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Quand la terre trembla

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TROISIÈME PARTIE

I
LES PLUS BEAUX DE NOS JOURS

L’hiver passa. La ville fut agitée. De grands mouvements — craintes, espérances — la secouèrent. A la fin de février, les Allemands approchaient. Déjà ils étaient à Pskof, à quelques heures par chemin de fer de Pétrograd. Viendraient-ils sauver les malheureux qui mouraient de peur, de froid, de faim ? Au camp des bolchéviques, la panique régnait. Les chefs s’étaient enfuis à Moscou et suppliaient, à coups de télégrammes, les Empires centraux de signer la paix, n’importe quelle paix. Trotski avait démissionné. Séméonof l’avait suivi dans sa retraite. Il était à Moscou, lui aussi, intriguant dans les cercles des Soviets, plus passionné encore de pouvoir depuis qu’il l’avait perdu.

Savinski l’avait vu partir sans regret. Il ne pouvait plus supporter la tyrannie occulte qu’il avait senti peser sur lui.

Lydia et Savinski bénéficièrent du trouble de la cité. La police bolchévique, prise par le déménagement de ses dossiers à Moscou, ne mettait plus la même ardeur à traquer les particuliers. Il y eut ainsi comme une trêve où ils vécurent l’un pour l’autre dans un isolement presque complet. Ils se voyaient chaque jour, déjeunaient et dînaient plusieurs fois la semaine à deux, et parfois Lydia s’arrangeait pour passer la nuit chez son amant. Il avait maintenant un second appartement à sa disposition par le départ précipité d’un de ses amis, locataire d’un logement agréable sur la Fontanka. C’était là, le plus souvent, qu’il recevait la jeune fille, par l’extrême commodité d’une solitude que personne ne viendrait rompre, par le charme d’une précaire sécurité. Les fenêtres donnaient sur le canal de la Fontanka, en face du jardin qui borde la rive droite, au-dessus de l’ancien palais de Paul Ier. Le dégel était venu tôt cette année-là. Les rues, mal entretenues et peu balayées pendant l’hiver sous l’administration bolchévique, étaient transformées en lacs boueux. Lydia sautait de pavé en pavé comme une bergeronnette et riait de voir patauger son amant plus lourd. Lorsqu’il y avait du soleil, il emplissait la chambre où se tenaient l’après-midi Lydia et Savinski. Il se couchait dans leurs fenêtres au ras des arbres non encore feuillés sur l’autre rive. Il venait alors caresser de ses derniers rayons le lit où ils étaient étendus et faisait resplendir l’or des cheveux dont la tête de la jeune fille était nimbée. Savinski la regardait. La chair blonde de son corps prenait la transparence d’un marbre antique pétri de lumière.

— Reste immobile, disait-il. Il semble que Vénus adolescente, avant qu’elle ait tenté le désir des dieux et des hommes, soit venue partager ma couche. Ne bouge pas, je t’en supplie. Laisse-moi te contempler.

Lydia n’aimait pas cette immobilité ordonnée et ne la gardait que pour plaire à son amant. Mais celui-ci était le premier à s’en lasser.

— Petite déesse, disait-il, êtes-vous endormie ? Ne m’aimeriez-vous plus, par hasard ? Voulez-vous me dire par quel ordre des Immortels vous êtes venue dans cette froide Scythie au moment où les hommes y sont en proie à une crise de folie triste et furieuse !

— Uniquement pour vous satisfaire, répondait Lydia, se relevant et lui faisant un beau salut. Uniquement pour que vous puissiez prendre votre plaisir avec moi, mon maître, jusqu’au jour où vous en aurez assez de ma personne et me renverrez d’où je suis venue.

Et d’autres jours elle disait, couvrant son amant de caresses :

— Je ne comprends pas encore comment tu peux m’aimer. Je ne suis qu’une petite fille, après tout, ignorante et maladroite. Je suis sûre que tu te moques de moi quand je t’embrasse… Que sais-je ? En vérité, rien. Comme je dois te paraître insipide… J’enrage quand j’y pense. Dépêche-toi de m’apprendre tout pour que je ne rougisse pas devant toi.

