La chanson de la croisade contre les Albigeois
IV
Vaines prédications.
Le comte Raimon de Toulouse, ne pouvant obtenir de l’abbé de Cîteaux l’absolution qu’il lui demande, se rend auprès du Pape, et, dès son retour, livre à Simon de Montfort le Château Narbonnais.
A Toulouse entra l’abbé de Cîteaux : fort s’en étonnèrent vieux et jeunes, et même les petits enfants. En présence de tout le peuple, le comte leur livra le Château : personne n’en vit jamais en plaine de si beau ! Ils ont à ce sujet fait mainte charte, maint bref et mainte lettre scellée que l’abbé transmit par le monde, jusqu’au Mont Gibel[10]. Le roi d’Aragon vint le trouver du côté de Muret, et s’entretint avec les seigneurs abbés, dans une prairie, à Portet ; mais ils n’aboutirent à rien qui vaille l’anneau d’une méchante boucle.
[10] L’Etna.
L’évêque de Toulouse, Folquet de Marseille[11], — qui n’a son pareil en prix, — et l’abbé de Cîteaux tiennent conseil. Chaque jour, ils prêchent le peuple, lui reprochant de ne point se réveiller ; ils s’élèvent l’un et l’autre contre le prêt et l’usure. Par tout l’Agenais, les gens sont tellement entachés [d’hérésie] que l’abbé chevaucha jusqu’à Sainte-Bazeille ! Mais les habitants ne se mettent dans l’oreille rien de ce qu’on leur prêche ; ils disent, au contraire, en se moquant : « Tiens, l’abeille bourdonne autour de nous ! » Aussi ne serai-je point surpris, sur ma foi, si on les tue, les vole, les dépouille, si c’est par la force qu’on les rend sages.
[11] Folquet de Marseille, ayant renoncé à la poésie, s’était retiré à l’abbaye de Toronet, dont il devint abbé après 1201 ; il fut, en 1205, élu évêque de Toulouse.
Les bourgeois de Toulouse, ceux de la confrérie, et les bourgeois du Bourg discutaient chaque jour ; mais à la fin, ils n’arrivèrent à rien qui valût un gland ou une pomme pourrie. Les partisans des hérétiques, ceux qui sont liés avec eux, disent que l’évêque, l’abbé et les clercs les font se quereller entre eux, pour que, par cette folie, ils se détruisent les uns les autres ; car s’ils étaient unis, tous les croisés du monde ne leur sauraient nuire. Elle fait entendre ces paroles au comte [de Toulouse] et à ses compagnons, la gent folle et néfaste qui s’est ralliée à l’hérésie ! Ils verront bien un jour (Dieu me bénisse !) quel conseil leur ont donné ces gens que Dieu maudisse ! A cause de cela, tout sera mis à mort, le pays sera dévasté, ravagé et désolé par la gent étrangère, car les Français de France et les barons de Lombardie, tout le monde leur court sus, et leur porte haine plus grande qu’à la gent sarrasine.