Récréations littéraires, curiosités et singularités, bévues et lapsus, etc.
VI
Gustave Flaubert. Ses erreurs, barbarismes et solécismes. — Jules et Edmond de Goncourt. Drôleries et mots tronqués. Abus du verbe mettre. — Alphonse Daudet. — Émile Zola. — J.-K. Huysmans. La musique des liqueurs. Encore l’abus du verbe mettre.
Dans Madame Bovary (t. I, p. 30; 1re édition, Michel Lévy, 1857), Gustave Flaubert (1821-1880) nous dit que «le père Rouault vint apporter à Charles le paiement de sa jambe remise, soixante-quinze francs en pièces de quarante sous». 75 francs en pièces de 2 francs, problème qui paraît insoluble.
Plus loin (p. 141), nous lisons: «Il reçut pour sa fête une belle tête phrénologique, toute marquetée de chiffres jusqu’au thorax et peinte en bleu.» Une tête qui va jusqu’au thorax, encore une énigme difficile à déchiffrer.
Le costume de conseiller de préfecture décrit par Gustave Flaubert, dans un autre chapitre de Madame Bovary (t. I, chap. 8, p. 197, Fête des Comices): «Alors on vit descendre du carrosse un monsieur vêtu d’un habit court à broderies d’argent... Il était, lui, un conseiller de préfecture... M. le conseiller, appuyant contre sa poitrine son petit tricorne noir...», ce costume serait, d’après une lettre adressée au Figaro (numéro du 13 mars 1919) par «Un ancien conseiller de préfecture», tout à fait inexact: «Jamais, sous aucun régime, les conseillers de préfecture n’ont eu de broderies d’argent, mais des broderies bleues de deux nuances et un bicorne...»
Dans Bouvard et Pécuchet (p. 126; 1re édition, Lemerre, 1881), cette singulière peinture: «De couleur vert-pomme, sa chasuble, que des fleurs de lis agrémentaient, était bleu-ciel[45]».
Pages 299-300 du même ouvrage, Flaubert fait célébrer la messe de minuit «le soir du 26 décembre», c’est-à-dire le lendemain de Noël au lieu de la veille.
«Je voudrais que les gouttes de mon sang jaillissent jusqu’aux étoiles, fissent craquer mes os, découvrir mes nerfs.» (La Tentation de saint Antoine, p. 44; Charpentier, 1882.)
Des gouttes de sang qui font craquer les os, etc.?
Et que dites-vous de cette gentille petite phrase, cueillie dans une lettre adressée à Mme X... (Mme Louise Colet: Correspondance de Gustave Flaubert, t. II, p. 176): «Adieu, toi qui es l’édredon où mon cœur se pose, et le pupitre commode où mon esprit s’entrouvre»?
Il faut bien le reconnaître, malgré son très grand talent et ses minutieux et maladifs scrupules d’écrivain, et aussi malgré toute l’admiration qu’il nous inspire, les fautes de français (barbarismes et solécismes) abondent chez Gustave Flaubert. A l’époque de sa jeunesse, on étudiait mal ou plutôt on n’étudiait pas du tout notre langue dans les collèges et les lycées; on était censé l’apprendre à l’aide des versions latines, et Flaubert, sans s’en douter le moins du monde, garda toute sa vie et dans tous ses écrits des traces de cette ignorance.
Émile Faguet en a, de son côté, fait la remarque: «Flaubert n’était pas très sûr de sa langue. Il est resté un certain nombre de solécismes et de provincialismes dans Madame Bovary (Revue bleue, 3 juin 1899, p. 697).
Voici quelques exemples à l’appui de ces assertions:
Flaubert confond sans cesse de suite avec tout de suite: «Il eut un tel regard qu’elle s’empourpra, comme à la sensation d’une caresse brutale; mais de suite, en s’éventant avec son mouchoir: «Vous avez manqué le coche...» (Bouvard et Pécuchet, 1re édition, p. 368, et passim.) «Réponds-moi de suite...» (pour immédiatement, tout de suite) (Correspondance, t. I, p. 108.) «Tu vas avoir de suite plus de lecteurs que tu n’en aurais eu...» (Ibid., t. II, p. 170.) Etc.
