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Paris tel qu'il est

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Le général légendaire n'est pas mort, il est en activité.

Hier matin, il se lève et demande à son domestique ce qu'il y a de nouveau «dans les feuilles».

—Mon général, dit le domestique, vieux brigadier qui sait ce que son maître entend par du nouveau, mon général, il y a une nouvelle invention qui va faire révolution dans l'armée.

—Une révolution dans l'armée? ce n'est pas vrai? s'écrie le général, ce n'est pas vrai! Ceux qui disent cela sont des misérables qui calomnient l'armée.

—Je me suis mal expliqué, mon général; j'ai voulu dire une invention qui va faire sensation.

—A la bonne heure! Quelle invention?

—Un officier d'artillerie vient d'inventer un canon qui enfonce tous les autres canons de l'Europe.

—Un canonnier qui a inventé un canon? De quoi se mêle-t-il celui-là?

Le célèbre pianiste Henry Ravina est, comme on sait, le lion des salons aristocratiques.

Un soir qu'il avait joué au faubourg Saint-Germain, et que l'assemblée encore émue attendait pour le féliciter qu'il eût essuyé son front, une vieille marquise s'approche de lui:

—Ah! monsieur Ravignan, dit-elle, que de talent et que de grâce! je suis encore sous le charme; mais dites-moi, je vous prie, êtes-vous parent de notre cher grand prédicateur, l'abbé de Ravignan?

—Oui, madame, répondit Ravina d'un air lugubre: c'était mon père!

Une histoire qui m'a été contée par Gustave Claudin.

La scène se passe dans un casino de la côte de Normandie, entre un monsieur insignifiant et une dame de bon monde.

—Madame ne danse pas?

—Mais, pardon.

—Oserais-je?...

—Oh! monsieur, je suis désolée, nous ne dansons qu'en famille.

—C'est un vœu?

—Oh! un tic tout au plus.

—Tic que je comprends, madame, car dans les casinos la société est un peu bien mêlée.

—Oui, monsieur.

—Mais, madame, permettez-moi de regretter une prudence que j'approuve, mais que je déplore.

—Vous êtes trop poli.

—Ah! madame, permettez-moi de vous dire que je ne suis pas un muffle; je suis le préfet de Châteauvert.

Un mot superbe à propos de mariage.

Notre pauvre confrère B... se marie, un beau jour, pour légitimer un jeune enfant qu'il aimait tendrement.

Deux heures après la cérémonie, il a, avec la mère, une vive altercation à propos de rien; on se dispute, on se chamaille; bref, on se sépare, ce qu'on n'avait pas osé faire quand on n'était pas forcé de rester ensemble.

B... prend une plume et écrit:

«Monsieur le maire du 9e arrondissement,

»Un incident particulier me fait fort regretter la visite que j'ai eu l'honneur de vous faire.

»Je vous prie de vouloir bien considérer la démarche que j'ai faite comme nulle et non avenue.

»Recevez, etc.»

Le maire ne répondit pas.

—Il y a quelque six mois, nous accompagnions un ami à sa dernière demeure.

Au retour, nous traversions une allée solitaire, lorsque nous entendîmes un bruit de voix qui venait de l'allée voisine (au cimetière, il n'y a que les gens de l'endroit qui parlent haut); nous entendîmes un bout de la conversation d'un fossoyeur qui venait de rencontrer un ami:

L'ami disait:

—Eh bien, vieux, ça marche-t-il un peu le commerce?

—Heu! faisait le fossoyeur, ça marche et ça ne marche pas.

—C'est comme ça partout.

Il se fit un silence; le fossoyeur reprit avec un gros soupir:

—Si on pouvait avoir la tranquillité, les affaires ne demandent qu'à reprendre.

Au dernier mercredi du docteur H., on parle d'une vente de tableaux où quelques toiles ont été poussées à des prix formidables.

—Ah! dit un provincial, je connais un tableau qu'on aurait pour moins cher, et qui est peut-être plus beau.

—Où est cette merveille? demande un amateur forcené.

—Chez un pharmacien de chez nous.

—De qui est cette toile?

—Je ne sais plus; on me l'a dit, mais j'ai oublié.

—Ça représente?

—Je ne sais pas trop. Il y a une femme et un homme, et un amour, et un lion.

—Le propriétaire en connaît-il le prix?

—Il s'en doute.

—Est-ce un tableau ancien?

—Je crois bien; il est vieux, vieux, plus de trois cents ans.

—Diable, il doit être en bien mauvais état.

—Vous ne connaissez pas les pharmaciens. Il n'y a pas de danger que celui-là laisse abîmer son tableau; il le fait restaurer tous les ans.

Qui disait donc, je vous prie, que l'esprit se perdait en France?

Michel Bouquet, le peintre que vous savez, est un artiste d'une grande valeur, fort estimé de ses confrères. Ses admirables plaques peintes sur émail cru lui ont valu une réputation universelle. L'Angleterre le flatte, l'Amérique lui sourit, la Russie lui fait des avances et la Hollande l'adopterait volontiers.

Un autre homme s'en tiendrait là et se trouverait satisfait. En bien, non, Michel Bouquet ne se contente pas pour si peu. Le soir, le peintre disparaît pour faire place à un philosophe aimable, à un conteur charmant.

Il nous racontait hier un mot adorable de finesse, jugez-en:

—Je causais avec une dame du monde, nous disait-il, et je lui demandais: «Voyons, vous qui avez eu toutes les grâces, infiniment d'esprit et une grande fortune, c'est-à-dire vous qui avez dû goûter toutes les joies et tous les bonheurs imaginables, dites-moi, je vous prie, quel est, selon vous, le plus beau jour de la vie?

La dame réfléchit.

—Le plus beau jour de la vie? fit-elle.

—Oui.

—C'est la veille.

Une plaisanterie, retour de Versailles. Un voyageur reprochait assez sottement à M. Gambetta d'être monté en ballon.

—Mais, répondait un autre voyageur, il ne pouvait pas s'en aller autrement, et un voyage en ballon n'est pas une petite fête; bien des gens qui plaisantent Gambetta n'auraient pas le courage de s'exposer ainsi.

—Et puis, ajouta un troisième voyageur, une fois à

Tours il devait dire tant de paroles en l'air, qu'il fallait bien les prendre quelque part.