Et, d’autres fois, elle chantait les louanges de son amant :

— Tu es comme un rocher, disait-elle. C’est la première impression que j’ai eue de toi… te souviens-tu ? devant l’hôtel de l’Europe au jour où l’on a tiré sur Nevski. Autour de toi les gens fuyaient en trombe. Mais tu étais immobile, comme fixé au sol. Je suis venue tomber à tes pieds et j’y suis restée. C’est ma véritable position devant toi. Je tremblais de peur, mais, dès que tu m’as relevée, la peur a disparu. Je sentais que tu avais été créé pour me protéger… Et tu es beau !… (Savinski se prit à rire.) Oui tu es beau, ce n’est pas parce que je t’aime que je parle ainsi. Je l’ai vu tout de suite et, maintenant encore, sois sûr que je puis aussi te regarder objectivement… Tu as la beauté qu’un homme doit avoir. Lord Douglas est ravissant ; mais c’est un enfant. Peut-on se donner à un enfant quand on est une petite fille soi-même ? Tu es arrivé, juste pour moi, à ton heure de perfection…

— Avec beaucoup de rides, interrompit Savinski.

— Des rides ! dit Lydia en colère, qui oserait dire que tu as des rides ! Ce sont les traits qui accentuent ta beauté et lui donnent le caractère que j’aime en toi.

— Ne me parle pas ainsi, dit Savinski en la pressant dans ses bras. Mon bonheur est trop grand. C’est un défi aux dieux.


Une après-midi, comme ils prenaient le thé dans l’appartement de la Fontanka et que leur conversation passionnée revenait sur les débuts de leur liaison, ils évoquèrent les premiers jours de la révolution bolchévique. Savinski, qui avait souvent pensé à la fin tragique du cousin de Lydia et à la longue retraite de la jeune fille, éprouva une irrésistible envie de savoir ce qu’il y avait eu entre les deux jeunes gens. Lydia l’avait-elle aimé ?… Mais il craignait de réveiller une douleur endormie dans le cœur de la jeune fille et, tournant autour du sujet, n’osait l’aborder directement. Le nom de Paul ayant été prononcé, Savinski s’informa auprès de Lydia du caractère de son cousin. Et longtemps la jeune fille ne répondit que par des phrases brèves. Peu à peu, cependant, le voile se levait. La figure de Paul se dessinait plus nette et, finalement, Lydia, reprise par l’émotion ancienne, raconta à Savinski ce qu’avait été pour elle la mort de son cousin.

