Jupe courte
LA BOTTE DE PAILLE
—Ludovic! on a fermé la porte!
La porte, très épaisse, en bois de hêtre, était fermée en effet; facétie ou inadvertance, quelqu'un avait dû pousser, du dehors, le gros verrou.
Quant à expliquer par quelle suite de circonstances Ludovic et madame de Belvélize se trouvaient, la nuit finissante, dans le grenier à fourrage, au lieu d'être honnêtement endormis, elle, châtelaine, lui, invité, dans leurs chambres du château, c'est à quoi que ne me hasarderai sous aucun prétexte; j'ose espérer que votre curiosité ne l'exigera pas de ma discrétion. Ce qu'on peut dire, c'est que la porte close les mettait dans le plus grand embarras du monde; vous n'auriez pas manqué d'être fort attendri si vous aviez vu la façon désespérée dont madame de Belvélize tordait ses jolis bras nus hors des dentelles du peignoir.
—Je suis perdue! Aucun moyen de rentrer au château. On nous surprendra. M. de Belvélize saura tout. Ah! Ludovic, voilà où m'ont menée mes complaisances pour vous!
Ludovic, pendant ce temps, essayait de ne point perdre la tête.
—Si l'on appelait? La ferme n'est pas loin.
—Plus loin que le château. Mon mari, qui a le sommeil très léger, s'éveillerait avant tout le monde. Pensez-vous, d'ailleurs, que je puisse tolérer la pensée d'être vue, seule avec vous, dans ce grenier, par des paysans qui concevraient peut-être les plus étranges soupçons?
—J'ai une idée!
—Dites vite, par pitié.
—La porte est fermée, mais il nous reste une issue.
—Cette fenêtre?
—Cette lucarne.
—Il faudrait une échelle. Je n'oserai jamais sauter de si haut. Est-ce que nous avons une échelle?
—Nous avons mieux que cela. Voyez-vous cette poulie avec sa corde?
—Oui. Je ne comprends pas.
—J'enroule la corde autour de votre taille, je la tiens par l'autre bout, je la laisse glisser très doucement dans la rainure de la poulie, et vous atteignez le sol, sans aucun danger. Pour moi, je prendrai patience jusqu'à ce qu'on vienne ouvrir, et j'imaginerai bien quelque façon d'expliquer ma présence dans le grenier.
—Ludovic! je braverais les plus grands périls pour sortir d'ici; mais le jour se lève et les croisées du château sont en face de cette ouverture; qui sait si l'un des invités, ne dormant point, ou un domestique, ou M. de Belvélize lui-même, ne m'apercevrait pas, en peignoir blanc, suspendue à la corde? Il est inutile, je pense, de vous faire remarquer qu'une telle attitude, à pareille heure,—et même à n'importe quelle heure,—serait capable d'inspirer un légitime étonnement. On pouvait s'esquiver par la porte et par l'escalier tournant qui donne sur le verger, mais la lucarne, en face du château, ne saurait nous servir.
—Elle nous servira pourtant. Je vais vous envelopper de chaume; vous êtes si mignonne, ma chère âme, que cela ne sera pas malaisé; je lierai le tout, comme on lie les gerbes, et celui qui guetterait derrière une vitre, s'imaginerait, dans le demi-jour, voir une botte de paille, descendant du grenier. Une fois à terre, derrière ce buisson qui se trouve là fort à propos, vous sortirez de votre gaine dorée et vous rentrerez au château.
—Voilà qui me semble très ingénieux, et très praticable. N'est-il point à redouter que quelque brin m'égratigne la joue ou me chatouille cruellement la peau des bras, que j'ai si sensible, vous ne l'ignorez pas? N'importe, il faut savoir se résigner aux plus dures extrémités, quand les circonstances l'exigent. Allons, Ludovic, habillez-moi de chaume, j'y consens.
Petite comme elle était, et fluette, la jeune femme ne tarda pas à être une gerbée tout à fait vraisemblable; il eût fallu, même en plein jour, regarder de près pour entrevoir un peu de blancheur parmi les tiges sèches; en haut, l'or fin des cheveux rebroussés avait l'air d'une touffe d'épis. Soutenue par la corde que Ludovic, incliné en arrière afin de n'être pas aperçu du dehors, laissait glisser très lentement, madame de Belvélize descendit à travers l'air, sans secousses; dans quelques secondes, elle toucherait le sol; mais, tout à coup, la corde devint très légère aux mains de Ludovic stupéfait, et, tendant le cou, il vit avec épouvante un paysan qui emportait sur son dos dans le crépuscule une botte de paille, remuante et criante!
Si éperdu que fût l'effroi de Ludovic, celui de madame de Belvélize l'était bien plus encore. Qui donc l'avait saisie brusquement? Qui donc la tenait sur ses épaules entre deux mains cramponnées? Quelqu'un de la ferme sans doute: en levant le front au moment où des bras l'avaient prise, elle avait vu un bonnet de paysan sur une jeune face vermeille aux joues. Mais que lui voulait cet homme? Pourquoi l'enlevait-il? Où allait-elle, sur ce dos? La conduite la plus sage eût été de se nommer, d'offrir de l'argent au ravisseur pour qu'il déposât son fardeau et gardât le silence sur toute cette aventure; madame de Belvélize n'était pas en état de se résoudre à quoi que ce fût; elle se taisait à présent, plus, se recroquevillant se faisant aussi petite que possible; et elle s'attendait à quelque chose de plus terrible encore, qui allait lui arriver, certainement.