M. Ledru-Rollin a reparu sur la scène politique, il y a quelques années; c'était avant de mourir, bien entendu.

M. Ledru-Rollin n'a plus été reconnu de personne.

Un homme qui avait fait tant de bruit en 1848!

Ah! dame, écoutez donc!

Brunet était un comédien des Variétés qui jouait les Jocrisses.

Brunet était sourd.

Après trente ans de repos, il remonta sur les planches, il avait quatre-vingt-deux ans.

Le public avait oublié Brunet et il n'aimait plus les Jocrisses.

Brunet ne se doutait pas de ce changement. A la répétition de Jocrisse maître et valet, il dit à l'acteur qui lui donnait la réplique:

—Quand je casse l'assiette en mille morceaux, et que je dis: «Tiens! elle est ébréchée!» le public se tord; tu attendras qu'il ait fini de rire pour me donner la réplique, sans ça tu me ferais manquer mon effet.

Le soir de la représentation, Brunet cassa l'assiette; il prit son air le plus niais pour dire «Elle est ébréchée,» puis il saisit le bras de son camarade et lui dit tout bas:

—Laisse-les rire, laisse-les rire.

Hélas! personne n'avait sourcillé, trente ans avaient passé par là, le public ne riait plus pour si peu.

Heureusement Brunet était sourd, ce qui vaut encore mieux que d'être aveugle.

Beaucoup d'auteurs se sont laissé aller à faire des livres oubliés aujourd'hui, dont les héros étaient des revenants. Ces romans étaient plus ou moins bien écrits, plus ou moins intéressants; mais la conclusion était la même, savoir, que ceux qui étaient revenus auraient été bien plus heureux en restant sous terre.

En effet, voyez-vous un oncle revenant quand ses neveux sont en possession; un mari, quand sa femme commence les cols blancs!

Et tant d'autres.

Vous souvient-il de cette vieille histoire du comte Caseaux de la Varlaye, racontée si plaisamment par les auteurs du temps?

Le comte perd sa femme, le bon gentilhomme se lamente, pleure, se désole et, le lendemain, suit, les yeux humides, sa chère compagne jusqu'au champ du repos.

Le chemin est glissant, le cimetière de la Varlaye est situé au haut d'une colline; les porteurs sont harassés, l'un d'eux fait un faux pas et entraîne les autres; le cercueil tombe et va se briser contre un mur.

Un cri plaintif fait fuir les assistants, en proie à la terreur; seul, le comte a conservé son sang-froid; il s'élance et reconnaît que la comtesse est encore vivante.

Quelle joie!

Ramenée au château, soignée par un médecin intelligent, la comtesse se rétablit et vit encore dix ans dans le plus parfait bonheur.

Enfin, elle meurt pour de bon; la douleur du comte, moins bruyante, est aussi sincère que la première fois.

Le bon curé vient lui demander de compléter ses instructions.

—Monsieur le comte, dit-il, n'a-l-il plus rien à ordonner?

—Non, monsieur le curé, répond le gentilhomme, sinon que les porteurs fassent bien attention en passant auprès du mur qui est au tournant du chemin.

Cela se passait dans le temps où le gouvernement résidait, non à Paris, mais au chef-lieu de Seine-et-Oise.

Au retour, sur le chemin de Versailles, on entendait toujours des drôleries.

—Mon cher collègue, disait un voyageur, mon cher collègue, nos opinions politiques diffèrent.

—Vous me permettez d'en être flatté.

—Mais je suis sur que nous nous rencontrerons sur le terrain des questions sociales.

—C'est invraisemblable.

—Pas du tout. Ainsi, dans ce moment, je suis en train de faire un travail des plus importants en faveur de l'abolition de la fosse commune.

—Nous ne nous entendrons jamais; moi, je veux abolir la vraie.

Il est dit que nous ne sortirons pas des peintres; mais il est impossible de ne pas vouer M. O'D..., un artiste de mérite, à l'exécration publique.

On parlait devant lui du monsieur qui a avalé la fameuse fourchette, et le conteur ajoutait:

—C'est une chose bien particulière!

—Pourquoi, demanda M. O'D..., dites-vous une chose particulière (partie cuiller!) puisqu'elle n'est pas partie et que c'est une fourchette?

Si j'étais du jury!...

On se rappelle la réponse de cet ultra-conservateur qui refusait absolument de reconnaître la République.

—Jamais, disait-il, vous ne me ferez reconnaître un gouvernement qui a toujours besoin de quelqu'un pour le sauver.

Il est certain que, depuis quelque temps, on sauve le pays avec une facilité des plus remarquables.

Donc je crois ne pas m'exposer aux horreurs d'un communiqué en citant le mot suivant, que je trouve un chef-d'œuvre de naïveté ou de malice, comme on voudra:

—Messieurs, disait dernièrement un député, nous sortirons de là, n'en doutez pas; le bon sens ne meurt pas; d'ailleurs, nous avons passé par des situations plus difficiles.

—Jamais!

—Mais si. Tenez, il y a quelques mois, la situation était plus tendue.

—A quel moment?

—Je ne saurais préciser. Ce qu'il y a de sûr, c'est que quelqu'un était en train de sauver la France; mais je ne me rappelle plus qui.

L'autre jour, au Salon, deux peintres fort distingués jugeaient assez sévèrement les œuvres de leurs confrères.

—Ah! s'écrie l'un d'eux, voilà deux heures que j'éreinte K..., et je me souviens maintenant que vous êtes très liés.

—En effet.

—Vous m'en voulez?

—Moi, répond l'autre, par exemple! il faudrait que j'aie le caractère bien mal fait pour me fâcher parce qu'on dit du mal de mon meilleur ami.

Un mot de portière.

—Comment se fait-il que le feu ait pris à l'Opéra et qu'on ne s'en soit pas aperçu puisque c'était pendant la répétition?

—Non, on ne répétait pas, je le sais bien, j'ai un parent qui est de l'Opéra.

—Mais c'est dans l'Union.

—Des menteurs, tous ces journaux, et pourtant celui-là est le journal des prêtres.

—On ne peut plus avoir confiance en personne.

Mot d'un bas bleu à son mari.

—Quand passe votre pièce?

—Dans un mois.

—C'est important?

—Cinq actes.

—Beaucoup de monde?

—Six ròles.

—Non, sept.

