Récréations littéraires, curiosités et singularités, bévues et lapsus, etc.
VIII
Auteurs dramatiques. — Collin d’Harleville. — Andrieux. — Flins des Oliviers. Une douleur qui s’exprime en chantant. — Le soleil en pleine nuit. — Luce de Lancival. — M.-J. Chénier et la locution «Briller par son absence». — Théâtre de la Révolution.
Nicolas Brazier. Un singulier bibliothécaire. Palinodies littéraires.
Eugène Scribe. — Saint-Georges et Leuven. — Canevas d’opéra-comique et scénario de tragédie.
Casimir Delavigne. Anachronismes et incorrections. Prodiges de mémoire. Une comparaison doublement blessante.
Duvert et Lauzanne. Facéties et pasquinades. — Henri Rochefort. La Lanterne.
Ernest Legouvé, et son père J.-B. Gabriel Legouvé. La passion de l’inexactitude. Encore les périphrases. — François Ponsard. Vers prosaïques. — Émile Augier. — Camille Doucet.
Eugène Labiche. — Auguste Vacquerie. — Théodore Barrière.
Curiosités théâtrales. Fernand Desnoyers. — Villiers de l’Isle-Adam. — Contrepetteries, facéties, drôleries théâtrales, etc.
Revenons aux auteurs dramatiques.
Chez Collin d’Harleville (1755-1806), plus encore que chez son fidèle ami et biographe Andrieux (1759-1833), on trouve un très fréquent usage, un véritable abus de l’interjection. Bon! redoublée au besoin (Bon! Bon!) pour parfaire la mesure du vers.
Des remerciements? Bon! Il ne m’en est point dû.
(Collin d’Harleville, Les Châteaux en Espagne, I, 10.)
Voir aussi même comédie: I, 1, 2, 4, 5, 8; — II, 1, 3, etc.; et les autres pièces de l’auteur, Les Riches notamment, où l’interjection Bon! se rencontre à peu près à chaque page.
Et Andrieux:
Bon! Bon! Songe plutôt au plaisir qu’il aura.
(Les Étourdis, I, 2.)
Voir aussi même pièce: I, 3, 10; II, 8; III, 6, etc.
Chez Collin d’Harleville, aussi bien que chez Andrieux, les pensées délicates, judicieuses ou piquantes, sont nombreuses:
Je suis fait pour l’amour, mais très peu pour l’hymen...
Quand on sent que l’on plaît, on en est plus aimable...
Il est si doux de voir les heureux qu’on a faits!
(Collin d’Harleville, Les Châteaux en Espagne, II, 3; II, 10; V, 1.)
La raison est un fruit de l’arrière-saison.
(Id., Les Mœurs du jour, I, 10.)
Nous n’avions pas le sou, mais nous étions contents;
Nous étions malheureux; c’était là le bon temps.
(Id., Poésies fugitives, Mes souvenirs; Théâtre complet et Poésies... de Collin d’Harleville, t. IV, p. 40; H. Nicolle, s. d.)
Aux travers de l’esprit aisément on fait grâce
Mais les fautes du cœur, jamais on ne les passe.
(Andrieux, Les Étourdis, III, 16.)
On ne devrait jamais se quitter quand on s’aime.
(Id., Le Rêve du mari, I, 1.)
Etc., etc.
Dans une pièce intitulée Le Réveil d’Épiménide ou Les Étrennes de la Liberté, par Flins des Oliviers (1757-1806)[34], jouée vers 1790, un abbé entre en scène en chantant sur l’air J’ai perdu mon Eurydice:
J’ai perdu mes bénéfices,
Rien n’égale ma douleur.
Sur quoi, Épiménide fait la réflexion suivante, qui est toujours de circonstance et qu’on pourrait appliquer à nombre de solos, duos et ritournelles:
Puisqu’elle s’exprime en chantant,
Sa douleur n’est pas bien amère.
(Cf. Revue bleue, 1er mars 1879, p. 816.)
Déjà, au dix-septième siècle, Saint-Évremond avait fait les remarques suivantes: «... Il y a une autre chose, dans les opéras, tellement contre la nature, que mon imagination en est blessée: c’est de faire chanter toute la pièce depuis le commencement jusqu’à la fin, comme si les personnes qu’on représente s’étaient ridiculement ajustées pour traiter en musique et les plus communes et les plus importantes affaires de leur vie. Peut-on s’imaginer qu’un maître appelle son valet, ou qu’il lui donne une commission en chantant; qu’un ami fasse, en chantant, une confidence à son ami; qu’on délibère, en chantant, dans un conseil; qu’on exprime avec du chant les ordres qu’on donne, et que mélodieusement on tue les hommes à coups d’épée et de javelot dans un combat... Les Grecs faisaient de belles tragédies, où ils chantaient quelque chose; les Italiens et les Français en font de méchantes, où ils chantent tout.» (Saint-Évremond, Œuvres choisies, Sur les opéras, p. 341-343; édit. Gidel.)
Quelques années avant la Révolution, un opéra, consacré à la louange du gouverneur de la province, fut joué à Limoges. La scène, lisons-nous dans le Musée des Familles (1er décembre 1894, p. 352), représentait une nuit semée d’étoiles, et la pièce débutait par ce vers étrange:
Soleil, vis-tu jamais une pareille nuit?
Luce de Lancival (1764-1810) termine sa tragédie d’Hector (V, 5) par le récit d’un combat d’homme à homme, du meurtre d’Hector par Achille, dont quelques vers rappellent le récit de Théramène de Racine:
Ses coursiers, qui, toujours dociles à sa voix,
Refusent d’obéir pour la première fois.
Et Racine (Phèdre, V, 6):
Ses superbes coursiers, qu’on voyait autrefois
Pleins d’une ardeur si noble obéir à sa voix.
La locution briller par son absence apparaît — peut-être pour la première fois en français — dans la tragédie de Tibère (I, 1), de Marie-Joseph Chénier (1764-1811):
Entre tous les héros qui, présents à nos yeux,
Provoquaient la douleur et la reconnaissance,
Brutus et Cassius brillaient par leur absence.
Cette expression est d’ailleurs textuellement tirée de Tacite, qui, rapportant, dans ses Annales (III, 76), les mêmes circonstances, dit: «Sed præfulgebant Cassius atque Brutus...»
Dans une note de sa Lanterne aux Parisiens, Camille Desmoulins rappelle aussi cette absence des portraits de Brutus et de Cassius, et cite la susdite phrase de Tacite: cf. Œuvres de Camille Desmoulins, t. II, p. 26; édit. de la Bibliothèque nationale.
