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Les vrais mystères de Paris

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«Mon cher Rupin,

»Le dabe[647] Juste à qui je coque[648] cette babillarde[649], me fait la promesse qu'il te la fera tenir.

»Tu m'as tant fait affurer d'auber[650], et tu t'es toujours si chouettement[651] conduit envers mézigue[652], que je ne veux pas négliger l'occasion de te rendre un important service.

»Tu as sans doute appris que par une chouette sorgue[653] la rousse[654] est aboulée[655] à la taule[656], et que comme un macaron[657] avait mangé le morceau sur nouzailles[658] et bonni[659] le truc[660] de la planque[661], tous les fanandels[662] avaient été servis[663]. Grâce à l'obligeance d'un vieux fagot[664] qui s'était fait raille[665] pour morfiller[666] et auquel j'ai collé dix mille balles[667] dans l'arguemine[668], j'ai pu me cavaler[669], et, à c'te plombe[670], je suis si bien planquée[671], que je ne crains ni cognes[672], ni griviers[673], ni railles[674], ni quart-d'œil[675], ni gerbiers[676].

»Je voudrais bien que tous les chouettes zigues[677] qui m'ont fait affurer du pèze[678] puissent en dire autant; malheureusement il n'en est pas ainsi, et j'ai bien le taffetas[679] d'entendre dire bientôt que tous ceux qui rigolent[680] encore à Pantin[681] viennent d'être fourrés dans l'tas de pierres[682], car il est probable que ceux qui viennent d'être servis[683] vont se mettre à table[684] et manger sur l'orgue de leurs fanandels[685]. Les pègres[686] à c'te heure n'ont plus de probité.

»C'est pourtant toi, mon pauvre Rupin, qui est la cause de tout ça. Voici comment:

»Tu n'as pas oublié c't'escarpe[687] qui, après avoir voulu buter[688] une largue[689] sur le pont au Change, se jeta à la lance[690] pour échapper à la poursuite de l'abadis[691] et que tu fis enquiller[692] chez mézigue[693] au moment où il allait être paumé[694]; eh bien! mon garçon, c'est à ce gueux-là que nous devons tous nos malheurs. Il y a quelque temps qu'il vint me trouver, il me conta un tas de boniments[695]; il me dit qu'il venait de travailler[696] en cambrouze[697] avec des ouvriers[698] qui venaient de tomber malades[699], qu'il était parvenu à se cavaler[700] et qu'il voulait goupiner[701] à Pantin[702]; il fit si bien que je lui accordai toute ma confiance, je le présentai aux amis, enfin, je le traitai comme s'il avait été mon môme[703].

Eh bien! sainte daronne du mec des mecs[704], c'était un raille[705].

»C'est un fanandel[706] de Fanfan la Grenouille, Poil-aux-Lèvres, un vieux pègre[707] qui est de la boutique[708], qui m'a appris tout cela; il a même ajouté que l'on disait à la cicogne[709] que Beppo (c'est le nom du macaron[710]) avait juré qu'il ne se résiderait que lorsqu'il serait parvenu à mettre entre les mains des gerbiers[711] le grand Richard, le Provençal, et toi.

»Tu feras mon garçon, de l'avis que je viens de te donner, l'usage que tu voudras, si tu es aussi bien caché que je le suis, tu peux rester à Pantin[712], mais s'il n'en est pas ainsi, je te conseille de filer au plus vite, car il paraît que ce Beppo, tout rousse[713] qu'il est, est un solide luron, et que c'est plutôt parce qu'il t'en veut, que pour gagner de l'argent qu'il s'est mis à faire servir[714] les amis.

»Adieu, mon cher Rupin, tu n'entendras probablement plus parler de moi, car je vis toute seule comme un vieux loup, et pour mieux cacher mon jeu, je me suis fait dévote, je vais même à confesse. C'est drôle, n'est-ce pas? Eh bien, tu ne me croiras pas, et pour tant c'est vrai, mon confesseur est un si brave homme, il parle si bien de toutes les loffitudes[715] de la religion, que j'ai quelquefois l'envie de prendre au sérieux tout ce qu'il me dit, et de lui faire une vraie confession, afin d'obtenir une bonne absolution. Du reste, j'ai rengracié[716], je n'ai pas envie de finir mes jours au collége[717], ce qui pourrait bien m'arriver, si je me laissais prendre.

»Ah! si j'avais tant seulement auprès de moi ma pauvre petite Nichon.

»Adieu encore une fois, mon cher Rupin! rappelle-toi quelquefois,

»Marie-Madeleine-Colette Comtois, dite

»Sans-Refus.»

Vieille folle! se dit Salvador, après avoir achevé la lecture de cette lettre qu'il déchira en mille petits morceaux qui furent jetés au vent; vieille folle! si je savais où te trouver, je te porterais l'adresse de ta fille, car je serais à l'heure qu'il est bien aise d'être débarrassé d'elle.

La lettre qu'il venait de recevoir fit faire à Salvador des réflexions sérieuses et dont nos lecteurs ont déjà sans doute prévu le résultat.

Si le marquis de Pourrières ne quitte pas aujourd'hui son hôtel, se disait-il, il est probable que demain matin il sera arrêté, puis on le confrontera avec tous ceux qui sont déjà en prison, et de ces confrontations, et de mille autres circonstances qu'il est impossible de prévoir, il est à peu près certain qu'il résultera la preuve que le susdit marquis est tout simplement un pègre de la haute[718]. Mais, supposons un instant que j'échappe à ce premier danger, l'affaire du jeune Fortuné n'est-elle pas grosse d'une foule d'orages? je ne puis décidément tenir tête aux dangers qui me menacent, il ne me reste qu'un seul parti à prendre, celui de fuir pendant qu'il en est temps encore, et de laisser s'arranger comme ils l'entendront, les gens qui vont rester derrière moi...

Mais Silvia, elle est bien laide maintenant... puis-je me charger d'une femme dont le visage, couvert d'horribles plaies, attirerait sur moi tous les regards? oh non! Je vais l'avertir de se tenir sur ses gardes, c'est tout ce que je puis faire pour elle.

Salvador écrivit ces quelques mots qu'il fit de suite porter à la marquise de Roselly.

«Ma chère Silvia,

»Un grand danger me menace, je suis forcé de fuir, tâchez d'en faire autant; nous nous retrouverons probablement plus tard. Adieu.

»A. DE P.»

...Oh! destin voilà de tes coups, quitter un si bel hôtel, de si bonnes terres, de si magnifiques chevaux, c'est dur, mais qu'y faire?... La France, après tout, n'est pas le seul pays dans lequel il soit possible de vivre et de se procurer tout ce que je vais perdre, lorsque, comme moi, on possède tout ce qu'il faut pour réussir dans le monde, les dehors d'un homme distingué, de l'audace et une conscience peu scrupuleuse.

Salvador était un de ces hommes qui, dès qu'ils ont pris une détermination l'exécutent, qualité précieuse et qui n'est malheureusement possédée que par un très-petit nombre d'individus. Il sonna; son valet de chambre répondit de suite à cet appel.

—Vous allez de suite, dit-il, conduire Cerbère à mon pavillon de Choisy-le-Roi, ne le fatiguez pas surtout, je veux que demain, à la naissance du jour, il soit en état de se mettre en route.

Salvador, après avoir successivement donné à tous ceux de ses domestiques, dont la présence pouvait le gêner, des ordres qui devaient les tenir éloignés de l'hôtel pendant plus de temps qu'il ne lui en fallait pour l'exécution de ses projets, prit dans sa garde-robe un portemanteau de voyage, qui avait appartenu à Roman, dans lequel il put faire entrer toute l'argenterie de la maison et tous ses bijoux; ce soin pris, il passa chez sa femme.

Lucie, que le petit voyage qu'elle venait de faire avait extrêmement fatiguée, s'était mise au lit dès que Salvador était sorti de son appartement. Elle dormait profondément. Les derniers rayons du soleil, amortis par les rideaux de soie pourpre qui garnissaient les fenêtres de sa chambre à coucher, tombaient d'aplomb sur son joli visage, qu'il fallait chercher au milieu d'un flot de dentelles, ravissant tableau auquel Salvador ne daigna seulement pas accorder un regard, pressé qu'il était d'accomplir le dessein qui l'avait amené chez Lucie.

Il traversa la chambre à coucher, en marchant sur la pointe de ses pieds, et entra dans la petite pièce décorée et meublée comme celle qui existait naguère à l'hôtel de Neuville, et qui servait à Lucie de boudoir et de cabinet de travail.

Il s'arrêta devant un petit meuble dans lequel sa malheureuse femme avait l'habitude de renfermer ce qu'elle possédait de plus précieux, il était fermé, mais ce léger obstacle n'arrêta pas Salvador, qui avait eu le soin de se munir d'un petit trousseau de fausses clés.

Le petit meuble fut ouvert, il renfermait tous les bijoux de Lucie, une parure de rubis et d'opales, présent de madame de Villerbanne, une autre de perles, offerte par M. de Neuville, peu de temps avant son départ pour l'Algérie, un collier d'assez beaux diamants qui avait appartenu à sa mère, quelques belles émeraudes, un saphir monté en broche, deux beaux camées antiques formant bracelet, une petite montre, chef-d'œuvre inappréciable de Breguet, entourée de pierres précieuses de diverses couleurs.

Tous ces bijoux étaient renfermés dans plusieurs petites boîtes de maroquin. Salvador les mit pêle-mêle dans les diverses poches de son habit, puis il remit avec soin chaque boîte à sa place, et referma le meuble.

Lucie venait de s'éveiller lorsqu'il sortit de la pièce dans laquelle il venait de commettre ce vol, le plus infâme peut-être de tous ceux qu'il avait commis jusqu'à ce jour.

—Comment? dit-elle à son mari, vous étiez dans ma chambre.

—Je voulais vous demander si vous vous trouviez un peu mieux; mais lorsque je suis entré, vous dormiez d'un si bon cœur que je n'ai pas eu le courage de vous éveiller; je suis alors entré dans votre boudoir, où je suis resté à lire jusqu'à présent.

Lucie était bien loin de prévoir que son mari, au moment où il lui prodiguait les témoignages de la plus vive tendresse, se disposait à l'abandonner et qu'il venait de commettre un crime dont elle était la victime; elle crut donc devoir le remercier de sa sollicitude, et comme il était déjà tard et qu'elle voulait se lever pour dîner, elle le pria de la laisser seule un instant.

—Je suis désolé de ne pouvoir vous tenir compagnie, lui répondit Salvador; mais, ne sachant pas que j'aurais aujourd'hui le bonheur de vous posséder, j'ai pris un engagement auquel je ne puis manquer.

—A ce soir, en ce cas, dit Lucie en présentant sa main à son mari.

Salvador prit la main de la femme qu'il venait de dépouiller et la serra affectueusement entre les siennes.

—A ce soir, dit-il à Lucie, à ce soir.

Laure, on le voit, se conformant à la détermination qu'elle avait prise de concert avec son mari, n'avait pas appris à son amie ce qu'elle savait sur le compte de Salvador.

Celui-ci, dès qu'il fut sorti de l'appartement de sa femme, envoya un domestique chercher une voiture de place, dans laquelle il fit porter son portemanteau. Il quitta cette voiture, rue Saint-Dominique-d'Enfer, à la porte de l'usurier Juste, auquel il vendit tout ce qu'il avait apporté avec lui.

Le vieil arabe, sachant que son client était forcé de s'expatrier, se montra un peu plus raisonnable qu'il ne l'était ordinairement; il voulut bien se contenter d'un bénéfice probable de vingt-cinq pour cent. Il remit donc à Salvador une somme de trente mille francs en billets de banque; cette somme, avec ce qu'il possédait déjà d'argent comptant, formait un total d'environ cinquante mille francs.

Il faisait tout à fait nuit lorsque Salvador sortit de la maison de l'usurier; un cabriolet de place, qu'il prit près la grille du Luxembourg, le conduisit a l'embarcadère du chemin de fer de Paris à Orléans.

Quelques minutes, après, il arrivait à Choisy-le-Roi, et s'enfermait dans le pavillon des Gardes; il envoya à l'auberge le domestique qui avait amené le cheval, en lui donnant ordre de l'y attendre jusqu'au lendemain midi; il voulait qu'il ne retournât à Paris que lorsque lui-même aurait depuis longtemps déjà quitté Choisy-le-Roi.

Salvador, dans la prévision d'un malheur possible, faisait déposer entre ses mains, par ses domestiques, les divers papiers dont ils étaient porteurs; il passa une partie de la nuit à préparer pour son usage tous ceux qui lui étaient nécessaires; il lava un passe-port, un acte de naissance, un certificat de libération, il remplit ensuite ces actes d'indications applicables à sa personne; nous devons ajouter que ces diverses opérations furent faites avec un tel soin et une si merveilleuse adresse, que les pièces falsifiées auraient supporté victorieusement l'examen de l'œil le plus exercé.

A la naissance du jour, il renferma dans son portemanteau ce qu'il trouva au pavillon de linge et d'habits; il sella son cheval et glissa dans ses fontes une paire d'excellents pistolets; il avait coupé sa barbe, ses moustaches et ses favoris, et s'était couvert d'habillements beaucoup plus simples que ceux qu'il portait la veille.

Il se mit en route.

—Le marquis de Pourrières n'existe plus, se dit-il lorsqu'il eut laissé derrière lui le pavillon qu'il venait de quitter, le diable protégera sans doute Louis Rousseau, commis voyageur de la maison Biot et compagnie, de Marseille; il doit bien cela à un de ses futurs hôtes.

VII.—Péripétie.

Il fait nuit, le ciel est sombre, un brouillard épais enveloppe l'atmosphère, une pluie fine et pénétrante tombe depuis plusieurs heures, le vent déjà froid, se fraye un passage à travers les rameaux presque dépouillés des grands arbres du bois de Bougeaux.

Dans un fourré de ce bois, voisin de la grande route, sont rassemblés quatre individus de mauvaise mine, ils sont assis ou couchés sur un amas de feuilles sèches, et parfaitement à l'abri de la pluie; car les branches des arbres qui composent le fourré, entrelacées les unes dans les autres, forment au-dessus de leurs têtes, une sorte de toit qu'ils ont rendu impénétrable, en étalant dessus, plusieurs de ces limousines dont se servent les rouliers et les marchands colporteurs.

Nous engagerons ceux de nos lecteurs qui désireraient connaître la physionomie et le costume de ces quatre individus, à relire le premier chapitre du cinquième volume de cet ouvrage. Ces individus sont, en effet, les habitants mâles de la maison des voleurs; leur conversation que, par suite de cet heureux privilége que possèdent tous les romanciers, (nous ne voulons pas faire une exception, même en faveur de M. Émile Marco de Saint-Hilaire, qui raconte si bien à ses lecteurs ce que Napoléon disait lorsqu'il était tout seul), nous pouvons écouter, sans courir le moindre risque, nous apprendra une foule de choses qu'il est nécessaire que nous sachions.

—Il commence à faire vert[719], dit Jean-Louis, le fils de Blaise le Petit-Christ, dit Sans-Pitié.

—C'est vrai, tout de même, répondit le jeune homme imberbe, qui portait un costume de garçon meunier lorsque nous le rencontrâmes pour la première fois, dans la maison des voleurs; si vous le voulez, nous allons nous la donner[720]. Nous serions mieux, je crois, devant un chouette rifle[721], que dans ce sabri[722] où il fait plus noir que dans la taule du raboin[723].

—Va comme il est dit, ajouta en se levant le grand Bas-Normand.

—Voilà comme vous êtes tous, tas de propres à rien, s'écria l'affreux chaudronnier ambulant, vous n'avez point tant seulement la patience d'attendre un brin, il vous faut de la besogne toute mâchée n'est-ce pas?

—Si encore on avait l'espoir de faire queuque chose, répondit le meunier, on attendrait sans renauder[724].

—Nous ne rencontrerons pas seulement un ferlampier[725] sur la trime[726], reprit le Bas-Normand, il fait un temps à ne pas mettre un cogne[727] dehors.

Jean-Louis, dont l'observation intempestive avait provoqué toutes ces observations, s'était étendu sur le tas de feuilles sèches qui lui servait de siége et avait pris le parti de s'endormir.

—Faites comme Jean-Louis, dit le chaudronnier, pioncez[728] si vous vous ennuyez; mais puisque le mec[729] nous a donné l'ordre de l'attendre ici, nous devons lui obéir.

—Eh ben! on lui obéira, v'là tout, nous verrons ce que ça nous rapportera, répondit le Bas-Normand.

—Peut-être plus que vous ne pensez, mes enfants, dit en entrant dans le fourré qui servait de retraite aux quatre bandits, un homme dont les vêtements ruisselants d'eau et le visage coloré annonçaient qu'il venait de faire une longue course.

—C'était Blaise le Petit-Christ, dit Sans-Pitié.

—Il va passer tout à l'heure par ici, continua-t-il, un pilier de paquetin[730], qui trimarde à gaye[731], qu'il ne faut pas manquer. J'étais avec lui à la dînée au tapis[732] de la Grange-la-Prévôte, lorsque les cognes[733] sont venus lui demander ses escraches[734], et j'ai remarqué que son ployant[735] était plein de tailbins d'altèque[736]. J'ai pris les devants pendant qu'il faisait ferrer son gré[737], il ne peut tarder.

—Eh ben! s'écria d'un air triomphant le chaudronnier, si le chopin[738] est chouette[739], à qui le devrez-vous?

—A toi, parbleu! répondit Jean-Louis qui mettait de nouvelles capsules à des pistolets qu'il venait de sortir de sa poche.

—Pour peu que le pilier de pacquelin ne nous fasse pas faux bond, ajouta le meunier.

—Il n'y a pas de danger, reprit Blaise le Petit-Christ, il veut absolument arriver ce soir à Melun, et pour se rendre dans cette ville il n'y a pas d'autre chemin que celui-ci.

—Bravo! mec[740], bravo! s'écria le Bas-Normand, faisons-lui son affaire et renquillons à la taule, je cane la pégrenne[741] et j'ai hâte de me trouver devant un chouette rifle[742].

—Hélas! mes pauvres enfants, répondit Blaise le Petit-Christ d'un air profondément affligé, lorsque nous aurons maquillé[743] cette affaire et partagé le chopin[744], il faudra que nous nous séparions peut-être pour un bout de temps; le condé[745] de Nanterre et un quart-d'œil[746], suivis d'un trèpe[747] de cuisiniers[748], sont aboulés[749] ce matois[750] à la taule[751]; ma pauvre largue[752], Pacifique et la Vierge-Noire, ont été servies[753] et conduites dans le castuc de versigot[754], l'on a établi une souricière[755] au tapis[756] du Bienvenu; avez-vous envie d'aller vous fourrer dedans?

—Non parbleu! dirent à la fois les quatre bandits.

