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Lettres galantes du chevalier de Fagnes

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XVII
Une nuit de liberté

Ce 12 de Janvier 1772.

Je devais à M. Tournay mes remerciements pour son hospitalité. C’est de quoi, Monsieur, je me voulus acquitter hier.

— Hé bien, me dit-il, êtes-vous content de la Beauvoisin ?

Je lui contai les raisons qui m’avaient fait décliner ses faveurs, mais je ne pus me garder, dans mon indignation, de lui confier ce que j’avais appris sur M. de Fontpeydrouze. Il me répondit que je ne l’étonnais guère, qu’il avait eu tôt fait de juger le personnage, et qu’il avait à s’excuser de l’avoir accueilli parmi nous.

— Il est vrai, fit-il, qu’il m’avait amusé avec ses hâbleries : ce ne fut qu’en l’observant, à table, que je soupçonnai, un peu tard, qu’il pouvait bien n’être qu’un coquin. Mais laissons cela. Je suis tout plein d’un récit que l’on vient de me faire… Je vous le ferai à mon tour… Savez-vous, continua M. Tournay, que nous avons, dans le successeur de M. de Sartines, un lieutenant de police qui a une manière de philosophie ? Il se trouvait tout à l’heure chez M. Bouret, auquel il faisait visite. Je lui demandai des nouvelles d’un certain chevalier de Melle, que j’ai quelque peu connu, et que je savais être au For-l’Évêque, arrêté sur des présomptions d’être l’auteur de petits vers satiriques contre des gens en place.

« La prison du For-l’Évêque n’est point pour effrayer beaucoup. Habituellement, c’est là qu’on enferme les comédiens coupables de quelque infraction ou les débiteurs de mauvaise volonté. M. de Melle n’a point assez d’importance pour qu’on l’ait conduit à Vincennes ou à la Bastille. Le logis de la rue Saint-Germain-l’Auxerrois est, assurément, rébarbatif d’aspect, avec sa haute façade délabrée, mais il y a des accommodements avec les règlements et les guichetiers, et, pourvu qu’on dispose de quelque argent de poche, la captivité n’est point fort rigoureuse. Ceux qui l’ont subie n’emportent pas d’âpres souvenirs.

« Cependant, M. de Melle montra à son arrivée, un accablement qui étonna le concierge Duverger, habitué à plus de résignation chez ses hôtes. Le chevalier est un homme d’une quarantaine d’années, qui a eu une vie assez aventureuse, et son passé, l’ayant exposé à plus d’un accident, semblait d’avoir armé contre l’ennui de quelques démêlés avec la justice. Il n’en paraissait pas moins profondément affligé, et il ne cessait de pousser de grands soupirs.

« Quelques personnes, qui n’étaient pas sans avoir entendu parler de lui, car il fréquentait les théâtres et avait même travaillé pour la Comédie Italienne, lui avaient fait courtoisement accueil et l’avaient prié à souper ou à prendre part à quelque partie de pharaon. Il avait décliné les invitations, comme si les sentiments qui l’oppressaient ne lui eussent laissé aucune liberté d’esprit.

« Les jours suivants, son attitude n’avait pas changé. Sa mélancolie s’était même accentuée. Il ne touchait pas aux mets qui lui étaient servis. Duverger le vint trouver pour s’informer de lui.

«  — Combien de temps durera ma détention ? demanda le chevalier.

«  — C’est là, malheureusement, Monsieur, répondit le garde de prison, le seul point sur lequel je ne puisse vous renseigner. Pour tous les autres, je suis votre serviteur. Mais pourquoi cette humeur noire ? Votre cas n’est pas des plus graves. Vous pouvez passer ici le temps le plus agréablement du monde. Ne vous ai-je pas réservé une chambre à cheminée, fort propre et fort commode ? Vous empêche-t-on de vous promener à votre gré dans le préau ? N’avez-vous pas, pour votre distraction, une compagnie choisie ? Ces messieurs ont mille ressources d’esprit. On n’entend que rires, même dans les chambres d’en bas, celles où les prisonniers sont à la paille.

« Le chevalier de Melle, haussa les épaules. L’exemple des autres n’était point convaincant pour lui. Il restait visiblement livré aux plus amers soucis. Duverger revint à la charge.

«  — Monsieur, lui dit-il, tous mes pensionnaires sont gais. Vous ne voulez point l’être et j’en suis fort navré. C’est pour moi une affaire d’amour-propre. Je suis pourtant aux petits soins pour vous. Je cherche vainement ce qui peut vous manquer en cette maison.

«  — La liberté, Monsieur.

«  — Bah ! une simple illusion. Où trouveriez-vous de tels loisirs, une société aussi aimable, des attentions comme celles qu’on vous prodigue ?