Cependant l'homme avait ralenti sa course; il se parlait à lui-même, tout en marchant.
—Ah! ah! je le savais bien, moi, qu'il venait des voleurs la nuit, dans le grenier. Des malins! qui choisissent pour nous piller le moment où tout le monde dort. Mais je les ai pris sur le fait, cette fois, et il n'y aura pas à dire que j'ai la berlue. J'ai une preuve, derrière la tête. Je m'en vais aller au château, je réveillerai le maître et je lui montrerai cette botte de paille, qui n'est pas descendue toute seule, bien sûr.
Madame de Belvélize éprouva une petite satisfaction et une grande terreur. Le paysan ne savait rien! C'était du fourrage,—pas autre chose,—qu'il croyait avoir sur le dos! Peut-être aurait-elle dû trouver étrange qu'il n'eût pas entendu tout à l'heure le cri qu'elle avait poussé, et qu'un poids invraisemblable ne l'eût pas averti de sa méprise; elle était trop effarée pour prendre garde à ces menues circonstances; elle admit sans difficulté,—se connaissant très légère,—qu'on ne la trouvât pas plus lourde que quelques brins de chaume. Mais, en même temps, comme elle frissonna! C'était au château qu'on la portait: et elle s'imaginait la mine qu'aurait M. de Belvélize, pas tout à fait réveillé, à la voir sortir en peignoir blanc d'une botte de paille!
Elle n'hésita plus. Elle comprit qu'elle devait se révéler, s'accommoder avec le paysan qui ne serait pas incorruptible; et, déjà, elle levait la tête, cherchant des paroles, lorsqu'il se remit à converser avec lui-même.
—Pourtant, voyons, il s'agit de raisonner. Au fond, est-ce que j'ai un grand intérêt à prouver qu'il vient des larrons, près de la ferme, et à les faire prendre? Je n'en serai pas plus riche, et j'aurai nui à de pauvres diables qui sont peut-être de braves gens. Il y a de braves gens dans tous les métiers. Je ferais sagement de ne pas m'occuper de cette affaire-là. D'autant plus que je pourrais bien garder pour moi ce que je les ai empêchés de voler. Ce n'est pas une botte comme les autres, non (le parleur eut un petit ricanement qui aurait dû donner à penser à madame de Belvélize!), elle est lourde, pas trop, il en sort un odeur joliment bonne à respirer. Il faut que ce soit de la paille d'une qualité très fine. Justement le matelas de mon lit est dur comme les pierres; si je le remplaçais par cette botte? J'ai idée que j'aurais de l'agrément à faire un somme là-dessus. Mais, avec tout ça, le temps passe, et je ne me décide point. Porterai-je la chose au château, ou sur mon lit? Tiens, j'ai envie de jouer à pile ou face.
Aucune parole ne saurait exprimer le juste effroi de madame de Belvélize.
—Monsieur! s'écria-t-elle, tout l'argent que vous voudrez, je vous le donnerai, si vous me laissez partir, si vous me promettez de garder le silence sur ce qui est arrivé cette nuit.
Ce qu'il y eut d'étonnant, c'est que le paysan ne parut pas le moins du monde étonné d'entendre parler son fardeau.
—Pour ce qui est de me taire, je ne demande pas mieux, dit-il, la tête tournée, en montrant dans sa bouche rouge un beau rire de dents saines; mais, vous laisser partir seule, je m'en garderai bien, voyez-vous.
—Comment! quand je vous offre....?
—Quand vous m'offririez cent fois plus de louis d'or qu'il n'y a de brins dans toute la bottelée!
Et, le cou presque renversé, il regardait de tout près, avec des yeux étrangement brillants, la jolie tête rose et blonde émergeant d'entre le chaume. Madame de Belvélize, qui était une personne d'expérience, vit bien dans ces yeux-là,—fort beaux pour des yeux de paysan,—qu'il serait impossible de faire entendre raison à l'obstiné.
—Seulement, reprit-il, je ne suis pas homme à refuser un bon avis. J'hésitais tout à l'heure, vous pouvez me tirer d'embarras. Hein? qu'en pensez-vous? Faut-il porter la botte de paille chez M. de Belvélize, ou bien sur mon...
—N'achevez pas!
—Oh! comme il vous plaira. Vous me comprenez, ça suffit. Allons, dites, que me conseillez-vous?
—Hélas! soupira-t-elle, puisque vous êtes impitoyable, puisque aucune promesse, puisque aucune prière ne saurait vous toucher...
Oui, oui, très beaux vraiment, ces yeux qui la regardaient, toujours plus allumés.
—..... je vous conseille...
Et que les dents étaient blanches dans la fraîche et jeune bouche!
—..... je vous conseille...
—De porter la botte au château?
—Oh! non, pas au château! dit-elle en se cachant très vite, toute rougissante, dans l'or cassé de la gerbée.