Nous avons mentionné déjà, en parlant de Choudard-Desforges (p. 66-67), un exemple des bizarreries qu’offre le théâtre de la Révolution. En voici quelques autres, et il y en aurait quantité à citer, car la mine est quasiment inépuisable.
Dans la pièce La Vraie Républicaine, on trouve ce couplet:
Puisse bientôt la France entière
Se soumettre aux lois de l’hymen!
On est toujours mauvais républicain
Quand on reste célibataire (bis).
(Dans Ferdinand Brunetière, Nouvelles Études critiques... p. 334; Hachette, 1882.)
Dans une autre pièce, jouée en janvier 1794, La Reprise de Toulon, un représentant du peuple s’adresse en ces termes aux soldats français: «Courage! mes amis! il pleut, il vente, nous sommes trempés! Quel temps superbe pour se battre! Les éléments se déchaînent en vain pour troubler nos fêtes ou nous arracher au combat. Le ciel est toujours beau pour des républicains!» (Ibid., p. 335.)
Dans la pièce Au plus brave la plus belle, le volontaire Victor annonce à sa fille Victoire qu’il l’a promise par avance au plus brave. «O mon père! s’écrie Victoire, pourquoi m’exposer à épouser un inconnu? — Un inconnu, ma fille! riposte le papa Victor; sache bien que le bon républicain n’est un inconnu pour personne.» (Ibid., p. 336.)
Dans La Reprise de Toulon encore, un représentant du peuple s’adresse aux «intrépides galériens, âmes pures et sensibles, et sans doute plus malheureux que coupables.» (Ibid.)
Etc., etc.
Le chansonnier et vaudevilliste Nicolas Brazier (1783-1838), à qui appartient cette calinotade si souvent citée:
En vous voyant sous l’habit militaire,
J’ai deviné que vous étiez soldat
(L’Enfant du régiment; dans Larousse, art. Bévue).
publia, en 1824, sous le titre de Souvenirs de dix ans, un recueil de chansons en l’honneur des Bourbons, dont une pièce inspirée par la naissance du duc de Bordeaux avait servi naguère à célébrer la naissance du roi de Rome. Louis XVIII prit la chose en riant et gratifia le poète d’un emploi de «bibliothécaire du Château». Mais, en allant faire sa visite à son chef, à Antoine-Alexandre Barbier, le savant auteur du Dictionnaire des ouvrages anonymes et pseudonymes, qui avait le titre d’administrateur des bibliothèques particulières du roi, Brazier eut la maladresse et l’impudence de lui dire: «Vous pensez bien, monsieur, que cette place ne m’a été donnée que pour récompenser mon dévouement à la dynastie, et nullement pour m’astreindre à un travail quelconque». Barbier, qui était, lui, le travailleur par excellence, répliqua qu’il ne l’entendait pas ainsi, qu’il avait besoin de collaborateurs sérieux et effectifs, et non d’amateurs et de flâneurs. Un conflit s’ensuivit, mais l’affaire s’arrangea: Brazier donna sa démission, et reçut une modeste pension.
Attaqué, en 1815, par Le Nain jaune, qui raillait l’orthographe fantaisiste de Brazier, celui-ci rédigea ab irato une réponse fulminante, que le journal s’empressa de publier. Cette épître commençait par le mot Jamais écrit J’amais, et cette malheureuse apostrophe, mise en tête d’une lettre destinée à prouver que Brazier savait l’orthographe, excita la risée universelle. (Cf. Gustave Merlet, Tableau de la littérature française [1800-1815], t. I, p. 531; et Larousse, art. Brazier.)
Une palinodie analogue à celle de Nicolas Brazier fut commise par le vicomte d’Arlincourt (1789-1856), de plaisante mémoire. Son poème épique sur Charlemagne, La Caroléide, composé d’abord en partie pour célébrer Napoléon, fut modifié selon les circonstances, et parut, en 1818, consacré à l’éloge de Louis XVIII et des Bourbons. (Cf. Ludovic Lalanne, Dictionnaire historique de la France.)
On pourrait encore citer, comme exempte de transformations littéraires sous le premier Empire, une tragédie d’Abraham qui avait été d’abord Le Divorce de Napoléon: l’Empereur devint Abraham; l’Impératrice Joséphine, Sarah (la femme stérile); Marie-Louise, Agar; et le jeune Ismaël, son fils, devint le petit roi de Rome; — et le Don Sanche de Brifaut, interdit en 1814: l’auteur change alors ses Espagnols en Assyriens, et Don Sanche en Ninus II. Etc. (Cf. Émile Deschanel, Le Théâtre de Voltaire, p. 206, note 1.)
Nous passerons rapidement sur Eugène Scribe (1791-1861), dont plusieurs écrivains se sont amusés à recueillir les inadvertances et bévues: voir notamment Charles de Boigne, Petits Mémoires de l’Opéra, chap. 23, p. 281-295; H. de Villemessant, Mémoires d’un Journaliste, t. V, p. 158-164, etc.
Tout le monde connaît le vieux soldat de Michel et Christine, qui
... sait souffrir et se taire
Sans murmurer;
et le lièvre de L’Héritière, qu’un personnage de la pièce se glorifie
D’avoir pu (le) tuer vivant.
A propos de ce vers de Michel et Christine, maintes fois cité:
Aux quatre coins de la machine ronde,
remarquons cette locution usuelle «le coin d’une assiette», qui a donné lieu à la riposte suivante:
«Mon enfant, disait une mère à son petit garçon assis à table à côté d’elle, je t’ai déjà recommandé de ne pas mettre sur la nappe les noyaux de tes cerises; on les dépose sur le coin de son assiette.
— Mais, maman, je ne peux pas le trouver, le coin de mon assiette!» (Le journal La Nation, 31 octobre 1890.)
Mentionnons encore le reproche bien immérité adressé à Molière par Eugène Scribe, dans son discours de réception à l’Académie française, et qu’aucun des Immortels ne releva:
«La comédie de Molière nous instruit-elle des grands événements du siècle de Louis XIV? Nous dit-elle un mot des erreurs, des faiblesses ou des fautes du grand roi? Nous parle-t-elle de la révocation de l’Édit de Nantes?»
Comment Molière, mort en 1673, eût-il pu parler de la révocation de l’Édit de Nantes qui eut lieu en 1685, c’est-à-dire douze ans après sa mort? (Cf. Gustave Flaubert, Dossier de la bêtise humaine, dans Guy de Maupassant, Étude sur Gustave Flaubert, en tête des Lettres de Gustave Flaubert à George Sand, p. XLIV.)
Villemessant, qui, comme nous venons de le dire, a parlé, dans ses Mémoires, des bévues d’Eugène Scribe, mentionne, en ce même endroit, ces deux gentils quatrains extraits de l’opéra-comique Jaguarita l’Indienne, par Saint-Georges et Leuven:
Glissons-nous dans l’herbe
Comme le serpent,
Qui, fier et superbe,
S’avance en rampant.