—Pardon, chère amie, six seulement.

—Sept.

—Mais, non: le comte, la comtesse, le chevalier, le marquis, Cécile et Antoine, ça ne fait que six.

—C'est que vous ne comptez pas le directeur, à qui vous faites jouer un rôle ridicule.

Voyez, je vous prie, jusqu'où l'à peu près va se nicher.

Dans une réception semi-officielle, une dame curieuse prend des informations sur les invités:

—Quel est donc, demande-t-elle à son voisin, ce personnage tout chargé de décorations?

—Où ça?

—Là, près de la cheminée, ce grand monsieur noir qui a toutes ces plaques.

—C'est le consul général des républiques de l'Épateur.

Barnum, le roi des puffistes,—autrefois on disait l'empereur,—a passé par Paris.

A peine sa présence a-t-elle été signalée, que tous les monstres de la vieille Europe, tous les phénomènes de l'ancien monde, se sont mis en marche pour venir s'incliner devant ce glorieux montreur.

Mais Barnum est très-difficile, et, d'ailleurs, sachant les phénomènes vaniteux et les monstres doués d'un caractère insoutenable, il préfère fabriquer lui-même.

Il est reparti, nous laissant une série, au milieu de laquelle se distinguent l'homme chien et M. son fils.

Ils sont bien laids. Pourtant on va les voir.

Ne voulant pas interroger leur cornac, trop intéressé à mentir, je questionnai un employé de l'établissement où on les exhibe.

—Mon Dieu, me répondit le brave homme, si ce n'est qu'il est couvert de poil, il n'en est pas plus chien qu'un autre; il m'a donné dix sous de pourboire.

Un avis émané de la préfecture annonce que, par suite des fêtes de la Toussaint et des Morts, le public ne sera pas admis à visiter les Catacombes pendant quelques jours.

Pourquoi avoir changé la fameuse formule et n'avoir pas mis comme à l'ordinaire:

«MM. les Morts de l'intérieur ne recevront pas mercredi prochain ni les mercredis suivants.»

Le dernier mot de la comtesse Feuille d'Ortie.

La comtesse tient par la famille de son mari au faubourg Saint-Germain, et par la sienne au boulevard de la Villette.

—Croyez-vous au retour de votre roi? lui demandait-on.

—Henri V n'est pas mon roi. C'est celui de M. d'Ortie.

—Enfin croyez-vous à son retour?

—Absolument.

—Qui vous donne cette certitude?

—C'est que j'ai reçu ce matin une lettre d'Angoulême dans laquelle on m'affirme sérieusement que M. Ravaillac est en train de faire ses malles.

Un mot bizarre qui aurait dû trouver sa place plus haut:

Une jeune mariée disait à un de ses parents, le comte C..., attaché d'ambassade:

—Mon cousin, il me semble que je ne vous ai pas aperçu à ma messe de mariage?

—En effet, ma cousine; je l'ai bien regretté, mais, figurez-vous que j'ai appris la bonne nouvelle à Pétersbourg. J'ai fait diligence pour revenir, comme bien vous pensez; mais, malgré tout mon bon vouloir, je ne suis arrivé à Paris que le lendemain de votre inauguration.

Le vicomte Paul de B..., étant du jury, reconnaît dans le président un ancien camarade de l'École de droit. Pendant les délibérations, il va lui serrer la main; grande joie des deux côtés.

—Te souviens-tu? Comme il y a longtemps!

—Hélas!

—Quand je pense à nos folies! Te rappelles-tu la Chaumière?

—Certes, répond le président avec regret, tout est changé.

—Ne m'en parle pas.

—Autrefois nous pardonnions aux coquines, et maintenant nous condamnons les coquins.

Deux petits animaux arrivés au Jardin d'acclimatation, deux chimpanzés, deux orangs-outangs, deux hommes des bois, je ne sais au juste comment on les nomme, ont été cause que la thèse désespérante de M. Littré a été remise sur le tapis.

Ces deux animaux ressemblent à des enfants, ils ont des mains comme les hommes et surtout des pouces.

Les singes ordinaires n'ont pas de pouces; donc si les orangs-outangs ont des pouces, ce sont nos pères.

Ils ont le visage comme des hommes, donc ce sont des hommes.

Une seule chose a semblé dérouter les savants. Ces deux animaux sont soignés par un matelot qui est pour eux une véritable mère; il leur prodigue tous les soins et les tendresses imaginables, et ces affreux singes se montrent pleins de reconnaissance envers lui.

Cette reconnaissance pour celui qui les nourrit jette les libres penseurs dans une grande perplexité.

«Ils sont reconnaissant, donc ils ne sont pas des hommes.»

Sans vouloir entrer ici dans une discussion qui ne servirait à rien, on peut pourtant poser une question bien simple:

Pourquoi les hommes descendraient-ils des chimpanzés, et pourquoi ne seraient-ce pas pas les chimpanzés qui descendraient des hommes?

Prendre un horrible animal et dire, voilà le père de l'humanité, est une proposition bien excessive.

Voici le père de l'humanité, c'est bientôt dit; mais cela se prouve plus difficilement. Si nous avons été orangs-outangs, pourquoi ne sommes-nous pas restés tels?

Qui a blanchi notre peau, qui a fait tomber notre fourrure, qui a allongé nos nez, qui nous a donné la parole et tant d'autres vices? la civilisation! C'est absurde. C'est toujours le vieux problème des gamins:

—La première poule vient-elle d'un œuf ou le premier œuf vient-il d'une poule?

On n'en saura jamais rien.

Peut-être serait-il plus simple de retourner la thèse, et de dire: le satyrus a été homme. La solitude l'a abâtardi, la nature a développé ses membres en faveur de ses besoins et lui a ôté une intelligence dont il n'avait que faire.

L'orang-outang, le satyrus, est un communard oublié à Nouméa par un gouvernement féroce, mais logique.

La guerre civile en Espagne continuait, en fournissant une série d'originalités qui feraient la joie d'un chroniqueur qui aurait le courage de rire au milieu de tant de tristesse.

Pour cette fois, j'en prends une que le cœur le plus sensible ne saurait passer sous silence.

La scène se passe à S... La population est en train d'enterrer son évêque.

Les républicains arrivent, la cérémonie est suspendue.

Les carlistes surviennent, qui chassent les républicains, la cérémonie continue.