—En v'là un de malheur, ajouta Jean-Louis, si la daronne[757] et les frangines[758] allaient se mettre à table[759].

—Il n'y a pas de danger, ma largue m'a trop à la bonne[760], et mes gozelines[761] ont été trop bien élevées, pour qu'une pareille infamie soit à redouter; du reste nous ne sommes pas encore si malades[762] que nous ne puissions en revenir; on n'aura rien trouvé à la taule[763] qui soit de nature à nous compromettre, et pour peu que des parrains[764] ne viennent pas leur coquer un redoublement de fièvre[765], ma largue[766] et mes gozelines se tireront de ce mauvais pas.

—En ce cas elles sont de la fête[767], dit Jean-Louis, il n'y aura pas de parrains[768], puisque nous avons pris la louable habitude de refroidir[769] tous ceux que nous grinchissons[770].

—Il ne faut jurer de rien; je crois que nous avons été donnés[771] par le chêne[772] qui s'est esgaré[773] de chez nouzailles[774] avec mes frusquins[775] et qui nous a laissé le pot[776] et le gaye[777], dont nous avons eu tant de peine à nous débarrasser.

Blaise le Petit-Christ ne se trompait pas, c'était, en effet, à Servigny qu'était due l'arrestation de la femme et des deux filles de ce scélérat. Peu de temps après l'entretien qu'il avait eu avec l'abbé Reuzet, il avait adressé à la police une relation détaillée de tout ce qui lui était arrivé dans l'auberge du Bienvenu; qu'il terminait en disant, que bien qu'il ne la signât pas, on ne devait pas moins la prendre en considération, attendu qu'il n'omettait cette formalité que parce qu'il était sur le point de faire un voyage qu'il ne pouvait remettre, que du reste une perquisition dans cette auberge amènerait probablement la découverte du cheval et du cabriolet qu'il avait été forcé d'y abandonner (il en donnait une description exacte et minutieuse), ce qui prouverait qu'il n'alléguait que des faits vrais. Cette dénonciation provoqua une première descente de la police à l'auberge du Bienvenu, mais, comme ainsi qu'on l'a vu, le premier soin de Blaise le Petit-Christ lorsqu'il s'était aperçu que celui qu'il prenait pour un agent de police était parvenu à se sauver, avait été celui de faire disparaître le cheval et le cabriolet; on n'avait pas trouvé dans cette auberge, signalée comme un repaire de malfaiteurs, un seul objet qui fût de nature à compromettre ses habitants qui jouissaient d'ailleurs d'une si bonne réputation que l'on n'avait pas osé les arrêter, n'ayant après tout contre eux qu'une dénonciation anonyme qui pouvait être attribuée à la haine cachée d'un ennemi.

Un fait cependant enlevait à cette conjecture la plus grande partie de ses probabilités; les habitants de l'auberge du Bienvenu pouvaient, il est vrai, avoir un ou plusieurs ennemis (qui n'en a pas), mais ces ennemis devaient, comme eux, appartenir aux classes populaires et la dénonciation qui les concernait était écrite avec tant de soin et en de si bons termes, elle était accompagnée de considérations d'un ordre si élevé, qu'elle était évidemment l'œuvre d'une personne ayant reçu une brillante éducation; de là à conclure que cette personne appartenait à la meilleure compagnie, il n'y avait pas loin, c'est ce que l'on fit; et pour ménager à la fois tous les intérêts il fut décidé que l'auberge du Bienvenu serait surveillée avec le plus grand soin, et que l'on n'agirait que si quelques faits nouveaux survenaient.

Cette détermination était sage, malheureusement un accident qui ne pouvait être prévu empêcha d'abord les bons résultats qu'elle devait produire.

On ne trouve, en France, que très-peu d'honnêtes gens qui se résolvent à servir la police; (c'est pourtant, suivant nous, une belle mission lorsqu'elle est consciencieusement exécutée, que celle qui consiste à mettre dans l'impossibilité de nuire à leurs concitoyens les hommes qui bravent ouvertement les lois primordiales qui régissent toutes les sociétés civilisées); elle est donc forcée d'accorder sa confiance à des gens pour la plupart très-peu scrupuleux (il est bien entendu que nous ne parlons ici que des individus qui occupent les derniers degrés de l'échelle); ces gens-là servent bien tant qu'ils y trouvent leur compte, mais comme grâce aux sots préjugés auxquels nous obéissons tous sans nous en douter, leur métier ne leur rapporte ni considération, ni grand profit, ils ne lui sont pas attachés, et lorsque l'occasion de faire ce qu'ils nomment une bonne affaire, se présente, ils ne la laissent pas s'échapper; aussi des transactions semblables à celle survenue entre Fanfan la Grenouille et la mère Sans-Refus, sont beaucoup moins rares qu'on ne le suppose; on a donc presque toujours tort lorsque l'on accuse la police d'impéritie ou de négligence; il serait beaucoup plus juste peut-être de dire qu'elle a été trompée par les agents auxquels elle avait accordé sa confiance.

Blaise le Petit-Christ traversait le village de Nanterre pour se rendre chez lui, lorsqu'il fut abordé par un individu, porteur d'une de ces physionomies caractéristiques qui indiquent de suite à l'œil de l'observateur la profession de celui auquel elles appartiennent.

—Vous ne me remettez pas? dit cet individu au Petit-Christ.

—Si fait, parbleu! répondit Blaise qui venait de reconnaître un des hommes avec lesquels il avait travaillé lorsqu'il ne s'occupait encore que de contrebande, qu'es-tu donc venu chercher par ici?

—Vous.

—Moi?

—Vous-même. Ecoutez, père Blaise, collez[778] moi cinquante balles[779], et je vous coque[780] une médecine flambante[781].

Coque la médecine, et si elle est si chouette[782], eh bien! on verra.

—Pas d'ça Lisette, casquez[783] d'abord. Je vous connais, vous êtes marlou[784], mais je suis passé singe[785].

Le Petit-Christ tira de dessous sa blouse un sac de peau attaché à son cou par une forte lanière, dans lequel il prit dix pièces de cinq francs, qu'il remit à l'homme qui venait de l'aborder.

—Je suis de la cuisine[786], lui dit cet homme après avoir empoché les cinquante francs; et sans doute pour donner plus de poids à ses paroles, il tira de sa poche une carte coupée triangulairement et sur laquelle était imprimé un œil entouré de rayons.

—Est-ce cela que tu voulais m'apprendre? je le savais.

—C'est possible; mais ce que vous ne savez pas, c'est que je ne suis ici, avec plusieurs de mes camarades, qu'afin de voir tout ce qui se passera aujourd'hui et les jours suivants dans une certaine auberge, à l'enseigne du Bienvenu, dans laquelle, à ce qu'on dit là-bas, vous maquillez[787] un tas d'trucs[788] assez drôles.

—Il y a de si méchantes gens... mon pauvre vieux.

—Que vous soyez ou non calomnié, je m'en bats l'œil; vous êtes averti, je suis payé, le reste vous regarde. Adieu, père Blaise.

—Adieu, mon garçon.

Le Petit-Christ fit son profit de l'avis qu'il venait de recevoir; aussi, pendant un laps de temps assez long, l'auberge du Bienvenu fut, de toutes celles du pays, la plus sûre et la mieux tenue. On a deviné que Blaise, moyennant quelques écus, achetait chaque jour à son ancien camarade la communication des rapports qui le concernaient, et que, lorsque la surveillance cessa, il fut de suite averti.

Il recommença alors ses abominables pratiques.

Servigny, bien certain que, grâce à la révélation adressée par lui à la police, les assassins avaient été mis dans l'impossibilité de nuire, ne s'occupa plus de cette affaire. Ce ne fut que peu de jours avant les événements que nous venons de rapporter, que passant par hasard en calèche devant la maison des voleurs, il reconnut, assises devant la porte principale, la mère et ses deux filles, Pacifique et la Vierge-Noire.

—Ou ma lettre n'a pas été reçue, ou on n'en a pas fait de cas parce qu'elle était anonyme, et peut-être que ces scélérats, encouragés par l'impunité, sacrifient tous les jours à leur cupidité de nouvelles victimes; il faut absolument qu'un pareil état de choses cesse, et cesse à l'instant même.

Il alla trouver l'abbé Reuzet, afin de lui demander conseil.

—Je ne serai tranquille, lui dit-il, que lorsque ces scélérats auront été mis dans l'impossibilité de sacrifier de nouvelles victimes; il me semble que je suis le complice de tous les crimes qu'ils commettent, cela est si vrai que, si vous ne pouvez m'indiquer un autre moyen, je suis bien déterminé quoi qu'il puisse m'arriver à me présenter moi-même à la police qui alors sera bien forcée d'agir.

Le prêtre qui avait attentivement écouté Servigny, lui serra la main, et se leva du siége sur lequel il était assis.

—J'ai trouvé un moyen, dit-il, un excellent moyen, je suis même étonné de ne pas y avoir pensé plus tôt.

Il ne voulut pas en dire davantage à Servigny, qu'il quitta de suite, pour se rendre à la préfecture de police.

L'abbé Reuzet, était un de ces dignes prêtres comme il en existe encore un nombre beaucoup plus considérable qu'on ne le croit généralement, dont la réputation est basée sur une vie si pure, sur une si grande quantité de nobles actions que les plus incrédules les croient, lorsqu'ils veulent bien se donner la peine d'affirmer un fait quel qu'il soit.

Dame police n'est pas très-crédule de sa nature, et vraiment cela est fort heureux pour elle, on lui raconte bénévolement tant et de si singulières histoires. Cependant dès que l'abbé Reuzet lui eut donné l'assurance que la dénonciation qu'elle avait dû recevoir peu de temps auparavant, dénonciation dont l'auteur, forçat évadé, ne pouvait se faire connaître, ne contenait que des faits vrais, elle ouvrit les yeux et les oreilles, et il fut résolu que l'auberge du Bienvenu, serait de nouveau mise à l'index.

Il s'agissait d'être enfin fixé sur la valeur morale des habitans mâles et femelles de l'auberge du Bienvenu, de savoir d'où ils venaient, ce qu'ils faisaient, de remarquer tout ce qui se passait chez eux et de veiller s'il y avait lieu sur la vie des voyageurs qu'ils hébergeraient. Cette mission difficile fut confiée à un homme adroit et résolu, aux yeux duquel on fit luire l'espoir d'obtenir une très-belle récompense, c'était le meilleur moyen de l'engager à ne rien négliger de ce qui pouvait assurer la réussite de son entreprise.

Cet homme qui avait blanchi sous le harnais, ressemblait assez à ce brave rat, dont parle quelque part le bon La Fontaine: nous ne savons s'il avait perdu quelque chose à la bataille, mais nous pouvons assurer qu'il avait en réserve plus d'un tour dans son bissac. Il choisit quelques auxiliaires vertueux puis il se procura un costume demi-bourgeois, demi-paysan, et à la tombée de la nuit, il entra à l'auberge du Bienvenu, et, après avoir déposé sur une table le bâton de cornouiller orné d'une lanière de cuir dont il était armé et une sacoche qui rendit un son métallique, qui fit tressaillir tous les nerfs auditifs de la femme et des deux filles de Blaise le Petit-Christ, il demanda si on pouvait disposer en sa faveur, d'un bon souper et surtout d'un bon lit; madame Blaise, toujours affable et prévenante, lui répondit, ainsi du reste qu'il s'y attendait, que tout ce que renfermait la maison était à ses ordres.

—Vous me rendez un important service, ma chère Dame, répondit l'agent de police, je craignais d'être forcé d'aller jusqu'à Nanterre, ce qui m'aurait infiniment contrarié, car j'ai fait aujourd'hui une assez longue route, et je vous avoue que je suis très-fatigué.

—Il y a de plus belles auberges que la nôtre dans le pays, répondit madame Blaise, mais il n'y en a pas de plus propres et où les voyageurs soient plus en sûreté et mieux traités.

—Je n'en doute pas, madame, aussi, je vous prierai de vouloir bien me serrer cette sacoche qui renferme deux mille francs que j'ai apportés avec moi pour payer partie du prix d'une petite propriété dont je viens de faire l'acquisition ici près.

Madame Blaise prit la sacoche et la renferma dans le bas d'une armoire dont elle offrit la clé au voyageur.

—Gardez cette clé, madame, répondit-il, elle est aussi bien entre vos mains que dans les miennes.

Après ce petit incident, le voyageur ayant manifesté l'intention de se retirer quelques instants dans la chambre qui lui était destinée, madame Blaise, qui s'occupait des préparatifs du souper, donna l'ordre à l'une de ses filles de l'y conduire; celle-ci, après l'avoir installé et lui avoir dit que l'on viendrait le prévenir lorsque le souper serait prêt, descendit l'échelle de meunier qui, de la salle commune de l'auberge du Bienvenu, conduisait aux chambres destinées aux voyageurs, et vint rejoindre sa mère et sa sœur.

—Je crois, leur dit-elle, que nous tenons le bon, le flacul[789] est plein de bille[790]: deux mille balles[791], ça ne se trouve pas tous les luisants[792] sous les arpions[793] d'un gaye[794] n'est-ce pas?

—Malheureusement, répondit la mère; mais il faudra les rendre, ces deux milles balles.

—Les rendre, ajouta Pacifique, eh! pourquoi ça, s'il vous plaît?

—Tu as donc oublié que le dabe[795] qui est allé balader[796] sur la trime[797] avec les fanandels[798], ne renquillera[799] pas cette sorgue[800], et qu'en décarant[801] il nous a recommandé la plus grande prudence, et puis d'ailleurs ce niert[802] paraît avoir de l'atout[803], et c'est tout au plus si à nous trois nous pourrions lui faire son affaire.

Laissez-donc, dit la Vierge-Noire, nous le ferons picter[804] à la refaite de sorgue[805], et lorsqu'il pioncera chenument[806], nous en ferons ce que nous voudrons.

—C'est possible, répondit la mère, mais la falourde engourdie[807]?

—Eh bien, nous la garderons à la taule[808] jusqu'à l'arrivée du dabe[809]. Hein? Il serait un peu content, ce pauvre birbe[810], si à son retour nous pouvions lui coller les deux mille balles dans l'arguemine[811].

—Certes, ajouta Pacifique, d'autant plus que nous avons perdu pas mal de temps, et que depuis que nous nous sommes remis à escarper les mézières[812], il ne nous en est pas tombé sous la poigne[813] un aussi chouette[814] que celui-ci.

—Voyons daronne[815], laissez-vous tenter, dit la Vierge-Noire d'une voix câline, l'occasion est bonne et puis voyez-vous il ne faut pas jeter à ses paturons[816] le bien que le mec des mecs[817] nous envoie.

—Il faut bien faire ce que vous voulez, mes momignardes[818], répondit madame Blaise, allons, c'est dit, on rebâtira[819] le sinve[820]; il faut espérer que la daronne du grand Aure[821] nous protégera; mais la refaite[822] est prête, il faut mettre la carante[823] et aller dire au pantre[824] de descendre.

Tandis que la conversation que nous venons de rapporter avait eu lieu dans la salle à manger, entre madame Blaise et ses filles, l'agent de police renfermé dans sa chambre, n'avait pas perdu son temps; il avait d'abord examiné avec soin les deux issues par lesquelles des assassins pouvaient s'introduire dans la pièce qu'il occupait, la porte et les deux fenêtres; la porte, garnie de deux forts verrous pouvait être fermée en dedans; les fenêtres, assez élevées au-dessus du sol, étaient toutes les deux garnies de forts barreaux.

—Jusqu'à présent, je ne vois ici rien de bien suspect, s'était-il dit après cet examen préalable, le voyageur enfermé dans cette chambre peut se croire avec raison parfaitement en sûreté; ils n'entrent pas cependant par la serrure, ce n'est que dans l'Evangile que l'on voit des chameaux passer par le trou d'une aiguille.

Cette judicieuse réflexion engagea l'agent à poursuivre le cours de ses recherches, il prit un pistolet dans une des poches de son pantalon, et il se servit de la crosse pour sonder les murailles.

Il eut bientôt découvert le secret du dossier mobile du lit, alors tout lui fut expliqué.

—Eh! eh! se dit-il, mais ceci me paraît fort ingénieux, et surtout très-philanthropique, le voyageur à l'aide de ce procédé, doit passer sans trop souffrir, du sommeil à la mort, l'industrie fait vraiment tous les jours de nouveaux progrès.

L'agent avait à peine achevé son examen et replacé chaque chose à sa place, que la Vierge-Noire vint le prévenir que le souper était prêt.

—Je vais alors y faire honneur, répondit-il, si surtout vous voulez-bien me faire le plaisir de le partager avec moi.

L'agent trouva dans la salle à manger une table couverte d'une nappe bien blanche, sur laquelle on avait déjà déposé un plat, dont le fumet annonçait un ragoût délicieux.

—C'est très-charitable, se dit encore l'agent, ces braves gens ne veulent pas que l'on commence le grand voyage avant d'être parfaitement lesté. Mais ne nous laissons pas amollir par les délices de Capoue, et surtout prions cette digne femme et ses deux aimables filles de m'aider à expédier ce souper, dont je ne prendrai ma part, que si elles veulent bien le partager avec moi, il faut être prudent.

L'invitation de l'agent fut acceptée avec empressement, de sorte qu'il but et mangea sans éprouver la crainte qu'un soporifique se trouvât mêlé aux mets qu'il allait savourer.

Pendant le souper, les aimables hôtesses de Trotignon (ainsi se nommait l'agent de police), lui versaient du vin à plein verre, il vit de suite quel était le but qu'elles voulaient atteindre, mais comme il se savait capable de boire le contenu d'un tonneau, sans en être plus ému, il n'eut pas besoin de se tenir sur ses gardes, seulement, après avoir fait honneur à quelques petits verres d'excellente eau-de-vie, il crut devoir simuler une sorte de demi-ivresse; enfin, il joua si bien son rôle, que les trois femmes, lorsqu'il quitta la table, regardaient l'affaire comme aux trois quarts faite.

Après le souper, il alluma une pipe qu'il alla fumer sur le pas de la porte, des gens qu'il connaissait bien se promenaient de long en large sur la route, il leur fit quelques signes auxquels ils répondirent d'une manière satisfaisante, bien certain alors qu'il serait secouru au moment du danger, l'agent rentra à l'auberge du Bienvenu, et manifesta le désir d'aller se coucher, désir qu'on s'empressa de le mettre à même de satisfaire.

Dès qu'il fut dans sa chambre, il fit avec ses draps et une des couvertures, un mannequin qu'il mit dans le lit à la place qu'il devait occuper, puis il ôta sa redingote et son gilet qu'il posa avec soin sur une chaise, de manière à ce qu'ils fussent vus des assassins s'il leur prenait la fantaisie de regarder par le trou de la serrure, et conservant seulement son pantalon et sa chaussure, et chaque main armée d'un pistolet, il se plaça dans la ruelle du lit, et attendit les yeux fixés sur le panneau mobile destiné à retomber sur lui.