Il évite quelque chose à quelqu’un, au lieu de le lui épargner, ou de le lui faire éviter: «Pour lui éviter du mal, il se levait de bonne heure...» (Bouvard et Pécuchet, p. 237.) «Vous m’éviterez une course.» (Correspondance, t. IV, p. 214.) Etc.
Il se rappelle d’une chose, il s’en rappelle, au lieu de se la rappeler: «La première lecture n’est pas si loin qu’ils ne s’en soient rappelés.» (Correspondance, t. II, p. 236.) «Remercie de ma part Mme Robert qui a bien voulu se rappeler de moi.» (Lettres à sa nièce Caroline, p. 2.) Etc.
Il cause à quelqu’un, au lieu de causer avec lui: «On trouve toujours dans cette ville-là des gens à qui causer.» (Correspondance, t. III, p. 193.) «Je n’aurais plus personne à qui causer.» (Lettres à sa nièce Caroline, p. 359.) Etc.
Il se dispute avec quelqu’un, au lieu de disputer (sans pronom) avec lui, de se quereller avec lui («Se disputer, dans le sens d’avoir une querelle, locution qui n’a en sa faveur ni la grammaire ni l’autorité des écrivains»: Littré, art. Disputer, Rem.): «Il vit Arnoux qui se disputait...» (L’Éducation sentimentale, p. 29; Charpentier, 1880.) «C’était le chevalier et le postillon qui se disputaient.» (Ibid., p. 153.) «... à me disputer avec mes éditeurs.» (Correspondance, t. I, p. 101.) Etc.
Il observe quelque chose à quelqu’un, au lieu de le lui faire observer: «Il est possible, comme tu me l’observes, que je lise trop...» (Correspondance, t. I, p. 170.)
Ne soupçonnant pas qu’invectiver est un verbe neutre, il écrit toujours: invectiver quelqu’un, au lieu d’invectiver contre ce quelqu’un: «Il invectivait Charles Ier.» (L’Éducation sentimentale, p. 214.) «Sa femme l’invectivait.» (Ibid., p. 401.) «Il ne pouvait se retenir de les invectiver.» (Ibid., p. 411.) Etc.
Toujours aussi il écrit: nous nous sommes en allés, au lieu de: nous nous en sommes allés (de même qu’on dit: nous nous en sommes flattés, nous nous en sommes vantés, — et non en flattés, en vantés): «Nous nous sommes en allés.» (Correspondance, t. I, p. 85.) «Il s’est en allé tranquillement.» (Ibid., t. I, p. 308.) «Avec Louis-Philippe s’est en allé quelque chose qui ne reviendra pas.» (Ibid., t. II, p. 12.) Etc.
Il donne à la locution prépositive à l’encontre de, qui signifie en s’opposant à, à l’opposite de, en face de, etc. (Cf. Littré), le sens, qu’elle n’a jamais eu, de relativement à, à propos de: «Il avait des remords à l’encontre du jardin.» (Bouvard et Pécuchet, p. 37.)
Sous le rapport de: cette locution, qui n’est pas exacte, car une chose n’est pas sous un rapport, mais en rapport avec une autre, «n’est pas bonne à employer, dit Littré (art. Rapport, Rem.); ceux qui écrivent avec pureté doivent l’éviter». Flaubert l’emploie couramment: «... Quoique d’une fidélité fort exacte sous le rapport des descriptions...» (Correspondance, t. I, p. 196.) «Tâche de me dire ce qui se passe dans ma maison sous tous les rapports possibles.» (Ibid., t. I, p. 278.) «Nous allons bien sous le rapport sanitaire.» (Ibid., t. II, p. 35.) Etc.
Il part à Paris, au lieu de partir pour Paris. «Dans une quinzaine, il part à Paris.» (Correspondance, t. II, p. 321.)
