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Jupe courte

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LE REVOLVER DE ROSETTE

I

Rosette Mirliton s'est levée de grand matin. Songez donc, il est dix heures à peine! Rosette, c'est le nom fleuri que son miroir lui a conseillé; Mirliton, c'est le nom gamin qu'elle a rapporté, l'an dernier, de la fête à Saint-Cloud. Petite, serrée dans son dolman de drap gris, elle s'en va le long des maisons, rapide, trottant menu, comme une souris qui se dépêche. Une matinée d'été mouillé rit et pleure autour d'elle; le soleil lame d'or et brode d'or la mousseline éparse de la brume. Des charretées de grosses fraises rouges et de cerises luisantes, de fraîches roses par touffes et de coquelicots que le vent fripe, promènent dans la grisaille lumineuse de la rue des coins de vergers et de champs. Mademoiselle Mirliton marche toujours plus vite. Des gouttes de pluie ont mis une rosée de diamant sur les fleurs noires de sa voilette.

Où s'en va-t-elle ainsi, à pied, le bout verni de la bottine sali d'un petit feston de boue? A sa répétition? non pas, la Princesse Charmante, cette féerie où elle remplit le rôle et le maillot de la troisième crevette,—le maillot beaucoup mieux que le rôle—fait le maximum tous les soirs, et l'on n'a pas encore lu la grande pièce géographique de MM. Jules Verne, d'Ennery et Paul Ferrier. A un rendez-vous? pas le moins du monde; ne la prenez pas pour une de ces petites bourgeoises qui consacrent à de sournois et rapides adultères l'heure hypocrite du marché; Rosette n'aime pas avant le soir: son cœur, et le reste, s'allume aux bougies. Peut-être s'est-elle levée, gourmande, pour aller acheter elle-même le fromage laiteux qui fond dans son enveloppe d'osier et où l'on écrase parmi du sucre en farine la fraise des bois qui saigne,—déjeuner blanc et rose de chatte ou de Parisienne? non, elle n'accorde pas un regard aux boutiques des crémiers. Peut-être a-t-elle cédé aux exigences de quelque couturier hautain qui prétend que ses clientes viennent essayer dès l'aube, et à jeun, le corsage étroit, bien adapté, qui colle comme l'enveloppe verte d'une fleur pas éclose? non, si elle allait chez le couturier, elle prendrait garde, avec un air de dédain, aux élégances banales des robes toutes faites qui encombrent les étalages des magasins de nouveautés déjà ouverts. Elle va droit son chemin, affairée, avec décision. Sur le boulevard, elle s'arrête, entre dans la boutique d'un armurier, choisit un revolver—tout petit, mignon, la crosse incrustée de nacre, le canon luisant comme un nez de chat qui n'aurait qu'une narine,—le fait charger devant elle, le fourre dans sa poche, sort de la boutique, et monte dans une voiture en criant au cocher: «Au bois de Boulogne, très vite!»

II

Car elle veut mourir.

Mourir comme mademoiselle Damain à Vienne, comme mademoiselle Gabrielle Roux à Athènes!

Ah! on a beau être frivole, avoir eu vingt amours qui se sont envolés après s'être posés à peine; on a beau être de celles qui montrent effrontément leurs jambes aux fauteuils d'orchestre et leurs gorges aux avant-scènes; un jour vient où le cœur se prend, pour de vrai, et se brise, pour de vrai! C'est le second alto de son théâtre, qu'elle a adoré, Rosette. Pourquoi? elle ne l'a jamais bien su. Parce qu'il était beau, ou parce qu'il était laid; parce qu'il la regardait, toujours, avec des yeux qui se meurent de tendresse, ou parce qu'il ne faisait pas attention à elle, pas du tout. Qu'importe la cause! elle l'a aimé, doucement, ardemment, et elle a été bien heureuse, pendant trois mois. Pour être toute à lui, elle a congédié, avec un haussement d'épaules, comme pour dire: «Je me fiche joliment de vous, allez!» deux hommes très sérieux, l'un qu'elle recevait tous les jours, l'autre qui venait la voir deux fois par semaine. Elle a vécu honnêtement, pauvrement, vendant ses dentelles, mettant ses bijoux au Mont-de-Piété; incertaine quelquefois du déjeuner de demain. Cela lui était bien égal, cette incertitude-là. Avant le lendemain, il y avait la nuit, la nuit si bonne et si tendre, avec toutes les caresses, avec tous les baisers! Mais maintenant l'alto aime une autre femme, laide, pas jeune, maigre, des os pointus, une planche où il y a des clous. Et sotte avec cela. Lâchée pour une grue! Rosette souffre affreusement. Rien que des souvenirs, pas une seule espérance. C'est pourquoi elle va se tuer. Il y a un an, quand le vitriol était à la mode, elle aurait peut-être défiguré l'amant infidèle,—la femme, non, pas moyen de la rendre plus laide! Mais ces choses-là ne se font plus. On ne doit pas se rendre ridicule. Avant ce soir, à l'heure du Bois, des gens qui se promènent trouveront derrière un arbre la pauvre petite Mirliton, étendue sur le dos, morte, une balle au cœur, toute pâle, jolie encore. On mettra son portrait à la première page des journaux illustrés.

