Jupe courte
Jamais l'étourdie Érato qui me dicte ces contes,—étourdie, mais respectueuse des convenances,—ne m'eût permis de l'habiller d'une jupe courte, très courte! si elle n'était persuadée, comme je le suis moi-même, qu'à l'heure prochaine où paraîtra ce livre, les costumes les plus succincts seront ceux précisément qu'exigera la bienséance.
Oui, je crois qu'avant peu de temps il se manifestera un changement radical dans l'habillement des femmes et des hommes. La parure nous réserve cette surprise prochaine de cacher ce qu'elle laissait voir, de laisser voir ce qu'elle cachait. Pour ne parler ici que des atours féminins auxquels surtout m'intéresse la spécialité de l'instinct viril, il me paraît évident que des transpositions vont se produire dans le prolongement et le raccourcissement des étoffes; et le moment a cessé d'être lointain où les plus pures vierges, où les plus chastes épouses, dérobant sous de décentes épaisseurs leur visage naguère offert à tous les yeux, étaleront sans aucune gêne les plus mystérieux charmes, dont la révélation, précédemment, n'était obtenue que grâce à l'hymen ou grâce à l'adultère, ces deux moyens extrêmes. J'en suis persuadé: les femmes dénuderont couramment, avec l'aisance de l'habitude, leurs jambes, leurs cuisses, leur ventre où s'épanouit comme une fleur-camée le calice du nombril, elles n'emprisonneront plus la pointe rose de leurs seins; ce sera un usage communément admis, pour les promenades au Bois, d'asseoir sur le satin broché des victorias la neige des plus excessives callipygies, agrémentée sans doute de quelque maquillage et se nuageant, de peur des hâles, d'un tulle de voilette; mais, en revanche, les faces, hermétiquement dissimulées, ignoreront l'injure de l'air et des regards, et les salons les moins prudes se feront un devoir de ne pas admettre à leurs cotillons les personnes convaincues d'avoir laissé admirer à d'indiscrets amis la rougeur de leurs lèvres ou la fossette de leur sourire.
Des esprits superficiels vont peut-être supposer que cette évolution du costume féminin aura pour motif certaines variations climatériques facilement imaginables en un temps où les lois naturelles se détraquent comme tout le reste. Telle n'est pas ma pensée. Les races sauvages se vêtent ou se dévêtent selon la diversité des températures, et la toilette, chez elles, obéit à la froideur polaire ou à la torridité du Midi: les Groënlandaises s'enveloppent de peaux de rennes jusqu'aux oreilles, parce que le vent glacial les cingle; les Hottentotes, parce que le soleil les brûle, en arrivent à repousser l'importunité du pagne. Mais, dans l'état de civilisation, où l'artifice humain déjoue les rigueurs saisonnières, pourrait même triompher des plus violents cataclysmes, le froid et le chaud n'ont sur l'habillement qu'une très médiocre influence: nos femmes ne songent guère à se couvrir ou à se découvrir; elles se voilent ou se dévoilent, montrent de leur corps tantôt plus, tantôt moins, tantôt ceci, tantôt cela, non point par concession aux changements atmosphériques, qui ne sauraient les atteindre, mais par obéissance aux lois raffinées de la mode, variables elles-mêmes selon les transformations que subissent les idées de modestie et d'immodestie; de sorte que le déplacement du costume aura sa cause dans un déplacement de la pudeur.