Il écrit le Dante, au lieu de Dante sans article («Durante Alighieri, dit Dante, par une abréviation familière aux Italiens, et non le Dante, comme on dit trop souvent en français, les Italiens ne plaçant l’article que devant le nom propre et non devant les prénoms»: Larousse, art. Dante): «La chape de plomb que le Dante promet aux hypocrites...» (Correspondance, t. II, p. 283.)
Il écrit les de Goncourt (Ibid., t. III, p. 391), au lieu de les Goncourt. (Cf. Littré, art. Nobiliaire.)
Oubliant que pire est un adjectif et non un adverbe, il écrit: «Je vais pire» (Ibid., t. IV, p. 263), comme si l’on pouvait dire: Je vais meilleur, au lieu de: Je vais mieux, je vais pis.
Il dit que «rien n’est plus embêtant comme la campagne». (Lettres à sa nièce Caroline, p. 77.)
«Écris-moi-le» (Ibid., p. 153), pour: écris-le-moi.
Dans ce but, locution qui ne s’explique pas et «qui doit être évitée», dit Littré. «Mme Lapierre m’a écrit, dans ce but, un billet fort aimable.» (Ibid., p. 389.)
«La pluie qui n’arrête pas me comble de joie.» (Ibid., p. 163.)
Soi-disant «ne se dit jamais des choses», remarque Littré, et ne peut logiquement s’appliquer qu’aux personnes. «A force de patauger dans les choses soi-disant sérieuses...», écrit Flaubert. (Ibid., p. 434.)
Enfin, on a, non sans raison, blâmé ces phrases de Flaubert:
«Son mari, sachant qu’elle aimait à se promener en voiture, trouva un boc d’occasion, qui, ayant une fois des lanternes neuves... ressembla presque à un tilbury.» (Madame Bovary, t. I, p. 48.)
«Les marchands de vins étaient ouverts; on allait de temps à autre y fumer une pipe.» (L’Éducation sentimentale, p. 352.)
«Il fallait relever le principe d’autorité, qu’elle s’exerçât au nom de n’importe qui, qu’elle vînt de n’importe où...» (Ibid., p. 475.)
«Le matin, on s’encombrait au bureau de la poste.» (Bouvard et Pécuchet, p. 196.) Pour: on se pressait au bureau, ou: on encombrait le bureau.
«Il était venu avec une charrette de fumier, et l’avait jetée tout à vrac au milieu de l’herbe.» (Ibid., p. 206.) Au lieu de: en vrac. (Cf. Littré.)
«Il assista peut-être à des choses que tu lui jalouserais, si tu pouvais les voir.» (Ibid., p. 349.)
Flaubert, qui aimait tant à relever les incorrections grammaticales chez ses confrères (Cf. Correspondance, t. II, p. 148 et 200, où il reproche à Stendhal d’écrire mal, à Lamartine de n’avoir pas suffisamment étudié le français; et t. IV, p. 344, 354, 355, 362, etc.), et qui nous informe quelque part (Correspondance, t. III, p. 237) qu’il a, pour un certain laps de temps, huit ou quinze jours, le Dictionnaire de l’Académie sur sa table, et qu’il «couche avec la Grammaire des Grammaires», eût été diantrement étonné si on lui eût montré combien sa langue était en désaccord avec la langue de l’Académie, avec la langue de Littré, et surtout avec celle de Girault-Duvivier, son sévère et vieillot compagnon de lit[46].
Des Goncourt (Edmond de Goncourt: 1822-1896; Jules de Goncourt: 1830-1876): «Sur le siège, le dos du cocher était étonné d’entendre pleurer si fort.» (Germinie Lacerteux, chap. 64, p. 254; Charpentier, 1864.)
Dans le même roman (p. 244), les deux écrivains inventent le verbe rasseyer, rasseoir ne leur suffisant pas: «Il fallait que mademoiselle la rasseyât de force», — et (p. 85) ils écrivent des affutiots, qui n’existe pas en français: «... avec des affutiots comme elles s’en mettent», au lieu d’affûtiaux (bagatelle, brimborion, affiquet).