« Une semaine se passa, et M. de Melle ne parvenait point à prendre son mal en patience. On le voyait se ronger les poings de dépit et il avait des cris de colère en contemplant les barreaux de sa fenêtre. On s’avisa qu’il avait réussi à en ébranler un. Il méditait l’évasion la plus téméraire, en raison de la hauteur des murs.

« Le concierge s’inquiéta, et, alarmé de sa responsabilité, prévint M. le lieutenant de police de ce fait surprenant : un prisonnier du For-l’Évêque, qui donnait les signes du plus grand désespoir.

« M. Lenoir se rendit à la prison et se fit annoncer chez le chevalier.

«  — Monsieur, lui dit-il, les rapports qu’on m’a faits de votre état m’ont déterminé à vous venir voir, car il y a une manifeste disproportion entre le traitement plein d’égards que j’ai commandé qu’on vous assurât et vos transports. J’ai lu vos couplets : vous en niez la paternité ! Soit ! Mais en fussiez-vous coupable, ils sont spirituels, c’est une demi-excuse et la peine qui peut vous atteindre ne saurait être que légère.

«  — Alors, ne me retenez plus.

«  — Ce n’est pas par mon ordre que vous êtes ici, et il ne dépend pas de moi, de vous ouvrir les portes du For-l’Évêque. Mais peut-être avez-vous une raison particulière de cette étrange inquiétude : vous plaît-il de me la confier ?

«  — J’ai une raison, en effet : j’aime. J’aime avec toute la fougue, toute l’impétuosité d’un jeune homme. Oui, après avoir connu une existence assez dissipée, je l’avoue, la passion la plus vive et j’ose dire la plus pure est née en moi. Une femme vraiment angélique en est l’objet. Cette brusque séparation me cause le plus cruel des tourments.

«  — Hé bien, les visites ne vous sont point défendues.

«  — Y songez-vous, Monsieur. Ce serait compromettre une personne qui mérite tous les respects.

«  — Elle vous écrit ?

«  — Et ses lettres, qui sont adorables de candeur, ne font qu’irriter mon chagrin.

« Le lieutenant de police réfléchit un instant. Ne vous ai-je point dit que son expérience lui avait suggéré une idée admirable ?

«  — Engageriez-vous votre parole d’honneur, reprit-il, si je vous laissais sortir un soir, d’être de retour à la prison avant le petit jour ?

« Les traits du chevalier de Melle s’illuminèrent. Sa voix tremblait d’émotion.

«  — Vous consentiriez ? s’écria-t-il, je pourrais la voir !

«  — Je pense, fit M. Lenoir, que vous ne trahirez pas ma confiance. Je pense aussi que vous reconnaîtrez cette exception que je fais en votre faveur par plus de docilité ; vous ne chercherez pas à fuir ?

«  — Je vous le jure, Monsieur.

« Dès le lendemain, Duverger, exécutant les ordres du lieutenant de police, ouvrit au prisonnier, avec mille précautions, la porte qui donnait sur le quai. Le chevalier s’y glissa, et avec une hâte merveilleuse, disparut dans la nuit.

« Il rentrait, ainsi qu’il l’avait promis, et même bien avant l’heure fixée. Le guichet passé, il réintégrait sa chambre. Il se jeta sur son lit, et la tête appuyée dans sa main, il médita longuement. Parfois, un rire douloureusement ironique se dessinait sur ses lèvres.

«  — Comment, Monsieur le chevalier, lui dit, sur un ton de reproche, Duverger, venant prendre de ses nouvelles, c’est ainsi que vous nous savez gré de nos complaisances. Toujours maussade, toujours triste ?

«  — Cela passera, fit le détenu. Quoi qu’il en soit, vous pouvez désormais vous dispenser d’un surcroît de surveillance.

«  — Mais la bonne humeur ?

«  — Laissez-lui le temps de revenir.

« Quelques jours plus tard, Duverger entretenait M. le lieutenant de police du chevalier de Melle.

«  — Il est encore morose, lui disait-il, mais il a cessé de protester, et il ne songe certainement plus à s’évader.

«  — Évidemment, répondit M. Lenoir. C’est parce que je savais la déception au-devant de laquelle il allait que je lui donnai ce congé de quelques heures, pour le rendre sage… Je connaissais son aventure sentimentale, où il a apporté quelque naïveté, pour un homme d’esprit. Il a eu la désillusion de ne pas trouver seule, mais en galante compagnie, cette personne qu’il appelait une femme angélique. Mes inspecteurs m’avaient renseigné sur les habitudes de celle-ci, qui s’accommodait fort de l’absence de cet amant dupé… Le pauvre homme cuve son chagrin, il est tranquille, désormais. Il n’a plus envie de nous quitter brusquement… Bah ! il se consolera en composant de petits vers contre la perfide… Voyez-vous, mon cher, ajouta M. Lenoir, il est bien inutile d’employer la rigueur, quand, pour arriver au but, il suffit d’un peu de politique… »

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