Les républicains reviennent, qui chassent les carlistes, et, après avoir rossé les habitants, enterrent l'évêque... civilement!

Voyons, père Hyacinthe Loison, si le cœur vous en dit, ne vous gênez pas!

Le pauvre Henry Monnier s'éteignait. Un instant, ses parents et ses amis avaient espéré qu'il en serait quitte pour garder la chambre quelques jours. Après différentes phases, le mal persiste, et l'éternel rieur est cloué dans son lit; les jambes ne vont plus.

Monnier n'est plus jeune. Quand on lui demande son âge, il répond dans son style prudhommesque:

—A l'instar de M. Thiers, je suis né un an avant le siècle.

Le brave artiste a conservé son inaltérable gaieté; au milieu de ses souffrances les plus aiguës, il plaisante, il plaisante encore, il plaisante toujours.

Quand Monnier fut mort, bien des gens vécurent des bribes de ses festins.

Personne n'a inventé plus d'histoires drôlatiques et personne ne saurait raconter comme lui.

L'auteur de la Famille improvisée a beaucoup produit, et, naturellement, il a été beaucoup pillé.

Quelquefois il se plaint, mais sans amertume, des larcins de ses confrères.

—Je ne réclame jamais, dit-il; maintenant, j'y suis habitué; mais dans les commencements, c'était bien dur.

Un jour de plainte je lui demandais qui, le premier de lui ou de Balzac, avait fait les Employés.

—C'est moi, je suppose.

—Pourquoi supposez-vous?

—Parce que mes employés, à moi, ont paru dix ans avant les siens.

—C'est une preuve.

—D'ailleurs, tout le monde sait que l'histoire du pantalon noisette est de moi, je la racontais dans l'atelier de Gros.

—Alors Balzac vous a volé?

—Ah! celui-là, ça m'est égal; en mourant, il m'a laissé une lampe, la lampe avec laquelle il travaillait.

—Précieux souvenir!

—Oui, très précieux, et puis si tous ceux qui m'ont volé m'avaient donné une lampe, j'aurais pu faire une vente qui aurait attiré plus de monde que celle de mademoiselle Duverger, où il n'y avait que des diamants; et puis, ajouta-t-il mélancoliquement, une vente de lampes, ça ne se voit pas encore tous les jours.

Madame B... était la plus aimable personne du monde. Elle avait pour amis toutes les illustrations de son temps. Entre autres, Alexandre Dumas était un des familiers de son salon. Madame B... quittait tout pour entendre parler ce charmant et inimitable causeur.

Mais il arrivait quelquefois, rarement, mais enfin quelquefois, que l'auteur d'Antony n'était pas d'humeur parleuse. Ces jours-là, madame B... avait un secret pour le faire sortir de son mutisme; ce secret était des plus simples, elle lui disait:

—Cher monsieur Dumas, dites-moi donc la recette de ce fameux lapin à la Monte-Cristo que vous faites si bien.

Le maître, bien plus enchanté de cette justice rendue à son talent de cuisinier qu'il ne l'eût été d'une louange adressée à sa plus belle œuvre, ne se faisait pas prier, il racontait sa recette.

Il racontait est bien le mot. Une fois parti dans la description de son plat, il ouvrait mille parenthèses, dont chacune était une anecdote intéressante ou un de ces mots brillants qu'il jetait avec tant de prodigalité.

Un soir qu'après dîner madame B... employait sa petite ruse pour faire parler le célèbre romancier, Dumas fit cette réflexion assez sensée:

—Comment se fait-il? demanda-t-il, que vous me réclamiez si souvent la recette du lapin à la Monte-Cristo et que vous ne vous en fassiez jamais servir?

—Oh! répondit madame B... toute embarrassée, je vais vous dire: c'est que j'adore vous entendre parler et que je déteste le lapin.

On est en 1873; le maréchal de Mac-Mahon remplace M. Thiers.

Les partis se remuent.

Un duc disait à une altesse:

—Monseigneur, votre inaction est coupable, vous vous devez à la France.

—Quand la France voudra.

—Ah! monseigneur, où en serions-nous si votre aïeul Henri IV, de glorieuse mémoire, eût tenu un pareil langage? Que serait-il advenu s'il avait trouvé que Paris ne valait pas une messe, et qu'au lieu de venir mettre le siège devant la Porte-Neuve, il eût attendu patiemment qu'on le vînt chercher au fond du Béarn?

—Il serait advenu, monsieur, qu'au lieu de succomber sous le poignard de Ravaillac, mon aïeul serait mort d'une maladie de Pau.

Cette phrase, qui a l'air d'une abdication, aurait été longuement élaborée pour rallier ou railler M. de Tillancourt, le député aux jeux de mots.

Encore un mot d'Henry Monnier, mais inédit.

L'autre jour, il dînait dans une maison où l'on parlait, à propos d'art ou de bienfaisance, de sir Richard Wallace.

—Tiens! mais au fait, s'écrie Monnier; j'ai vu les fontaines de ce mossieu-là; j'ai même goûté de son eau.

—Comment la trouvez-vous?

—Les journaux en avaient-ils assez parlé, hein? Eh bien, entre nous, c'est de l'eau comme tout le monde.

Prenant pour modèle la Comédie-Française, qui ne vit que de reprises, je vais reprendre un vieux mot de médecin légiste qui est du dernier comique.

La révolution de 48 coupa en deux le succès d'un procès qui passionnait l'attention publique.

Dans une ville du Midi, une jeune fille de quatorze ans avait été trouvée assassinée derrière le mur d'une communauté.

Je ne veux citer ni les noms, ni l'endroit. C'est inutile.

La grande question des débats était de savoir comment la victime de deux crimes horribles avait été assassinée.

Les médecins prétendaient qu'elle avait été assommée à coup de pierre. L'instruction penchait à supposer que la pierre était étrangère à l'affaire.

—Monsieur le docteur, dit le président, avant de vous féliciter sur votre sagacité et sur la façon intelligente avec laquelle vous avez procédé, la cour désirerait avoir encore un renseignement.

—Je suis aux ordres de la cour.

—Vous souvient-il exactement de la conformation des blessures?

—Comme si je les voyais.

—Eh bien, réfléchissez et dites-nous si le crime que vous et vos confrères supposez avoir été commis avec l'aide d'une pierre, si le crime, dis-je, n'aurait pas plutôt été perpétré avec une paire de sabots?