Or, qui se refuserait aujourd'hui à reconnaître que la pudeur—j'entends la vôtre, irréprochables lectrices!—est sur le point de changer d'objet, de devenir en conséquence très différente de ce qu'elle fut naguère, de ce qu'elle feint d'être encore, par attache à d'antiques routines? A voir les choses d'une façon un peu générale, elle a pour but de dérober le plus possible à notre convoitise les trésors capables d'éveiller la pensée des délices suprêmes; elle s'ingénie—pour le faire désirer davantage—à dissimuler le féminin de la femme: elle met du mystère sur les choses intimes de l'amour, les écarte, les nie; elle est comme la fuite, sous un masque, du sexe. Pourquoi, l'hiver dernier, le corsage des robes n'osait-il pas, même après les valses les plus abandonnées, bâiller au point de laisser voir, entière, la double rondeur des gorges liliales? parce que nos désirs se seraient nichés dans l'intervalle adorable des seins. Pourquoi la malines du jupon se lève-t-elle plus haut à peine que la cheville, quand les mondaines mettent au marchepied des voitures la pointe de la bottine? parce que beaucoup d'hommes encore s'affolent d'une jambe dans le bas rose et noir, quadrillé. Mais,—ô déplorable fin des dépravations modernes!—voici que l'heure approche où les beautés dont s'alluma notre appétence cesseront de nous ravir et de nous troubler; devenus, à force de criminels raffinements et de complications scélérates, les chercheurs jamais assouvis de l'au delà du baiser, nous ne voudrons plus, nous ne saurons plus trouver notre joie dans ce qui en fut si longtemps la cause la plus naturelle. Notre amour ou notre luxure s'acharnera d'abord à l'excessif, puis, par des transpositions que conseille la lassitude des vieilles extases et des abus eux-mêmes, la tentation de l'invraisemblable, fût-il, en apparence, plus honnête, nous hantera seule, victorieusement; pleins de la rancœur du plus, nous en viendrons,—réaction fatale de nos sens surmenés,—à être assoiffés du moins, pourvu qu'il soit anormal, pas à sa place; notre débauche se subtilisera jusqu'à l'innocence; après tant d'impudeurs, nous nous plairons dans l'infamie d'être chastes, exprès; nous connaîtrons la corruption abominable de l'ingénuité volontaire; et ce sera quelque chose comme un marquis de Sade qui se serait appris à rougir rien qu'à voir une petite fille mouiller dans le ruisseau le bout de son pied menu! Vainement par des audaces extrêmes, moins coupables que nos retenues, nos amies étonnées essayeront de nous convier aux plaisirs d'autrefois; vainement la transparence des peignoirs sur la chaise-longue, ou le décolletage effréné des corsages qui ne tiennent à rien, ou la nudité nocturne dans le désordre des draps, s'efforcera de raviver les anciennes convoitises; nous considérerons avec une indifférence presque parfaite, nous baiserons par convenance, d'un air ennuyé, qui va bâiller, ce qui jadis nous eût mis toutes les flammes aux lèvres; pour un adorable corps émergeant d'une robe qui glisse, nous ne serons pas plus émus que nous ne l'étions pour une main qui sortait d'un gant. Au contraire nous frémirons de la tête aux pieds et le sang gonflera les veines de nos tempes, s'il nous arrive d'entrevoir une ligne de chair sous la soie étroite d'une manche très longue! Et bientôt, les femmes à leur tour, comprenant le sens dessus dessous de notre sensualité, n'attacheront aucune importance à des charmes désormais dédaignés; elles n'auront pas souci de leur donner la plus-value du mystère; leur pudeur se transposera, comme notre désir! Puisque ce ne sera pas une faveur de les laisser voir, elles montreront à tout le monde, dans les salons, dans les théâtres, dans les rues, leurs jambes, leurs flancs, leurs seins. Mais, s'accommodant d'une décence nouvelle, propre à exaspérer notre nouvelle concupiscence, elles nous cacheront, nous laisseront à peine deviner leurs fronts, leurs yeux, leurs timides lèvres; et ce ne sera point sans un long stage d'amour, sans des prières et des larmes, sans des serments de fidélité éternelle, que nous obtiendrons d'apercevoir enfin, pendant leur rougeur détournée, l'ongle rose d'un petit doigt tremblant.
Vous savez maintenant pourquoi ma fantaisie, qui prévoit l'avenir, se montre à vous en jupe courte; si, une voilette sur les yeux, elle ne vous cèle ni son mollet rose, sans bas rose, ni son pied menu et nu, si elle laisse tout entrevoir dans l'envolement fantasque des jupons, c'est par respect des convenances! et vous ne manquerez pas de lui tenir compte de sa délicate réserve.