La dent de la panthère,
Le ventre du boa,
Voilà, sur cette terre,
Voilà le sort qu’on a!
Alfred de Musset et son frère Paul, un soir qu’on venait de jouer, sur un théâtre de société, un vaudeville de Scribe, annoncèrent qu’ils allaient représenter un opéra-comique de leur cru, improvisé séance tenante.
Cette saynète résumait plaisamment les procédés de composition et de facture chers à Eugène Scribe et à son école.
Celui des deux frères qui remplissait le rôle de l’amoureux commençait par chanter:
Oui, j’entrerai dans ce château!
Et l’autre, le valet et confident, de roucouler ensuite:
Il entrera dans ce château!
Puis tous deux de chanter en chœur:
Espérance et courage!
Notre sort sera beau,
Et bientôt, je le gage,
Nous aurons l’avantage
D’entrer dans ce château,
D’entrer (bis) dans ce château.
C’était la fin du premier acte.
Le second acte ne se compose que du même vers, modifié de mille façons:
Vous entrerez dans ce château.
Le tyran, déguisé en basse-taille, beugle:
Ils sortiront de ce château!
Voilà le nœud de la pièce.
Et voici le dénouement:
| CHŒUR FINAL. | ||
| Espérance et courage! | ||
| Notre sort | } | est bien beau. | 
| Oui, leur sort | ||
| Nous avons | } | l’avantage | 
| Ils ont eu | ||
| D’être installés dans ce château! | ||
«Combien d’opéras-comiques sont brodés sur un canevas tout aussi simplet!» conclut le chroniqueur auquel j’emprunte cette anecdote. (Montécourt [pseudonyme], La République française, 7 décembre 1898.)
Ajoutons qu’on pourrait rapprocher ce minuscule canevas d’opéra-comique du très laconique scénario de tragédie proposé par Rivarol (Cf. ci-dessus, p. 29):
1er acte: il mourra.
2e acte: il ne mourra pas.
3e acte: il mourra.
Etc., etc.
Nous trouvons chez Casimir Delavigne (1793-1843), dans ses Enfants d’Édouard (II, 3), plusieurs anachronismes commis coup sur coup. Tyrrel, la future âme damnée de Glocester, raconte ainsi son ancienne vie joyeuse:
... Je fus quatre fois riche.
Nous étions beaux à voir autour d’un bol en feu,
Buvant sa flamme, en proie aux bourrasques du jeu,
Quand il faisait rouler, sous nos mains forcenées,
Le flux et le reflux des piles de guinées.
Or, cette tragédie des Enfants d’Édouard se passe en Angleterre, sous Richard III (1452-1485), c’est-à-dire vers la fin du quinzième siècle. A cette époque, l’eau-de-vie et le sucre étaient connus sans doute, mais surtout comme produits pharmaceutiques, et sans être entrés dans la consommation courante. Quant au punch, il était inconnu, et les premières guinées ne furent frappées que sous Charles II (1630-1685), avec de l’or importé de Guinée: d’où leur nom. (Cf. le Journal de la Jeunesse, 17 mai 1902, Supplément, Couverture.)
Dans cette même tragédie, nous rencontrons plusieurs fois la locution «A revoir», formule d’adieu exprimant l’espoir qu’on se reverra bientôt, condamnée par Littré, au lieu de «Au revoir». «A revoir, bon neveu!» (I, 2 et 9; et III, 2.)
Nous avons relevé, dans le chapitre consacré à Victor Hugo (p. 100), la mauvaise locution «Montjoie et Saint-Denis» (Louis XI, III, 13), pour «Montjoie Saint-Denis», cri de guerre de nos ancêtres. L’élision de l’e final de Montjoie contraint presque toujours les poètes à faire suivre ce mot de la conjonction et, ce qui enlève tout sens à la phrase, Montjoie Saint-Denis signifiant la Montjoie (le lieu de martyre ou de joie) de saint Denis.
Comme Piron, «qui faisait toutes ses tragédies de tête, et les récitait de mémoire aux comédiens» (Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, t. X, p. 61), comme Delille, dont nous avons précédemment rappelé la prodigieuse mémoire, Casimir Delavigne composait tous ses ouvrages «par cœur», et avait coutume de ne les coucher sur le papier que quand ils étaient terminés dans sa tête. On dit même qu’il a emporté ainsi en mourant une tragédie à peu près achevée. (Cf. Sainte-Beuve, Portraits contemporains, t. V, p. 180; et Nouveaux Lundis, t. X, p. 61.)
On a plus d’une fois comparé Casimir Delavigne au peintre Paul Delaroche, Alexandre Dumas, entre autres, dans ses Mémoires (t. V, p. 145). Une plaisante anecdote court à ce sujet: Théophile Gautier ayant écrit dans un de ses feuilletons: «Casimir Delavigne est le Delaroche de la littérature, comme Delaroche est le Casimir Delavigne de la peinture», reçut le lendemain deux lettres, l’une de Delavigne, l’autre de Delaroche, qui, toutes deux, lui disaient la même chose: «Vous avez été un peu sévère pour moi» (Cf. le journal Le Télégraphe, 8 septembre 1884.)
L’œuvre des vaudevillistes Duvert (1795-1876) et Lauzanne (1805-1877) fourmille de facéties et de pasquinades. En voici quelques échantillons, extraits d’un article signé E. S. (Edmond Stoullig?), dans le journal La Tribune, 26 octobre 1876:
«Nous voyons, dans Riche d’amour, Arnal s’écrier: «Je l’ai revue, je l’ai retrouvée, celle que j’aime — ou plutôt celui que j’aime, — car c’est un ange, et l’ange est essentiellement masculin. (Avec indignation:) Masculin! Oh! les gueux de grammairiens![35]»
Plus tard, se demandant s’il ne trouverait pas un peu d’argent chez lui: «C’est que, chez moi, ajoute-t-il, je ne suis pas bien sûr de trouver de l’argent, vu qu’à n’y avait pas un sou quand je suis sorti, et j’ai la clef. J’ai la clef! Il est douteux que des voleurs se soient introduits chez moi avec effraction et y aient oublié leur bourse. Ces événements-là sont si peu communs!»
Et ce couplet:
Quelle infortune est égale à la mienne?
Du lansquenet déplorable martyr,
J’ai beau forer ma poche artésienne,
Pas un centime, hélas! n’en peut jaillir!
................
Et mon gousset, moins heureux que les Gaules,
Appelle en vain l’invasion des Francs!