«Ce qui lui manquait et lui faisait défaut, c’était une absence d’aliment à des appétits nouveaux...» (Madame Gervaisais, p. 216.)
Dans Idées et Sensations (p. 155), les Goncourt nous font entendre des rossignols en hiver: «Au mois de décembre... j’aime à entendre la lisière toute gazouillante et rossignolante du sautillant bonsoir des oiseaux au soleil.» Les rossignols, aussi bien d’ailleurs que les autres oiseaux, ne chantent guère en hiver, d’autant que la plupart des oiseaux chanteurs sont migrateurs et nous ont quittés: «Le rossignol arrive chez nous vers la fin de mars... et émigre dans les premiers jours d’août» (Larive et Fleury, Dictionnaire des mots et des choses)[47].
Et dans Les Frères Zemganno (p. 11), nous assistons à ce phénomène: un hérisson, qui, au lieu de se rouler bien vite sur lui-même et se mettre en boule, se débat contre son ravisseur: «... Le jeune homme, portant enfermé dans sa vareuse un animal qui se débattait... Le hérisson vivant...»
Autres phénomènes: une femme croque des noisettes avec des dents qu’elle n’a pas; un jeune homme imberbe rit dans sa barbe: «Ce soir, au dessert, en croquant des noisettes avec des dents absentes, la sœur nous raconte...» (Goncourt, Journal, année 1871, t. IV, p. 349.) «Le jeune Léon rit dans sa barbe future.» (Id., ibid., année 1882, t. VI, p. 177.)
Et ce discours «applaudi par deux larmes coulant sur la figure de l’amiral Jauréguiberry». (Id., ibid., année 1886, t. VII, p. 136.)
Puis des phrases entortillées et alambiquées comme celles-ci: «Charmée nerveusement, avec de petits tressaillements derrière la tête, Mme Gervaisais demeurait, languissamment navrée sous le bruit grave de cette basse balançant la gamme des mélancolies, répandant ces notes qui semblaient le large murmure d’une immense désolation, suspendues et trémolantes des minutes entières sur des syllabes de douleur dont les ondes sonores», etc. (Madame Gervaisais, p. 83.)
«Et, tout à coup, dans ce qu’il regardait, une page fleurissante semblait un herbier du mois de mai, une poignée du printemps, toute fraîche arrachée, aquarellée dans le bourgeonnement et la jeune tendresse de sa couleur.» Etc. (Manette Salomon, p. 173.)
«Et elle travaillait avec la fumée d’une bougie recueillie sur un plat d’argent, elle travaillait laborieusement, par-dessus le délicat charme de ses traits charmants, à la composition d’un visage aphrodisiaque et cadavéreux, où il y avait de l’échappée de l’hôpital, mêlée à une espèce de génisse inquiétante et fantasque», etc. (Chérie, p. 237.) Quel charabia! Et qu’est-ce que tout cela signifie?
De même ceci:
«Et la morne désolation de ce lendemain n’était pas le nuage qui met au front de la femme une contrariété de la vie, et qui se dissipe dans un peu de nervosité batailleuse, mais était un sombre et momentané désenchantement de l’existence, le repliement lassé d’une créature sur elle-même, avec ce temps d’arrêt du travail sourieur de la cervelle et de l’enfantement continu des projets et des châteaux en Espagne, qui ne cesse que dans cette sorte d’ennui et dans le sentiment de la mort.» (La Faustin, p. 172-173.)
«Parmi les gens à imagination, je suis étonné combien il leur manque le sens de l’art, la vue compréhensive des beautés plastiques, et, parmi ceux qui ont cela, je suis étonné combien il leur manque l’invention, la création...» (Goncourt, Journal, 7 mai 1878; t. VI, p. 22.)
«Les vrais connaisseurs en art sont ceux que la chose, que tout le monde trouvait laide, ont fait accepter comme belle...» (Id., ibid., 30 juin 1881, t. VI, p. 154.)
