← Retour

La chanson de la croisade contre les Albigeois

16px
100%

XXIV
Bataille de Baziège.

Pendant les mois qui suivent, le jeune comte de Toulouse reçoit l’hommage de l’Isle, et va occuper Condom, Marmande, Clairac et Aiguillon ; de son côté, Bernart de Comminges donne la chasse à Joris, qui est venu ravager ses terres, le rejoint devant Meilhan, lui livre bataille et le fait prisonnier.

D’autre part, le comte de Foix a conduit une expédition en Lauragais, où Foucaut de Berzi et ses gens se préparent à le combattre. C’est alors que maints barons de Toulouse, sous la conduite de leur jeune seigneur, viennent se joindre aux hommes de Raimon Rogier. On décide de livrer bataille le plus tôt possible ; Arnaut de Villemur tente alors de dissuader Raimon de Toulouse de prendre part à la lutte :

— « Sire comte, dit Arnaut de Villemur, qu’il vous plaise de m’entendre : vous ne gagneriez aucun honneur en cette bataille. Il ne sied pas à votre rang de combattre contre ces gens, s’il n’y a ni Amauri, ni un comte, ni quelque puissant personnage. Foucaut est preux et sage, mais il n’est pas d’assez haute condition pour que vous risquiez votre personne en cette aventure. D’ailleurs, même si vous le faisiez prisonnier, vous n’y gagneriez guère, car vous n’auriez de lui ni terre, ni accord, ni paix. Pourtant, s’il vous plaît de combattre, vous me trouverez à votre côté, à droite ou à gauche. » — « Arnaut, dit le comte, pourquoi me sermonner ? Je prendrai part au combat et vous prie de vouloir faire de même, car quiconque me fera défaut en portera la faute à tout jamais. Tout homme, quel qu’il soit, fût-il roi couronné, doit risquer sa personne et sa dignité pour détruire ses ennemis, jusqu’à ce qu’il les ait abaissés ! »

Le comte de Foix lui dit : « Seigneur comte, donnez-moi la première ligne de combat, la plus périlleuse. » Le comte lui répond : « Vous et Rogier Bernart, avec ceux du Carcassais, que je sais habiles à manier les armes, bons frappeurs dans la bataille et audacieux, avec ceux aussi de votre terre en qui vous avez le plus confiance, et avec votre compagnie, telle que vous l’aurez, vous leur livrerez bataille, et je vous prie de bien frapper. Avec les barons de ma terre que j’ai bien éprouvés, avec ma compagnie et mes privés, avec ceux de Toulouse, en qui j’ai confiance, avec mon frère Bertran qui est tout prêt, je viendrai vous secourir avant que vous ayez longtemps soutenu leur choc, si bien qu’à la fin de la guerre, nous resterons honorés. Seigneurs, pour cela n’ayez point de crainte : à la mort, à la vie, quel que soit le succès de votre entreprise, vous me trouverez à vos côtés, mort ou vif, car, pour cette bataille, j’ai l’intention d’y perdre la vie ou d’en sortir avec honneur. Et que le Fils de la Vierge, qui fut martyrisé, reconnaisse la droiture et voie leurs crimes ! »

Peu de temps après, la bataille s’engage à Baziège[45], entre les gens du comte de Foix et ceux de Foucaut de Berzi.

[45] Bourg à 23 km. au S.-E. de Toulouse.

Alors vient le jeune comte, galopant en tête, tel un lion ou un léopard déchaîné ; son cheval sombre l’emporte tout droit devant lui. Il vient, lance baissée, la tête inclinée sous le heaume, fonce au plus fort de la mêlée, portant à Jean de Berzi un tel coup de son épieu niellé qu’il lui transperce le haubert, le pourpoint et le justaucorps, qu’il l’abat et le renverse, et il passe outre en criant : « Toulouse ! Francs chevaliers, massacrez la gent étrangère ! Frappez et tranchez ! » Il se tourne, revient en arrière, et frappe de nouveau de tous côtés : sa mesnie le défend et veille sur lui, et Arnaut leur porte la bannière au visage. Jean de Berzi se lève, et sa lame acérée taille, frappe, tranche et brise.

Peire Guilhem de Séguret s’approche alors en toute hâte, et frappe le comte, là où il le peut, en plein sur le ceinturon, à l’endroit où le haubert est serré, de sorte qu’il tranche la sangle et fait éclater l’acier. « Montfort ! Montfort ! crie-t-il, francs chevaliers, portez de beaux coups ! » Mais le comte n’est ni renversé ni désarçonné…

Les barons du comte tous ensemble, poussant un seul cri, rompent les bataillons avec leurs lames tranchantes, tournent et retournent les Français en tous sens, si bien qu’ils les frappent et les blessent à la poitrine et sur les flancs : les Français tombent deux par deux, dos à dos.

Alors vient la grande masse des sergents rapides : ils se mêlent si étroitement aux chevaliers dans la bataille que les Français, renversés et dominés, sont tués et taillés en pièces à la fois par les chevaliers et les sergents. Yeux, cervelles, poings, bras, chevelures, mâchoires et membres mutilés, foies, entrailles séparées du corps, sang et chair, cadavres sont répandus du tous côtés. Il y eut là tant de Français tués et égorgés que le terrain et le rivage en sont jonchés et rougis !

Le vicomte de Lautrec s’est échappé vivant ; Foucaut [de Berzi], Jean [son frère] et Thibaut, sont mis à part et retenus prisonniers, la vie sauve, tandis que les autres restent sur le champ de bataille, massacrés. La vraie Trinité a fait en cette rencontre tel miracle que, du côté du comte de Toulouse, il n’y eut personne de tué, sauf un écuyer qui s’était porté au premier rang.

Amauri de Montfort apprend à Marmande, qu’il assiégeait, la défaite de Foucaut. Il pousse énergiquement le siège de ce château et réussit à s’en emparer, grâce à l’arrivée de puissants renforts ; la ville est livrée aux flammes, et ses habitants sont massacrés. Seul, Centule d’Astarac est épargné, pour être rendu au comte de Toulouse, en échange de Foucaut de Berzi.

Cependant le fils du roi de France, à la tête d’une foule considérable de gens d’armes et de clercs, marche sur Toulouse.

Chargement de la publicité...