Nous avons rencontré précédemment, à propos du vicomte d’Arlincourt (p. 21), ce vers:
Le roi Louis s’avance avec vingt mille Francs,
qui pourrait devenir amphigourique, avons-nous dit aussi (p. 129), si l’on écrivait francs avec une initiale minuscule, selon l’orthographe de Victor Hugo.
Les personnages de Duvert et Lauzanne ne se parlent pas à l’oreille: «Ils se glissent deux mots dans la trompe d’Eustache». Un homme, rencontrant dans une cave l’ombre de celui qu’il croit avoir tué, s’écriera: «Cette ombre est étrange; elle sent le coke!» Un autre, à qui l’on demande son âge, répondra: «J’ai l’âge qu’aurait la comète de 1811, si elle vivait encore!»
Etc., etc.
«Ne reconnaît-on point là, remarque Jules Claretie (dans le journal La Tribune, même date), le style ou le procédé d’Henri Rochefort? La Lanterne procède directement de Duvert et Lauzanne, et le fils du vaudevilliste (le vaudevilliste Amand de Rochefort-Luçay: 1790-1871) a dû s’imprégner de ces phrases bizarres, curieuses, dont l’étrangeté fait la force, et qui se gravent, par leur drôlerie même, dans la mémoire.
«Dans un vaudeville de Rochefort et de Pierre Véron, il était question de «ces femmes dont les cheveux sont frisés comme les chicorées, avec cette différence qu’elles ne sont pas sauvages».
C’est tout à fait Arnal, dans L’Homme blasé, parlant de «ces femmes charmantes» qui l’ont ruiné:
«Oui. Et je me regarderais comme un grossier si je les comparais à des sangsues...
— Ah!
— ... Dont elles n’ont d’ailleurs ni la forme...
— Je crois bien!
— Ni l’utilité!»
(Le journal La Tribune, même date.)
Anticipant sur le chapitre consacré aux journalistes et chroniqueurs, nous citerons ici, pour corroborer la remarque de Jules Claretie, quelques-uns des jeux de mots et des drôleries de La Lanterne d’Henri Rochefort (1830-1913).
«La France contient, dit l’Almanach impérial, trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement.» (Samedi, 23 mai 1868, p. 1; réimpression de Victor Havard, 1886; un vol. in-18.)
«J’envoyai chercher une feuille de papier ministre, et j’écrivis à celui de l’Intérieur...» (Page 4.) (Phrase déjà citée dans notre Préambule, p. 12-13.)
«La discussion du budget n’est pas encore entamée, mais le budget l’est déjà depuis longtemps.» (Page 203.)
«Toute la suite du prince Napoléon à Constantinople vient d’être décorée par le sultan. — Comment! pas un n’a échappé au désastre?» (Page 238.)
«... Cette belle machine administrative que l’Europe nous envie. (Avez-vous remarqué que l’Europe nous envie énormément de choses, mais qu’elle ne nous prend jamais rien?)» (Page 274.)
«... La cour des Tuileries, ainsi nommée parce que c’est de là que nous arrivent les tuiles.» (Page 286.)
«Les décorés du 15 août devraient être obligés d’aller chercher eux-mêmes la croix en haut du mât de Cocagne de l’esplanade des Invalides. Nous serions sûrs au moins qu’ils auraient fait quelque chose pour l’avoir.» (Page 349.)
Etc., etc.
Peu d’ouvrages ont autant vieilli que La Lanterne; la plupart des allusions qu’elle renferme sont devenues obscures pour nous, et quantité de ses plaisanteries ont perdu leur sel. «Quand on feuillette aujourd’hui la collection de La Lanterne (et c’est de quoi peu de gens s’avisent), on se rend difficilement compte de l’immense succès obtenu par ce pamphlet, écrit le sagace critique Jules Levallois (De la Restauration à nos jours, p. 380). Ni Paul-Louis Courier, ni Cormenin, dans leurs meilleurs jours, n’ont ému à ce point l’opinion publique. De ces pages sarcastiques, que l’on s’arrachait alors si avidement, quelques-unes, les premières surtout, subsistent seulement. Ce qui fit la vogue de ce pamphlet, lorsqu’il parut, c’était un indomptable esprit de révolte, mêlé à ce qu’il faut bien appeler de son nom vulgaire, la blague.»
On peut dire d’Ernest Legouvé (1807-1903) ce qu’on a dit de Jules Janin, dont nous parlerons plus loin, qu’il a eu la passion de l’inexactitude. Il ne peut en quelque sorte citer un seul vers sans le tronquer, et, dans son Art de la lecture comme dans sa Lecture en action, il en cite presque à chaque page.
Même les vers de Corneille, de Racine, de La Fontaine, de Molière, les plus répandus et les plus ressassés, il les estropie. Il s’imaginait sans doute les posséder ad unguem, et ne prenait pas la peine de les vérifier lors de l’impression.
Corneille écrit dans Cinna (V, 1):
Tiens ta langue captive, et si ce grand silence
A ton émotion fait quelque violence;
Legouvé (La Lecture en action, p. 168) met: et si ce long silence, et: fait trop de violence.
Sur ce point seulement contente mon désir,
dit Corneille.
Jusque-là seulement, — dit Legouvé (Ibid.).
Aujourd’hui même encor mon âme irrésolue.
(Corneille.)
Legouvé (Ibid., p. 172): Ce matin même encor...
Bien plus, ce même jour je te donne Émilie.
(Corneille.)
Enfin ce même jour (Legouvé, ibid.).
Et qu’ont mise si haut mon amour et mes soins.
(Corneille.)
Et qu’ont porté si haut (Legouvé, ibid.),
Notez bien qu’ici, comme il s’agit d’une femme, d’Émilie, il faudrait portée au féminin. «Et qu’ont portée si haut...» Legouvé a mieux aimé fausser l’orthographe que le vers et a écrit porté.
Approchez-vous, Néron, et prenez votre place,
dit Racine (Britannicus, IV, 2).
Asseyez-vous, Néron, — dit Legouvé (Ibid., p. 169).
Etc., etc.
Dans sa comédie Autour d’un berceau (Théâtre, Comédies en un acte, p. 323), Ernest Legouvé met dans la bouche d’un de ses personnages le petit poème si connu, Le Vase brisé, de Sully Prudhomme (Poésies, t. I, p. 11; Lemerre, 1882), et il ne manque pas de le dénaturer et le massacrer.
Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
dit Sully Prudhomme.
Son eau pure, — dit Legouvé.
Souvent aussi la main qu’on aime
Effleurant le cœur le meurtrit.
(Sully Prudhomme.)
Ainsi parfois la main qu’on aime.
(Legouvé.)