«... Cette danse n’a rien de gracieux, de voluptueux, de sensuel; elle consiste tout entière dans des désarticulations de poignets, et elle est exécutée par des femmes dont la peau semble de la flanelle pour les rhumatismes, et qui sont grasses d’une vilaine graisse de rats nourris d’anguilles d’égouts.» (Id., ibid., 24 mai 1889; t. VIII, p. 55.)
Et cet homme «maigre et long», qui a des «jambes de pétrin phtisique». (Les Frères Zemganno, p. 151.)
Nul peut-être plus que les Goncourt n’a abusé du verbe mettre appliqué à un objet immatériel ou inanimé:
«Une lampe allumée mettait un brasier de feu d’or...» (Madame Gervaisais, p. 164.)
«... Le visage de la Faustin se détacha avec une toute petite touche carrée de vive lumière sur le front, avec une petite ligne de lumière humide au bord de la paupière inférieure et mettant un éclair mouillé dans le bas de la prunelle, avec une cédille de lumière...» (La Faustin, p. 174.)
«Des lampes... mettent un peu de rougeoiement sur la table.» (La Fille Élisa, p. 6.)
«La lampe de l’escalier mettait sur l’humidité des murs un ruissellement rougeoyant.» (Ibid., p. 94.)
«Les ombres des arbres mettaient de grandes taches diffuses...» (Les Frères Zemganno, p. 10.)
«Un rayon, filtrant par une fente mal jointe, mettait une danse poussiéreuse...» (Ibid., p. 49.)
Etc., etc.
Au lieu de mettre, des écrivains emploient volontiers, dans ce cas, le verbe jeter: «Une cravate en soie rouge jette une note grave sur la blancheur de la flanelle.» (Cf. Revue bleue, 10 mars 1883, p. 315.) Nous avons vu, dans le chapitre consacré à Champfleury (p. 209), «un parfum de miroton qui jetait sa note intense...»
Peu d’écrivains, tout en croyant avoir grand souci de la langue, ont plus mal écrit que les Goncourt, plus émaillé leur prose de barbarismes et de pataquès. «L’épithète rare, voilà la marque de l’écrivain,» assurent-ils. (Journal, t. III, p. 32.) Aussi font-ils peu de cas du style de Flaubert: «Au grand jamais il (Flaubert) n’a pu décrocher une de ces osées, téméraires et personnelles épithètes; il n’a jamais eu que les épithètes excellemment bonnes à tout le monde.» (Ibid., t. VI, p. 289.)[48]
Les Goncourt, eux, l’un ou l’autre ou l’un et l’autre, écrivent:
«Ce coquetage, qui m’insupportait autrefois...» (Ibid., t. IV, p. 163.)
«La canonnade qui ne décesse pas... La fusillade ne décesse pas...» (Ibid., t. IV, p. 171 et 313.) («Décesser, barbarisme populaire qui se dit au lieu de cesser, et qui est une grosse faute.» Littré.)
«Le mot dont il s’est toujours rappelé...» (Ibid., t. VII, p. 87.) Pour qu’il s’est toujours rappelé.
«Brébant me cause de mon livre.» (Ibid., t. VI., p. 314.) «Daudet me cause de la misère...» (Ibid., t. VII, p. 205.) Pour: me parle ou cause avec moi.
«Il a vu payer 90 francs chaque les deux derniers fauteuils...» (Ibid., t. VII, p. 316.) Pour: chacun. («Chaque ne doit pas se confondre avec chacun; chaque doit toujours se mettre avec un substantif auquel il a rapport... C’est une faute de dire: ces chapeaux ont coûté vingt francs chaque.» Etc. — Littré.)
«Les étudiants peu fortunés» (qui n’ont pas assez d’argent pour aller souvent au théâtre) (Ibid., t. VIII, p. 8.) Pour: peu riches, qui n’ont pas beaucoup d’argent. («Fortuné ne doit pas être employé pour «riche»; c’est une faute...» Littré.)