III

Elle a renvoyé la voiture. Elle est seule, appuyée à un acacia, dans un massif, pas très loin de l'allée. Comme il est de bonne heure, il ne passe personne. Aucun bruit, sinon de branches remuées, ou de pinsons qui s'échappent en secouant les feuilles. Sous un pont de bois, d'une seule arche garnie d'écorce, un ruisseau coule, vert et doré, où tremblent, dans la lumière et dans l'eau, les arbres renversés, où les oiseaux passent en montrant leur ventre, comme s'ils faisaient la planche. Il y a tout autour d'elle une vie douce et charmante, avec de la solitude. C'est bien plus triste de mourir quand il fait du soleil! La mort en paraît plus noire. Puis, elle songe qu'elle est si jeune, vingt-deux ans, et elle s'est trouvée si jolie, ce matin, en se mettant de la poudre de riz devant l'armoire à glace, au saut du lit; sa chemise tombait un peu, découvrant, d'un côté la poitrine blanche qui se renfle et se fleurit d'une petite rose. Elle se souvient aussi des joies qu'elle a eues, qu'elle pourrait avoir encore. C'est amusant, quand on entre en scène, de voir toutes les lorgnettes braquées sur vous; et les camarades enragent! Les soupers ne sont pas toujours ennuyeux; le champagne met de l'or léger dans les verres; après, on pousse la table dans un coin, et l'on danse au piano. Est-ce qu'elle ne soupera plus, est-ce qu'elle ne dansera plus? La voilette relevée, elle considère le petit revolver incrusté de nacre. Elle est très pâle. Elle a peur. Cela doit faire beaucoup de mal, la balle qui entre dans la chair. Elle tremble, elle va laisser tomber l'arme... non, elle la retient, vigoureusement! Elle ne peut plus vivre, puisque son amant l'a trompée et délaissée. Est-ce qu'elle n'a pas autant de courage que mademoiselle Damain ou que mademoiselle Roux? Elle montrera qu'elle est forte, c'est décidé, elle mourra!

Une chose l'inquiète. Elle ne s'est jamais servie d'un revolver. Si elle allait ne pas savoir tirer, ou si, maladroite, elle tirait mal, se blessait seulement? Elle pense qu'elle fera bien d'essayer une expérience, pour apprendre. Elle vise de son mieux le tronc d'un chêne, un peu loin, parmi de hautes broussailles, presse la détente, très lentement, et le coup part.

Un cri! un cri terrible!

Elle a blessé ou tué quelqu'un, là, derrière le buisson.

Elle se précipite, elle cherche, elle s'arrête, stupide d'horreur.

Un jeune homme, qu'elle ne connaît pas,—très jeune, charmant, bien mis,—est couché sur les branches cassées, immobile, les yeux écarquillés, une main crispée sur le cœur.

Il est mort!

Au secours! au secours! Elle appelle, elle va, vient, ne sait que faire, est comme une folle, fond en sanglots, défaille, veut se retenir aux arbres, tombe, évanouie, sur le jeune homme qu'elle a tué, croit qu'elle meurt aussi, meurtrière innocente. Mais dans son évanouissement, comme dans un sommeil mêlé de rêves, il lui semble qu'elle sent battre le cœur de sa victime, que des bras, très amoureusement, l'étreignent, qu'une voix, en riant un peu, lui dit à l'oreille, dans un baiser: «La balle a cassé une branche au-dessus de ma tête, je ne suis pas mort du tout, et vous êtes bien jolie!»

IV

Une heure après, ils sortent du massif pour aller déjeuner au pavillon d'Ermenonville. Rosette Mirliton n'a pas eu l'idée de chercher le revolver. Il est resté caché dans l'herbe, ou fiché dans la terre, chargé de cinq balles encore. Quelqu'un le ramassera sans doute, quelque jour. Un passant, qui ne songeait pas à mourir, plein d'espérances, joyeux. Qui sait? en regardant le revolver, il deviendra pensif, peut-être, songera au néant de vivre et d'aimer; et, parce que cette arme se sera trouvée là, offerte, comme un doux et triste conseil...... Car l'occasion est la tentatrice mystérieuse de nos faibles volontés.

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