Le docteur réfléchit deux minutes, l'auditoire entier palpitait. Enfin il leva la tête et répondit avec la meilleure grâce du monde:

—Mon Dieu, monsieur le président, la paire de sabots me sourirait assez.

Dans les fêtes de province et des environs de Paris, on montre des tableaux ou plutôt des groupes vivants. Les personnages doivent avoir l'air en marbre.

Maillots blancs, visage poudrés, cheveux en coton blanc, tout est blanc, excepté les mains.

La mort d'Abel est le sujet favori. On voit cet ignoble Caïn fuyant sans bouger de place; Abel est étendu, et, ce qui prouve bien qu'il est mort, c'est un écheveau de laine rouge qui lui sort de la poitrine et figure le sang: un ange suspendu maudit le meurtrier. La toile tombe, et l'enfant qui joue l'ange fait le tour de la société avec une sébile.

—N'oubliez pas l'ange, messieurs, mesdames; c'est mes petits profits.

Dialogue à la campagne:

—X... demande ma nièce en mariage.

—Ah!

—Oui. Je voudrais avoir des renseignements sur lui.

—C'est facile.

—Très facile. Je vais écrire au notaire de Berneville et au baron de K..., qui est son voisin et mon ami.

—Moi, à ta place, je ne me donnerais pas tant de peine, n'est-il pas un candidat au conseil général?

—Oui.

—Eh bien, fais-toi envoyer les deux journaux de la localité.

Un des thèmes favoris de Méry:—Figurez-vous, disait l'aimable conteur, que Bonaparte, en Égypte, se réveille un matin disant à Kléber:

—Si nous allions visiter les Pyramides de Cheops?

Kléber, qui était le meilleur garçon du monde, comme tous les gens doués d'une grande force physique, répond:

—Allons-y.

On arrive, et au moment de gravir la première marche on se trouve en face de deux officiers anglais.

Les officiers français, qui croient que le monde leur appartient, passent les premiers sans façon.

Les officiers anglais, qui sont pleins de morgue, leur barrent le passage.

On dégaîne: Kléber tue le sien, l'autre, qui n'est autre que Wellington, tue Bonaparte; qu'arrive-t-il?

—Ah diable!

—Eh bien il n'arrive rien du tout. Les pestiférés de Jaffa guérissent comme ils peuvent, Kléber revient en France et se retire à Strasbourg, où il fait tous les soirs sa partie de piquet avec Kellermann. Le fils de la liberté ne dévore pas sa mère. Fouché, qui veut devenir duc à tout prix, négocie avec l'abbé Montesquiou, Louis XVIII revient et tout marche comme sur des roulettes.

—Que de gloires perdues pour la France, s'écriait Georges Bell.

—Allons donc, reprenait Méry qui a eu le bonheur de mourir avant 1870, la France a toujours assez de gloire, mais voyez-vous la belle figure que feraient les anglais s'ils n'avaient pas gagné la bataille de Waterloo?

Henry Monnier dîne chez une dame. Au dessert, il sent une douleur traverser sa botte; il donne un coup de pied; on entend un chien aboyer.

La dame est furieuse.

—Médor vous aura mordu? dit-elle.

—Pas précisément.

—Il n'est pas méchant, c'est un jeune chien. Il n'a qu'une manie: il aime à mordre les chaussures.

Monnier regarde la dame amoureusement:

—Ce n'est pas là, dit-il, que je placerais mes affections.

Le peintre X.., qui ne vend pas sa peinture aussi cher que M. Bonnat, au contraire, se promenait l'autre jour avec un chapeau roussi par le temps et deux fois plus haut de forme que ceux qui sont de mode aujourd'hui.

—Qu'as-tu donc de changé! lui demanda un de ses confrères.

—Rien.

—Si. Ah! c'est ton chapeau; où diable as-tu acheté ce chapeau-là?

—Je ne l'ai pas acheté, répondit X..., tristement. Je l'avais déjà.

Il y avait dans le temps un brave professeur d'histoire qui avait la manie de souligner les faits les moins importants et de les admettre comme ayant eu une influence énorme sur la destinée du monde.

—Voyez, s'écriait-il quelquefois, voyez, messieurs, à quoi tient la destinée des empires!

—A un grain de sable! à un grain de sable! criait toute la classe.

—Vous l'avez dit. Supposons que Marat, qui était laid, chétif et malingre, ait prêté sa baignoire à Saint-Just qui était beau et entreprenant. Mademoiselle de Corday entre, elle s'étonne, regarde, contemple.

Elle se demande si c'est bien là le monstre dont on lui a parlé. Elle n'en peut croire ses yeux, elle chancelle.

Saint-Just, comprenant ce qui se passe dans le cœur de cette femme sensible, s'élance à ses genoux.

Ici, messieurs, je glisse sur un tableau dont la grâce n'est pas à la portée de vos âges.

Le bonhomme reprenait:

—Ah! messieurs, la Providence ne voulut pas qu'une erreur semblable pût se produire; elle en avait d'avance calculé les résultats déplorables.

Non, la Providence ne voulut pas que Saint-Just réclamât ce léger service de son collègue. Non, elle voulut, au contraire, que le tigre buveur de sang fût justement indisposé ce jour-là, et qu'une vierge qu'elle avait choisie délivrât la France de ce monstre, comme autrefois Jeanne d'Arc la délivra de la présence de l'anglais.

Cette manière d'envisager l'histoire faisait la joie de la petite ville où était le collège royal où ce brave homme enseignait l'histoire. On riait de lui, mais on ne s'en plaignait pas autrement, et rien n'allait plus mal.

—Supposez un professeur professant différemment, il dira à ses élèves:

—Hein! mes enfants, si Marat avait été un gaillard pourtant, tout ça ne se serait pas passé comme cela; on en aurait vu de drôles.

Eh bien ensuite? Qu'est-ce que cela fera? Dites-moi un chrétien qui ait appris l'histoire au collège.

Voici une historiette vraie qu'on pourrait intituler: Les Parisiennes en 1873.

Je la transcris comme un spécimen de nos mœurs bizarres.