Les Goncourt tronquent quantité de mots, écrivent éplafourdi (Ibid., t. I, p. 51; t. IV, p. 193, etc.) pour éplapourdi (participe passé d’éplapourdir, signifiant abasourdir); — dérayer (Ibid., t. IV, p. 28), pour dérailler; — «la morsure des taxia» (Ibid., t. VII, p. 23), pour des thapsia; — le hantement (Ibid., t. VII, p. 240), qui n’existe pas et est inutile puisque hantise existe; — ils donnent au mot dunkerque (étagère, petit meuble, cf. Littré) un sens qu’il ne paraît pas comporter: «Des vitrines pleines de dunkerques...» (Journal, t. II, p. 69); — etc., etc.
«Je n’admire que les modernes... envoyant promener mon éducation littéraire,» déclare Edmond de Goncourt (Ibid., t. VII, p. 31). C’est-à-dire je supprime tout ce qui m’a précédé, et le monde ne commence qu’à moi.
Avant de quitter les Goncourt, remarquons que l’expression «document humain», si fréquemment employée dans ces derniers temps, a été revendiquée comme sienne par Edmond de Goncourt (La Faustin, préface, p. 11, note 1): «Cette expression... j’en réclame la paternité, la regardant, cette expression, comme la formule définissant le mieux et le plus significativement le mode nouveau de travail de l’école qui a succédé au romantisme: l’école du document humain.»
Alphonse Daudet (1840-1897), dans Tartarin de Tarascon (p. 198, Lemerre, 1886), attribue aux Arabes des mâchoires phénoménales: «Quatre mille Arabes couraient derrière (un chameau), pieds nus, gesticulant, riant comme des fous, et faisant luire au soleil six cent mille dents blanches». Ce qui fait tout juste 150 dents par Arabe.
Dans Les Rois en exil (p. 167 et 229; Lemerre, 1887), un même personnage, l’amant de Séphora, nous est d’abord présenté comme septuagénaire, puis se trouve rajeuni plus loin et devient sexagénaire.
Dans L’Évangéliste (p. 205, Dentu, 1883), Daudet peint un instituteur «aux yeux ardents, d’un bleu globuleux et fanatique».
Dans Le Petit Chose (p. 106; Lemerre, 1884): «Dès l’aube, on s’emplit tous, élèves et maîtres, dans de grandes tapissières pavoisées», etc. Pour: on s’empile.
Alphonse Daudet, qui reconnaissait lui-même tout le premier l’impureté de son style: — «Les gens nés au delà de la Loire ne savent pas écrire la prose française», disait-il (Cf. Journal des Goncourt, t. VI, 1878, p. 24)[49], — abuse des néologismes inutiles et présente fréquemment des tournures de phrases inusitées ou fautives:
«Cette ironie de son fils l’appelant: Maître, cher maître, pour moquer ce titre dont on le flattait généralement...» (L’Immortel, p. 6; 1re édit., Lemerre, 1888.)
«Le nâvrement (sic) de la bouche et du regard signifiait...» (Ibid., p. 12.)
«Longuement réflexionné là-dessus en battant les Champs-Élysées...» (Ibid., p. 59.)
«Les facticités du dessert.» (Ibid., p. 115.) Pour signifier les menus plats de la fin d’un dîner.
«Dans ce frénétisme de vivats...» (Ibid., p. 132.) Frénésie, qui est français, suffirait peut-être.
«Il s’activait autour de la table.» (Ibid., p. 184.) Pour: il s’agitait, se remuait.
«Elle tombe à genoux sur un prie-Dieu, s’y prostre...» (Ibid., p. 186.) C’est-à-dire s’y prosterne.
«Il avait ouvert démesurément la bouche pour exploser sa colère.» (Ibid., p. 221.)
Dans Port-Tarascon (Flammarion, s. d.), Daudet confond auvents avec volets (p. 281); il fait effluves du féminin (p. 78).