Ce qui est impardonnable pour un membre de l’Académie française, il confond, en prosodie française, le mot pied avec le mot syllabe: un pied, pour lui, c’est une syllabe: un alexandrin de douze pieds (Cf. La Lecture en action, p. 258), tandis qu’il n’avait qu’à consulter Littré, et il aurait lu (art. Pied, 26o): «Un pied, deux syllabes; ainsi notre alexandrin, qui a douze syllabes, est un vers de six pieds».
Il demande excuse, au lieu de demander pardon (Cf. Louise de Lignerolles, I, 8; Théâtre, Comédies et Drames, p. 22).
Il forge des vers de onze syllabes, destinés à rimer avec des vers de douze:
Et pourriez-vous, sans peur comme sans emphase,
Entendre froidement cette petite phrase.
(Un jeune homme qui ne fait rien, sc. 11; Théâtre, Comédies en un acte, p. 370.)
Il change le genre des substantifs, met le féminin pour le masculin: «Tant de jeunes et charmants talents qui ont illustré et enchanté la scène française... sont toutes des élèves de M. Samson.» (L’Art de la lecture, Quatrième partie, I, p. 264.)
Enfin comment comprendre cette sentence, qui termine un chapitre de La Lecture en action (XVII, p. 204): «Lire les poètes tout bas, c’est devenir leur ami; les lire tout haut, c’est devenir leur intime?» Pourquoi intime quand on les lit tout haut?
Et, à propos d’Ernest Legouvé, le sens d’un vers de son père (Jean-Baptiste-Gabriel Legouvé: 1764-1812), ce vers si fréquemment cité:
Tombe aux pieds de ce sexe à qui tu dois ta mère,
le dernier et comme le résumé du poème Le Mérite des Femmes, a été parfois discuté.
«Il faut avouer, écrit l’auteur anonyme des Curiosités littéraires (p. 279; Paulin, 1845), que le malheureux que l’on voudrait forcer de tomber aux pieds du sexe auquel il doit sa mère, se trouverait dans un cruel embarras; et Legouvé est bien coupable de n’avoir pas indiqué en note la conduite à suivre en pareille occurrence. Avant lui, on avait cru généralement que le concours des deux sexes était nécessaire pour procréer des garçons ou des filles; mais son vers est venu nous détromper, et il est constant maintenant, quelque incroyable que cela puisse paraître, que, quant aux filles, le sexe féminin suffit seul à la besogne.»
Au nombre des périphrases célèbres, — trois coup sur coup, — figurent les quatre vers suivants de Legouvé père. Pour faire prononcer à Henri IV son mot fameux: «Je voudrais que le plus pauvre paysan de mon royaume pût au moins avoir la poule au pot le dimanche», il écrit:
Je veux enfin qu’au jour marqué pour le repos
L’hôte laborieux des modestes hameaux
Sur sa table moins humble ait, par ma bienfaisance,
Quelques-uns de ces mets réservés à l’aisance.
(Cf. Paul Stapfer, Racine et Victor Hugo, p. 263.)
C’était, comme nous l’avons vu, le temps des périphrases, si chères à Jacques Delille et à ses disciples ou émules.
Quand la borne est franchie, il n’est plus de limites,
estime, non M. de la Palisse, mais François Ponsard (1814-1867), dans L’Honneur et l’Argent (III, 5); et, dans Le Lion amoureux (I, 1, et IV, 6) il nous dépeint le salon d’une grande dame, où
chaque parti se touche;
et l’un des personnages émet ce vœu, passablement difficile à réaliser:
Que ne puis-je saisir mon cœur dans ma poitrine,
L’écraser contre terre, et fouler sa ruine.
On a souvent cité, comme exemple de prosaïsme, ces vers de Ponsard:
Notre ami, possesseur d’une papeterie,
A fait, avec succès, appel à l’industrie.
(L’Honneur et l’Argent, V, 2.)
En voici deux autres de la même râtelée, appartenant à l’académicien Charles-Guillaume Étienne (1777-1845):
Il est depuis un an dans ses manufactures,
Il y fait établir de vastes filatures.
(L’Intrigante, I, 1.)
Et celui-ci, qui est de Sainte-Beuve (Pensées d’août, Poésies complètes, p. 295; Charpentier, 1890), qu’on ne s’attendait guère à voir apparaître sous sa plume:
Il tenait, comme on dit, un cabinet d’affaires.
Précédemment (p. 107), nous avons cité ce vers de Victor Hugo:
Le Crédit mobilier ou le Crédit foncier,
et celui de Gabriel Marc:
La Caisse des Dépôts et Consignations.
L’École dite «du bon sens», dont François Ponsard et Émile Augier (1820-1889) ont été les grands chefs, nous fournirait à foison de ces vers prosaïques:
Quand le printemps fleurit, il faut que je me purge.
(Émile Augier, Gabrielle, I, 1.)
Fais-lui faire, tu sais, ce machin au fromage.
— Ne vous mêlez donc pas des choses du ménage.
(Id., ibid., I, 2.)
Mais que c’est donc joli tout ce que nous disons!
— Oui, nous n’avons pas l’air d’une troupe d’oisons.
(Id., Philiberte, I, 8.)
... Quand j’ai dîné,
J’ai besoin de causer à cœur déboutonné.
(Émile Augier, Philiberte, II, 1.)
Ma spécialité, hormis un cas extrême,
Aux jeux qu’on joue à quatre est de faire un cinquième.
(Id., ibid., II, 2.)
Ce dernier vers pourrait être rapproché de cette phrase de Victor Hugo (Correspondance, dans la Revue bleue, 7 novembre 1896, p. 586): «Si les faiseurs d’ordre public essayaient d’une exécution politique, et que quatre hommes de cœur voulussent faire une émeute pour sauver les victimes, je serais le cinquième.»
Et demander excuse pour demander pardon:
... Je me sens si confuse,
Monsieur, que j’ai voulu vous demander excuse.
(Émile Augier, ibid., II, 7.)
Une humoristique et amusante fin de lettre d’Émile Augier, pour en terminer avec lui:
«Mille compliments,
«Mille amitiés,
«Et mille
«Augier.»
(Cf. le journal Le Gaulois, novembre 1889.)
Le fin et charmant lettré que fut Camille Doucet (1812-1895) est rendu responsable aussi de bien étranges vers:
Va, mon fils, de chemin, suis ton petit bonhomme.
Considération! Considération!
Ma seule passion! ma seule passion!
(Cf. Clair Tisseur, Modestes Observations sur l’art de versifier, p. 257; — et Revue bleue, 26 août 1871, p. 198.)
Et ce distique encore, pastiche de Camille Doucet, attribué à l’avocat Ferdinand Duval, ancien préfet de la Seine (Renseignement verbal):
Et pour te témoigner ma satisfaction,
Je te mène au Jardin d’Acclimatation.