C'est à la gare de Trouville. Deux dames montent en wagon, on les prendrait pour les deux sœurs, tant leurs toilettes sont pareilles: robes en velours anglais feuille d'ortie; chapeaux, ceintures, gants et gibernes de même forme et de même couleur. Ces dames ne se connaissent pas, le hasard n'est cependant pour rien dans la similitude de leur toilette: c'est la couturière qui a fait la plaisanterie.

L'une de ces deux lionnes est madame ***, une veuve consolable; l'autre, une comédienne qui ne manque ni de talent ni de distinction. Comme les deux dames se regardent en souriant, un jeune avocat s'élance en voiture avec tout l'entrain d'un jeune monsieur qui se promet un voyage agréable.

Le train n'est pas plus tôt en route, que l'éloquent jeune homme cherche à entamer la conversation. Après différents efforts, il accouche de la turpitude suivante:

—Ces dames viennent de Trouville?

—Nous y allons, répond la comédienne.

L'avocat croit avoir mal compris, il reprend:

—Il me semble, mesdames, avoir eu l'honneur de vous voir quelque part?

—Ce n'est pas étonnant, dit la jolie veuve, nous y étions encore hier soir.

Maître O... comprend et se tait.

Après un long silence, les dames roulent une cigarette et se mettent tranquillement à fumer. L'émule de Démosthène pâlit, sue à grosses gouttes, il va se trouver mal, le tabac lui est antipathique.

—Ah! mon Dieu, s'écrie l'une des dames, la fumée vous incommode?

—Oui... non... merci.

—Heureusement, fait l'autre, voici la station, monsieur va pouvoir monter dans le compartiment des hommes seuls.

Les deux belles voyageuses firent-elles plus ample connaissance? C'est ce qu'on ne saurait dire. Toujours est-il que le hasard les faisait se rencontrer le surlendemain à l'Opéra dans le couloir des premières. Les messieurs qui leur donnent le bras se connaissent et se saluent; à l'entr'acte, ils se retrouvent et vont causer au foyer. Pendant ce temps, les deux dames se rapprochent, et l'une dit à l'autre:

—Il paraît que nos amis sont des amis?

—Oui, très amis.

—Dites-moi, chère madame, faites-moi donc le plaisir de ne pas dire à X... que nous nous connaissons, il serait capable de croire que je cabotine; il est si bizarre!

—J'allais vous faire la même prière: que R... ne sache jamais que je vous connais, il croirait que je vais dans le monde, et il ne me le pardonnerait pas.

Un mot! un mot!

En voici un de M. Prudhomme qui est assez joli pour avoir été dit.

Dans un musée, le petit Prudhomme demande à son père:

—Qu'est-ce que c'est que cet homme couché?

—Mon fils, c'est le patriarche Noë qui a oublié les lois de la sobriété.

—Pourquoi lui a-t-on mis cette feuille de vigne?

—Parce que c'est un ivrogne.

Dans la salle des Pas-Perdus:

1er Prudhomme.—Ne me parlez pas de ces démagogues.

2e Prudhomme.—J'aime à m'égayer à leurs dépens.

1er Prudhomme.—Égayez-vous, voyons!

2e Prudhomme.—Ce gros que vous voyez là-bas, c'est le député en question.

1er Prudhomme.—Il en a bien l'air.

2e Prudhomme.—L'autre, c'est le député qui fait la cour à sa femme.

1er Prudhomme.—C'est son ami?

2e Prudhomme.—Parbleu!

1er Prudhomme.—Et il a réussi?

2e Prudhomme.—Au delà de ses désirs.

1er Prudhomme.—C'est beaucoup.

2e Prudhomme.—Ce qu'il y a de plus drôle, c'est que la dame les trompe tous deux.

1er Prudhomme.—Pas possible.

2e Prudhomme.—Aussi vrai que le ciel nous éclaire.

1er Prudhomme (regardantes deux promeneurs avec dédain).—Et quand on pense que ce sont de tels hommes qui veulent nous gouverner!

Levallois et Clichy ne sont point habités par l'élite de la noblesse française; une foule de maraudeurs y commettent des attentats sur les propriétés et sur les personnes.

Dernièrement, un de ces rôdeurs rencontre le facteur de la poste dans un endroit désert:

—Toi tu vas me payer à boire, fait le bandit.

—Impossible, je n'ai pas le temps.

—Ça ne te dérangera pas, je n'ai pas besoin de toi pour boire.

—Alors, allez boire tout seul.

—Et de l'argent?

—Je n'en ai pas.

—Et dans ta boîte?

—C'est celui de l'administration; on n'y touche pas.

—C'est ce que nous allons voir; si tu n'aboules pas ton sac de bonne volonté, je te crève la... peau; foi de Badouillard.

—Badouillard! s'écrie le facteur, attendez donc... Badouillard... J'ai une lettre chargée pour vous.

Le comte D..., grand défenseur du trône et de l'autel, grand chasseur devant l'Éternel et auprès des gens d'esprit, a étonné Paris, non pas de ses fredaines, comme beaucoup de ses semblables, mais par la magnificence de ses fêtes artistiques et splendides; vous savez de qui je veux parler.

Ce comte D. était amoureux.

La femme aimée s'appelait Marie; le mois de mai allait sonner; le comte s'imagina de faire célébrer, dans la chapelle de son château du Nivernais, le premier jour du mois de la Vierge avec une pompe dont ses voisins de campagne et ses tenanciers garderaient la mémoire.

La chapelle était tendue comme pour les plus grands jours. Charlotte Dreyfus, l'incomparable artiste, avait bien voulu tenir l'orgue; des chanteurs étaient venus tout exprès de Paris, l'encens brûlait, les fleurs jonchaient la terre; rien de plus beau et de plus édifiant.

La bannière de la Vierge, portée et suivie par des enfants de chœur, somptueusement vêtus et couronnés de fleurs, est promenée triomphalement dans la chapelle. La procession s'arrête devant le banc seigneurial, et l'assemblée entonne pieusement le cantique:

Reine des cieux,
Nous chantons tes louanges.

Le comte, recueilli, prie la tête inclinée; l'assistance, émue, goûte les ineffables joies du recueillement.

Mais voilà qu'une fleur caresse le front du comte.

Cette fleur c'est une marguerite.

Cette marguerite est sur une couronne; la couronne est sur la tête d'un enfant de chœur.

Que ce passa-t-il entre cette fleur et le comte?

