaü son droit d’aînesse, et frappe de déchéance votre peuple premier-né, dont le cœur tourné vers la terre de Pharaon, adorant une brute au lieu de vous, incline votre image, son âme, devant l’image d’un veau qui rumine son foin !

[129] Matth., XI, 25, 28, 29.

[130] Rom., I, 21, 23.

Voilà ce que je trouvai dans ces écrits, mais je ne goûtai pas de cette profane nourriture ; car il vous a plu, Seigneur, de lever l’opprobre de Jacob, et de soumettre l’aîné au plus jeune ; et vous avez appelé les nations à votre héritage. Et je venais à vous, sorti des rangs étrangers, et mes désirs se tournaient vers l’or que votre peuple emporta de la maison de servitude par votre commandement, parce qu’il était à vous, où qu’il fût. N’avez-vous pas dit aux Athéniens par votre Apôtre : « C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être[131] », comme plusieurs d’entre eux l’avaient déjà dit ? Et je ne m’arrêtai pas devant ces idoles égyptiennes servies dans l’or de vos vases par ces insensés qui transforment la vérité divine en mensonge, et rendent à la créature le culte et l’hommage dus au Créateur.

[131] Act., XVII, 28.

X
Il découvre que Dieu est la lumière immuable.

Ainsi averti de revenir à moi, j’entrai dans le plus secret de mon âme, aidé de votre secours. J’entrai, et j’aperçus de l’œil intérieur, si faible qu’il fût, au-dessus de cet œil intérieur, au-dessus de mon intelligence, la lumière immuable ; non cette lumière évidente au regard charnel, non pas une autre de même nature, dardant d’un plus vaste foyer de plus vifs rayons et remplissant l’espace de sa grandeur. Cette lumière était d’un ordre tout différent. Et elle n’était point au-dessus de mon esprit, ainsi que l’huile est au-dessus de l’eau, et le ciel au-dessus de la terre ; elle m’était supérieure, comme auteur de mon être ; je lui étais inférieur comme son ouvrage. Qui connaît la vérité voit cette lumière, et qui voit cette lumière connaît l’éternité. L’amour est l’œil qui la voit.

O éternelle vérité ! ô vraie charité ! ô chère éternité ! vous êtes mon Dieu ; après vous je soupire, jour et nuit ; et dès que je pus vous découvrir, vous m’avez soulevé, pour me faire voir qu’il me restait infiniment à voir, et que je n’avais pas encore les yeux pour voir. Et vous éblouissiez ma faible vue de votre vive et pénétrante clarté, et je frissonnais d’amour et d’horreur. Et je me trouvais bien loin de vous, aux régions souterraines où j’entendais à peine votre voix descendue d’en haut : « Je suis la nourriture des forts ; crois, et tu me mangeras. Et je ne passerai pas en toi, comme les aliments de ta chair ; c’est toi qui passeras en moi ».

Et j’appris alors que vous éprouviez l’homme à cause de son iniquité, et qu’ainsi « vous aviez fait sécher mon âme comme l’araignée[132] ». Et je disais : N’est-ce donc rien que la vérité, parce qu’elle ne s’étend, à mes yeux, ni dans l’espace fini, ni dans l’infini ? Et vous m’avez crié de loin : Erreur, je suis celui qui est ! Et j’ai entendu, comme on entend dans le cœur. Et je n’avais plus aucun sujet de douter. Et j’eusse douté plutôt de ma vie que de l’existence de la vérité, « où atteint le regard de l’intelligence à travers les créatures visibles[133] ».

[132] Ps. XXXVIII, 12.

[133] Rom., I, 20.

XI
Les créatures sont et ne sont pas.

Et arrêtant ma vue sur tous les objets au-dessous de vous, je les reconnus, ni pour être absolument, ni pour n’être absolument pas. Ils sont, puisqu’ils sont par vous ; ils ne sont pas, puisqu’ils ne sont pas ce que vous êtes. Il n’est en vérité que ce qui demeure immuablement. Donc, « il m’est bon de m’attacher à Dieu[134] » ; car, si je ne demeure en lui, je ne saurais demeurer en moi-même. « Et c’est lui qui, dans son immuable permanence, renouvelle toutes choses. Et vous êtes mon Seigneur, parce que vous n’avez pas besoin de mes biens[135] ».

[134] Ps. LXXII, 20.

[135] Sap., VII ; Ps. XV, 2.

XII
Toute substance est bonne d’origine.

Et il me parut évident que ce n’est qu’en tant que bonnes que les choses se corrompent. Que si elles étaient de souveraine ou de nulle bonté, elles ne pourraient se corrompre. Souverainement bonnes, elles seraient incorruptibles ; nullement bonnes, que laisseraient-elles à corrompre ? Car la corruption nuit, et ne saurait nuire sans diminuer le bien. Donc, ou la corruption n’est point nuisible, ce qui ne se peut ; ou, ce qui est indubitable, tout ce qui se corrompt est privé d’un bien. Être privé de tout bien, c’est le néant. Être, et ne plus pouvoir se corrompre, serait un état meilleur ; la permanence dans l’incorruptibilité. Or, quoi de plus extravagant que de prétendre que la perte de tout bien améliore ? Donc, la privation de tout bien anéantit. Donc, ce qui est, tant qu’il est, est bon. Donc, tout ce qui est est bon. Et ce mal, dont je cherchais partout l’origine, n’est pas une substance ; s’il était substance, il serait bon. Car, ou il serait incorruptible, et sa bonté serait grande, ou il serait corruptible, ce qui ne se peut sans bonté.