Madame Blaise, Pacifique et la Vierge-Noire, lorsqu'elles supposèrent que le voyageur était profondément endormi, vinrent se placer derrière le dossier mobile du lit dans lequel elles croyaient qu'il était couché depuis longtemps, des ronflements aussi retentissants que les sons d'une contre-basse, leur apprirent bientôt que leurs prévisions ne les avaient pas trompées.

—Il pionce[825], dit la Vierge-Noire, il est temps.

Pacifique lâcha le ressort retenant le dossier mobile qui s'abaissa rapidement sur le lit.

—Il est à nous, s'écria la Vierge-Noire.

—Pas encore! escarpes[826], s'écria l'agent, qui, ne pouvant supposer qu'il était assailli seulement par les trois femmes, déchargea un de ses pistolets sur le groupe, que l'obscurité ne lui permettait que d'entrevoir.

La balle atteignit Pacifique, et lui brisa le bras droit, la malheureuse tomba dans le corridor en poussant des cris épouvantables.

Au même instant des clameurs se firent entendre du dehors, la porte extérieure céda sous les efforts redoublés de plusieurs hommes qui envahirent la maison.

—Ce sont des friquets[827]! s'écria madame Blaise, lorsque le lieu de la scène fut éclairé par une torche qu'un des agents venait d'allumer, nous sommes servies[828].

—Vous l'avez dit, mes mignonnes, répondit l'agent, mais où sont donc les mâles? continua-t-il, étonné de ne trouver que les trois femmes devant lui.

—Vous ne les tenez pas encore, mauvais railles[829], répondit Pacifique, qu'un des agents avait relevée et placée sur une chaise.

Les trois femmes furent liées avec soin, et les agents commencèrent dans toute la maison une perquisition qui n'amena aucun résultat, par la raison toute simple que Blaise le Petit-Christ et ses quatre compagnons étaient en ce moment en campagne.

A la naissance du jour, le commissaire de police de Nanterre, qui avait été prévenu la veille, arriva à l'auberge du Bienvenu, et fit conduire madame Blaise et ses deux filles dans les prisons de Versailles.

La nouvelle de cette arrestation se répandit avec la rapidité de l'éclair, Blaise le Petit-Christ l'apprit à son tour, pendant qu'il se trouvait à l'auberge dans laquelle il avait rencontré le voyageur qu'il se disposait à attaquer, au moment où nous avons interrompu notre récit, pour raconter à nos lecteurs les faits qui précèdent; mais, comme il ne connaissait pas les circonstances qui avaient accompagnées la capture de sa femme et de ses deux filles, il pouvait croire que ses résultats ne seraient pas aussi fâcheux pour elles qu'ils devaient l'être.

Retournons maintenant près de lui et de ses compagnons.

Les assassins, malgré la pluie qui n'a pas cessé de tomber, ont quitté le fourré dans lequel ils étaient à l'abri, et se sont mis en embuscade sur la lisière de la route qui est bordée de grands arbres, derrière lesquels ils se tiennent cachés. La nuit est noire le vent souffle avec violence.

—Quel temps, quel fichu temps, dit à voix basse le Chaudronnier, le pilier de pacquelin[830] ne viendra pas.

—Il viendra, j'en suis sûr, répondit Blaise le Petit-Christ, puisque je vous dis que lorsque j'ai quitté le tapis[831] il allait achever sa refaite de sorgue[832], et qu'il venait de donner l'ordre de seller son gaye[833], mais silence, j'entends je crois quelque chose.

En effet, après avoir prêté l'oreille quelques minutes, les assassins entendirent distinctement, dans le lointain, le bruit des pas d'un cheval.

—C'est lui! dit Blaise le Petit-Christ, c'est lui: du maigre[834]!

Quelques instants après, un voyageur passait devant les bandits; il était enveloppé dans un large manteau à manches, qui couvrait la croupe de son cheval; mais il l'avait disposé de telle manière que tous ses mouvements étaient libres.

Blaise le Petit-Christ, qui n'avait pas oublié qu'il devait donner l'exemple à ses hommes, s'élança le premier à la tête de son cheval; il fut immédiatement suivi de tous les autres.

—Ta bourse ou ta peau, dit-il au voyageur.

—Mes amis, répondit celui-ci, si mes compagnons n'étaient pas restés en arrière, je vous aurais probablement fait la même demande; ainsi rien à faire avec moi, je suis un garçon.

—Garçon ou non, exécute-toi de bonne grâce; tu as de l'or, il nous le faut.

Rengraciez alors[835], mauvais escarpes de grand trime[836]; ma filoche[837] vous passera devant le naze[838].

—Ah! tu dévides le jars[839] pour nous faire croire que tu es un pègre[840]; ça aurait peut-être pris autrefois, reprit Blaise; mais aujourd'hui, pas moyen; les plus rupins[841], depuis qu'on a imprimé des dictionnaires d'argot, entravent bigorne[842] comme nouzailles[843]. Allons, allons, la filoche[844] et le ployant[845].

Le voyageur avait pu prendre un pistolet dans ses fontes; il le dirigea sur Blaise le Petit-Christ, qui tenait toujours son cheval par le mors; mais un mouvement de l'animal en changea la direction et la balle alla frapper le Chaudronnier qui tomba sur le sol.

—Ah! c'est comme cela! s'écria Blaise le Petit-Christ, à mort, alors, Jean-Louis, dit-il à voix basse à son fils qui se trouvait près de lui; fauche les guibes du gaye[846].

Le voyageur, qui avait déjà essuyé plusieurs coups de feu dont il n'avait pas été atteint, s'était armé d'un second pistolet; mais le cheval, tenu par le mors, ne cessait pas de caracoler, de sorte qu'il n'était pas maître de diriger ses coups, cependant, comme il voulait absolument se débarrasser de son plus dangereux ennemi, il se pencha sur le cou de sa monture et déchargea son pistolet. Blaise le Petit-Christ fit un brusque mouvement de côté, mais la balle l'ayant atteint au bras, il fut forcé de lâcher prise; au même instant le cheval tomba et entraîna son maître dans sa chute.

Jean-Louis, pour obéir aux ordres de son père, s'était glissé derrière le noble animal et saisissant un moment favorable, il lui avait, à l'aide d'un couteau serpette, coupé deux des jarrets.

Le voyageur, désarmé et presque étouffé sous le poids de son cheval, ne pouvait faire un seul mouvement. Le meunier s'approcha et lui déchargea ses deux pistolets dans la poitrine, tandis que Blaise, qui n'était que très-légèrement blessé, prenait dans ses poches son portefeuille et tout l'argent qu'elles contenaient.

—Il y a gras[847], mes enfants, dit-il, il y a gras; allons, en trime[848], nous faderons[849] au plus prochain tapis[850].

—Et le Chaudronnier, est-ce que nous allons le laisser là? fit observer le Bas-Normand.

Blaise le Petit-Christ s'approcha du Chaudronnier étendu sur la route à côté du voyageur.

—Il est mort, dit-il en le poussant du pied.

—Mais non, répondit le Meunier, qui à son tour s'était approché du misérable et avait posé une de ses mains sur la poitrine, son palpitant fait encore tictac[851].

—Il doit être mort, ajouta Blaise.

Et il déchargea un de ses pistolets, dont il n'avait pas trouvé l'occasion de faire usage, dans la tête du malheureux Chaudronnier.

—Ah! dabe[852]! s'écria Jean-Louis, tandis que les deux autres assassins se regardaient d'un air consterné, ne sachant trop ce qu'ils devaient penser de ce qui venait de se passer.

Loffes[853], leur dit Blaise le Petit-Christ, s'il n'était pas mort, il n'en valait guère mieux; pouvions-nous nous charger de lui et fallait-il le laisser sur le trime[854]? Ne savez-vous donc pas qu'il n'y a personne de plus bavard qu'un chêne affranchi[855] qui voit la carline[856] en face.

—C'est vrai tout d'même, dit le Bas-Normand, j'approuve le mec[857].

—Je le crois bien, répondit Blaise le Petit-Christ, je le crois parbleu bien; et puis notre fade[858] à chacun se trouve augmenté d'un cinquième.

—Tiens, tiens, tiens, ajouta le Meunier je n'avais pas pensé à cela.

—Allons, mômes[859], assez jaspiné[860]; en trime[861].

Les quatre assassins se couvrirent des limousines qu'ils avaient laissées dans le fourré, et s'enfoncèrent dans la partie la plus épaisse du bois, laissant sur la route le cadavre du voyageur et celui de leur compagnon.

Quelques heures après, des gendarmes qui faisaient patrouille passèrent sur la route où les faits que nous venons de raconter s'étaient accomplis; le jour commençait à poindre; ils remarquèrent les deux cadavres, descendirent de cheval et s'en approchèrent.

Le Chaudronnier était mort, mais le voyageur respirait encore.

L'aspect des lieux, les costumes si différents des deux hommes étendus devant eux, les nombreuses traces de pas imprimées sur le sol, la nature de la blessure du cheval, apprirent aux gendarmes ce qui venait de se passer; ils devinèrent sans peine que l'homme qui respirait encore était un malheureux voyageur qui avait été attaqué par des malfaiteurs, et qui avait succombé après s'être vigoureusement défendu et avoir mis hors de combat un de ses adversaires; ils le relevèrent avec soin et le portèrent jusqu'à la première maison qu'ils trouvèrent sur la route; arrivés là, ils se firent donner une charrette, et le voyageur, étendu sur quelques bottes de foin et couvert de plusieurs manteaux, fut transporté à leur résidence. Le cadavre du Chaudronnier avait été placé en travers sur le derrière de la voiture, afin qu'il ne frappât pas les yeux du voyageur, si par hasard ce dernier reprenait ses sens avant d'être arrivé à destination.

L'entrée de ce lugubre cortége à Melun, mit cette petite ville en révolution; tous les habitants devant lesquels il fut obligé de passer pour se rendre à la caserne de la gendarmerie, interrogeaient les gendarmes qui furent obligés de répéter au moins cent fois le même récit; la cour de la caserne était envahie par la foule des curieux lorsque la charrette y entra, et ce ne fut qu'à grande peine que les gendarmes (qui en province sont beaucoup plus polis et infiniment moins sévères que leurs confrères du département de la Seine, nous ne parlons pas de messieurs les gardes municipaux), parvinrent enfin à ménager un espace libre autour de la charrette; le substitut du procureur du Roi et le commissaire de police, avertis par la clameur publique, étaient déjà à la caserne, accompagnés d'un médecin. Ce dernier donna l'ordre de transporter le blessé dans une des chambres de la caserne, où il avait préparé tout ce qu'il fallait pour panser ses blessures.

—Sainte mère de Dieu! s'écria un vieillard à cheveux blancs, lorsque les gendarmes qui portaient le voyageur passèrent devant lui, sainte mère de Dieu, c'est-t'y bien possible!

—Qu'y a-t-il donc, père Coquardon, dit une jeune fille, est-ce que vous connaissez ce malheureux voyageur?

—Certainement que je le connais. Ah quel affreux malheur; un si brave homme!

—Mais, qui est-ce donc?

—Un riche seigneur de Paris, qui vient souvent, pendant l'été, passer quelques jours dans notre pays.

—Vous savez son nom, dit le commissaire de police, qui avait entendu une bonne partie des exclamations arrachées par la surprise au bon père Coquardon.

—Oui, mon procureur, répondit le brave homme, c'est M. le marquis de Pourrières.

Le commissaire de police invita le père Coquardon à entrer dans la pièce où l'on avait transporté le blessé; le bon homme ne se fit pas répéter cet ordre, charmé qu'il était d'apprendre de première main à la suite de quel événement M. le marquis de Pourrières se trouvait dans un aussi déplorable état.

Dès que l'on eut appris que le blessé était un homme riche et de qualité, le substitut donna des ordres en conséquence; aussi Salvador fut-il transporté dans la plus belle chambre de la caserne, celle du maréchal des logis; et couché dans un lit que l'on eut soin de garnir des matelas les plus mollets et des draps les plus fins qu'il fut possible de se procurer.

Les blessures de Salvador étaient beaucoup moins dangereuses que leur aspect ne permettait de le supposer; par un heureux hasard, les balles, au lieu de traverser la poitrine, avaient glissé le long des côtes, de sorte que les chairs seulement se trouvaient attaquées; son long évanouissement, provoqué seulement par l'énorme quantité de sang qu'il avait perdu, devait donc cesser dès que les soins nécessaires lui seraient prodigués, c'est ce qui arriva.

Lorsqu'il reprit ses sens et qu'il se vit entouré de plusieurs personnes, parmi lesquelles il y en avait quelques-unes vêtues de l'uniforme de la gendarmerie royale, il éprouva, il n'est pas difficile de le concevoir, une sensation fort pénible; mais il se remit bientôt, et après avoir demandé à boire, il attendit patiemment pour y répondre, les questions que l'on n'allait pas manquer de lui adresser.

Le médecin s'était empressé de satisfaire le besoin qu'il avait exprimé, et le commissaire de police, reconnaissable à son écharpe tricolore, lui avait soulevé la tête afin de l'aider; ces soins rassurèrent un peu Salvador.

—Allons, se dit-il, tout n'est point désespéré, je me tirerai je crois de ce mauvais pas.

Le substitut lui ayant demandé s'il se sentait assez de force pour répondre à quelques questions, il fit un signe affirmatif; on lui apprit alors comment il avait été ramassé sur la grande route et apporté dans le lieu où il se trouvait, et on lui demanda le récit de ce qui s'était préalablement passé.

Salvador n'avait pas de raisons pour raconter les faits autrement qu'ils s'étaient passés, il fit donc un récit exact et circonstancié de ce qui venait de lui arriver. Lorsqu'il eut achevé, le substitut le pria de vouloir bien signer sa déclaration, ce qu'il fit sans difficulté.

—Louis Rousseau! s'écria le substitut stupéfait d'étonnement.

—Oui, monsieur, répondit Salvador, il n'y a rien là, je crois, de fort extraordinaire. Louis Rousseau, commis voyageur de la maison Biot et compagnie, de Marseille.

—C'est singulier, dit le substitut, approchez, brave homme, continua-t-il en s'adressant au père Coquardon qui était resté à l'entrée de la pièce avec les autres spectateurs de cette scène, approchez.

Le père Coquardon s'empressa d'obéir à cette invitation.

—Vous connaissez monsieur, lui dit le substitut.

—Si je le connais, mon procureur, répondit Coquardon, un brave seigneur du bon Dieu, aussi riche que le roi (ici, le père Coquardon, fidèle à son habitude de profond respect pour la royauté, ôta le bonnet de laine qui couvrait ses cheveux blancs), mais qui fait le meilleur usage de ses richesses; certainement que je le connais, et je suis bien marri, soyez en sûr, de le voir dans cet état.

—Je ne connais pas cet homme, dit Salvador qui, effectivement, n'avait jamais remarqué le père Coquardon.

—C'est bien possible, M. le marquis, vous autres grands seigneurs, vous n'avez pas le temps de faire attention à des petites gens comme nous autres; mais ça n'empêche pas que j'sois prêt à dire à ces messieurs que vous êtes ben le plus humain et le plus charitable de tous les gros de Choisy-le-Roi.

—Dites-nous le nom de monsieur, s'écria le substitut que les circonlocutions du père Coquardon commençaient à ennuyer, cela vaudra beaucoup mieux.

—Eh! pardine, j'vous l'on déjà dit, c'est M. le marquis de Pourrières, répondit le bonhomme.

—C'est singulier, répéta le substitut.

—Très-singulier, en effet, ajouta le commissaire de police.

—Il y a là-dessous un mystère qu'il serait peut-être bon de pénétrer, dit à voix basse le médecin.

—Je me suis fourré dans une impasse, se dit Salvador qui avait entendu les quelques paroles échangées entre les deux fonctionnaires publics et le docteur, comment en sortir?... Que le diable emporte ce vieux belître!...

Il se retourna dans son lit, et lorsque le substitut revint près de lui pour l'interroger encore, il lui dit qu'il ne se sentait pas assez de forces pour lui répondre, et qu'il le priait de vouloir bien donner des ordres afin qu'il restât seul quelques heures. Demain, ajouta-t-il, je vous expliquerai ce qui vous paraît extraordinaire.

Il voulait se procurer le temps de réfléchir.

Le substitut ne crut pas devoir refuser de satisfaire le désir exprimé par le blessé, que rien, du reste, n'accusait encore positivement, et puis M. le marquis de Pourrières était un de ces hommes qu'il ne fallait pas s'exposer à mécontenter, à moins que ce ne fût à bon escient.

Il se retire donc suivi de tous ceux qui étaient entrés avec lui dans l'appartement.

Nous avons laissé Beppo se faisant conduire à la préfecture de police; nous le retrouverons dans le cabinet de son patron, auquel il raconte les événements qui viennent de se passer.

—Ainsi, lui dit le chef de la police après l'avoir écouté, vous êtes bien certain que le marquis de Pourrières et le vicomte de Lussan ne sont autres que ceux auxquels les révélations donnent les noms de Rupin, du grand Richard ou du Provençal?...

—Aussi certain qu'il est possible de l'être.

—Songez que vous prenez la responsabilité d'un fait grave; le marquis de Pourrières et le vicomte de Lussan sont des personnages considérables que l'on ne peut arrêter sans être bien certain de ne point se tromper.

—Je comprends parfaitement cela; mais il y a, je crois, un moyen de vous faire partager ma conviction.

—Et ce moyen, quel est-il?

—Très-simple, en vérité. Que l'un des révélateurs, accompagné d'un nombre d'agents suffisant pour que son évasion ne soit pas à craindre, attende aux environs de sa demeure, soit du marquis de Pourrières, soit du vicomte de Lussan, la sortie ou l'entrée de l'un de ces deux personnages. Si, ainsi que j'en suis certain, je ne me trompe pas, ils seront l'un et l'autre infailliblement reconnus.

—Je crois, en effet, que cette mesure préalable est absolument nécessaire, et je vais donner des ordres pour que demain matin le grand Louis soit tenu à votre disposition.

—Comment, le grand Louis est un des révélateurs?

—Eh! bon Dieu, oui; cet homme, qui criait si fort contre ceux que les gens de sa sorte nomment des macarons[862], s'est un des premiers mis à table[863]: c'est toujours comme cela. Mais vous ne voudrez peut-être pas vous trouver avec lui.

—J'ai pardonné de bon cœur à ce misérable le coup de couteau qu'il m'a donné: ainsi je me trouverai avec lui si cela est nécessaire.

