← Retour

Paris tel qu'il est

16px
100%

Le roi Louis-Philippe arrivait avec une tout autre politique que celle du droit divin. Il pensa, non sans raison, qu'il deviendrait populaire en se faisant bourgeois, et, pour ce faire, il n'hésita pas à couvrir sa majesté d'une redingote à la propriétaire.

Tout s'enchaîne; le salut et la discrétion respectueuse se changèrent en poignées de mains.

—Bonjour, monsieur le roi, comment vous portez-vous?

Et le roi répondait en pressant toutes les mains prolétaires qui se tendaient vers lui.

—Bien, mes bons amis, très bien.

Et il causait avec Dubois, Durand ou Lefèvre, de pair à compagnon, s'informant de leur famille, et de leurs affaires et de leurs affections.

Pauvre roi! prince vertueux, comme il fut bien payé de tant de bonne grâce par ces bourgeois si fiers de lui toucher la main!

Je ne puis résister au désir de citer des anecdotes oubliées aujourd'hui et qui firent la joie de ma jeunesse. Elles prouvent combien le roi Louis-Philippe était doué d'une bonté à toute épreuve, doublée d'une finesse extrême, d'autant plus remarquable qu'elle était accompagnée d'une bonhomie charmante.

Une députation de la garde nationale de Bordeaux vint féliciter le roi d'avoir échappé à l'attentat de Fieschi.

Le roi reçut ces Bordelais comme il aurait reçu les vrais Girondins.

Apercevant un citoyen à bonnet à poil, d'une fort belle prestance, il lui adressa la parole avec infiniment de bonté.

Le citoyen en bonnet à poil était marchand de vin, comme doit être tout Bordelais qui se respecte. Un rêve d'or traversa son cerveau, et, sans autre forme de procès, il se mit à faire l'article au roi.

—Oui, Sire, s'écria-t-il, je puis dire avec fierté qu'il n'y en a pas un dans Bordeaux capable de vous servir comme moi. J'achète directement du baron de Brane et de M. Aguado; pas une pièce, pas une bouteille qui ne sorte de chez moi sans porter ma marque. Vous goûterez, ça ne vous engage à rien; si ça vous convient, vous payerez quand vous voudrez. J'ai confiance en vous, moi.

Un autre Bordelais, aussi marchand de vin que le premier, mais mieux élevé sans doute, comprenant l'inconvenance de son compatriote, voulut rompre les chiens, et, après avoir poussé le coude à son ami, il s'avança et, d'un air plein de grâce gasconne, la grâce la plus épanouie qui soit au monde, il demanda au roi:

—Eh! donc, Sire, n'aurons-nous pas le plaisir de déposer nos respects aux pieds de votre femme?

—Mon Dieu, non, répondit le roi en souriant; elle est obligée, ce soir, de garder la maison.

A quelque temps de là, nouvel attentat;—on tirait sur le roi comme si la poudre n'eût rien coûté;—nouvelles députations, nouveaux gardes nationaux, nouveaux conseillers généraux et municipaux.

Parmi ces derniers, le président du conseil municipal d'un canton de l'Orne se fit remarquer par un discours assez proprement récité.

Le roi s'approche de l'orateur, le félicite à son tour, s'enquiert des besoins de sa commune et termine son compliment par ces mots:

—Nous désirons vous avoir à dîner mardi.

—Impossible, Sire, s'écria le provincial tout désolé. C'est impossible, j'ai arrêté ma place à la diligence et j'ai eu la bêtise de donner des arrhes.

—Eh bien, fit gaiement le roi, ce sera pour demain, à moins pourtant que vous ne soyez invité autre part.

Hélas! cette cordialité bourgeoise, qui, pour manquer de noblesse, n'en avait pas moins des côtés touchants, disparut bien vite.

Louis-Philippe, si clairvoyant, si fin, avait commis une faute politique énorme; à le voir si souvent et de si près, le peuple s'était aperçu qu'au demeurant le roi n'était qu'un homme.

En bas, on ne croyait plus; en haut, on se repentait d'avoir semé dans une terre aussi ingrate.

La noblesse boudait naturellement.

La haute bourgeoisie cuvait son bonheur; la petite entretenait ses rancunes.

Au milieu de tout cela, le roi sortait peu. De loin en loin, une grande voiture bleue, de grands laquais rouges, trente dragons commandés par un simple lieutenant, traversaient au grand trot les Champs-Élysées déserts. De rares curieux étrangers ou provinciaux quittaient les contre-allées pour voir le roi qui, d'un fort grand air, répondait à leurs saluts, mais sans affectation et sans plaisir. Le petit-fils d'Henri IV était devenu philosophe, et il savait au juste ce que vaut l'humanité.

Parfois, pourtant, on apercevait un chapeau de femme, un ruban, un bout d'étoffe, et tout le monde courait respectueusement saluer la reine.

Il est vrai que si Marie-Amélie n'eût pas salué, on l'aurait saluée avec la même vénération, tant sa bonté et ses hautes vertus avaient touché les cœurs.


Chargement de la publicité...