— Paul, dit-elle, était un enfant encore, il avait gardé une âme merveilleusement pure et droite. Il était incapable d’une lâcheté, même d’une faiblesse… Il m’aimait ; je l’aimais aussi, mais d’une autre manière, comme un frère. Il en avait beaucoup de chagrin… Je ne sais pourquoi, mais je n’étais pas toujours très bonne avec lui. Je connaissais mon pouvoir et quelquefois j’en abusais. Je voulais que Paul m’obéît en tout ; je ne supportais pas de trouver en lui une résistance… Et puis, vois-tu, à ce moment-là, j’étais encore une très petite fille ; je ne me rendais compte de rien, sauf de l’envie constante que j’avais de te voir, toi… J’étais sotte pour toutes choses ; je traversais les jours de la révolution sans les comprendre. Tu te souviens, du reste, tout cela me paraissait un spectacle que je regardais du dehors, mais où rien de moi n’était mêlé… Et voilà qu’éclata soudain ce coup de tonnerre : l’assaut du Palais d’Hiver où Paul était enfermé. Je te l’ai dit alors, je crois. L’idée que Paul pouvait être tué, si près de moi, me bouleversa. Ce n’est qu’à ce moment-là que je sentis le prix de la vie humaine, de la sienne qui était en jeu à cette minute, de la tienne, de la mienne qui pouvaient être menacées le lendemain… J’ai vécu en quelques heures des années, et ce que j’ai pensé alors a eu une grande influence sur ce qui nous est arrivé, à toi et à moi, depuis… Tout cela, je crois que tu l’as deviné il y a longtemps, toi qui sais tout ce qui est en moi… Mais la fin même de mon cousin est arrivée dans des circonstances intolérables. J’avais décidé de le faire évader ; tout était arrangé. Il pouvait sans peine quitter l’école. Je lui en avais fourni les moyens… Mais ce que tu ne sais pas, c’est que Paul a refusé de partir. Il m’a écrit une longue lettre — que je n’ai plus, hélas ! je l’ai brûlée dans un premier mouvement de colère — pour m’expliquer qu’il devait partager le sort de ses camarades… Je me suis fâchée, j’étais irritée contre lui, je lui ai répondu que, s’il ne m’aimait pas assez pour faire sans discuter ce que je lui demandais, je ne tenais plus à le voir… C’est la dernière lettre qu’il a eue de moi, le pauvre petit… Je suis sûre qu’au moment où on l’a tué, c’est à moi qu’il a pensé. Il est mort comme un courageux garçon, mais le cœur déchiré à l’idée que je ne l’aimais plus… Et cela m’a fait tellement de peine que je ne me le pardonnai pas… J’ai cru que je ne pourrais pas vivre. J’étais seule au monde… Tu étais parti pour la Finlande, naturellement… Comme je détestais déjà tes voyages en Finlande !… Puis, j’ai réfléchi beaucoup. Toutes les pensées que j’avais eues, rapides comme des éclairs, le soir de la prise du Palais d’Hiver, se sont développées, ont éclairé des parties de moi restées obscures… Je voyais la vie comme une chose tout à fait nouvelle. C’est très difficile à t’expliquer… Et, un jour, j’ai éprouvé le besoin de sortir de mon isolement et de te revoir. Je n’étais plus la même. J’avais été malade et, tout à coup, la maladie s’est épuisée, j’avais envie d’être heureuse, passionnément ; j’avais tout oublié ; je sentais que je n’avais plus de temps devant moi, qu’il fallait se hâter, que mes jours seraient brefs… et voilà, je suis venue chez toi.


Ils vécurent ainsi quelques mois dans un comble de félicité. Tout conspirait à entretenir l’enchantement de l’heure présente. S’ils pensaient aux dangers courus, ils se souvenaient qu’ils les avaient partagés, et l’évocation des jours périlleux traversés ensemble leur rendait plus chère la tranquillité dont ils jouissaient. Ils ne songeaient pas à l’avenir. L’avenir, pour eux, était leur prochain rendez-vous. Leur ivresse était si profonde qu’ils ne faisaient aucun projet. Qu’arriverait-il d’eux ? Ils ne se le demandaient pas. Libre à ceux qui se meuvent dans des sociétés régulières, ordonnées, faites pour durer, de se projeter dans le futur et de calculer ce que sera leur existence dans six mois ou dans un an. Pendant le tremblement de terre qui secouait la vieille Russie, qui aurait été assez fou pour se soucier de ce que serait demain ? C’était aujourd’hui qu’il fallait vivre. Le sentiment de l’au jour le jour de leur bonheur lui donnait quelque chose de plus précieux. Les tares inévitables d’un amour qui se développe dans la sécurité leur étaient épargnées. Ils ne connaissaient ni les querelles que l’oisiveté fait naître, ni les tracas d’une liaison mêlée au monde et qu’il faut lui cacher, ni l’ennui qui accompagne la satiété, ni ces heures mortes qui naissent parfois dans la certitude d’une possession que rien ne menace. Chaque minute avait son prix car ils sentaient obscurément qu’elle pouvait être la dernière et qu’il fallait épuiser en elle un infini de passion. La nature âpre de Pétrograd leur souriait. Le printemps était en avance, cette année-là. Les jours grandissaient ; la lumière peu à peu s’emparait du ciel plus intense et plus clair, et des souffles d’une incroyable douceur passaient sur les branches encore mortes des arbres, réveillaient la sève endormie dans leurs troncs et apportaient de confuses espérances au cœur des hommes.