Le lendemain matin, à la naissance du jour, Beppo et le grand Louis, accompagnés d'un certain nombre d'agents commandés par le chef de la police, qui avait trouvé l'affaire assez importante pour n'en confier à personne la direction, étaient à la porte de la maison habitée par le vicomte de Lussan. Leur faction dura plusieurs heures. Le noble personnage qu'ils attendaient n'avait pas l'habitude de se lever matin. Ce ne fut que lorsque sonna une heure que le vicomte de Lussan sortit de sa demeure. Comme toujours, sa toilette était irréprochable; et le large camélia blanc qui ornait la boutonnière de son habit, témoignait de ses opinions politiques.

—C'est le grand Richard! s'écria le grand Louis: excusez, quel genre! faut qu'il nous aie fait un peu l'esgard[864] pour être si flambant[865].

Le chef de la police se tourna vers Beppo.

—C'est le vicomte de Lussan, lui dit à voix basse l'ex-pêcheur.

Le chef de la police descendit de la voiture dans laquelle il était avec Beppo et le grand Louis, il laissa ce dernier sous la garde de deux robustes agents; et, suivi du premier, il s'avança vers le vicomte de Lussan, qui marchait en chantonnant sur le trottoir de la rue de Varennes. Les agents suivaient à distance, prêts à prêter main-forte à leur chef, s'il en était besoin.

Celui-ci aborda le vicomte de Lussan avec beaucoup de politesse; il tenait son chapeau à la main; sa contenance était humble.

—J'ai l'honneur, dit-il, de parler à M. le vicomte de Lussan?

—Oui, mon ami, répondit le vicomte, quelque peu étonné. Que puis-je pour votre service?

—Me suivre à la préfecture de police, M. le vicomte. M. le procureur du roi vient de décerner contre vous un mandat d'amener que je suis chargé d'exécuter. J'aime à croire, ajouta-t-il, que vous ne me forcerez pas à employer la violence; vous allez vous exécuter de bonne grâce.

—Comment donc! répondit le vicomte; je suis, en vérité, trop heureux de pouvoir faire, quelque chose qui vous soit agréable. Menez-moi, puisque M. le procureur du roi le désire, à la préfecture de police.

Le chef de la police fit un signe, et ses agents, qui s'étaient insensiblement approchés, s'avancèrent vers le vicomte.

—N'approchez pas, manants! s'écria-t-il, en faisant un saut en arrière; le premier qui fait un pas vers moi, je le brûle.

Et il présentait aux agents stupéfaits les canons de ses kukenreiters, qu'il avait tirés de sa poche.

Les agents n'osaient s'approcher du vicomte, qui paraissait très-déterminé à réaliser la menace qu'il venait de faire, et qui probablement serait parvenu à s'échapper, si Beppo ne s'était pas élancé sur lui.

—Vous l'avez voulu, mon cher ami, dit tranquillement de Lussan.

Et il dirigea sur Beppo, qui lui tenait le bras gauche et qui appelait vainement les agents à son aide, le canon du pistolet qu'il tenait à la main droite.

Le malheureux tomba sur le pavé, le cervelle horriblement fracassée.

Cette affreuse scène avait rassemblé une foule immense dans la rue de Varennes. Les agents, semblables à une meute qui tient acculé dans sa bauge un redoutable sanglier, entouraient tous le vicomte de Lussan; mais la triste fin de Beppo les avait tellement effrayés, qu'ils n'osaient faire un pas en avant.

Le vicomte de Lussan les tint quelques instants en respect; et après avoir jeté un coup d'œil sur le cercle infranchissable qui s'était insensiblement formé autour de lui:

—Je pourrais en tuer encore un, dit-il, mais cela ne me servirait à rien. Allons, mes chers amis, continua-t-il, après avoir jeté à terre le second des pistolets dont il s'était armé, faites votre métier; je n'ai pas voulu qu'il fût dit qu'un gentilhomme breton s'était rendu sans combattre, voilà tout.

Les agents se jetèrent tous à la fois sur le vicomte, qui, en moins de temps qu'il ne nous en faut pour le dire, fut garrotté et jeté dans une voiture de place qui le conduisit à la préfecture de police.

Ce qui venait de se passer avait donné la certitude au chef de police que le marquis de Pourrières était bien certainement un individu de la même trempe que celui qui venait d'être arrêté: il crut donc devoir se diriger de suite vers l'hôtel de la rue de Courcelles. La clameur publique pouvait en peu d'instants porter à la connaissance du marquis la nouvelle de l'arrestation de son complice; et si cela arrivait, il ne manquerait pas de se mettre à l'abri: il n'y avait donc pas de temps à perdre.

Le chef de la police fit prévenir un commissaire de police; et, accompagné de ce magistrat, il se rendit à l'hôtel de Pourrières.

—Madame la marquise! madame la marquise! s'écria une des caméristes de Lucie, en entrant dans la chambre à coucher de la malheureuse femme, l'hôtel vient d'être envahi par une foule d'agents et de gardes conduits par un commissaire de police; ils viennent à ce qu'ils disent, pour arrêter M. le marquis.

—Que me dites-vous là? s'écria Lucie; des agents de police, un commissaire! qu'est-ce que cela veut dire, grand Dieu!

Et sans attendre la réponse de sa femme de chambre, elle se jeta à bas de son lit. Elle avait eu à peine le temps de passer un peignoir et de couvrir ses épaules d'un grand châle que sa camériste venait de lui donner, lorsque le commissaire de police, suivi de plusieurs hommes dont les physionomies communes et quelque peu rébarbatives lui causèrent une frayeur mortelle, entra dans sa chambre.

Ce magistrat ainsi que le chef de la police étaient de ces hommes qui savent allier la juste sévérité que commandent souvent des fonctions pénibles aux égards dus à la faiblesse et au malheur. Le commissaire de police savait que Lucie, lorsqu'elle avait épousé le marquis de Pourrières, était la veuve d'un général estimé, et, du reste, la réputation de cette aimable femme était si bien établie dans le monde que la pensée de la rendre solidaire des crimes imputés à son mari ne serait même pas venue à un sauvage; ce ne fut donc qu'après avoir employé tous les ménagements possibles qu'il apprit à la pauvre Lucie quelle était la mission dont il était chargé.

—Vos gens, madame, viennent de m'apprendre que M. le marquis de Pourrières était en ce moment absent de Paris: je regrette beaucoup qu'il en soit ainsi, car je suis certain qu'il se serait facilement justifié, mais malgré son absence je suis forcé de faire ici une perquisition rigoureuse, à laquelle vous allez être contrainte d'assister.

—Faites votre devoir, monsieur, répondit Lucie; je n'ai ni le droit ni la volonté de m'y opposer. Oh! mon Dieu! mon Dieu! continua-t-elle en cachant son visage entre ses mains, étais-je donc destinée à supporter un si effroyable malheur!

—Calmez-vous, madame, ajouta le commissaire de police, que les larmes et l'extrême pâleur de la pauvre Lucie touchaient infiniment; si M. le marquis de Pourrières est coupable, ce qu'à Dieu ne plaise, la veuve du général comte de Neuville trouvera dans le monde des amis qui lui feront oublier un époux indigne d'elle.

Le commissaire de police, doué d'une délicatesse que Lucie sut apprécier malgré l'extrême douleur à laquelle elle était en proie, ne visita son appartement que très-superficiellement; il saisit cependant quelques papiers, puis après avoir prié la pauvre femme d'agréer l'expression de ses regrets, il la quitta en recommandant à ses femmes de chambre de veiller sur elle avec le plus grand soin.

Tous les papiers du marquis de Pourrières, lettres, quittances, comptes furent saisis pour être examinés ultérieurement. Cette opération faite, le commissaire de police allait se retirer, lorsqu'un des agents amena dans le salon où il se trouvait un individu qui venait d'entrer à l'hôtel et qui demandait à parler à madame la marquise de Pourrières.

Cet individu était couvert d'un costume de voyage, et ses bottes poudreuses annonçaient qu'il descendait de cheval. Les agents, présumant qu'il pourrait peut-être donner des nouvelles du marquis de Pourrières, avaient absolument voulu l'amener devant leur chef.

—Mais je vous dis, répétait cet individu, que je ne connais pas M. le marquis de Pourrières, que je ne l'ai jamais vu, que je ne connais et ne veux parler qu'à madame la marquise.

—Voyons, mon ami, dit le commissaire de police, répondez à mes questions. Comment vous nommez-vous?

—Paolo.

—Vous êtes au service de M. de Pourrières?

—J'ai longtemps servi M. le général comte de Neuville, et j'ai quitté le service de sa veuve pour entrer à celui de M. le général comte de Morengy qui vient d'arriver à Paris, et qui m'a chargé de remettre une lettre à madame la marquise de Pourrières.

Le commissaire de police, pour interroger Paolo, s'était assis devant un petit guéridon que les agents avaient approché du mur; au-dessus de ce guéridon était un portrait en pied de Salvador.

Paolo, tout en répondant aux questions du commissaire de police, ne pouvait détacher ses yeux de ce portrait. Le magistrat s'aperçut de cette circonstance.

—Vous connaissez la personne dont voici le portrait? dit-il à Paolo.

—Je le crois, M. le commissaire, répondit le vieux serviteur de la pauvre Lucie; ce portrait, si je ne me trompe, est celui de M. le vicomte de Létang.

—C'est singulier, dit le commissaire au chef de la police.

Celui-ci fit un signe qui indiquait qu'en effet cette circonstance lui paraissait extraordinaire.

—Parlez-nous un peu du vicomte de Létang, continua le commissaire de police, et soyez vrai surtout; vous ne devez rien cacher à la justice.

—Je ne demande pas mieux que de vous dire tout ce que je sais de relatif à ce personnage, s'écria Paolo, en montrant le poing au portrait, si surtout cela peut contribuer à le faire pendre.

Paolo raconta alors que, tandis qu'il était au service de monsieur Carmagnola, riche banquier de Turin, une tentative de vol avait été commise dans la maison de son maître, et qu'en voulant s'opposer à la fuite d'un des voleurs qui n'était autre que le vicomte de Létang, jeune seigneur français, il avait reçu une blessure qui avait mis ses jours en danger.

Le commissaire prit bonne note de ce que venait de lui apprendre Paolo, et comme rien ne le retenait plus à l'hôtel, il partit laissant à ce fidèle serviteur la faculté d'aller présenter ses hommages à son ancienne maîtresse.

Les domestiques de l'hôtel avaient entendu l'histoire racontée par Paolo au commissaire de police, et comme ils savaient fort bien que le portrait qui l'avait provoquée était celui de leur maître, l'un d'eux s'était empressé d'aller la raconter à l'une des femmes qui étaient restées près de Lucie; celle-ci n'avait pas manqué de la répéter à sa maîtresse, de sorte que la malheureuse femme savait déjà que son mari était probablement un voleur et un assassin lorsque Paolo fut admis devant elle.

Paolo, ainsi qu'il l'avait dit au commissaire de police, était chargé de remettre à Lucie, une lettre du général comte de Morengy qui, ayant appris en rentrant en France, le mariage de la veuve du général de Neuville, avec le marquis de Pourrières, avait voulu dès le premier jour de son arrivée à Paris, lui adresser ses félicitations.

—Dites à votre maître, dit Lucie à Paolo, après avoir pris connaissance de la lettre du comte de Morengy, que je suis sensible à l'intérêt qu'il me témoigne, et que j'aurai l'honneur de lui répondre; et comme elle faisait un signe pour congédier l'honnête serviteur.

—Madame la marquise, dit-il, n'a pas oublié, sans doute, qu'elle m'a fait la promesse de me reprendre à son service?

—Mon pauvre Paolo, répondit Lucie, je n'ai plus besoin, hélas! de serviteurs, je suis pauvre maintenant.

—Cela ne fait rien, madame, c'est justement lorsque l'on est en proie au malheur, que l'on a besoin de serviteurs dévoués, et j'ose dire que madame la marquise n'en trouvera pas qui le soient plus que moi.

—C'est bien, bon Paolo, c'est bien, je suis heureuse d'acquérir aujourd'hui la certitude d'un dévouement que cependant je ne puis accepter; retournez près de votre nouveau maître, mon cher Paolo; je ne puis emmener personne dans la profonde retraite où je vais m'ensevelir, mais soyez certain que si la règle que je viens de m'imposer pouvait souffrir une seule exception ce serait en votre faveur qu'elle serait faite.

Paolo se retira après avoir obtenu de son ancienne maîtresse, la faveur de lui baiser la main.

Lorsqu'elle fut seule, Lucie entra dans la pièce qui lui servait de cabinet de travail, elle se plaça devant le petit meuble dans lequel elle avait l'habitude de serrer ses bijoux, et écrivit les trois lettres qui suivent:

Lucie au général comte de Morengy.

Paris.

«Paolo vient de me remettre la lettre que vous avez bien voulu m'adresser, mon respectable ami; et c'est le cœur gros et les yeux baignés de larmes, que je m'empresse de vous répondre. Les journaux vous apprendront probablement demain la cause du violent chagrin auquel je suis en proie, et vous plaindrez la pauvre Lucie, qui méritait peut-être un meilleur sort.

»Je suis bien sensible à l'intérêt que vous voulez bien me témoigner, et charmée de ce que les résultats du voyage que vous venez d'achever ont été tels que vous les espériez.

»Adieu, mon respectable ami, vous ne verrez probablement plus la pauvre Lucie, mais soyez certain qu'elle conservera toujours le souvenir de vos bontés et qu'elle ne vous oubliera pas dans ses prières.»

Lucie à Laure Féval.

Paris.

«J'ai été ce matin réveillée par un commissaire de police, qui est entré dans ma chambre à coucher, suivi de plusieurs exempts; il venait pour arrêter mon mari, que l'on accuse d'être l'un des chefs de la bande de malfaiteurs qui depuis longtemps déjà désole la capitale; il m'a dit que le vicomte de Lussan venait à l'instant même d'être arrêté et conduit à la préfecture de police; la même accusation pèse sur lui. Le vicomte de Lussan ne s'est laissé prendre qu'après avoir tué un des hommes chargés de l'arrêter; on n'a pu saisir mon mari qui a quitté l'hôtel hier soir et qui, à ce que vient de m'apprendre un de nos domestiques, a passé la nuit à Choisy-le Roi, dans le pavillon des gardes, qu'il a dû quitter ce matin même pour se mettre en voyage. Je dois supposer qu'un avis secret l'avait averti du danger qui le menaçait.

»Ce n'est pas tout encore, au moment où le commissaire de police, qui avait saisi tous les papiers de M. de Pourrières, allait se retirer, mon ancien domestique, Paolo, s'est présenté à l'hôtel; il était chargé de me remettre une lettre de son nouveau maître M. le général comte de Morengy; le commissaire de police crut devoir l'interroger...» (Lucie ici racontait à Laure, l'événement auquel avait donné lieu le portrait de Salvador.)

«Tu le vois, ma chère Laure, la mesure de mes malheurs est comble; mais sois tranquille, tu conserveras ton amie. Je n'ai pas oublié que je vais être mère, et que je dois vivre pour l'innocente créature que je porte dans mon sein. J'ai l'intention de quitter Paris; je ne puis habiter une ville dans laquelle le nom que je porte sera demain publiquement déshonoré; j'irai près de notre amie Eugénie, je suis certaine qu'elle et son mari me recevront avec empressement, ce sont de nobles cœurs.

»Nous nous reverrons, ma chère Laure, nous nous reverrons, sois-en convaincue, je ne mourrai pas; je suis beaucoup plus calme depuis que je suis à même de mesurer toute l'étendue de mon malheur, que je ne l'étais lorsque je te quittai; je veux maintenant tâcher d'oublier que ma destinée est liée à celle d'un homme qui s'est, s'il faut croire la clameur publique, rendu coupable de tous les crimes; je veux, dis-je, tâcher d'oublier que cet homme je l'ai aimé, que peut-être, hélas! je l'aime encore.

»Adieu, ma chère Laure, adieu, ma bonne et fidèle amie, je quitterai Paris dès demain. Je t'écrirai de nouveau lorsque je serai installée près d'Eugénie, adieu.

»Ton amie,

»LUCIE

Lucie, après avoir écrit ces trois lettres, ouvrit le petit meuble devant lequel elle s'était placée, qui renfermait tout ce qui était nécessaire pour les cacheter, elle voulait se servir d'un cachet en malachite, garni d'or, qui portait seulement les initiales de sa famille, car le nom de Pourrières lui inspirait une horreur insurmontable; la boîte dans laquelle elle croyait trouver ce cachet, et qui devait contenir en outre plusieurs autres bijoux était vide; elle en ouvrit précipitamment plusieurs autres, vides de même! elle devina de suite que c'était son mari qui, pressé de se dérober par la fuite au danger qui le menaçait, et voulant sans doute augmenter ses ressources, avait enlevé tous ses bijoux.

Le rouge lui monta au visage.

—C'est infâme! s'écria-t-elle, et il me serrait la main au moment où il venait de commettre une aussi lâche action. Ah! que Dieu soit loué, continua-t-elle après quelques instants de réflexion, maintenant je méprise cet homme, je ne l'aimerai pas longtemps.

Elle ouvrit la lettre destinée à Laure et y ajouta le post-scriptum suivant:

«Je suis, ma chère Laure, un peu plus pauvre que je ne le croyais tout à l'heure: je viens de m'apercevoir que mon mari, avant de fuir, m'avait volé tous mes bijoux. Je les regrette sans doute, mes pauvres bijoux, et surtout un collier que je tenais de ma mère; mais ces regrets, si vifs qu'ils soient, ne m'empêchent pas de bénir le ciel qui vient de me donner la certitude que mon mari était un homme encore plus méprisable que la plupart des gens qui lui ressemblent, et qu'il jouait une infâme comédie, lorsqu'il cherchait à me faire croire qu'il m'aimait. Tu le sais, nous sommes toujours disposées à excuser les fautes, les crimes même de ceux qui nous aiment, tandis que c'est à peine si ceux que nous méprisons nous inspirait de la pitié.»

Après avoir cacheté les trois lettres que nous venons de mettre sous les yeux de nos lecteurs, Lucie prépara plusieurs caisses qu'elle envoya à la voiture de Senlis, ces caisses contenaient tout ce qu'elle désirait emporter avec elle à la campagne, ses habits, son linge, sa musique, ses livres et ses pinceaux, elle n'oublia pas un magnifique piano d'Erard, présent de monsieur de Neuville, qu'elle confia à un habile emballeur qui se chargea de le lui faire parvenir. Cela fait, elle congédia les domestiques qu'elle paya généreusement. (Pour remplir cette obligation, elle avait été forcée d'envoyer chercher de l'argent chez son notaire, maître Chardon, car Salvador n'avait pas laissé dans l'hôtel une seule pièce de cinq francs.) Elle garda seulement la plus jeune de ses femmes, qui paraissait l'aimer infiniment, et qui consentit avec joie à suivre sa bonne maîtresse dans la retraite isolée qu'elle venait de choisir pour résidence.

