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Jupe courte

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LES CIGARETTES

I

—Eh bien, demanda Lila Biscuit en entrant, comme midi sonnait à la pendule de Saxe, dans la chambre de Colette Hoguet, qu'est-il advenu? Es-tu ravie, es-tu désappointée? L'amoureux d'hier s'est-il montré digne de ta confiance, ou bien en es-tu déjà au regret de lui avoir été miséricordieuse?

—Vois toi-même, dit Colette Hoguet, en découvrant, dans un demi-bâillement, joli comme un sourire, toutes ses fraîches dents aiguës.

Lila baissa la tête vers la table de nuit, où les bouts de deux cigarettes roses s'alignaient sur le marbre parmi les fines cendres éparses.

—Quoi! dit-elle, deux cigarettes seulement?

—Et encore, soupira Colette, je pense que je me suis un peu trop hâtée de fumer la seconde.

—Ho! voilà qui est tout à fait médiocre. A quelles apparences pourra-t-on se fier désormais?

Mais ceci paraîtrait incompréhensible si je ne vous révélais sans retard une manie, plus ingénieuse qu'ingénue, à laquelle Colette Hoguet se montre singulièrement attachée.

Chaque fois qu'elle est pleinement satisfaite d'un baiser qu'elle a permis, pleinement satisfaite ou à peu près,—ayant des indulgences, sachant faire la part des inévitables désaccords,—elle allume et fume une cigarette; le vide laissé par l'exhalaison du soupir suprême est tout de suite rempli par un papelito; et, le lendemain, elle estime, au nombre des bouts de papier rose exactement rangés, la valeur tendre et ferme du compagnon nocturne.

II

Car Colette Hoguet est une personne redoutable. Fraîche et saine, poupée un peu, puisqu'il le faut, mais femme surtout, elle n'entend pas qu'on aille au paradis par quatre chemins, n'en veut connaître qu'un, qu'elle juge le meilleur parce qu'il est le plus direct, et déplore, acharnée à la simplicité de la bonne voie, la tricherie des sentiers. Il y a dans cette Parisienne quelque chose d'une naïve et rude paysanne. Elle a horreur des subterfuges, des restrictions. Franchement assoiffée, elle ne saurait s'accommoder du goutte-à-goutte. Elle a des soudainetés de tendresse, pareilles à des prises de possession, qui bafouent les flirtations méthodiques; les seuls agenouillements qu'elle tolère sont ceux qui se relèvent très vite jusqu'à joindre les lèvres aux lèvres; son lit prend les chaises longues en pitié. D'autres amoureuses se divertissent des commencements prolongés, aucun achèvement ne dût-il les suivre, se plaisent aux attentes déçues, approuvent que l'homme se féminise jusqu'à l'inégalité et au contretemps dans le plaisir. Vous pouvez triompher auprès de celles-là, frêles amants, chez qui la ruse supplée à la vigueur fléchie! Si vous n'êtes point, dans leur raffiné enfer, le Styx qui les embrasse neuf fois, vous savez y avoir des souplesses de Proserpine qui leur suffisent; il s'établit une inavouée correspondance entre leur dédain de la joie véritable et votre incapacité de la donner; leur désir, dans sa perversion, s'amuse d'être toujours trompé. Mais craignez d'affronter, ô pusillanimes jeunes hommes, l'amour de Colette Hoguet, ou celui de ses semblables! Il est comme un marchand loyal qui, en échange de marchandises non frelatées, exige d'être payé comptant; l'équivalent de ce qu'il offre, il veut le recevoir, ne faisant jamais crédit; et c'est Colette qui, un matin, après trois heures d'illusoires caresses, tandis que, pareil à un débiteur insolvable qui s'acharne à retourner ses poches, l'amant s'attardait encore en d'adroites pâmoisons,—s'écria, pleine de mépris: «Eh bien! monsieur, j'attends!»

III

—De sorte, reprit Lila Biscuit, que cette nouvelle expérience n'a pas été plus satisfaisante que les autres?

—Hélas! dit Colette Hoguet en considérant les deux bouts roses des cigarettes fumées.

Il y eut un silence.