Cependant la crise de politique extérieure se calmait. La paix avait été signée. Les Allemands qui avaient pensé un jour à intervenir dans les affaires intérieures de la Russie, ainsi que le manifeste de Léopold de Bavière l’avait fait entrevoir, avaient renoncé à leur projet. Lénine allait pouvoir développer à plein son programme communiste et faire de la guerre civile une sanglante réalité. Partout on poursuivait les hommes en vue de l’ancien régime ou de la première phase de la révolution ; on les emprisonnait ; on commençait à en fusiller sans jugement un grand nombre. A Pétrograd, Mark Salomonovitch Ouritski, chef du service des recherches pour la contre-révolution, avait reçu des pouvoirs absolus et déployait une grande activité. Il ne se passait pas de jour qu’on n’apprît l’arrestation de quelques gens notoires.

Le salon de Nathalie Choupof-Karamine avait passé d’un excès de joie à l’idée que les Allemands allaient rétablir l’ordre en Russie, à un extrême de désespoir en voyant qu’ils s’immobilisaient à deux cents verstes de la capitale. Il retentissait des gémissements que les quelques fidèles qui lui restaient poussaient en chœurs alternés. La maîtresse de la maison avait fait une double perte qui lui avait été sensible. Le lord Douglas était parti pour l’Angleterre avec son ambassadeur et Séméonof avait quitté Pétrograd pour Moscou.

Elle était privée ainsi de la présence chez elle d’un membre du corps diplomatique qui la préserverait, croyait-elle, des perquisitions bolchéviques. Il est vrai que, depuis l’incarcération de M. Diamandi, ministre de Roumanie, les dictateurs terroristes avaient montré qu’ils ne faisaient pas grand cas de l’immunité diplomatique. D’autre part, l’absence de Séméonof lui enlevait un allié secret, mais puissant. Pourtant Ivan Choupof-Karamine et sa femme supportaient mieux que leurs amis la misère des temps. Le gros homme, toujours blême, restait gouailleur et Savinski se demandait quelle était la cause cachée de leur assurance. Il les voyait peu maintenant. Le rôle des Choupof-Karamine avait quelque chose d’inexplicable et de louche. Il jugeait prudent de faire attention aux propos qu’il tenait devant eux. A des occasions rares, le soir, il s’y rencontrait avec Lydia, lorsqu’il ne pouvait la voir autrement.

Il était plus souvent chez le prince Serge, qui le faisait appeler constamment et semblait ne pouvoir se passer de lui ; une étrange intimité était née entre eux. Lydia était le lien secret qui les unissait et parfois Savinski se demandait avec étonnement si Lydia n’avait pas raison lorsqu’elle pensait que son père voyait beaucoup plus loin en elle qu’on ne l’imaginait. En fait, il ne lui parlait guère que de sa fille. Elle était le thème constant de leurs conversations. Il n’avait jamais un mot de regret sur le mariage manqué avec lord Douglas. Au contraire, il paraissait heureux que Lydia eût refusé le jeune Anglais.

— Je savais bien, disait-il avec une joie qui perçait dans ses propos, qu’elle n’accepterait pas ce garçon, si beau qu’il fût. C’est ma fille, je la connais… Elle ne fera jamais rien de médiocre.

Et il regardait son interlocuteur bien en face, comme pour chercher son approbation.

Un autre jour, il fut plus explicite.

