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Paris tel qu'il est

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Un industriel anglais vient d'arriver à Paris avec quelques millions, ce qui n'est rien, et une idée, ce qui est beaucoup.

Je connais un auteur dramatique qui est bien de mon avis sur ce point.

Cette idée consisterait à créer un théâtre cosmopolite. On y chanterait dans toutes les langues, et la musique étant la langue universelle, tout le monde comprendrait.

Cet industriel a calculé qu'il y avait à Paris trente mille anglais.

Quarante-cinq mille Allemands;

Quinze mille Italiens;

Dix mille Espagnols;

Six mille Russes;

Douze mille Américains.

Sans compter les Français et les Parisiens.

La combinaison de cet excentrique est assez compliquée.

Voilà son plan.

Les lundis, mercredis et vendredis seront réservés à une troupe anglaise.

Les autres jours, on jouera en français, sauf les dimanches, réservés aux Italiens, aux Espagnols et aux Russes, à tour de rôle.

Cet anglais, qui s'appelle M. Sikes, est doué d'une conviction robuste; il croit en lui et a réponse à tout.

—Que jouerez-vous? lui demandait-on.

—Tout, répondit-il, tout, excepté les immortels chefs-d'œuvre de Shakspeare.

—Il vous sera facile d'avoir une troupe anglaise, une troupe française, mais les autres?

—On paye les Italiens en papier, qui perd dix-huit pour cent; en leur donnant de l'or ils viendront; les Espagnols, je n'aurai qu'à choisir; l'art ne vit pas de coups de fusil.

—Bien; mais les Russes?

—Je gratterai les Polonais.

—Pourquoi n'allez-vous pas exploiter votre idée à Londres.

—Ah! voilà, fit-il; c'est bien simple: en Angleterre, on n'aime et on ne protège que ce qui est anglais; en France, on aime tout le monde, mais on ne protège que ce qui n'est pas français.

Monsieur Sikes, vous avez raison.


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