—A ta place, je me laisserais aimer par un de ces poètes qui célèbrent avec tant d'éperdus transports le redoublement des étreintes. Il en est parmi eux qui ne sont point d'une laideur repoussante; et, sans nul doute, l'amour qu'ils expriment si ardemment, ils doivent fort bien le faire.

—Hum! répondit Colette. Je me laissai prendre, une fois, au piège des tendres poèmes; et je crus au baiser de ces lèvres qui chantent. Mignonne! c'est à peine si cette nuit-là j'ai brûlé quelques brins de féresli, et l'amour des poètes n'est pas même de la fumée.

—Peut-être avais-tu mal choisi?

—Cinq pieds six pouces! Un cuirassier qui rimait des ballades! Juge des autres, Lila. Et, après cette épreuve, j'ai tenté beaucoup d'épreuves, espérant toujours. N'était-il point d'homme, enfin, parmi tant d'hommes? Ah! chérie, sous les rideaux de l'alcôve, les gens de sport rêvent à leurs écuries, les comédiens récitent leurs rôles et manquent de mémoire, les banquiers font à minuit des promesses protestées avant le jour, et les valets eux-mêmes,—ressource suprême des mondaines affolées,—ont l'air d'avoir peur de défaire les lits qu'ils referont demain. Des serines qu'on aurait mises en cage avec d'autres serines, c'est nous, et si je n'aimais le doux enchantement du tabac qui se consume dans le papier de riz, j'aurais bien vite perdu l'habitude de fumer des cigarettes.

Lila Biscuit songea, autant que peut songer une linotte.

—Faudra-t-il donc renoncer à la légitime espérance d'être aimée? dit-elle d'un air très sérieux.

—Non! s'écria Colette.

Elle sauta du lit, appela sa femme de chambre, se fit habiller, ordonna de remplir les malles; et, le soir même, elle partait, sans avoir révélé à personne, pas même à Lila Biscuit, le but de son soudain voyage.

IV

Lila Biscuit se chagrina fort de l'absence de son amie. Pensez à une perruche qui aurait la coutume de jacasser sur le même perchoir avec une autre perruche et serait obligée, brusquement, de bavarder toute seule. La pauvre abandonnée n'avait plus goût à rien; même il lui arrivait de se trouver laide dans le miroir où Colette ne se mirait plus. Elle prit une grande résolution, elle se mit à chercher la voyageuse, à travers le monde. Où elle alla d'abord, d'après quels indices elle dirigeait sa poursuite, il est inutile de le dire. Ce qui est certain, c'est qu'un matin de printemps elle se trouva dans une vallée d'Auvergne devant la petite maison couverte de chaume,—une chaumière vraiment,—où Colette Hoguet s'était réfugiée.

Comme Lila Biscuit allait frapper à la porte, un paysan sortit de la maison, un jeune homme, mais un paysan, trapu, joufflu, bourru, avec de grosses mains hors des manches du sarrau.

Elle comprit tout, et se sentit très courroucée! Ce fut avec des paroles de reproche amer qu'elle entra dans la chambre où son amie sommeillait encore, tous ses cheveux défaits sur l'oreiller de toile rude.

Quoi? véritablement? voilà ce qu'avait fait Colette? Elle avait quitté Paris, et Lila Biscuit, pour s'enfuir dans cette solitude, et elle préférait, qui? un rustre, à tant d'aimables amoureux? Sans doute, sans doute, il y avait beaucoup à dire sur la tendresse des Parisiens et sur la vigueur de leurs sentiments. Mais, du moins, ils avaient d'agréables élégances, fleuraient la verveine ou le white-rose comme une femme qui sort du bain; et c'était une honte de se laisser baiser le bout des doigts par un gros et grossier campagnard qui apporte dans l'alcôve des rudesses de labour et des odeurs d'étable.

Colette souriait, ne répondait pas.

—D'ailleurs, ajouta Lila Biscuit avec une colère grandissante, il me semble que tu n'as guère gagné au change.

Colette souriait toujours.

—Il n'y a pas un bout de cigarette sur ta table de nuit!

—Ah! dit enfin Colette en ouvrant toute grande sa bouche où luisaient les dents heureuses, c'est que je n'ai pas eu le temps d'en fumer une seule!

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