Dans Le Petit Chose (Lemerre, 1884), il emploie fixer pour regarder (p. 163); il évite volontiers quelque chose à quelqu’un (p. 192 et 388); part d’ordinaire à son travail (Études et Paysages, Mœurs parisiennes, Le Singe, p. 272; Lemerre, 1885), ou en Auvergne (Jack, t. I, p. 142; Lemerre, 1885), au lieu de pour. Etc., etc.
Émile Zola (1840-1902) donne, dans son roman La Faute de l’abbé Mouret, de curieux détails concernant les prescriptions et habitudes du clergé régulier ou séculier, détails extraits sans doute de quelque traité de discipline ecclésiastique: «Lorsqu’il (l’abbé Mouret) remontait à sa chambre, il ne gravissait (l’escalier) qu’une marche à la fois, ainsi que le recommandent saint Bonaventure et saint Thomas d’Aquin» (p. 115; Charpentier, 1884); «...arrivant à se croire damné pour avoir oublié la veille au soir de baiser les deux images de son scapulaire, ou pour s’être endormi sur le côté gauche; fautes abominables, qu’il aurait voulu racheter en usant jusqu’au soir ses genoux...» (Page 116.) Mais il est regrettable que Zola n’ait pas mieux précisé la source de ces citations.
Dans le même roman (p. 266), l’auteur nous montre «de grands lézards [qui] couvaient leurs œufs». Or, si l’on s’en rapporte au Dictionnaire des mots et des choses de Larive et Fleury (t. II, p. 319, col. 2, art. Lézard), les lézards ne couvent pas leurs œufs: «la femelle ne s’en occupe point, et ils éclosent sans incubation». Une autre espèce de lézards est ovovivipare, c’est-à-dire que «les œufs éclosent dans le corps de la mère, et que les petits viennent au monde tout vivants».
Dans Son Excellence Eugène Rougon (p. 339; Charpentier, 1883), un personnage nous est représenté «assis avec dignité sur son séant». En effet, c’est généralement sur son séant qu’on s’assoit.
Plus loin (p. 394), nous voyons une dame Bouchard qui, «avec le goût pervers des femmes pour les hommes chauves, regarde passionnément le crâne nu» d’un de ses voisins. Est-ce là un goût bien répandu chez les femmes?
«Et combien y a-t-il de Besançon ici? — Dix-sept heures de chemin de fer, répondit Trouche, en montrant sa bouche vide de dents... Oui, oui, on doit être très à son aise, dit Trouche entre ses dents.» (La Conquête de Plassans, chap. 10, p. 138 et 140; Charpentier, 1885.) Voilà des dents qui ont repoussé vite.
«Des femmes montraient leurs... C’était plein de bonhomie, un dortoir au grand air, des braves gens en famille qui se mettent à l’aise... Justement on était à la nouvelle lune...» (La Fête à Coqueville, dans le volume Le Capitaine Burle, p. 284; Charpentier, 1883.)
«On n’entendait jamais un mot plus haut l’un que l’autre.» (Pot-Bouille, chap. 4, p. 78; Charpentier, 1882.) Il faudrait au moins deux mots, pour que l’un pût être plus haut que l’autre.
Dans Lourdes (p. 238; Charpentier, 1894): «Oui, oui, nous partons, dit Pierre, qui se détourna, cherchant son chapeau, pour s’essuyer les yeux.»
Émile Zola, au dire du moins d’Edmond de Goncourt (Journal des Goncourt, 15 juillet 1891; t. VIII, p. 257), estimait que «la clarinette est l’instrument qui représente l’amour sensuel, tandis que la flûte représente tout au plus l’amour platonique».
Les mots saleté, sale, salir, se retrouvent souvent dans les livres d’Émile Zola, regardé comme le chef de l’école naturaliste. «Cette chose laide et sale qui se nomme la politique.» (Une Campagne, p. 318.) «Elle se croyait salie d’une tache si ineffaçable...» (Madeleine Férat, p. 210; Charpentier, 1892.) «Tu ne dois pas salir nos tendresses.» (Ibid., p. 221.) «... Pour y trouver un sale plaisir...» (Madeleine Férat, p. 224.) «... Un besoin de sales débauches...» (Ibid., p. 236.) «... La salir de sa bave...» (Ibid., p. 261.) «Elle comptait que ses saletés suffiraient.» (Ibid., p. 268.) «Ah! que de saletés!» (Ibid., p. 390.) Etc.