Le lendemain matin, Lucie, suivie de la femme de chambre qu'elle avait gardée, sortit de l'hôtel de Pourrières dans lequel elle ne voulait plus rentrer, pour se rendre chez maître Chardon, auquel elle laissa une procuration, avec la mission de défendre ses intérêts, mission dont cet estimable officier ministériel se chargea avec plaisir, et qu'il était tout à fait digne de remplir; après cette démarche, elle monta dans le coupé de la voiture de Senlis, et le même jour à la tombée de la nuit, elle arrivait à Saint-Léonard, village où était située la propriété habitée par Eugénie, madame de Saint-Preuil et Edmond de Bourgerel.

Eugénie et son mari avaient préparé, pour la recevoir, le logement le plus agréable de leur maison, dans ce logement, meublé avec une élégante simplicité, Eugénie avait disposé avec la plus touchante sollicitude, tous les objets que Lucie aimait, de belles et rares fleurs dans de magnifiques vases du Japon, de jolies aquarelles, quelques chinoiseries. Accompagnée d'Edmond, elle conduisit son amie dans cette charmante retraite.

—Tu ne seras pas trop mal ici, lui dit-elle, nous avons, du reste, arrangé tout aussi bien que cela nous a été possible.

—Et vous trouverez près de nous, madame, ajouta Edmond de Bourgerel, de bons et véritables amis qui chercheront sans cesse les moyens de vous faire oublier que c'est le malheur qui vous a conduite près d'eux.

—Mes bons amis, dit Lucie, qui prit à la fois les mains d'Eugénie et celles d'Edmond, qu'elle serra entre les siennes, mes bons amis, je suis vraiment touchée des preuves d'amitié que vous voulez bien me témoigner, mais ce n'est pas assez, il faut que vous ajoutiez encore un nouveau service à tous ceux que vous venez de me rendre.

—Parle, ma chère Lucie, parle, répondit Eugénie, sois sûre que nous ne sommes pas disposés à te refuser quelque chose.

Edmond joignit ses protestations à celles de sa femme.

—Ce qui vient de m'arriver, ajouta Lucie, est un rêve pénible que je veux tâcher d'oublier; car je veux vivre pour la malheureuse créature à laquelle je vais donner le jour, et qui n'aura, hélas, ici-bas, d'autre soutien que sa mère, mais cela me serait impossible, si je me rappelais sans cesse que ma destinée est unie à celle de l'homme dont je suis condamnée à porter le nom; voici donc ce que je réclame plus de la bonté de votre cœur que de votre obligeance, Laure, sa famille, et mon notaire, maître Chardon, sont les seules personnes au monde, qui connaissent quel est le lieu que j'ai choisi pour retraite, c'est à eux que seront remises toutes les lettres qui me seront adressées. M. Chardon a bien voulu se charger de me les envoyer ici. Eh bien! ces lettres, je veux que vous les lisiez avant de me les remettre, et que vous reteniez toutes celles dans lesquelles il serait question des derniers événements de ma vie, à moins qu'il ne soit absolument nécessaire de faire le contraire; si des événements nouveaux surgissent, M. de Bourgerel voudra bien, je l'espère, m'aider de ses conseils.

Eugénie et Edmond de Bourgerel, firent à Lucie la promesse qu'elle exigeait.

La soirée était déjà avancée, lorsque Lucie se retira dans son appartement. Point n'est besoin de dire que son sommeil fut agité et tourmenté par des rêves pénibles qui retraçaient à son imagination tous les tristes événements qui venaient de s'accomplir. Il lui semblait que son mari était entraîné par une foule de fantômes vers un échafaud dont les formes confuses se perdaient à l'horizon; il faisait de vains efforts pour se soustraire à l'étreinte furibonde de ces fantômes qui formaient autour de lui un cercle infranchissable, et à mesure qu'il s'approchait de l'échafaud, les formes du funeste instrument devenaient plus distinctes, et Lucie reconnaissait en frémissant l'horrible guillotine, puis tout disparaissait et elle se trouvait dans un salon où elle rencontrait toutes les personnes qu'elle connaissait; elles ne lui parlaient pas, seulement lorsqu'elles passaient devant elle, elle était désignée à ceux qu'elle ne connaissait pas, et des voix qui ressemblaient à des éclats de rire criaient à ses oreilles; c'est la femme du marquis de Pourrières, elle a aimé cet homme, un voleur, un assassin de profession!

—Un voleur, un assassin de profession, s'écria Lucie en se réveillant, est-il bien possible? Mais, hélas! la révélation faite par Paolo permet d'accorder une certaine créance à cette dernière supposition. Faites, grand Dieu! que cet homme me devienne bientôt aussi indifférent que le premier venu des individus de sa sorte.

Dieu devait exaucer les prières de la pauvre Lucie; pendant longtemps elle conserva dans son sein le germe d'une douleur qui l'aurait infailliblement entraînée dans la tombe, si ses amis inquiets de la voir toujours triste et silencieuse ne lui avaient pas sans cesse rappelé qu'elle se devait à ceux qui l'aimaient. Mais enfin, et après de longues souffrances, et grâce aux soins empressés d'Eugénie et d'Edmond, qui pendant fort longtemps lui cachèrent tous les événements qui se passèrent hors du cercle restreint dans lequel elle vivait, elle recouvra un peu de calme.

Quelque temps après son installation chez madame de Bourgerel, Edmond qui se conformait rigoureusement au désir qu'elle avait exprimé lui remit décachetée une nouvelle lettre de Laure qui déjà lui avait écrit plusieurs fois.

Cette lettre était conçue en ces termes:

Laure Féval à Lucie.

Guermantes, près Lagny.

«Ma chère Lucie,

»Je viens de recevoir une lettre d'Eugénie, ce qu'elle m'apprend, m'a comblé de joie, car je craignais, je te l'avoue, que tu ne te laissasses abattre par la douleur; béni soit donc Dieu, qui t'a donné la force de supporter avec courage de bien cruelles blessures, mon mari et surtout sir Lambton (qui t'aime autant que si tu étais sa fille, et auquel il n'a pas été possible de cacher les cruels événements qui viennent de se passer), partagent ma joie, et ils espèrent, ainsi que moi, que la divine Providence ne t'a si cruellement éprouvée, que parce qu'elle te réserve un avenir exempt d'orages.

»Je devine quels sont les motifs qui t'ont déterminée à accorder à Eugénie une préférence dont j'ai bien envie de me montrer jalouse; ces motifs, ma chère Lucie, je ne les approuve pas, mais je les respecte, je n'ai donc pas la force de t'adresser des reproches que tu ne mériteras que si Eugénie et son mari ne te rendent pas aussi heureuse que tu mérites de l'être; mais cela n'est pas à craindre, M. et madame de Bourgerel, sont de ces gens que l'on est heureux de pouvoir compter parmi ses amis, et avec ces gens-là les déceptions ne sont pas à craindre.

»J'ai manifesté le désir de passer l'hiver à Guermantes, et comme tout ce qui peut me faire plaisir est adopté avec transport par mon mari et par mon oncle, il a de suite été convenu que nous ne quitterions notre habitation que l'année prochaine. Ne crois pas, ma bonne Lucie, que c'est seulement parce que j'aime passionnément la campagne que j'ai voulu que nous restassions à Guermantes, mais je ne veux rien te dire de plus quant à présent, qu'il te suffise de savoir que je te ménage une surprise agréable.

»Il existe malheureusement des gens qui, lorsqu'ils souffrent, voudraient voir tous ceux qui les entourent souffrir encore plus qu'eux, ils prétendent que le spectacle des peines d'autrui, les aide à supporter leurs chagrins. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que ces gens-là sont très-malheureusement organisés, car pour ma part, je crois que si j'étais plongée dans l'affliction, le meilleur moyen que l'on pourrait employer pour me consoler, serait de m'apprendre qu'il vient d'arriver quelque chose d'heureux à l'une des personnes que j'aime. C'est parce que je crois que tu es comme moi, que je vais t'apprendre une nouvelle qui, j'en suis certaine, va te causer infiniment de plaisir.

»Le plus intime ami de mon mari, est un vénérable ecclésiastique attaché à la paroisse Saint-Roch, dont, sans doute, on a vanté plus d'une fois, devant toi, les talents et le noble caractère; car chacun se plaît à rendre à M. l'abbé Reuzet la justice qui lui est due. Des événements qu'il serait trop long de te raconter, avaient appris à ce digne prêtre quelle était la position de mon mari, et plus d'une fois il avait dû calmer mes alarmes, qui malgré ses efforts se renouvelaient sans cesse.

»L'abbé Reuzet avait deviné, malgré les efforts que je faisais pour cacher à ceux que j'aime les peines que j'éprouvais, que j'étais malheureuse, et, en effet, il ne se trompait pas. Je ne vivais point lorsque mon mari n'était pas près de moi, lorsqu'il était à la maison, chaque fois que l'on frappait à notre porte, je me disais que peut-être le retentissement du marteau m'annonçait la visite des gens chargés de l'arrêter. L'abbé Reuzet ne me dit rien, il ne voulait pas me laisser concevoir une espérance qui peut-être ne se réaliserait pas, mais il alla voir toutes les personnes qui estiment son caractère et ses talents (et le nombre de ces personnes est considérable, et parmi elles, il s'en trouve plusieurs qui sont placées très-haut dans la hiérarchie sociale), il arracha à leur indifférence la promesse d'appuyer chaleureusement une demande qu'il voulait adresser au roi; cet homme qui ne ferait peut-être pas une démarche pour obtenir le chapeau de cardinal, traîna sa soutane dans les antichambres de tous les ministères; enfin, il réussit, et hier il accourait tout joyeux nous apprendre que le roi venait d'accorder à mon mari grâce pleine et entière. Te dire ce qu'il a fallu à ce bon prêtre de patience et d'ardeur, pour obtenir une faveur aussi grande que celle qu'il sollicitait pour une personne dont il ne voulait faire connaître le nom qu'après avoir obtenu une promesse formelle, me serait impossible; l'abbé Reuzet qui est doué d'une modestie égale à ses autres vertus, n'a point voulu nous donner de détails.

»A l'heure qu'il est, ma chère Lucie, mon mari est libre, je ne souffre plus lorsque je le vois sortir; s'il est absent quelques heures de plus que je ne le croyais, j'attends son retour avec patience, si par hasard un étranger le regarde, je ne suis plus alarmée, je le vois passer sans trembler devant les gendarmes de notre résidence. Je suis enfin aussi heureuse qu'il est possible de l'être, lorsque l'on sait que sa meilleure amie souffre des peines cruelles.

»Adieu, ma chère Lucie, n'oublie pas ta fidèle amie, n'oublie pas surtout qu'elle te ménage une surprise agréable.

»LAURE FÉVAL

—Singulières destinées! dit Lucie après avoir achevé la lecture de cette lettre, mon mari et celui de mon amie partent ensemble du même lieu et en suivant chacun des chemins différents, ils arrivent au même but; mais celui qui a toujours suivi les voies droites garde ce qu'il a conquis, tandis que l'autre... quelle chute affreuse... Ah! je tremble d'y penser... Dieu est juste!...

La grossesse de Lucie était déjà assez avancée, lorsqu'elle quitta Paris, pour venir près d'Eugénie, aussi, peu de temps après son arrivée à Saint-Léonard, et tandis que des événements que nous rapporterons dans les chapitres suivants, se passaient à Paris, elle fut prise par les premières douleurs de l'enfantement.

L'amitié que portaient Eugénie et son mari à leur malheureuse amie ne se démentit pas dans cette pénible circonstance; ils lui prodiguèrent à l'envi, l'un et l'autre, les soins les plus empressés. La couche de Lucie fut laborieuse; le meilleur médecin de Senlis que l'on avait fait venir près d'elle, craignit plus d'une fois qu'elle ne perdît la vie, mais elle fut enfin délivrée.

Lorsqu'elle reprit ses sens, elle chercha près d'elle l'innocente créature qui venait de naître sous de bien tristes auspices, étonnée de ne point l'y trouver, elle jeta les yeux sur le berceau, que par prévision on avait placé près de son lit, il était vide.

—Mon enfant, dit-elle, d'une voix faible, donnez-moi mon enfant, ne me sera-t-il pas permis de l'embrasser?

Eugénie qui était assise à la tête de son lit se pencha vers elle et l'embrassa sur le front.

—Du courage, mon amie, dit-elle, du courage.

—Mon Dieu! s'écria Lucie, qu'est-il donc arrivé?

—Ton enfant.

—Eh bien?

—Du courage ma pauvre amie, tu vas en avoir besoin, hélas!

—Il est mort.

—Il est vrai!

Lucie ne répondit rien, elle laissa retomber sa tête sur l'oreiller, et des larmes amères coulèrent le long de ses joues décolorées.

—Je suis bien malheureuse, dit-elle, après quelques instants de silence, et comme Eugénie cherchait à la consoler. Ah! ma pauvre amie, continua-t-elle d'une voix brisée, tu ne peux comprendre tout ce qu'il y a de douleurs dans le cœur d'une mère qui est forcée de regarder comme un événement heureux la mort de son premier né.

FIN DU HUITIÈME VOLUME.

LES VRAIS MYSTÈRES DE PARIS.

LES

VRAIS MYSTÈRES

DE PARIS,

PAR VIDOCQ.

TOME NEUVIÈME.

colophon

BRUXELLES,

ALPH. LEBÈGUE ET SACRÉ FILS,

IMPRIMEURS-ÉDITEURS.

1844

LES VRAIS

Mystères de Paris

bar

I.—Instruction.

Salvador était depuis deux jours à Melun. Il maudissait le hasard qui avait amené près de lui le paysan qui l'avait reconnu, et comme malgré tous les efforts de sa fertile imagination, il n'était pas encore parvenu à fabriquer une histoire de nature à justifier la position dans laquelle il se trouvait placé, lorsque le substitut revint près de lui, il refusa de répondre à ses questions, alléguant qu'il était encore beaucoup trop faible pour supporter les fatigues d'un interrogatoire.

Le substitut enveloppé dans une robe de chambre à ramages, les pieds dans des babouches brodées qu'il devait à l'amitié de la femme du sous-préfet, cherchait en savourant une tasse de chocolat le motif qui avait pu déterminer un aussi noble personnage que M. le marquis de Pourrières à prendre un nom roturier et la qualité de commis-voyageur, lorsque sa servante lui apporta son journal; le premier article qui lui tomba sous les yeux était intitulé: «Une bande de voleurs.—Arrestation d'un noble personnage soupçonné d'en être le chef.—Circonstances extraordinaires.»

Nous rapporterons en entier cet article, qui lorsqu'il parut, produisit une sensation telle, qu'elle fit, pour un moment, diversion aux graves préoccupations politiques de l'époque; voici en quels termes il était rédigé:

«Il s'est passé tant de choses extraordinaires depuis le commencement de ce siècle, que rien de ce qui arrive maintenant n'a le privilége de nous étonner; nous croyons cependant que le récit des événements que nous allons raconter à nos lecteurs les fera sortir pour un moment de leur indifférence habituelle, et qu'après nous avoir lus, ils n'attendront pas, sans éprouver une certaine impatience, le procès auquel ces événements ne peuvent manquer de donner naissance.

»Depuis longtemps déjà, des vols, des assassinats même, commis avec une audace et une adresse pour ainsi dire inconcevables, venaient à chaque instant épouvanter la population parisienne; de plus, les circonstances qui souvent accompagnaient la perpétration de ces crimes, la qualité des personnes qui en étaient les victimes, faisaient conjecturer que ceux qui les commettaient étaient nombreux et qu'ils avaient conservé des relations dans la meilleure compagnie.

»La police cependant ne restait pas oisive; elle visitait souvent les lieux suspects de la capitale; ses plus adroits agents étaient constamment en campagne; mais elle n'obtenait que des résultats insignifiants, ceux qu'elle désirait tant rencontrer, Protées insaisissables, savaient se soustraire à toutes les recherches; chaque fois que la police croyait tenir un fil de nature à la guider, ce fil se rompait avant qu'il eût été possible de s'en servir; ainsi, par exemple, les pierres précieuses volées au comte italien Colorédo, et celles volées au joaillier Loiseau, furent retrouvées les premières, chez un juif d'Amsterdam, les secondes chez un de ces brocanteurs de la cité de Londres, auxquels les Anglais ont donné le nom de lombards; mais ces individus, sur lesquels l'autorité française n'avait pas d'action, ne purent ou plutôt ne voulurent pas faire connaître les personnes auxquelles ils les avaient achetées.

»On avait presque perdu l'espoir de mettre la main sur ces audacieux malfaiteurs, lorsque dernièrement un individu se présenta devant le chef de la police de sûreté, et lui offrit ses services, promettant, s'il les acceptait de mettre bientôt entre les mains de la justice les chefs et les bandits qui composaient la bande dont les déprédations désolaient la capitale; les offres de cet homme, qui s'exprimait convenablement, qui paraissait à la fois intelligent, résolu, et ce qui est plus extraordinaire, qui fit de suite, et sans hésitation, connaître son nom et son domicile, furent acceptées avec le plus vif empressement.

»Peu de temps après, et grâce aux indications fournies par cet homme, on arrêtait dans une cachette pratiquée dans la partie la plus reculée d'une maison suspecte de la rue de la Tannerie, plusieurs individus connus pour des voleurs et des assassins de profession que l'on cherchait depuis longtemps sans pouvoir les découvrir. Quelques-uns d'entre eux voulurent bien faire des révélations, desquelles on pouvait conclure ceci, que pendant fort longtemps les individus arrêtés rue de la Tannerie avaient été dirigés par trois hommes qu'ils ne connaissaient que sous les noms de Rupin, du grand Richard, et du Provençal; qu'ils n'étaient, pour ainsi dire, que les valets de ces trois individus mystérieux qui leur donnaient en argent une partie de la valeur des objets volés, vendus ensuite à un riche recéleur, que les révélateurs ne pouvaient faire connaître, attendu qu'il n'était connu que de la nommée Marie-Madeleine-Colette Comtois, dite Sans-Refus, maîtresse de la maison dans laquelle ils avaient été arrêtés.

»Cette femme s'était échappée, grâce à la coupable complaisance d'un des agents qui accompagnaient le commissaire de police chargé de l'opération qui avait amené l'arrestation de tous ces malfaiteurs; la police perdait donc encore une fois le fil conducteur qui pouvait la mettre sur la trace des hommes dangereux qu'elle voulait absolument découvrir.

»L'individu auquel on devait la capture que l'on venait de faire, avait été blessé assez grièvement par un des bandits furieux sans doute d'avoir été pris pour dupe; lorsqu'il eût recouvré la santé, il vint annoncer au chef de la police de sûreté qu'il avait enfin découvert quels étaient les individus qui se faisaient appeler Rupin, le grand Richard et le Provençal.»