— Je pense que vous comprenez bien ce que je veux dire… Je garde ma fille près de moi, j’en suis fier ; je la garde jusqu’à la fin qui viendra quand Dieu voudra… Ne croyez pas que c’est l’égoïsme qui me fait parler ainsi. Je ne m’occupe pas de moi, mais d’elle seule… Je sens, et je ne me trompe pas, qu’aujourd’hui Lydia est heureuse… Comment est-ce que je le sais ? C’est difficile à dire. Peut-être les gens malades comme moi et qui vivent en face d’eux-mêmes voient-ils des choses qui restent cachées pour les autres ?… Et puis, Nicolas Vladimirovitch, il y a plus encore… Il me semble que beaucoup de questions s’éclairent aujourd’hui à mes yeux… Oui, lorsqu’on est près de sa fin et qu’on assiste, comme nous, depuis un an, à la chute d’un monde, la vie se montre peu à peu différente de ce qu’elle nous apparaissait, plus simple en fait… Je crois que, pour nous, à l’heure actuelle, beaucoup de problèmes qui paraissaient insolubles n’existent pas en réalité, et que les hommes ont élevé des barrières factices entre eux et leur bonheur… Il faut ces jours d’épreuve et le voisinage avec la mort pour le comprendre…

Il avait débité cette longue tirade avec lenteur, d’une voix basse, s’arrêtant parfois comme s’il faisait un grand effort pour chercher sa pensée.

Il se tut et il y eut un silence où Savinski croyait voir passer entre eux ce flot de pensées caressantes et muettes auxquelles Lydia, une fois, avait fait allusion. Il était ému à ne pouvoir parler.

Lorsqu’il le quitta, une demi-heure plus tard, le prince l’attira à lui doucement.

— Voulez-vous m’embrasser, Nicolas Vladimirovitch ? dit-il. Je vous aime beaucoup…

Savinski se pencha vers lui. La bouche maigre et la barbe hérissée du prince se posèrent sur sa figure et il sentit en même temps que le baiser du vieillard une grosse larme couler sur sa joue.


Cependant les jours passaient et le mois de mai déjà mettait des feuilles tendres aux branches noires des arbres. Savinski et Lydia, profitant des après-midi prolongées et des claires soirées, se promenaient dans la ville. Ils allaient le long des quais de la Néva, dont les murs de granit avaient peine à contenir les eaux gonflées où filaient lentement à la dérive, comme de grands nénuphars flottants, quelques blocs de glace attardés venant du lac Ladoga. Au delà des flots bleus du large fleuve, les palais élevaient leurs architectures diverses dans la limpidité ambrée des crépuscules. C’étaient les briques rouges du Corps des pages, la colonnade antique de la Bourse, le noble bâtiment de l’Académie des sciences. L’air était d’une transparence lumineuse qu’on ne connaît que dans ces printemps septentrionaux. Parfois ils s’asseyaient sur le parapet du quai et restaient à rêver, laissant leurs regards errer sur les lourdes barques amarrées près des rives. La beauté des heures silencieuses emplissait leurs âmes. Ils se taisaient. Où étaient-ils ? Loin du monde, de la révolution, de ses terreurs, de sa famine. Ils habitaient les terres lointaines et mystérieuses où ont vécu Lorenzo et Jessica, Troïlus et Cressida, Héro et Léandre, tous ceux que la passion a séparés du cercle des vivants.

Il fallait rentrer enfin. Ils ne se décidaient pas à se quitter :

— Restons jusqu’à la nuit, disait Lydia.

Et la nuit se faisant sa complice, le jour traînait dans le ciel des clartés qui ne voulaient pas mourir ; les étoiles déjà apparaissaient sans que le crépuscule eût disparu. Il était près de onze heures. Lentement, ils regagnaient l’hôtel Volynski, et souvent, sans se soucier de ce qu’en penseraient les domestiques, Savinski entrait un instant prendre une tasse de thé chez Lydia.

Tard, il regagnait son appartement.

Ils eurent les nuits blanches où l’on ne peut dormir et où les caresses plus énervantes se prolongent autant que le jour ; ils traversèrent l’été chaud, orageux, humide de Pétrograd où, dans les appartements clos, l’air étouffant rend insupportable le poids des vêtements.

Autour d’eux, la ville s’enfiévrait. L’assassinat des deux commissaires, Volodarski et Ouritski, avait déchaîné la terreur. Les victimes des représailles bolchéviques se comptaient par centaines. Le cercle de leurs relations se rétrécissait. Les uns fuyaient, les autres étaient arrêtés.

Lydia et Savinski passaient sans entendre les cris d’angoisse qui montaient de toutes parts.

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