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La chanson de la croisade contre les Albigeois

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XXII
Le jeune comte entre à Toulouse.

Dans Toulouse, les habitants sont en souci, car de maint côté l’ennemi les entoure, et toute la chrétienté les menace et les frappe ; mais le fils de la Vierge, pour les réconforter, leur transmit une joie avec un rameau d’olivier, une claire étoile, l’étoile du matin sur la montagne.

Cette clarté, c’était le vaillant jeune comte, l’héritier légitime, qui franchit la porte avec la croix[37] et l’acier. Dieu fit pour lui un miracle et lui montra par un signe éclatant qu’il enchaînerait le lion sanguinaire, car de la tour du pont, du plus haut créneau conquis par les Français leur enseigne tomba dans l’eau, et le lion[38] chut sur la grève. Tous ceux de la ville en ont joie entière et parfaite.

[37] La croix de Toulouse, sur les enseignes.

[38] Le lion que portait l’enseigne de Simon de Montfort.

Les chevaliers, les barons de la ville, les bourgeois, le viguier, les dames et les bourgeoises, qui en ont grand désir, vont recevoir le comte : il ne resta pucelle en chambre ni en demeure. Le peuple de la ville, les grands et les petits, tous regardent le comte comme fleur de rosier ; larmes joyeuses, cris d’allégresse emplissent les places, les maisons et les vergers. Le comte, avec grande joie, descendit au moutier du baron saint Sernin, le saint miséricordieux qui opère des miracles, et qui jamais n’admit ni ne rechercha la compagnie des Français.

Les trompes, les clairons, les cors, les cris des porte-enseigne, les cloches et les clochettes qu’agitent les sonneurs font retentir la ville, l’eau et la grève. Et, dans cette joie, cinq mille sergents et écuyers sortent de la ville, et occupent les places. Ils crient à haute voix : « Ici, Robin ! Ici, Gautier ![39] A mort ! A mort les Français et les porte-bourdon ! Nous avons doublé les points de l’échiquier, car Dieu nous a rendu le chef et l’héritier, le vaillant jeune comte qui nous apporte la flamme ! »

[39] Noms fréquents au Nord de la France, attribués par dérision aux croisés.

Le comte de Montfort, entendant ces paroles cuisantes, passa l’eau et vint sur la grève ; ses nobles barons allèrent le recevoir. Il se prit à rire, et les questionna : « Seigneur comte, dit Joris, vous avez maintenant votre pareil, qui apporte avec lui sang et glaive, flamme et tempête, et nous allons avoir à nous défendre avec le fer et l’acier. » — « Joris, dit le comte, ne m’effrayez point ! Celui qui ne sait prendre une résolution en temps opportun ne doit point aller prendre l’épervier à la cour du Puy[40] ! Toujours Toulouse et le comte m’auront pour adversaire : ni trêve, ni paix, ni accord, jusqu’à ce que je les aie pris ou qu’ils m’aient pris ! A mon avantage, et pour leur malheur, en cet hôpital[41] je ferai un château parfait, avec créneaux, lices, enceinte fortifiée, et, au dehors une palissade de pieux ; partout à la ronde un grand fossé transversal ; de ce côté-ci, vers le fleuve un beau mur sur un terre-plein élevé ; là-bas, du côté de la Gascogne, un pont et un port. Je serai de cette façon maître du rivage, des convois et des vivres ! »

[40] Allusion à un usage mentionné dans divers romans courtois : un chevalier, en offrant à sa dame un épervier posé sur un perchoir, lui décernait le prix de beauté : mais il devait défendre son choix les armes à la main. Cf. Erec et Enide (Poèmes et Récits de la Vieille France, XV) chap. 1, p. 15-24.

[41] L’Hôpital de la Grave, sur la rive gauche de la Garonne.

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