Le théâtre d’Eugène Labiche (1815-1888) abonde en jeux de mots, drôleries, incohérences voulues, pataquès fabriqués à dessein, ad risum.
«... J’ai fait sa connaissance dans un omnibus... Son premier mot fut un coup de pied.» (Un Chapeau de paille d’Italie, I, 4.)
«... Je n’aurai pas même une chaise à offrir à ma femme pour reposer sa tête.» (Ibid., III, 4.)
«C’est un moment bien doux pour un père, que celui où il se sépare de sa fille chérie, l’espoir de ses vieux jours, le bâton de ses cheveux blancs.» (Ibid., IV, 6.)
«Laissez-moi contempler ce profil... ce nez renouvelé des Grecs! ces yeux fendus en amandes... douces! oh! très douces!» (Le Misanthrope et l’Auvergnat, 11.)
«Saint-Germain (domestique). Madame la baronne est attelée! — La Baronne. Comment, je suis attelée? — Saint-Germain. Pardon, je veux dire: la voiture...» (La Fille bien gardée, 1.)
«Ne trempons pas notre plume dans nos larmes!» (Ibid., p. 16.)
«A Bordeaux, quand on aime, quand on distingue une jeune fille au spectacle, on ne s’informe ni de son rang, ni de son nom, ni de son sexe.» (Un jeune homme pressé, 1.)
«Je vais me marier en Amérique; n’ayant pas eu d’enfants dans ce monde, j’ai des chances pour en avoir dans l’autre.» (Ibid., 4.)
«J’avise une affiche: Vins à vendre sur pied. — Comment! des vins sur pied? — Oui, la récolte.» (Ibid., 4.)
«Ah! dame, vous savez [dans cette maison, si gaie qu’elle soit], il y a des jours de souffrance. — Qu’est-ce qui n’a pas ses jours de souffrance!» (Deux papas très bien, 8.)
«... Vous nourrissiez déjà l’espoir... — Et je le nourris toujours, monsieur; je le nourris plus que jamais aujourd’hui,... sans savoir, hélas! si j’en serai plus gras!» (Ibid., 10.)
«... Voici la note: ...un bonnet de femme, un soulier du même sexe et un tour en cheveux, etc.» (L’Affaire de la rue de Lourcine, 21.)
«Tiens! il est sourd, notre correspondant? C’est donc pour ça qu’il ne répond jamais à nos lettres.» (Le Voyage de M. Perrichon, II, 9.)
«(Célimare présentant Vernouillet à Bocardon:) Monsieur Vernouillet... mon meilleur ami! (Présentant Bocardon à Vernouillet:) Monsieur Bocardon... mon meilleur ami!» (Célimare le bien-aimé, I, 10.)
«Est-ce que ça se mange, les poissons rouges? — Pourquoi pas? On mange bien des écrevisses.» (Ibid., III, 1.)
«J’ai voulu leur emprunter de l’argent... — L’éteignoir de l’amitié.» (Ibid., III, 12.)
«Soit dit sans vous fâcher, mon cher, vous prenez du ventre! — Pourvu que je ne prenne pas le vôtre!» (Un Monsieur qui prend la mouche, 9.)
«Cécile! Je ne vous dis pas adieu... Nous nous reverrons peut-être cet hiver... dans un monde meilleur... au bal, à Paris.» (Ibid., 19.)
«(Vancouver prenant la valise de Dardenbœuf:) Permettez que je vous dévalise!» (Mon Isménie, 11.)
«Montaudoin à sa fille: ...Tu ignores les mystères de la vie parisienne! Tu ne sais pas qu’il y a des tigres qui viennent déposer leurs œufs dans le ménage des colombes! — Fernande: Mais, papa, les tigres n’ont pas d’œufs! — Montaudoin: Ces reptiles ne devraient pas en avoir, mais ils en ont!» (Les 37 sous de M. Montaudoin, 16.)
«Les femmes aiment à s’appuyer sur un bras qui porte une épée à sa ceinture.» (Le plus heureux des trois, II, 2.)
«Il paraît qu’un jour, à sa fête, vous lui aviez composé un petit compliment? — Un quatrain... huit vers seulement.» (La Sensitive, I, 1.)
«Retenez bien ceci: plus un peuple a de lumières, plus il est éclairé. — C’est comme les salles de bal. — Et plus il est éclairé... — Plus il a de lumières.» (29 degrés à l’ombre, 1.)
«Voulez-vous me permettre de faire son portrait à l’huile... et à l’œil?» (La Main leste, 10.)
«Me croyant poète, j’ai commis des vers, et, généralement, quand on commet des vers, on désire les lire à quelqu’un... Peu de poètes ont le courage du vers solitaire!» (La Chasse aux corbeaux, I, 4.)
«Le mariage est un contrat synallagmatique... Article 146... Les époux doivent être libres, français, et de sexe différent.» (Un Monsieur qui a brûlé une dame, 3.)
«Je me perce moi-même... comme Cléopâtre. — Permettez! Cléopâtre... d’abord, c’est un aspic! elle s’est poignardée avec un aspic!» (Les Noces de Bouchencœur, I, 6.)
«Je veux lui plonger dans le cœur un fer rouge... un fer rouge qui s’appellera le remords... un fer rouge qui le poursuivra partout, qui lui rongera le foie... comme un vautour... et dont le miroir implacable lui représentera son crime, en lui criant: «Misérable! tu as trompé ton ami!» (Le Prix Martin, III, 8.)
Presque dès ses débuts, alors qu’il exerçait «le sacerdoce de la critique» au rez-de-chaussée de L’Événement, AUGUSTE VACQUERIE (1819-1895) se rendit célèbre par une énorme bévue, qui, dit Balathier de Bragelonne (Le Voleur, 13 mai 1859, p. 31, et 29 mai 1874, p. 350), «frappa d’étonnement le monde des lettres et des artistes». Il prit le nom d’une île pour un nom d’homme, attribua la Vénus de Milo au «grand sculpteur Milo».
Dans le chapitre des «Romanciers», nous verrons cette même Vénus donner lieu à d’autres quiproquos.
En revanche, on a parfois pris le nom de l’ébéniste Boule (1642-1732) pour un nom commun: «des meubles de boule», «des meubles en boule».
La rime a souvent de cruelles exigences. Auguste Vacquerie l’a éprouvé dans Tragaldabas (III, 2):
Et je vais donc connaître enfin ce paradis
D’être appelé mon chien et mon petit radis.