Des choses inouïes, sans doute, car le comte, oubliant tout ce qui l'entourait, se mit à tirer l'un après l'autre les pétales de la pauvre fleur.

L'enfant lève la tête.

—Ne bouge pas, ou je te flanque une calotte!

Le gamin, qui sait son seigneur sur le bout du doigt, ne bronche plus, et se met à crier:

Protégez-nous, reine immortelle.

"Le comte tire toujours:

—Elle m'aime—un peu—beaucoup—passionnément—pas du tout—elle m'aime—un peu—beaucoup!

Il n'est que le divorce qui supprimera une plaie de notre temps, assez connue pour que je n'aie pas besoin d'insister davantage.

L'autre soir, on devisait sur le divorce à la soirée de M. de B.....t.

Les hommes étaient contre, les femmes pour.

—Mesdames, dit un fort brillant causeur, M. de X..., qui a la plus ravissante femme du monde et qui a été préfet de l'empire, on ne peut avoir tous les bonheurs; mesdames, permettez-moi de vous conter un fait qui est la condamnation du divorce.

Le silence se fit, M. de X... continua:

—Une femme la plus charmante, la plus vertueuse, la plus douce du monde, avait épousé un gentilhomme de fort grande maison, le marquis de Trois-Étoiles.

—Oh! mon cher comte, dites les noms, de grâce, fit la maîtresse de la maison.

—Impossible, madame.

—C'est donc scandaleux, ce que vous aller nous raconter là?

—Mais non, au contraire.

Un léger désappointement se manifesta dans l'assemblée; le conteur poursuivit:

—L'union fut heureuse; un beau matin, et sans qu'on sût pourquoi, les époux divorcèrent, et la marquise, un an après, épousait un diplomate étranger, le comte de Quatre-Étoiles. Pendant cinq ou six ans, le bonheur habita avec M. de Quatre-Étoiles et sa femme, mais voilà qu'apprenant que la loi sur le divorce allait être supprimée, la comtesse fit tant des pieds et des mains qu'elle obtint de divorcer une seconde fois.

Ici le conteur s'arrêta pour jouir de la surprise des assistants. Un sourire indécis parcourut le côté des hommes; le côté des dames ne sourcilla pas.

—Après? demanda la maîtresse de la maison.

—Après, la comtesse se remaria une troisième fois.

—Jusqu'à présent votre histoire n'a rien d'extraordinaire, et on ne comprend guère que vous ayez caché les noms.

—Patience, mesdames; maintenant je vous donne en cent, je vous donne en mille, comme disait cette femme qui écrivait tant de lettres, à deviner qui la comtesse épousa en troisième noces?

—Son premier mari! s'écrièrent toutes les femmes.

—Oh! c'est une trahison! mesdames, vous saviez mon histoire et vous me la laissez dire, ce n'est pas charitable.

—Nous ne savions pas votre histoire du tout; mais la comtesse ne pouvait épouser que son premier mari, dit une très jeune femme, ça tombe sous le sens commun.

—Alors, reprit le comte, si c'est aussi naturel que vous le voulez bien dire, je ne vois pas la nécessité de taire plus longtemps le nom de la belle divorcée: c'était la marquise de L.., mère du prince de S. actuel.

On disait à tort que l'opinion publique voyait tout avec indifférence. La maladie de M. Thiers l'avait fort alarmée; aussi est-ce avec satisfaction qu'elle a appris son rétablissement et lu dans les feuilles publiques que M. le Président de la République avait dîné avec les docteurs Barthe et Maurice.

—Deux médecins à la fois! s'écriait un fanatique. On ne dira pas qu'il a froid aux yeux celui-là!

FIN


TABLE

  Pages
PRÉFACE (Jules Noriac) 1
PARIS TEL QU'IL EST
UNE DÉPÊCHE TÉLÉGRAPHIQUE 1
UN REPORTER 7
LES MANGEURS DE NEZ 14
JADIS ET AUJOURD'HUI 19
LES DEUX GENDARMES D'URI 24
L'HOMME AU SOU 27
UNE RÉVOLUTION POUR LES FEMMES 30
PETITS MYSTÈRES DE LA CLAQUE 33
GUERRE ENTRE LES DEUX FAUBOURGS 44
LE NÉCROLOGISTE 49
UN PEU DE HIGH LIFE 62
LES PETITS OISEAUX 67
LA ROSIÈRE DES BATIGNOLLES 70
LA ROSIÈRE DE SURESNES 75
ACTRICE ET GRANDE DAME 77
UN THÉATRE DE L'AVENIR 81
LES FAUX PAUVRES 83
TABLEAUX VIVANTS 91
LE MURILLO VOLÉ 94
UNE HISTOIRE DE GENTILHOMME 96
LE JEU 104
LES FOLLES 110
LA QUESTION DES DIAMANTS 120
PETITS BONHEURS DU DEUIL 140
SCÈNES DE LA VIE BALNÉAIRE 145
COMMENT ON DISCIPLINE LES MUSICIENS 151
PARIS EST-IL UN GARGANTUA? 155
UN DUEL RUSSE 160
FAUX NOBLES ET CHAUVES 163
UN MARCHAND DE TABLEAUX 167
TÉMOIN DE TOUT LE MONDE 170
COMÉDIENS ERRANTS 172
L'ÉDUCATION D'UN VICOMTE 177
FIGURES CONTEMPORAINES
LOUIS PHILIPPE ET MARIE AMÉLIE 183
LE DUC DE BRUNSWICK 188
A PROPOS DU SHAH DE PERSE 196
THÉODORE BARRIÈRE 201
PEPITA SANCHEZ 205
HENRI MÜRGER 208
LES AMIS D'HENRY MÜRGER 210
NAUNDORFF 222
JULES JANIN 225
FÉLIX PIGEORY 228
BERTALL 230
LISE TAUTIN 232
ARMAND BARTHET 234
MYSS AMY SHERIDAN 241
ALFRED QUIDANT 245
EDMOND VIELLOT 248
MICHELET 248
LOUIS D'AVYL 259
LA REINE POMARÉ 266
MADAME THIERRET 270
EN FUMANT UN CIGARE 273

Imprimeries réunies, B.