«Je suis une force», cette fière et habituelle déclaration de plusieurs personnages d’Émile Zola, de Saccard (Cf. Renée, pièce en cinq actes, p. 47, 49...), de Rougon (Cf. Son Excellence Eugène Rougon, p. 85, 86...), est aussi une des expressions fréquentes du maître romancier. (Cf. Naïs Micoulin p. 67, 125...)
Nous avons cité le fameux sonnet des voyelles d’Arthur Rimbaud (p. 137):
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles,
Etc., etc.
On pourrait rapprocher de ces vers la musique des liqueurs de J.-K. Huysmans (1848-1907), les comparaisons faites par son héros Des Esseintes (A rebours, p. 63; Charpentier, 1884), des alcools et liqueurs avec les divers instruments de musique:
«Chaque liqueur correspondait, selon lui (Des Esseintes), comme goût, au son d’un instrument. Le curaçao sec, par exemple, à la clarinette, dont le chant est aigre et velouté — le kummel, au hautbois, dont le timbre sonore nasille; — la menthe et l’anisette, à la flûte, tout à la fois sucrée et poivrée, piaulante et douce; tandis que, pour compléter l’orchestre, le kirsch sonne furieusement de la trompette; le gin et le whisky emportent le palais avec leurs stridents éclats de pistons et de trombones, l’eau-de-vie de marc fulmine avec les assourdissants vacarmes des tubas, pendant que roulent les coups de tonnerre de la cymbale et de la caisse frappés à tour de bras, dans la peau de la bouche, par les rakis de Chio et les mastics.
«Il pensait aussi que l’assimilation pouvait s’étendre, que des quatuors d’instruments à cordes pouvaient fonctionner sous la voûte palatine, avec le violon représentant la vieille eau-de-vie, fumeuse et fine, aiguë et frêle; avec l’alto simulé par le rhum plus robuste, plus ronflant, plus sourd; avec le vespétro déchirant et prolongé, mélancolique et caressant comme un violoncelle; avec la contre-basse, corsée, solide et noire comme un pur et vieux bitter. On pouvait même, si l’on voulait former une quintette, adjoindre un cinquième instrument, la harpe, qu’imitait, par une vraisemblable analogie, la saveur vibrante, la note argentine, détachée et grêle du cumin sec.
«La similitude se prolongeait encore; des relations de tons existaient dans la musique des liqueurs; ainsi, pour ne citer qu’une note, la bénédictine figure, pour ainsi dire, le ton mineur de ce ton majeur des alcools que les partitions commerciales désignent sous le signe de chartreuse verte.»
Les phrases bizarres, peu claires, entortillées et alambiquées, ne sont pas rares chez Huysmans.
«Éclairés par des becs de gaz, allumés de loin en loin, des murs frappaient des coups crus dans l’ombre.» (En ménage, p. 2; Charpentier, 1881.)
Comme les Goncourt, comme Zola et la plupart des écrivains «naturalistes», Huysmans applique fréquemment le verbe mettre à des objets inanimés:
«Dissimulée derrière la couverture (d’un livre), la tresse noire rejoignait la tresse rose qui mettait comme un souffle de veloutine, comme un soupçon de fard japonais moderne, comme un adjuvant libertin, sur l’antique blancheur, sur la candide carnation du livre, et elle l’enlaçait, nouant, en une légère rosette, sa couleur sombre à la couleur claire, insinuant un discret avertissement de ce regret, une vague menace de cette tristesse qui succèdent aux transports éteints», etc. (A rebours, p. 262.)
«Les assiettes mettaient sur le blanc de craie de la nappe des ronds d’un blanc plus jaune...» (En ménage, p. 314.)
Etc., etc. (Cf. ci-dessus, à propos des Goncourt, abus du verbe mettre, p. 219.)