(Le journaliste racontait ici les diverses circonstances qui avaient accompagné l'arrestation du vicomte de Lussan, la mort de Beppo, la visite faite à l'hôtel de Pourrières, la circonstance relative au portrait, puis il continuait ainsi):

«Ainsi, la déclaration de ce domestique, dont la bonne foi ne pouvait être mise en doute, venait d'apprendre que le marquis de Pourrières avait, à une époque où il se faisait nommer le vicomte de Létang, commis à Turin, une tentative de vol suivie d'une tentative d'assassinat sur la personne du nommé Paolo, domestique du banquier Carmagnola, et rapprochée de nouvelles lumières que le hasard fit arriver à la justice, elle permettait de supposer que le nommé Rupin (ne sachant quel nom donner à cet individu, nous lui conserverons celui sous lequel il est connu de ses complices), n'avait pas plus le droit aujourd'hui de porter le nom du marquis de Pourrières, qu'il ne l'avait eu jadis de se parer de celui de vicomte de Létang.»

(Ici, le récit de ce qui s'était passé précédemment, relativement à Fortuné et à la femme Adélaïde Moulin.)

«La femme Adélaïde Moulin, continuait le journaliste après avoir fait le récit de ces événements que nos lecteurs connaissent déjà, n'était pas digne d'inspirer une grande confiance; cette femme qui a déjà subi plusieurs condamnations Correctionnelles, est en ce moment détenue à la conciergerie, comme accusée de faux en écriture de commerce; aussi, entre ses allégations et celles du marquis de Pourrières, il n'y avait pas à hésiter; aussi, ce ne fut que parce qu'il portait un vif intérêt au jeune homme, que la femme Adélaïde Moulin prétend être le fils du marquis Alexis de Pourrières, que le juge d'instruction auquel elle a fait les révélations qui concernent ce jeune homme, s'était déterminé à écrire à Genève afin d'obtenir des magistrats municipaux de cette ville des renseignements de nature à éclairer sa conscience; mais les événements qui viennent de surgir ont totalement changé sa manière de voir; il est maintenant bien convaincu que la femme Adélaïde Moulin, en ce moment détenue à la Conciergerie, est bien la même que celle à qui fut confiée la mission de prendre soin du fils du marquis Alexis de Pourrières, et que l'homme qui porte actuellement ce nom n'est qu'un imposteur qui s'est emparé, probablement à l'aide d'un crime, d'un nom et d'une fortune qui ne lui appartiennent pas.

»Nous ne craignons pas de dire que nous partageons l'avis de cet honorable magistrat, et que nous faisons des vœux sincères pour que les efforts que sans doute il va faire pour arriver à la découverte de la vérité, soient couronnés du plus heureux succès.

»Les papiers saisis chez le marquis de Pourrières ou plutôt chez l'homme qui porte ce nom, ont été examinés avec le plus grand soin; cet examen a révélé des faits graves, que nous ferions connaître à nos lecteurs si nous n'avions pas la crainte de nuire à l'action de la justice.

»Le vicomte de Lussan (on ne peut du moins contester sa noblesse à cet homme qui est en réalité le dernier rejeton d'une des plus illustres familles de la Bretagne), est fort tranquille; il paraît ne point redouter les résultats de la position dans laquelle il se trouve placé; il traite ses gardiens avec une morgue tout à fait aristocratique, et se plaint à chaque instant de ce qu'on n'a pas pour lui les égards qui sont dus à un homme de sa qualité.»

Le substitut, après avoir lu cet article, écrivit à Paris, afin de prévenir la justice de cette ville que le hasard ayant mis entre ses mains l'homme qui se faisait appeler le marquis de Pourrières, il tenait cet homme à sa disposition.

Il reçut immédiatement l'ordre de faire transporter de suite à Paris, sous bonne escorte, son prisonnier, si toutefois il était en état de supporter les fatigues du voyage.

Les blessures de Salvador étaient, ainsi que nous l'avons déjà dit, beaucoup moins dangereuses qu'on ne l'avait cru d'abord; aussi les médecins déclarèrent-ils qu'il était très-transportable si l'on voulait bien prendre certaines précautions.

—Je suis perdu! se dit Salvador, lorsqu'un huissier après lui avoir remis la copie d'un mandat d'amener décerné par un des juges d'instruction de la Seine, lui signifia que le lendemain matin il serait conduit à Paris; je suis perdu ou à peu près! Ah! bah! continua-t-il après quelques instants de réflexion, on ne peut, après tout, me reprocher que quelques peccadilles qui sont encore bien loin d'être prouvées; allons, allons, si le vicomte de Lussan, si Silvia qui doivent être arrêtés, se montrent aussi discrets que je le serai, je pourrai peut-être me tirer, ainsi qu'eux, de ce mauvais pas.

Des ordres avaient été donnés au directeur de la Conciergerie pour que Salvador fût mis au secret le plus rigoureux; il fut en conséquence déposé, dès son arrivée à Paris, dans une des cellules du bâtiment des femmes.

Il passa près de deux mois dans cette cellule avant d'être complétement guéri. Il n'avait reçu pendant ce long espace de temps, d'autres visites que celles des gardiens qui lui apportaient sa pitance quotidienne, et du médecin qui pansait ses blessures. Aussi, lorsque l'on vint le chercher pour le conduire devant le magistrat instructeur, il éprouva un vif sentiment de plaisir.

Nous avons négligé de dire que les bandits commandés par Blaise le Petit-Christ, s'étaient contentés de lui enlever son portefeuille et sa bourse, qui contenait une somme assez forte en or, et qu'ils lui avaient laissé son portemanteau qui renfermait, outre une quantité raisonnable de linge et d'habits, environ cinq cents francs en argent destinés à subvenir aux premiers frais de la route. Comme on n'avait pas cru devoir saisir ce portemanteau, tout ce qu'il contenait avait été déposé au greffe; il n'avait donc manqué de rien depuis qu'il était en prison. Aussi, il fit pour se rendre devant le magistrat instructeur, une toilette soignée et il suivit gaiement le gendarme chargé de le conduire.

L'instruction avait été confiée au juge qui l'avait fait demander peu de temps auparavant, relativement à Fortuné. Ce magistrat était un de ces hommes froids, qui ne laissent jamais paraître sur leur visage la trace des émotions qu'ils éprouvent, qui saisissent au premier coup d'œil tous les détails d'une affaire, qui ne laissent rien échapper, dont la mémoire est prodigieuse, et qui savent tirer un parti avantageux de la circonstance en apparence la plus indifférente; il était en un mot doué de toutes les qualités qu'il fallait posséder pour être en état de tenir tête à un homme aussi rusé que Salvador.

Nous rapporterons assez longuement les phases diverses de cette instruction qui devait successivement amener la découverte de tous les crimes commis par Salvador.

—Votre nom? demanda le juge lorsque Salvador se fut assis sur le siége qui lui était destiné.

—Alexis, marquis de Pourrières, né au château de Pourrières, département du Var, arrondissement de Brignoles.

—Vous êtes, à ce que vous assurez, le marquis Alexis de Pourrières? Je dois vous prévenir que vous serez forcé de prouver que ces noms et ce titre, que l'on a l'intention de vous contester, vous appartiennent réellement; si vous n'êtes pas ce que vous paraissez être, un aveu sincère disposerait peut-être la justice à vous traiter avec une indulgence dont en ce cas, vous auriez probablement extrêmement besoin.

—Je ne sais, monsieur, dans quel but vous me faites cette observation; mais je suis, grâce à Dieu, en état de prouver, lorsque cela sera nécessaire, que je suis bien le fils unique de M. le marquis Hector de Pourrières, capitaine à l'armée des princes...

—C'est bien. Je vous devais l'avertissement que je viens de vous donner. Répondez maintenant aux questions que je vais vous adresser:

—Vous avez été arrêté dans le bois de Bougeaux par des bandits qui vous ont dépouillé de tout ce que vous possédiez, et laissé pour mort sur la route?

—Il est vrai.

—Vous avez été relevé par une patrouille de gendarmerie et porté à Melun?

—C'est encore vrai.

—Lorsque, grâce aux soins qui vous ont été donnés, vous avez eu recouvré l'usage de vos facultés, vous avez été interrogé par M. le substitut du procureur du roi de cette ville; vous avez rapporté à ce magistrat les diverses circonstances de l'attentat dont vous avez été la victime, circonstances, je dois le dire, dont des faits ultérieurs sont venus démontrer la rigoureuse exactitude; cependant, lorsqu'il a fallu signer votre déclaration, vous avez pris le nom de Louis Rousseau, commis voyageur de la maison Biot et compagnie, de Marseille. Pourquoi cela?

—Je ne voulais pas, dans la crainte de causer de trop vives inquiétudes à ma femme et à mes amis, qu'ils apprissent par d'autres que par moi, l'événement dont je venais d'être la victime; j'avais l'intention d'apprendre plus tard à M. le substitut du procureur du roi quel était mon véritable nom.

—N'était-ce pas plutôt, parce qu'ayant été averti que des poursuites allaient être dirigées contre vous, vous vouliez cacher le nom sous lequel vous êtes connu, que vous preniez celui de Louis Rousseau?

—Il vous est loisible, monsieur, de me supposer une intention à la convenance de l'accusation.

—Mais, si telle n'était pas votre intention, pourquoi étiez-vous porteur d'un passe-port au nom de Louis Rousseau?

—Je ne me suis pas servi d'un passe-port au nom de Louis Rousseau! dit Salvador, qui savait fort bien que ceux qui l'avaient dépouillé avaient enlevé son portefeuille et tout ce qu'il contenait.

—Le voici, répondit le juge d'instruction, et il montrait à Salvador le passe-port qu'il avait préparé à Choisy-le-Roi pendant la nuit qui précéda son départ. Le reconnaissez-vous?

Salvador refusa de répondre.

—Vous auriez tort de nier l'évidence, reprit le juge. Ce passe-port a été saisi sur un homme récemment arrêté à Compiègne, au moment où il tentait de s'introduire dans une église dont il voulait voler les vases sacrés. Cet homme est convenu qu'il faisait partie de la bande du nommé Blaise, dit le Petit-Christ, par laquelle vous avez été attaqué, et que c'était à un voyageur dont il a donné le signalement qui s'applique parfaitement à votre personne, qu'il avait volé ce passe-port. Qu'avez-vous à répondre?

—Rien, quant à présent.

—C'est bien. Vous savez sans doute quels sont les crimes dont on vous accuse?

—On peut, monsieur, m'accuser d'être l'auteur d'une infinité de crimes; mais comme je ne me rappelle pas en avoir commis un seul, je me vois forcé de confesser mon ignorance.

—Je vais vous l'apprendre: Depuis longtemps une bande de malfaiteurs désolait la capitale; tous les jours un nouveau crime venait épouvanter la population parisienne. Eh bien! l'on prétend que les chefs de cette bande n'étaient autres que vous, le vicomte de Lussan, et un troisième individu connu seulement sous le nom du Provençal.

—Ah! on prétend cela? Eh bien monsieur, c'est ce qu'il faudra prouver, et je crois que ce sera très-difficile.

—Moins peut-être que vous ne le pensez. Connaissez-vous le vicomte de Lussan?

—Beaucoup; M. de Lussan est un de mes meilleurs amis.

—Connaissez-vous la nommée Marie-Madeleine-Colette Comtois, dite Sans-Refus?

—Je n'ai jamais entendu parler de cette femme.

—Vous n'êtes jamais allé dans une maison suspecte de la rue de la Tannerie, n. 31?

—Jamais.

—C'était cependant chez cette femme que se réunissait la bande dont on vous accuse d'être ou d'avoir été un des chefs?

—Je ne connais pas plus les hommes qui composaient cette bande, que je ne connais le lieu où ils se réunissaient.

—Connaissez-vous l'individu connu sous le nom du Provençal?

—Je ne sais de qui vous voulez parler.

—Cet individu ne serait-il pas le même que le nommé Lebrun, votre intendant?

—Je ne le pense pas; je ne puis cependant nier absolument un fait que j'ignore; mon intendant était à peu près maître de tout son temps; je ne sais à quoi il l'employait lorsqu'il n'était pas à l'hôtel, et après tout, en admettant comme possible qu'il se soit lié avec une bande de malfaiteurs, suis-je responsable de ses actes?

—Aviez-vous sujet de vous plaindre du nommé Lebrun?

—Non, M. Lebrun était un excellent serviteur.

—Il sera cependant établi que cet homme qui était, à ce que vous assurez, un excellent serviteur, était joueur, qu'il passait toutes ses soirées dans un tripot clandestin de la rue Richelieu.

—Vous m'apprenez un fait que j'ai ignoré jusqu'à ce jour.

—Peut-être!

Le juge prit dans une volumineuse collection de pièces placée devant lui, une lettre que Salvador reconnut de suite pour une de celles que Silvia lui avait adressées pendant le temps qu'il habitait le château de Pourrières avec sa femme. Il avait l'habitude de brûler toutes celles des lettres qu'il recevait qui étaient de nature à le compromettre, mais il avait fait une exception en faveur de celle que le juge tenait entre ses mains, qui pouvait, dans le cas où il aurait eu à se plaindre de Silvia, lui servir à la perdre.

—Vous connaissez, dit le juge, la marquise de Roselly?

—Tout Paris sait que depuis longtemps je suis lié avec cette dame.

—Voici une lettre écrite par la marquise et qui vous est adressée, lettre que vous avez reçue, puisque c'est chez vous qu'elle a été trouvée, et qui prouve surabondamment que vous saviez fort bien que le nommé Lebrun jouait et perdait souvent des sommes considérables.

—Eh! mon Dieu, monsieur, je n'avais pas cru qu'il fût bien nécessaire de vous apprendre que ce malheureux était en effet un joueur effréné.

—Cet homme a été assassiné dans la nuit du 10 au 11 septembre dernier, ainsi que le constate le procès-verbal du commissaire de police qui a relevé le cadavre, et votre propre déclaration faite le surlendemain devant le même commissaire de police.

—D'accord.

—On prétend que c'est vous qui, pour vous débarrasser de cet homme, qui, ainsi que je viens de vous le dire, jouait et perdait des sommes considérables qu'il ne pouvait prendre que dans votre caisse, l'avez assassiné.

—Je ferai à cette nouvelle accusation la réponse que j'ai faite à celle que vous formuliez tout à l'heure: il faudra prouver.

—C'est ce que nous allons tenter de faire; reconnaissez-vous ces objets?

Le juge montrait à Salvador un petit carnet en écaille orné d'incrustations en or, qui avait appartenu à Roman, et une tabatière de platine; Salvador reconnut parfaitement ces deux objets, mais ne sachant quel parti on en pouvait tirer contre lui, il crut ne pas devoir en convenir.

—Je ne les ai jamais vus, répondit-il.

—Ces objets appartenaient à votre intendant.

—C'est possible.

—Ils ont été saisis chez vous.

—Qu'est-ce que cela prouve?

Le juge ouvrit le carnet et il en tira une de ces cartes partagées en colonnes horizontales surmontées de lettres rouges et noires, sur lesquelles les joueurs marquent, à l'aide d'une épingle, les phases diverses du jeu; cette carte, sur laquelle était indiquée une série de vingt et une noires suivie d'intermittences, ainsi du reste que plusieurs autres renfermées dans le carnet, portait écrite de la main de Roman la date du jour où elle avait servi, 10 septembre.

—Ce carnet, continua le juge, était, ainsi que cette tabatière, entre les mains de la victime peu d'heures avant sa mort, des témoins l'ont déclaré, et cette date écrite de la main de Lebrun, vient donner une force singulière à leurs déclarations; qu'avez-vous à répondre?

—Rien.

—Mais vous oubliez, sans doute, que c'est chez vous, dans votre appartement, que ces objets ont été saisis et qu'ils ne peuvent y avoir été apportés que par l'assassin.

—C'est possible; mais je ne suis arrivé à Paris que dans la journée qui suivit la nuit durant laquelle l'assassinat fut commis; cela sera attesté au besoin par tous mes domestiques.

—A mon tour, je vous dirai c'est possible, mais des renseignements ont été pris et voici ce qu'ils ont appris: Vous êtes parti de Pourrières pour vous rendre à Paris, mais au lieu de vous y rendre directement, vous vous êtes arrêté à Melun où vous êtes descendu à l'hôtel de la Galère; vous avez quitté cette ville le 10 septembre, après un séjour de quelques heures, et le lendemain, 11, vous y êtes revenu afin de prendre votre chaise de poste que vous aviez laissée à l'hôtel; c'est effectivement dans la journée du 11 que vous êtes arrivé chez vous; mais il reste une nuit, celle du 10 au 11, pendant laquelle on ne sait ce que vous êtes devenu, et c'est pendant cette nuit que le nommé Lebrun a été assassiné; ces diverses circonstances sont graves.

—Très-graves, en effet, mais pas assez cependant pour qu'il soit permis de me croire l'auteur d'un crime que je n'avais aucun intérêt à commettre.

—Mais vous aviez, au contraire, un immense intérêt à le commettre ce crime, si, comme on le prétend, votre intendant vous volait pour se procurer les moyens de satisfaire sa fatale passion.

—En vérité, monsieur, vous tirez de faits, en réalité insignifiants, des conséquences bien rigoureuses; ne pouvais-je, si j'avais eu à me plaindre de mon intendant, le renvoyer, le livrer même à la justice?

—Mais si, comme on le prétend, ce Lebrun n'était autre que l'individu connu sous le nom du Provençal, vous ne pouviez, puisqu'il était votre complice, ni le renvoyer ni le livrer à la justice.

—Mais il n'est pas plus prouvé, je crois, que ce malheureux était celui que vous désignez sous le nom du Provençal, qu'il ne sera prouvé que je ne suis pas le marquis Alexis de Pourrières.

Le juge tira le cordon de sonnette placé près de lui et dit quelques mots à l'oreille du garçon de bureau qui se présenta à cet appel; cet homme sortit, et, quelques minutes après, il apporta dans le cabinet du juge une petite caisse en bois blanc qu'il déposa sur une table; des gendarmes faisaient, en même temps entrer deux individus bien connus de Salvador.

C'étaient le grand Louis et Charles la belle Cravate.

—Connaissez-vous ces deux hommes? dit le juge à Salvador lorsque les deux bandits furent placés.

—Je les vois aujourd'hui pour la première fois, répondit-il.

—Ah! Rupin, s'écria le grand Louis, tu renies les amis, ce n'est pas bien.

—Puisque j'te dis, ajouta Charles la belle Cravate, qu'il fera le fier jusqu'à la guillotine.

—Ainsi, dit le juge en s'adressant au grand Louis auquel il désigna Salvador, vous connaissez monsieur?

—Parfaitement, monsieur, c'est Rupin.

Charles la belle Cravate, interrogé à son tour, fit une réponse semblable.

—Vous ne le connaissez que sous le nom de Rupin?