Il y a d’étranges images, d’ahurissantes métaphores dans Profils et Grimaces, un recueil d’articles du même auteur. Exemples:
«Il en est de l’esprit comme du corps: les bottes neuves gênent le pied, les idées neuves gênent l’intelligence. Le drame est tout neuf, Racine est une vieille botte. Nous comprenons sans les imiter, ceux qui se chaussent de tragédies éculées.» (Page 17.)
«Il y a des enfants qui viennent rachitiques, goitreux, sourds, muets, aveugles; et il y a de fiers et vigoureux oiseaux qui vivent dans les montagnes et dans les tempêtes, superbes, causant avec le tonnerre, souffletant l’orage à coups d’aile et faisant baisser les yeux au soleil... Une ode est un aigle; un vaudeville est un cul-de-jatte.» (Page 140.)
«L’Odéon... c’est la crèche des talents tout petits, des pièces qui vagissent, des comédiens qui ne marchent pas encore, des comédies qui font leurs dents.» (Page 208.)
Elle est de Vacquerie également cette phrase (Ibid., p. 305-306) qui évoque le souvenir de pensées chères à Victor Hugo[36]: «Je suis le bon Samaritain des crapauds... Je suis l’ami intime des colimaçons et le galant des araignées... J’ai envie de dire au chacal: «Mon frère, embrassons-nous!»
Et celle-ci encore (Profils et Grimaces, p. 308-309): «Lorsque je réfléchis à tous les services que les choses nous rendent, j’en veux aux maçons qui chargent trop un vieux mur, et je ne ferais pas de mal à une allumette. Je plains les clous rouillés, je bénis les charrues, je remercie avec effusion les chenets qui se mettent dans le feu pour nous, j’admire les chaudrons.» Etc.
Le toast de Desgenais, dans Les Parisiens (I, 14) de Théodore Barrière (1823-1877) a été plus d’une fois cité comme modèle de pathos: «Je bois aux parasites qui déjeunent de la flatterie et soupent de la bassesse... Je bois à la prudence qui ne relève pas le gant qu’on lui jette, et qui porte crânement un outrage sur l’oreille...»
Et ces métaphores et hyperboles extraites de la même pièce:
«Oh! comme ce pauvre petit baiser a froid! — Oui, ses baisers grelottent au foyer conjugal.» (II, 1.)
«Enfin, monsieur, en supposant que vos rêves brodés au collet ne se réalisent pas...» (II, 1.)
Autres singularités théâtrales.
Fernand Desnoyers (1828-1869), l’auteur de la fameuse pièce de vers relative à Casimir Delavigne et adressée aux
Habitants du Havre, Havrais!
............
Il est des morts qu’il faut qu’on tue!
écrivit en vers le scénario de sa pantomime Le Bras noir (1856, in-18), précaution qu’on aurait volontiers jugée inutile, puisqu’il s’agissait d’une pantomime et qu’aucun de ces vers ne devait être prononcé, et il fut si fier de cette innovation qu’il se mit à joindre à son nom, sur les couvertures de ses volumes, cette mention: «Auteur du Bras noir». C’est par scrupule sans doute ou par modestie qu’il n’ajouta pas: «pantomime en vers». (Cf. Alphonse Daudet, Trente ans de Paris, p. 245; et Larousse, 2e suppl.)
Villiers de l’Isle-Adam (1833-1889) composa un drame en «un acte, une scène et une phrase», et qui avait pour titre La Méprise. Au lever du rideau, dans une demi-obscurité, un couple causait à voix basse et tranquillement de ses petites affaires. Tout à coup, un homme, le jaloux, armé d’un revolver, émergeait de l’ombre, et, sans mot dire, foudroyait le couple à bout portant. Alors la scène s’éclairait. Le justicier se penchait sur les cadavres pour les reconnaître, puis se redressait vivement, stupéfait, ahuri, et déclarait: «Il y a erreur! Je me suis trompé!» (Cf. Émile Bergerat, Le Journal, 3 juillet 1894.)
Il y a aussi des incohérences et drôleries théâtrales qui proviennent des acteurs et non des auteurs. Ce sont, le plus souvent, des contrepetteries. Celle-ci, par exemple, contée par Voltaire (lettre à M. de Bellay, 6 juillet 1767): Au moment de simuler un assaut, et au lieu de commander: «Sonnez, trompettes! En avant!», l’acteur s’écria: «Trompez, sonnettes! En avant!»
La langue fourcha de même, un soir, à une actrice du Théâtre-Français, qui, au lieu de dire: «Ma suivante Lisette», prononça: «Ma suivette Lisante.» (L’Opinion, 19 août 1885.)
L’acteur Febvre, malgré son talent, raconte encore le journal L’Opinion (même date), commit plusieurs de ces pataquès. Au lieu de: «Je vous bénis et je vous vénère», — «je vous vernis et je vous bénère», articula-t-il un soir, sans que, paraît-il, aucun spectateur y prît garde. Ailleurs, au lieu de cette phrase: «J’ai toujours été malheureux: ma mère est morte en me mettant au monde; mon père, un vieux soldat...», il s’écria, avec du reste une profonde expression de mélancolie: «J’ai toujours été malheureux; mon père est mort en me mettant au monde; ma mère, un vieux soldat...»
«D’honneur, mon cher bal, votre comte est superbe!» déclara un soir un acteur qui voulait dire: «Mon cher comte, votre bal est superbe.» (Paul De Kock, Le Petit Isidore, p. 27; Rouff, s. d., in-4.)
Justin Bellanger (1833-1917), qui fut acteur, avant d’être poète et bibliothécaire de la ville de Provins, raconte, dans ses «Souvenirs de jeunesse» (La Vie de théâtre, p. 48-49; Lemerre, 1905) que, jouant le rôle de Francesco dans Gaspardo le Pêcheur de Bouchardy, et ayant lu la lettre dont la première phrase est ainsi conçue: «Je n’étais pas ton père, Francesco!», au lieu de s’écrier ensuite: «Oh! je n’étais pas son fils!» articula un soir avec conviction ces burlesques paroles: «Oh! je n’étais pas son père!» qui provoquèrent un fou rire dans toute la salle.
Et cet autre, ce «grand comédien» s’écriant, au milieu d’une scène fort pathétique et avec la plus superbe conviction: «Un mou de veau, et je suis sauvé!» (Pour: un mot de vous). (A. de Chambure, A travers la presse, p. 489; Ferth, 1914.)
Nous avons vu, dans le chapitre consacré à Victor Hugo (p. 117), qu’à la première représentation d’Hernani le cri d’Hernani à l’adresse de Ruy Gomez: «Vieillard stupide» avait été entendu Vieil as de pique par certains spectateurs.