Ainsi je vis clairement que vous n’aviez rien fait que de bon, et qu’il n’est aucune substance que vous n’ayez faite. Et quoique vous n’ayez pas doué toutes choses d’une égale bonté, elles sont pourtant, parce qu’elles sont, d’une bonté particulière ; et toutes ensemble sont très bonnes, parce que « vous avez fait », mon Dieu, « tout très bon[136] ».

[136] Gen., I, 31.

XIII
Rien que de bon dans les œuvres de Dieu.

Et pour vous le mal n’est pas ; il n’est pas pour l’universalité de votre œuvre, car il n’est pas en dehors, il n’est rien pour y pouvoir pénétrer par violence et altérer l’ordre que vous avez imposé. Dans le détail seulement, le mal, c’est quelque disconvenance, convenance plus loin et devenant bien, de substances bonnes en soi. Et toutes ces choses sans convenance entre elles conviennent à l’ordre inférieur que nous appelons la terre, qui a son atmosphère convenable de nuages et de vents.

Et loin de moi de désirer que ces choses ne soient pas, bien qu’à les voir séparément je les puisse désirer meilleures ! Mais fussent-elles seules, je devrais encore vous en louer, car, du fond de la terre, « les dragons et les abîmes témoignent que vous êtes digne de louanges ; et le feu, la grêle, la neige, la glace et le souffle de la tempête qui obéissent à votre parole ; les montagnes et les collines, les arbres fruitiers et les cèdres, les bêtes et les troupeaux, les oiseaux et les reptiles, les rois de la terre et les peuples, les princes et les juges de la terre, les jeunes gens et les vierges, les vieillards et les enfants, glorifient votre nom[137] ».

[137] Ps. CXLVIII, 12.

Et à la pensée que vous êtes également loué au ciel, « que dans les hauteurs infinies, ô mon Dieu ! vos anges et vos puissances chantent vos louanges ; que le soleil, la lune, les étoiles et la lumière, les cieux des cieux, et les eaux qui planent sur les cieux, publient votre nom[138] », je ne souhaitais plus rien de meilleur. Car, embrassant l’ensemble, je trouvais bien les êtres supérieurs plus excellents que les inférieurs, mais l’ensemble, après mûr examen, plus excellent que les supérieurs isolés.

[138] Ibid.

XIV
Il s’éveille enfin à la vraie connaissance de Dieu.

Il n’est pas en santé d’esprit celui qui trouve à reprendre dans votre création ; et mon jugement n’était pas sain quand je m’élevais contre plusieurs de vos ouvrages. Et comme mon âme n’était pas assez hardie pour trouver à reprendre mon Dieu, elle refusait de reconnaître pour votre œuvre tout ce qui lui déplaisait. Et elle était tombée dans la vaine opinion des deux substances, et elle ne pouvait s’y reposer, et elle parlait un langage d’emprunt.

Et au sortir de cette erreur, elle s’était fait un Dieu répandu dans un espace infini, et ce Dieu, elle le prenait pour vous, et elle l’avait placé dans son cœur, et elle s’était faite de nouveau le temple de son idole, abominable à vos yeux. Mais lorsque vous eûtes, à mon insu, attiré sur vous ma tête appesantie, « et clos mes yeux pour qu’ils ne vissent plus la vanité[139] », je me reposai un peu de moi-même, et ma démence s’assoupit. Et je me réveillai en vous, et je vous vis infini, mais d’un autre infini, et cette vue ne devait rien à l’œil charnel.

[139] Ps. CXVIII, 37.

XV
Toutes choses participent de la vérité et de la bonté de Dieu.

Et je jetai les yeux sur le reste, et je vis que tout vous est redevable d’être, et que tout est fini en vous, autrement qu’en un lieu, mais parce que vous tenez tout dans votre main toute-vérité ; et tout est vrai en tant qu’être, et la fausseté n’est que la créance à l’être de ce qui n’est pas. Et je reconnus que tout a sa convenance particulière, non seulement de lieu, mais de temps ; et que vous, seul Être éternel, ne vous êtes pas mis à l’ouvrage après des séries incalculables de temps, parce que les espaces des temps, passés ou à venir, ne sauraient ni passer, ni venir, sans l’action de votre permanence.

XVI
Ce que c’est que le péché.

Et je sentis par expérience qu’il ne faut pas s’étonner que le pain, agréable à l’organe sain, afflige le palais blessé, et qu’aux yeux malades soit odieuse la lumière si aimable à l’œil pur. Et votre justice déplaît aux hommes d’iniquité : comment donc pourraient leur plaire et la vipère et le vermisseau, créés par vous toutefois dans une bonté convenable à l’ordre inférieur, avec lequel les impies ont d’autant plus d’affinité qu’ils vous sont moins semblables, comme les bons tendent d’autant plus à l’ordre supérieur qu’ils sont plus semblables à vous ?

Et je cherchai ce que c’était que l’iniquité, et je trouvai qu’il n’y avait point là substance, mais hideuse prévarication de la volonté détournée de vous, ô mon Dieu, substance souveraine ; mais prostitution de toutes les puissances intérieures et enflure au dehors.

Chargement de la publicité...