—Seulement sous ce nom, M. le juge, répondit le grand Louis, mais je sais que Rupin est un gros personnage, un malin, qu'il est riche; ah! s'il n'avait pas, aidé de ses deux amis, le grand Richard et le Provençal, envoyé dans l'autre monde Délicat, Coco-Desbraises et Rolet le mauvais gueux, c'est ceux-là qui vous en auraient appris de belles; ils avaient découvert le pot aux roses de ces messieurs, mais ça leur z'y a coûté la vie à ces pauvres diables.

—Nous parlerons plus tard de cette affaire, dit le juge, qui donna l'ordre à son greffier d'ouvrir la caisse de bois blanc que le garçon de bureau venait d'apporter.

Le greffier obéit, il ouvrit la caisse et en tira un masque en cire, qu'il remit au juge.

Le juge enleva les papiers de soie dont il était enveloppé et le montra à Salvador.

—Roman! s'écria celui-ci, en jetant sa tête en arrière, le masque était si ressemblant qu'il avait cru d'abord que c'était la tête de son complice que l'on venait de placer devant lui, et la frayeur qu'il avait éprouvée, lui avait arraché une exclamation dont il comprit toute l'imprudence, lorsqu'il entendit le juge dire à son greffier:

—Ecrivez, qu'ayant montré à l'accusé le masque en cire de l'homme assassiné rue de Courcelles, dans la nuit du 10 au 11 septembre dernier, il a éprouvé un violent mouvement de surprise, et qu'il s'est écrié: Roman! ce qui permet de supposer que ce nom est celui de l'individu connu jusqu'à présent sous celui de Lebrun.

Le masque fut ensuite montré au grand Louis et à Charles la belle Cravate.

C'est le portrait du Provençal! s'écrièrent-ils tous deux, il est bien ressemblant.

Après cet incident, le juge recommença à interroger Salvador.

—Vous le voyez, lui dit-il, ces deux individus qui ne sont autre chose, ils en conviennent, que des voleurs de profession, vous reconnaissent parfaitement.

—Mais, moi, je ne les connais pas, et comme la profession qu'ils exercent, n'est pas, je le suppose, un titre à la confiance, je crois qu'entre leur affirmation et ma négation, il ne doit pas être permis d'hésiter.

—Si vraiment vous n'êtes pas celui qu'ils nomment Rupin, si vraiment vous n'êtes jamais allé dans la maison Sans-Refus, à quel motif attribuez-vous la reconnaissance formelle de ces deux hommes.

—Eh! que sais-je, à l'envie de se rendre importants peut-être; si vous voulez me permettre d'adresser quelques questions à l'un ou à l'autre de ces deux misérables, je crois qu'il me sera possible de vous prouver qu'ils ne sont que des imposteurs.

Ayant obtenu du juge la permission qu'il demandait, Salvador s'adressa au grand Louis.

—Vous me connaissez? dit-il à ce bandit.

—Pardine, répondit grand Louis, je suis payé pour ça, je sens encore sur mes épaules les coups de canne que vous m'avez donnés.

—J'étais avec le grand Richard, le Provençal l'un des chefs de la bande qui se réunissait chez cette femme, à laquelle vous avez donné le nom de la Sans-Refus?

—Mais, certainement, même que si vous n'aviez pas cessé de venir chez nous, nous ne serions peut-être pas dans l'embarras ousque nous sommes.

—Ainsi, j'étais un de vos chefs, j'allais à une époque plus ou moins éloignée, vous visiter dans votre tanière, je volais avec vous?

—Pardi, c'est prouvé n'est-ce pas la belle Cravate?

—C'est prouvé répondit Charles, il faudra qu'il paye, le Rupin, et plus cher qu'au marché encore.

—Puisqu'il en est ainsi, ajouta Salvador, parmi la multitude de vols dont vous êtes accusés, il en est au moins un auquel vous pourrez prouver que j'ai coopéré. Lorsque vous aurez fait cette preuve, je confesserai que je suis votre complice, mais jusque-là, continua-t-il, en s'adressant au juge, il me sera permis de m'étonner que le témoignage de semblables misérables puisse atteindre un homme comme moi.

A cette sortie, sur l'effet de laquelle Salvador comptait beaucoup, le juge répondit que l'on ne pouvait encore formuler contre lui une accusation de vol, qu'il n'y avait contre lui que des présomptions à ce sujet, mais que comme il était prouvé jusqu'à l'évidence, qu'il était allé plusieurs fois déguisé chez la Sans-Refus, il était permis de supposer qu'il avait pris une part active aux déprédations commises par les bandits qui l'accusaient, soit en les aidant de sa personne ou de ses conseils, soit en leur faisant acheter les objets volés par la mère Sans-Refus.

—Mais, monsieur, s'écria Salvador, vivement contrarié de ce que sa sortie n'avait pas produit l'effet qu'il en attendait, lorsque j'affirme que je ne suis jamais allé dans cette maison, et que je n'ai contre moi que le témoignage de misérables semblables à ceux-ci, je dois être cru!

—Malheureusement pour vous, des preuves écrites, que vous ne songerez pas à contester puisque c'est de vous qu'elles émanent, viennent se joindre au témoignage de ces misérables.

—Je ne vous comprends pas, monsieur, répondit Salvador.

Le juge prit dans la liasse de papiers une lettre qu'il remit à Salvador, qui pâlit en la reconnaissant.

Cette lettre était celle qu'il avait écrite à Lucie en lui renvoyant le carnet qu'elle avait perdu chez la mère Sans-Refus.

—Madame de Pourrières a été interrogée, dit le juge, et malgré le désir bien naturel qu'elle avait de ne pas vous compromettre, elle a été forcée de faire connaître à la justice les événements qui ont précédé votre mariage avec elle; c'est dans la maison de la Sans-Refus où elle se trouvait par suite d'un événement dont elle nous a rapporté tous les détails, qu'elle vous rencontra pour la première fois; nous direz-vous, comme à cette malheureuse femme, que vous n'étiez allé dans cette maison que pour étudier les mœurs excentriques de la capitale?

—Monsieur, répondit Salvador, l'interrogatoire que vous me faites subir dure depuis déjà fort longtemps; je suis et vous-même vous devez être très-fatigué; l'état de faiblesse dans lequel je me trouve par suite de mes blessures, me force de vous prier de remettre la suite de cet interrogatoire à demain ou au jour qui vous paraîtra le plus convenable.

Le juge ne crut pas devoir refuser Salvador qui, en effet, paraissait très-fatigué; il donna, en conséquence, aux gendarmes qui l'avaient amené, l'ordre de le reconduire en prison, après l'avoir averti de se tenir prêt pour le surlendemain, et lui avoir dit que son premier interrogatoire roulerait sur ce triple assassinat qu'on l'accusait d'avoir commis de complicité avec le vicomte de Lussan et le Provençal sur la personne des nommés Délicat, Desbraises, dit Coco, et Rolet, dit le mauvais gueux.

—Je suis beaucoup plus malade que je ne le croyais, se dit Salvador lorsqu'il se trouva seul dans la cellule qu'il occupait à la Conciergerie, et il se jeta sur son lit où il demeura assez longtemps la tête cachée entre ses mains; en effet, il n'avait encore subi qu'une seule épreuve, et il ne pouvait se dissimuler que la justice tenait entre ses mains le fil qui devait la conduire à la découverte de tous les crimes qu'il avait commis: il était déjà à peu près prouvé qu'il était l'auteur de l'assassinat dont Roman avait été la victime, et sa présence chez la mère Sans-Refus qu'il ne pouvait songer à nier plus longtemps et qu'il ne pourrait expliquer, devait permettre d'ajouter une foi entière aux déclarations des bandits qui prétendaient qu'il avait coopéré aux méfaits dont ils s'étaient rendus coupables.

—Ma tête vacille sur mes épaules, continua-t-il lorsqu'il se releva, tombera-t-elle? Ma foi, je n'en sais rien; il s'agit, quant à présent, de la défendre avec adresse et courage. Ce n'est que lorsque je serai dans la fatale charrette qu'il me sera permis de me désoler.

Salvador en était là de son monologue, lorsque le gardien, qui lui apportait habituellement la maigre pitance allouée par la munificence administrative à chaque prisonnier, entra dans sa cellule.

—Je suis si content du résultat de mon premier interrogatoire, lui dit-il, que je veux le célébrer par une petite fête; ayez donc la bonté de m'apporter quelques mets délicats, une bouteille de bon vin et du café, si cela est possible; vous demanderez de l'argent au greffe.

Le gardien, auquel la bonne mine et le costume élégant que Salvador conservait dans sa prison en imposaient, se hâta d'exécuter l'ordre qu'il venait de recevoir; Salvador, charmé de varier un peu l'uniformité de son ordinaire, mangea avec appétit une aile de chapon et quelques côtelettes à la Soubise; il but une bouteille de vieux mâcon et une demi-tasse d'excellent café, et la nuit étant venue, il se coucha et dormit paisiblement jusqu'au lendemain matin.

Le surlendemain, il fut de nouveau conduit dans le cabinet du juge d'instruction; le grand Louis et Charles la belle Cravate étaient déjà dans le cabinet du magistrat instructeur.

—Vos relations avec les individus qui fréquentaient la maison de la nommée Marie-Madeleine-Colette Comtois, dite Sans-Refus, dit le juge après la lecture de la formule d'ouverture du procès-verbal d'interrogatoire, sont maintenant un fait établi; non-seulement par le témoignage de madame de Pourrières, auquel nous accordons la plus grande confiance, mais encore par des preuves écrites que vous ne pouvez révoquer en doute, puisque c'est de vous qu'elles émanent.

Salvador fit une réponse affirmative dont le juge fit prendre note.

—Ainsi, vous convenez que, plusieurs fois, vous vous êtes rendu déguisé dans cette maison, et que vous avez pris part aux vols nombreux commis par ces hommes.

—Distinguons, monsieur. Je conviens, en effet, que je suis allé plusieurs fois déguisé dans la maison de la Sans-Refus, mais je nie positivement avoir jamais pris part aux méfaits dont sont accusés ces individus; des motifs que je ne puis, quant à présent, faire connaître à la justice, mais qui n'ont rien que d'honorables, exigeaient impérieusement ma présence dans cette maison; mais, je le répète, je n'ai pris part à aucun vol, je n'ai commis aucune mauvaise action, et je ne crains pas de le dire, il sera impossible de prouver le contraire de ce que j'avance.

—On aura, pour la déclaration que vous venez de faire, tels égards que de droit. Je dois cependant vous faire observer, que pour qu'il fût permis d'y ajouter foi, il faudrait que vous vous déterminassiez à faire connaître les motifs qui, à ce que vous prétendez, exigeaient votre présence dans la maison de la Sans-Refus.

—Ce que vous me demandez est impossible.

Le juge, après cet incident, interrogea Salvador sur les faits qui avaient précédé, accompagné et suivi la mort de Délicat, de Coco Desbraises et de Rolet le mauvais gueux; nos lecteurs se rappellent que les cadavres de ces trois misérables, après avoir été défigurés par le grand Louis, qui exerçait la profession de boucher avant d'avoir adopté celle de voleur, avaient été mis dans des futailles vides, lesquelles avaient été jetées dans la Seine; ils n'ont pas oublié non plus que Coco-Desbraises et Délicat, n'ayant rien trouvé à voler dans le pavillon de Choisy-le-Roi, où ils s'étaient introduits, ce dernier, malgré les représentations de son camarade qui lui faisait observer que ces objets pourraient les faire connaître, voulut absolument s'emparer d'une redingote et d'un pantalon oubliés dans une remise; ces vêtements appartenaient à un domestique de Salvador qui, lorsqu'il ne les retrouva plus à la place où il se rappelait les avoir laissés, alla faire au maire de Choisy-le-Roi la déclaration du vol commis à son préjudice; ce vol était d'une importance trop minime pour que l'on s'occupât d'en rechercher les auteurs; on se borna donc à prendre note de la déclaration.

Quelque temps après, les tonneaux qui contenaient les trois cadavres furent retirés de l'eau; la vue de ces cadavres couverts de nombreuses blessures et horriblement mutilés, excita une horreur générale, et la police fit tout ce qu'elle put d'abord pour savoir quelles étaient les victimes et ensuite pour découvrir les assassins.

Les vêtements des victimes furent examinés avec le plus grand soin; il fut reconnu que ceux dont étaient couverts deux des cadavres étaient de ces objets de confection qui se vendent chez tous les fripiers et qui ont le même cachet, de sorte qu'il est à peu près impossible de deviner le lieu d'où ils sortent; on remarqua seulement le pantalon et la redingote que portaient le troisième; ces vêtements encore en assez bon état, étaient assez bien faits; et les boutons du pantalon portaient l'adresse du tailleur qui l'avait fourni; on fit venir cet homme, auquel on présenta ce vêtement qu'il reconnut de suite, et il indiqua la personne à laquelle il l'avait vendu; cette personne était le domestique de Salvador, qui avait, peu de temps auparavant, fait à la mairie de Choisy-le-Roi la déclaration du vol commis à son préjudice; comme la redingote et le pantalon étaient beaucoup trop grands pour Délicat, il était probable qu'ils ne les avait pas achetés; de là à conclure que l'homme dont on venait de trouver le cadavre était l'auteur du vol commis à Choisy-le-Roi, il n'y avait pas loin: c'est ce que l'on fit. Cette affaire, à part cette découverte qui n'apprenait rien de ce qu'il eût été nécessaire de savoir, resta pour la police une énigme dont les révélations du grand Louis et de Charles la belle Cravate lui donnèrent plus tard le mot.

—Ce que je viens de vous apprendre, dit le juge à Salvador après lui avoir fait connaître les faits que nous venons de rapporter, explique l'intérêt que vous aviez à vous défaire de ces trois hommes; vous ne pouviez laisser vivre des individus qui avaient découvert quelle était la position que vous occupiez dans le monde, qui voulaient vous mettre à contribution, et qui, s'il faut en croire les déclarations des révélateurs, manifestaient hautement l'intention de vous faire connaître à la justice si vous refusiez de satisfaire à leurs exigences.

Salvador, aux interpellations si précises du juge, ne pouvait opposer que des dénégations qui, il ne le sentait que trop bien, ne pouvaient pas détruire des présomptions aussi fortes que celles qui s'élevaient contre lui; il était effrayé de la multitude de circonstances imprévues dont la Providence paraissait n'avoir permis la réunion que pour le perdre.

—Vous avez déclaré dans votre précédent interrogatoire, continua le juge, après avoir accordé à Salvador, qui les avait demandés, quelques instants pour se remettre, que vous connaissiez très-particulièrement la marquise de Roselly, vous avez même ajouté que tout Paris savait que vous étiez lié avec cette dame.

—Où veut-il en venir? se dit Salvador; est-ce que par hasard Silvia, négligeant l'avis que je lui ai fait remettre, se serait laissé arrêter, et, s'il en est ainsi, est-elle assez niaise pour s'être déterminée à faire des révélations; ou bien est-ce le vicomte de Lussan?... allons donc! ni Silvia ni de Lussan ne sont capables de cela.

—Répondez à la question que je viens de vous adresser, dit le juge; connaissez-vous la marquise de Roselly?

—Oui, monsieur.

—A quelle époque et en quel lieu avez-vous fait la connaissance de cette dame?

—Je connais depuis plus de trois ans madame la marquise de Roselly; c'est à Lyon que je la vis pour la première fois.

—Très-bien; madame de Roselly, lorsqu'elle était première chanteuse au grand théâtre de Marseille, recevait très-souvent chez elle un usurier juif nommé Josué?

—Je l'ignore.

—C'est possible; mais vous connaissiez ce juif?

—En effet; je me trouvai, peu de temps après ma sortie de la maison paternelle, mis en rapport avec le juif Josué de Marseille; cet homme me prêta, en diverses fois, des sommes qui formèrent avec les intérêts un total très-considérable; lorsque je rentrai en France, après la mort de mon père, je le payai et tout fut dit; ce ne fut même pas moi qui réglai et soldai mes comptes avec le juif Josué, je chargeai de ce soin mon intendant.

—M. Lebrun?

—Lui-même, et je dois ajouter que je fus très-satisfait de la manière dont il s'acquitta de cette mission. Puisque mes papiers ont été saisis, vous devez avoir entre les mains les quittances de Josué?

—Les voici; avez-vous vu le juif Josué depuis votre retour en France?

—Non, monsieur.

—Vous ne l'avez jamais rencontré chez la marquise de Roselly?

—Jamais.

—Saviez-vous, avant que je ne vous l'apprisse, que cette dame recevait souvent Josué chez elle?

—Je l'ignorais.

—Vous en êtes bien sûr.

—Très-sûr, en vérité.

—Vous êtes cependant accusé d'avoir, de complicité avec la nommée Catherine Fontaine, dite Silvia, veuve du marquis de Roselly, ex-première chanteuse au grand théâtre de Marseille, commis un assassinat suivi de vol sur la personne du nommé Josué; qu'avez-vous à répondre?

Les premières questions avaient préparé Salvador à l'accusation que l'on venait de formuler contre lui, il put donc répondre, avec assez de tranquillité, au juge qui répétait sa dernière question:

—Qu'avez-vous à répondre?

—Que je ne suis pas plus coupable de ce crime que de tout ceux dont on m'accuse.

Nous devons à nos lecteurs le récit des faits qui mirent la justice sur les traces des assassins du malheureux Josué. Pour qu'ils les comprennent facilement, il est nécessaire que nous leur rappelions les principales circonstances qui accompagnèrent la perpétration de ce crime, qu'ils n'ont peut-être pas présentes à la mémoire.

Lorsque Josué, sorti à moitié ivre de chez Silvia, qui l'avait fait souper avec elle, eut dépassé de quelques mètres le pont de la Concorde, Roman s'élança sur lui et lui jeta autour du cou, pour l'étrangler, un foulard roulé en corde. Salvador, pendant ce temps, arrachait le scapulaire suspendu au cou de la victime, qui contenait les billets de banque dont ils voulaient s'emparer. La victime morte et dépouillée, ils jetèrent son cadavre dans la Seine, puis il firent à la hâte un paquet des blouses, des larges pantalons de toile qu'ils portaient par-dessus leurs vêtements, et le jetèrent de même à la rivière, après avoir pris le soin d'y introduire quelques pierres, afin de le faire aller au fond; mais leur précipitation avait été telle, que le paquet se défit avant d'avoir touché l'eau, et que les effets qu'il contenait suivirent le cours du fleuve. Une des blouses, celle que portait Salvador, s'arrêta en même temps que le cadavre du malheureux Josué, contre un des îlots du Roi, et le hasard voulut qu'elle s'entortillât tellement après le cadavre, que les mariniers qui le relevèrent crurent qu'elle avait appartenu à la victime. Les questions adressées à Salvador feront connaître à nos lecteurs les faits qui devaient résulter de cet événement en apparence insignifiant.