Voici d’autres confusions du même genre:
Dans la tragédie d’Azémire, de Marie-Joseph Chénier, conte Henri Welschinger (Les Almanachs de la Révolution, p. 144; Jouaust, 1884), comme un des personnages s’écrie: «Que dira ton vieux père?» les beaux esprits de la cour entendirent ou feignirent d’entendre: «Que dira Dieu le Père?» D’où mille pasquinades qui contribuèrent à la chute de la pièce.
Au dernier acte des Funérailles de l’honneur d’Auguste Vacquerie, l’acteur Rouvière ayant à dire: «Je ne suis pas venu ici comme vous, madame, incognito», la moitié de la salle entendit: en coquelicot! Et il paraît que de passionnés romantiques jugèrent cela «très fort, — un trait de génie». (Le Rappel, 4 décembre 1874.)
Un acteur, nommé Paul Laba, à sa sortie du Conservatoire, débuta dans le rôle de Damis, de Tartuffe, et obtint un succès de fou rire, grâce à la manière dont il disait les deux vers:
J’en prévois une suite, et qu’avec ce pied plat,
Il faudra que j’en vienne à quelque grand éclat.
(I, 1.)
L’expression pied plat vise Tartuffe, «mais le comédien crut faire mieux en montrant son pied, — ce pied plat, — indiquant par une pantomime vive et animée l’usage qu’il entendait en faire, ce qui provoqua un effet de gaieté irrésistible». (Félix Duquesnel, Le Temps, 8 novembre 1913.)
On trouve dans Les Comédiens de Casimir Delavigne (I, 6) ces deux vers:
Le public, dont l’arrêt punit ou récompense,
S’informe comme on joue et non pas comme on pense.
En lançant ce dernier vers, certain acteur amateur, qui cherchait sans doute à produire un effet nouveau, se frappait sur la joue à la fin du premier hémistiche, et sur le ventre en terminant le second. (Le Figaro, 14 décembre 1875.)
Dans une autre pièce du même auteur, sa tragédie Les Vêpres siciliennes, un des personnages, Lorédan, termine l’acte II par cette solennelle et vibrante déclaration:
Du dernier des tyrans ces murs seront purgés.
Et nous n’y rentrerons que vainqueurs et vengés!
Ce que l’un des interprètes de ce rôle modifiait en ces termes:
Du dernier des tyrans ces murs seront vengés.
Et nous n’y rentrerons que vainqueurs et purgés!
(Musée des Familles, 1er janvier 1897, p. 26.)
De même ces deux vers de Corneille (Théodore, I, 2):
Un bienfait perd sa grâce à le trop publier;
Qui veut qu’on s’en souvienne il le doit oublier.
se sont trouvés ainsi transformés par un acteur:
Un bienfait perd sa grâce à le trop oublier;
Qui veut qu’on s’en souvienne, il le doit publier.
Dans La Tour de Nesle, d’Alexandre Dumas et Gaillardet, un acteur, un figurant plutôt, jouant un rôle de messager, avait, en entrant en scène, à prononcer cette simple phrase: «Lettres patentes du roi au capitaine Buridan». Au lieu de cela, ledit messager accourt en s’écriant d’une voix de stentor:
«Lettres épatantes du roi,» etc.
Toute la salle d’éclater de rire.
«Qu’est-ce qu’ils ont donc, ces daims-là? Qu’est-ce qu’il y a de risible? demande le comparse à l’un de ses voisins sur la scène.
— Dame, tu as dit épatantes...
— Eh bien?»
(La République française, 28 février 1899.)
Un souffleur de la Comédie-Française «s’obstinait à appeler la tragédie de Pertinax, d’Arnault, Le Père Tignace». (Alexandre Dumas, Mémoires, t. VIII, p. 290.)
«Elle a débuté dans Le Cidre (Le Cid) de Corneille; elle a fait Chimène.» (Paul de Kock, Nouvelles, Les Bords du canal, p. 14, Rouff, s. d., in-4.)
Alphonse Karr, dans ses Guêpes (juin 1841, t. II, p. 307), parle d’une affiche théâtrale annonçant une représentation prochaine et portant, faute de musiciens, cet avertissement: «Un dialogue vif et spirituel remplacera la musique, qui nuit à l’action».
Il y eut un soir, dans je ne sais quelle bourgade de Bretagne ou d’ailleurs, un commencement d’incendie au théâtre, où l’on venait de jouer un bon vieux drame, qui se terminait par un bombardement. Le lendemain, l’imprésario n’eut rien de plus pressé que de faire afficher cet avis:
«Désormais, afin d’éviter tout accident, le bombardement se fera à l’arme blanche.» (Cf. Alphonse Lafitte, le journal Le Corsaire, 27 mai 1876.)
Dans une autre petite ville, une troupe de comédiens ambulants venait de jouer Le Misanthrope. L’acteur qui avait rempli le rôle d’Alceste, et qui l’avait joué de moitié avec le souffleur, s’avance sur la scène, après la représentation, s’incline et dit:
«Mesdames et Messieurs, nous aurons l’honneur de vous donner, demain soir, et pour notre clôture définitive, une pièce de Sedaine, Le Philosophe sans le savoir...
— Non pas! non pas! interrompt le maire, qui se trouvait justement dans la salle. Vous venez de jouer Le Misanthrope sans le savoir, et vous saurez demain, s’il vous plaît, Le Philosophe pour le jouer.» (Cf. ID, ibid., 31 mai 1876.)
Sous la Révolution, le citoyen et imprésario Léger ayant fait afficher, dans une ville de province, qu’il donnerait prochainement en représentation Amphitryon, comédie en vers libres de Molière, la municipalité de l’endroit, sur le seul vu de l’affiche, et soucieuse de la bienséance, interdit la représentation. (Cf. Henri Welschinger, Les Almanachs de la Révolution, p. 171.)
L’anecdote suivante, que je rencontre encore dans ce dernier ouvrage (p. 35), bien qu’en dehors de mon sujet, me semble assez intéressante pour être glissée ici. Dans la ville de Beaune, l’épouse du maire ayant accouché le jour même où son mari était «élevé à la mairie», un bel esprit beaunois salua ce double événement par ce joyeux distique:
Notre choix l’a fait maire, et l’amour le fait père;
Quel triomphe pour nous de le voir père et maire!
Comme exemple des drôleries de la censure théâtrale, n’oublions pas cette anecdote contée par Aurélien Scholl, et dont Planté, «le censeur légendaire», fut le héros (L’Opinion, 30 octobre 1885):
«C’était dans une petite pièce de Siraudin et Delacour. Au lever du rideau, une femme de chambre était occupée à coudre: «Allons, bon! disait-elle, voilà encore mon fil qui vient de casser... C’est pourtant du fil d’Écosse!»
«Planté écrivit en marge: «Choisir une autre qualité de fil pour ne pas altérer nos bons rapports avec l’Angleterre».