← Retour

La chanson de la croisade contre les Albigeois

16px
100%

VII
Un épisode du siège de Toulouse.

Au printemps, les croisés, après avoir soumis de nombreux châteaux, passent l’Hers près de Montaudran et mettent le siège devant Toulouse ; mais les assiégés, malgré l’opposition du comte de Toulouse, tentent une sortie.

Il était près de tierce lorsqu’ils sortirent ; ceux de l’ost venaient de dîner quand les Toulousains les attaquèrent ; mais le comte de Montfort n’avait pas voulu se désarmer, et la plupart des barons de l’ost n’avaient point déposé le haubert ; aussi sautent-ils prestement sur leurs destriers. A cette rencontre, vous auriez vu frapper de part et d’autre tant de coups d’épieu sur les heaumes retentissants, mettre en pièces, fendre et rompre tant d’écus que vous auriez cru à la fin du monde. Sans mentir, les Toulousains tuèrent Eustache de Caux (dont on fit maint soupir) au moment où, quoiqu’il fût hardi, il allait s’en retourner auprès des siens.

Grand fut le combat (Jésus-Christ me garde !) lorsque les Toulousains et les Navarrais se jetèrent sur l’ost. Alors vous auriez entendu les Allemands pousser de grands cris : la plupart criaient : « Bar ! Bar ! Bar ! » Au passage d’un pont, les Toulousains portèrent à Eustache de Caux un tel coup d’une lance de frêne au gonfanon vair, que le prêtre ne put arriver à temps pour l’administrer, lui donner pénitence et le confesser. Mais il n’y avait pas deux jours qu’il avait reçu le sacrement de pénitence : je crois donc que Jésus-Christ lui voudra bien pardonner.

Quand les Français s’en aperçoivent, ils vont tous à son aide ; mais les félons soudoyers, lorsqu’ils voient ceux de l’ost accourir en masse, se mettent à fuir, car ils savent bien qu’ils ne pourraient tenir contre eux. Ils n’ont pas grande peine à emporter ce qu’ils ont conquis : ils n’ont fait que tuer un homme dont beaucoup pleurent la mort, car il était fort puissant, et de très haute condition. Ses hommes ont fait porter son corps en sa terre, où ils voudront l’enterrer avec les honneurs.

Le matin, à l’aube, quand parut le jour clair, ceux de l’ost, après avoir, quinze jours durant, fait couper les vignes, se mettent à plier tentes et pavillons, car, à ma connaissance, ils veulent changer d’endroit ; les vivres sont trop chers, et ne leur peuvent suffire : un pain, pour un petit déjeuner, vaut bien deux sols, et, sans les fèves et les fruits des arbres (quand ils en trouvent), ils n’auraient rien à manger.

Ils envahissent les terres du comte de Foix, y séjournent longuement, puis, au déclin de l’été, « ayant fait tout le mal qu’ils pouvaient », ils se séparent. Le comte de Toulouse convoque aussitôt ses sujets et ses fidèles ; mais Simon de Montfort les met en déroute à Castelnaudary.

Avant que la guerre soit terminée, maint coup sera donné, mainte lance brisée ; maint gonfanon neuf se dressera par les prés, mainte âme sera jetée hors du corps, et mainte dame veuve ruinée. Le roi Pierre d’Aragon se met en route avec toute sa mesnie ; il a mandé toute la gent de sa terre, si bien qu’il a rassemblé grande et belle compagnie. A tous il a dit et déclaré qu’il veut aller à Toulouse combattre la croisade qui dévaste et détruit tout le pays. Le comte de Toulouse a imploré sa merci pour que sa terre ne soit ni ravagée ni brûlée [par les croisés], car il n’a tort ni faute envers personne née. « Et, puisqu’il est mon beau-frère, car il a épousé ma sœur[13], et puisque j’ai marié mon autre sœur[14] à son fils, j’irai les aider contre cette gente maudite qui les veut déshériter ».

[13] Eléonore d’Aragon, en 1200.

[14] Sancie d’Aragon, en 1241.

Chargement de la publicité...