JULES NORIAC

Quoiqu'il ait succombé à trois années de souffrances sans nom, Jules Noriac, on peut le dire, a été surpris par la mort. Encore jeune, plein de vigueur, étant demeuré jusqu'à la dernière minute maître de la plénitude de son vif esprit, il a pu espérer une guérison qu'on ne cessait de lui promettre. Mais le mal implacable qui était tombé sur lui avec la rapidité d'un coup de foudre a fini par rendre impuissants tous les efforts de la science, et ce vaillant conteur s'est éteint quand il se sentait encore la force de bien tenir la plume qui a écrit tant de belles choses.

Au milieu des angoisses de la dernière heure, Jules Noriac avait surtout un amer regret; c'était de ne pouvoir achever plusieurs œuvres commencées. Un grand roman, des pièces de théâtre, des souvenirs anecdotiques, tout cela pour arriver à bonne fin n'attendait plus qu'un retour à la santé. Mais, encore une fois, il s'était leurré d'un faux espoir: l'ouvrier, à son insu, avait fini sa journée.

Cependant, puisqu'il ne lui était plus permis de songer à terminer la tâche qu'il s'était tracée, il voulut, du moins, laisser un dernier souvenir aux siens, un dernier livre à ce public qui l'a tant encouragé à ses débuts. Il s'agissait d'une gerbe de petites Nouvelles ayant paru dans des recueils littéraires, de Saynètes qui n'ont été jouées que dans quelques salons et de ces Esquisses de mœurs parisiennes dont il faisait le tissu de ses chroniques.

Ces pages éparses, Jules Noriac a légué à l'un de ses amis le soin de les rassembler. C'est de ces divers morceaux qu'est formé ce volume. On pourra voir que le charmant écrivain est là-dedans tout entier. Tout le monde, en effet, y retrouvera sans peine l'ironie toute parisienne de la Bêtise humaine et la verve si amusante du Cent-et-unième.

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6   »
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JOHN BULL ET SON ILE
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LE THÉÂTRE CHEZ MADAME
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GEORGES PICOT
M. DUFAURE, SA VIE, SES DISCOURS
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LES CORRESPONDANTS DE J. JOUBERT
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SOUS LES CHÊNES VERTS
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Note de transcription:

  • Ce livre reproduit intégralement le texte original, et l’orthographe d’origine a été conservée. Cependant quelques erreurs typographiques ont été corrigées. La liste de ces corrections suit. La ponctuation a également fait l'objet de quelques corrections mineures.
  • Corrections
    • p. 15 : de de → de (… de ces épouvantables exceptions….)
    • p. 17 : Bifteack → bifteck (… nous aurions mangé des bifteck d’assassins.)
    • p. 17 : envoyers → envoyer (… pour nous envoyer leurs coqs….)
    • p. 26 : sonveraine → souveraine (… l’Assemblée souveraine supprima….)
    • p. 27 : inconvévénients → inconvénients (… présente de graves inconvénients.)
    • p. 34 : acidents → accidents (… un de ces mille accidents….)
    • p. 48 : Pearage → Peerage (… un membre du Peerage enfin épousé….)
    • p. 98 : avait → avaient (… que ses parents avaient dépensé….)
    • p. 111 : professsionnel → professionnel (… le grand mot de secret professionnel….)
    • p. 112 : rrrrien → rien (…inhumés pour rien, pour rien!.)
    • p. 115 : quinzaines → quinzaine (Il y a une quinzaine d'années….)
    • p. 128 : valeurs → valeur (… tous les diamants de valeur,…)
    • p. 130 : chambres → chambre (… les femmes de chambre sont,…)
    • p. 139 : scapel → scalpel (… son scalpel à la main;…)
    • p. 152 : thâtre → théâtre (Jamais le théâtre de la Gaîté….)
    • p. 153 : qu'à la la → qu'à la (… qu'à la trente-quatrième mesure….)
    • p. 154 : attrappé → attrapé (je vous ai attrapé n'est-ce pas,…)
    • p. 154 : attrappais → attrapais (… si je ne vous attrapais pas vertement,…)
    • p. 157, 158 : Garguantua → Gargantua p. 157 : (Si ce Gargantua n'existait pas,…) p. 158 : (Paris a une réputation de Gargantua….)
    • p. 161 : vous → nous (…nous venons de la part du prince S... aff….)
    • p. 166 : Uue → Une (Une jeune fille riche….)
    • p. 189 : d'uu → d'un (… d'un éclat inouï….)
    • p. 199 : racommoder → raccommoder? (… et se mit à raccommoder la tunique endommagée….)
    • p. 211 : manisfesta → manifesta (…Un mieux sensible se manifesta….)
    • p. 214 : Cet → Cette (Cette horrible perspective de dormir….)
    • p. 216 : Wromski → Wronski (… la philosophie nébuleuse d'Hoëné Wronski….)
    • p. 217 : symphathique → sympathique (La physionomie la plus sympathique…)
    • p. 217 : Jourdan → Jourdain (comme M. Jourdain faisait de la prose,…)
    • p. 218 : Barbarra → Barbara (En compagnie du pauvre Barbara….)
    • p. 218 : vioncelle → violoncelle (… Champfleury qui jouait du violoncelle,…)
    • p. 226 : à → au (… l'on ne peut dire au revoir,…)
    • p. 226 : UN MILLLION → UN MILLION (… soit UN MILLION….)
    • p. 233 : finit → fini (… quand elle eut fini cette nomenclature,…)
    • p. 234 : v raie → vraie (… la vraie vérité, la voici:…)
    • p. 235 : exe mplaire → exemplaire (… Il prit cet exemplaire en grippe,…)
    • p. 235 : quatres → quatre (… Trois ou quatre jours après,…)
    • p. 252 : ex-crétaire → secrétaire (… les souliers de son secrétaire….)
    • p. 264 : celle → celles (… un avantage sur celles du bonhomme,…)
    • p. 268 : le le → le (… le langage des sujets….)
    • p. 288 : nourit → nourrit (… pour celui qui les nourrit….)
    • p. 296 : prove → prouve (… ce qui prouve bien qu’il est mort…)
    • p. 300 : suppossez → supposez (Supposez un professeur professant….)
    • p. 301 : tranquillemeut → tranquillement (… et se mettent tranquillement à fumer….)
    • p. 304 : françaisse → française (… l'élite de la noblesse française ;…)
    • p. 308 : comtessse → comtesse (… mais la comtesse ne pouvait épouser….)
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