—La mort du juif Josué, dit le juge, après avoir patiemment écouté les protestations d'innocence de Salvador, fut d'abord attribuée à un suicide; mais l'examen de son cadavre fit découvrir autour de son cou des marques évidentes de strangulation. On dut alors faire des recherches pour découvrir les assassins: ces recherches ne produisirent rien; le cadavre fut rendu à la famille, qui le fit inhumer, et la justice des hommes, impuissante pour le moment, dut remettre à celle de Dieu le soin de l'éclairer: elle ne lui fit pas défaut.

—Je vous avoue, monsieur, que je suis curieux de savoir quels sont les moyens employés par la justice de Dieu pour me faire paraître coupable d'un crime que je n'ai pas commis?

—Vous allez les connaître.

Le juge fit un signe à son greffier, qui dit quelques mots à voix basse au garçon de bureau, qui apporta au bout de quelques instants un porte manteau dans le cabinet.

—Vous connaissez ce porte manteau? dit le juge.

—Sans doute, c'est le mien, répondit Salvador.

—Tout ce qu'il renferme vous appartient?

—Voyons, se dit Salvador, qu'ai-je mis dans ce porte manteau? puis-je sans inconvénient reconnaître tout ce qu'il renferme?

Le garçon de bureau avait étalé sur une table tout les objets que renfermait le porte manteau, des habits, du linge, un nécessaire de toilette.

—Je puis sans crainte reconnaître tout cela, se dit-il encore.

Et comme le juge répétait la question qu'il venait de lui adresser, il répondit:

—Oui, monsieur, je reconnais ces objets; je pourrais, si vous l'exigez, en prouver la légitime possession.

—Même celle de ces mouchoirs?

Le juge montrait à Salvador plusieurs mouchoirs de toile blanche de fabrique anglaise, marqués des lettres A. P., surmontés d'une couronne de marquis, portant chacun un numéro, et entourés de petits filets rouges et bleus.

—Cela ne me sera pas plus difficile que pour le reste, répondit en riant Salvador. Je les ai achetés chez Chapron, à la Sublime Porte, peu de temps après mon premier séjour à Pourrières; mais je ne pense pas que l'on m'accuse de les avoir volés: cela serait vraiment trop comique.

—Combien en avez-vous acheté?

—Douze.

—Il en manque deux.

—En voici un.

Salvador tira machinalement son mouchoir de sa poche; le garçon de bureau le prit et le remit au juge.

—Il manque encore le numéro 7: dit celui-ci, qu'en avez-vous fait?

—Et le sais-je? s'écria Salvador, impatienté de ne pas pouvoir, malgré tous les efforts de son imagination, deviner le but que voulait atteindre le magistrat instructeur; je l'ai perdu probablement.

—En quel lieu? Répondez à cette question; elle est peut-être beaucoup plus importante que vous ne le pensez.

—Je ne le puis, monsieur. S'il manque un de ces mouchoirs, c'est que je l'ai perdu ou qu'on me l'a volé: je ne puis vous en dire plus.

Le juge tira d'un des tiroirs de son bureau un mouchoir absolument semblable aux autres, mais souillé de boue.

—Voilà, je crois, dit-il, celui qui manque à votre collection: vous le voyez, la marque est la même, et il porte le numéro 7; eh bien! savez-vous où il a été trouvé? dans la poche de côté de la blouse entortillée après le cadavre du malheureux Josué, ce qui permet de croire que cette blouse appartenait à son assassin.

—Eh! bon Dieu! monsieur, cela prouve tout au plus que celui qui a trouvé ou qui m'a volé ce mouchoir, est peut-être l'auteur du crime dont on m'accuse aujourd'hui; et si l'on n'a point d'autres preuves contre moi...

—Malheureusement pour vous il en existe d'autres. Les journaux ont rendu compte de votre arrestation, et ont fait connaître, à leurs lecteurs les divers crimes dont vous étiez accusé: un de ces journaux est allé trouver à Metz, où elle s'est retirée, la sœur du juif Josué, au moment même où elle cherchait un renseignement sur un livre qui servait à son frère, pour prendre note des courses qu'il avait à faire; et sur ce livre, qu'elle nous a envoyé après l'avoir fait légaliser par les autorités de la ville qu'elle habite, on lit cette mention: «13 mai chez madame de Roselly, où je dois rencontrer le marquis de Pourrières, et porter avec moi les deux cent mille francs que je dois lui prêter.» Et c'est le 14 mai que l'on a retrouvé dans la Seine le cadavre du juif. Depuis que l'on a ce registre, on a fait des recherches: on a retrouvé deux des anciens domestiques de la marquise de Roselly; et il résulte de leurs déclarations que, le 13 mai, le juif Josué s'est en effet rendu chez cette dame, qu'il y a soupé, et qu'il n'en est sorti qu'à onze heures et demie du soir. C'est donc en sortant de chez elle qu'il a été assassiné? qu'avez-vous à répondre?

—Il est possible, monsieur, que le malheureux Josué ait été assassiné en sortant de chez la marquise de Roselly, si en effet il se rendait chez cette dame, qui demeurait à l'époque à laquelle se rapporte ce malheur, dans un des quartiers les plus déserts de la capitale; mais accuser d'un aussi horrible crime cette femme, dont tout le monde vante la douceur et l'amabilité, m'accuser d'être son complice, et étayer une semblable accusation seulement sur des présomptions, c'est, permettez-moi de le dire, bâtir sur le sable un bien vaste édifice.

—Vous pouvez ne pas accorder aux présomptions qui se réunissent contre vous une grande valeur; quoi qu'il en soit, vous aurez à rendre compte de l'emploi de votre temps, pendant la nuit du 13 au 14 mai.

Le juge donna l'ordre aux gendarmes de reconduire Salvador en prison. Dans un des couloirs souterrains, qui du palais de justice conduisent à la Conciergerie. Salvador et ses compagnons furent rencontrés par le chef de la police, qui accompagnait un prisonnier que deux gendarmes conduisaient devant un juge d'instruction.

Le chef de la police, doué à ce qu'il paraît d'un excellent coup d'œil, reconnut de suite Salvador. Nos lecteurs se rappellent que lors de la disparition de Silvia, qui venait d'être enlevée par Beppo, il avait rendu une visite à ce fonctionnaire.

—Eh bien! monsieur le marquis de Pourrières, dit le chef de la police à Salvador; vous le voyez, nous avons découvert les assassins du juif Josué; mais je dois le dire, je ne me doutais pas, lorsque vous êtes venu à mon bureau, que j'avais devant moi un de ceux que je faisais chercher si inutilement.

—Alexis de Pourrières accusé d'un assassinat, s'écria le prisonnier qu'accompagnait le chef de la police; allons donc, ce n'est pas possible.

Cette exclamation donna l'éveil au chef de la police, qui ordonna aux gendarmes de laisser le prisonnier s'approcher de Salvador.

—C'est si possible, que cela est, dit le chef de la police au prisonnier. Présentez vos hommages à M. le marquis de Pourrières, puisque vous le connaissez.

Le prisonnier s'approcha de Salvador, qu'il regarda attentivement.

—Je ne me trompe pas, s'écria-t-il; c'est Aymard, c'est le Vicomte de Létang, c'est Salvador.

—Bravo! Ronquetti, s'écria le chef de la police transporté de joie; bravo! digne duc de Modène; vous venez de faire une découverte dont il vous sera tenu compte en bon lieu. Puis il continua son chemin, suivi du prisonnier.

Salvador rentra accablé dans sa cellule.

La rencontre qu'il venait de faire devait singulièrement abréger la tâche de ceux qui tenaient à prouver qu'il n'était pas le marquis Alexis de Pourrières. Comme il avait été prévenu que l'on avait l'intention de lui contester cette qualité, il avait réservé toutes les ressources de son imagination pour le moment du combat; et comme il était parfaitement instruit de toutes les particularités de la vie de celui dont il avait pris le nom après lui avoir arraché la vie, comme à toutes les questions qui lui seraient adressées, il pouvait opposer cette réponse: mais qui suis-je donc si je ne suis pas le marquis de Pourrières? Comme il imitait à s'y méprendre l'écriture d'Alexis, il ne désespérait pas de sortir victorieux de la lutte qui s'engagerait à ce sujet; mais la rencontre de Ronquetti, disposé ainsi qu'il venait d'en donner la preuve à faire des révélations, de Ronquetti qui avait particulièrement connu Alexis de Pourrières, dont il avait été pendant longtemps le compagnon, qui connaissait Silvia, qui avait connu Roman, était un de ces événements imprévus auxquels on ne sait rien opposer, et qui, semblables à des coups de foudre, renversent l'édifice le plus solidement établi.

Salvador ne tarda pas à éprouver les effets de la rencontre qu'il avait faite; d'abord il ne fut plus aussi souvent demandé à l'instruction; il conjectura que s'il en était ainsi, c'est que son juge avait besoin d'un peu de temps pour réunir les éléments nouveaux que lui fournissaient les révélations de Ronquetti; il ne se trompait pas, ainsi qu'il le vit bientôt.

Lorsqu'on le fit demander de nouveau dans le cabinet du juge d'instruction, il y trouva une nombreuse réunion. Outre Ronquetti, il s'y trouvait deux hommes déjà âgés et misérablement vêtus, une vieille femme à la physionomie basanée, vêtue du costume adopté par les paysannes des contrées méridionales de la France, deux domestiques en livrée que Salvador reconnut pour ceux qui étaient au service de Silvia à l'époque où le juif Josué fut assassiné, le chef de la police et un de ses agents, Paolo, la femme Adélaïde Moulin, et plusieurs autres individus que la suite fera suffisamment connaître.

L'entrée dans le cabinet, de Salvador et des deux gendarmes chargés de veiller sur lui, fut saluée par des rumeurs qui cessèrent sur un signe du juge.

Le juge fit un signe aux deux hommes qui accompagnaient la vieille femme basanée et vêtue du costume des paysannes du midi.

Ces trois personnes sortirent du groupe dans lequel elles étaient confondues, et sur l'ordre du juge elles se placèrent devant Salvador.

—Connaissez-vous monsieur? dit le juge, en désignant Salvador au plus âgé des deux hommes, qui fit à cette question une réponse négative: la même question fut adressée à l'autre homme et à la vieille femme basanée, et une réponse semblable fut faite.

—Il est évident, se dit Salvador, que si je suis le marquis Alexis de Pourrières, je dois connaître ces trois individus, mais qui sont-ils? Ne disons ni oui ni non, c'est le meilleur moyen de ne pas nous compromettre.

—La physionomie de ces braves gens ne m'est pas tout à fait inconnue, répondit-il à la demande du juge, je crois bien que je ne les vois pas aujourd'hui pour la première fois, mais je ne me rappelle ni leur nom ni en quel lieu je me suis déjà rencontré avec eux.

—Si vous êtes, en effet, le marquis Alexis de Pourrières, vous ne devez pas, vous ne pouvez pas avoir oublié ces gens que vous auriez alors beaucoup connus, voyons, rappelez vos souvenirs.

—Mes souvenirs me font faute, monsieur, je ne puis donner un nom ni à ces deux hommes ni à cette femme, cependant, je vous le répète, je crois les reconnaître.

De nouvelles interpellations furent adressées aux trois personnes que Salvador prétendait reconnaître, bien qu'il ne sût quels noms il devait leur donner, elles affirmèrent de nouveau qu'elles ne le connaissaient pas.

—Ainsi, leur dit le juge d'instruction, vous affirmez que l'homme qui est devant vous n'est pas le marquis Alexis de Pourrières.

—Oui, M. le juge, répondit le plus âgé des deux hommes qui ne fut pas démenti par ses deux compagnons.

—Signez votre déclaration.

L'homme âgé, son compagnon et la vieille femme basanée, signèrent, et, avertis par le juge qu'ils pouvaient se retirer, ils sortirent du cabinet.

—Il est assez étrange, dit le juge à Salvador lorsqu'ils furent sortis, que votre mémoire ne vous rappelle pas les noms du père et de la tante de la mère du jeune Fortuné.

—Louiset, s'écria Salvador.

—Vous l'avez dit, ce sont Louiset et sa sœur qui viennent de sortir d'ici, et le juge montra à Salvador au bas des procès-verbaux, la signature de ces deux individus.

—Allons, se dit Salvador, je me suis assez heureusement tiré de ce mauvais pas, je puis maintenant, sans crainte, reconnaître le grand-père de mon fils.

—Vous m'avez mis sur la voie, continua-t-il, et maintenant, je reconnais parfaitement Louiset le maître d'armes, qui m'a donné mes premières leçons d'escrime, ainsi que sa sœur.

—S'il en est ainsi, vous devez vous rappeler de même l'homme qui était avec eux.

Salvador ne put faire à cette question une réponse satisfaisante; il était, en effet, assez difficile qu'il reconnut un individu qu'il n'avait jamais vu, dont jamais il n'avait entendu parler. L'homme dont lui parlait le magistrat instructeur, n'était autre que le prévôt de salle du maître d'armes Louiset, qui avait beaucoup connu Alexis de Pourrières, à l'époque où ce malheureux jeune homme, pour faire à son aise la cour à Jazetta, fréquentait assidûment la salle du père de cette fille.

—Il est au moins singulier, continua le juge, que les parents de la mère d'un enfant que vous avez reconnu, avec lesquels vous avez vécu longtemps, ne puissent où ne veulent pas vous reconnaître! A quel motif attribuez-vous leur mauvaise volonté?

—Je ne sais, peut-être à la haine que leur a inspiré ma conduite envers leur fille, que j'ai abandonnée après l'avoir séduite.

—Mais, je dois vous faire observer que vous vous attribuez envers Jazetta Louiset, des torts que vous n'avez pas eus, nous savons que ce n'est pas vous qui avez abandonné cette fille, que c'est elle, au contraire, qui vous a quitté à Genève, pour suivre aux Indes orientales un officier anglais; nous ferons prendre note de votre réponse et de notre observation. Femme Adélaïde Moulin, approchez; vous persistez à soutenir que l'homme qui est devant vous, n'est pas celui qui se faisait appeler à Genève le comte de Courtivon, et qui vous confia pour l'élever, un enfant du sexe masculin qu'il reconnut, et auquel il donna le nom de Fortuné de Pourrières?

—Oui, monsieur, il y a cependant entre les traits de monsieur, et ceux du marquis Alexis de Pourrières, une certaine analogie qui peut tromper au premier aspect, mais je le répète, les yeux du père de Fortuné étaient noirs, ceux de monsieur sont bleus, le premier était moins fortement constitué que le second, l'expression de ses traits était plus douce.

—Vous entendez, dit le juge à Salvador, persistez-vous à soutenir que cette femme n'est point celle à laquelle vous confiâtes votre fils?

—Oui, monsieur, cette femme est guidée sans doute par un intérêt que j'ignore, mais il est certain qu'elle en impose.

—Ah! monsieur, s'écria la femme Adélaïde Moulin, en s'adressant au juge, et les yeux baignés de larmes, vous savez maintenant quel est le motif qui me fait agir, et si mes vues sont intéressées.

—Femme Adélaïde Moulin, répondit le magistrat instructeur, calmez-vous, nous savons que vous n'êtes guidée en ce moment que par l'envie de réparer une grande faute, et soyez-en convaincue, il vous sera tenu compte de votre conduite; des témoignages irrécusables, continua-t-il, en s'adressant à Salvador, ont prouvé que cette femme est bien la femme Adélaïde Moulin, à laquelle un jeune enfant fut confié par un gentilhomme français; des personnes honorables qui habitaient Genève en même temps qu'elle, ont positivement déclaré qu'elles la reconnaissaient; ces personnes seront entendues. Qu'avez-vous à répondre?

—Rien, monsieur, je m'en réfère à mes réponses précédentes.

—Ainsi, vous persistez à soutenir que vous êtes le marquis Alexis de Pourrières?

—Certainement, je ne puis renoncer à un nom et à un titre qui m'appartiennent.

—Ce sont précisément ce nom et ce titre que l'on vous conteste, et je vous avertis que vous êtes accusé d'avoir, pour vous en emparer, assassiné leur légitime possesseur, et que l'on croit être à même de vous prouver que vous êtes réellement l'auteur de ce crime.

Une pâleur livide couvrit le visage de Salvador, lorsqu'il entendit formuler contre lui cette nouvelle accusation d'une manière si positive; malgré les charges accablantes qui, depuis l'instruction de son affaire, se réunissaient chaque jour, il avait conservé un faible espoir non pas, nous devons le dire, de voir l'impunité couronner ses crimes, mais au moins d'échapper à la mort; mais s'il était prouvé qu'il était l'auteur de la mort d'Alexis de Pourrières, si les horribles circonstances qui avaient accompagné ce crime venaient à être connues, il faudrait qu'il renonçât à cet espoir, et c'était cette pensée qui avait amené sur son visage les pâles couleurs d'un linceul.

—Vous pâlissez? lui dit le juge.

Cette observation lui rendit une bonne partie de son sang-froid, on pouvait bien lui prouver qu'il n'était pas le marquis Alexis de Pourrières, on pouvait même prouver qu'il n'était autre que le forçat Salvador; mais l'assassinat d'Alexis de Pourrières, cela était impossible, trop de précautions avaient été prises pour commettre ce crime.

—Oui, monsieur, répondit-il à l'observation du juge, oui, monsieur, je pâlis, mais c'est d'indignation.

—Faites avancer le prisonnier Ronquetti surnommé le duc de Modène, dit le juge à un gendarme qui s'empressa d'obéir: connaissez-vous cet homme, continua-t-il en s'adressant à Salvador?

—Parfaitement; cet homme, je l'avoue à ma honte, a été mon compagnon de voyage pendant plusieurs années, mon ami le plus intime; nous avons parcouru ensemble, l'Angleterre, la Suisse, l'Italie, la Hollande et plusieurs autres contrées.

—Eh bien! dit le juge à Ronquetti, qu'avez-vous à répondre à ces allégations?

—Qu'elles sont vraies et qu'elles ne le sont pas, répondit le faux duc de Modène; cette réponse peut d'abord paraître extraordinaire et cependant elle est toute naturelle, les allégations de l'accusé seraient vraies, si elles sortaient de la bouche du marquis Alexis de Pourrières, dont, en effet, j'ai été l'ami et le compagnon de voyage pendant fort longtemps; mais sorties de la sienne, elles sont fausses en tout point, et ne prouvent qu'une seule chose, que Salvador, Aymard, le vicomte de Létang, comme on voudra l'appeler, est très-bien instruit de tout ce qui regarde le pauvre Alexis.

Pour varier un peu la forme de notre récit, nous mettrons sous les yeux de nos lecteurs une lettre écrite par Ronquetti au juge d'instruction, le lendemain du jour où il rencontra Salvador, dans un des couloirs obscurs qui du palais de justice conduisent à la Conciergerie; après avoir lu cette lettre, nos lecteurs devineront sans peine quelles furent les questions adressées à Salvador et les réponses faites à ces questions, questions et réponses que par conséquent nous serons dispensés de rapporter.

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