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La chanson de la croisade contre les Albigeois

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XXV
Le fils du roi de France vient assiéger Toulouse.

Ce n’est point merveille si l’épouvante s’empare des Toulousains ! Les consuls de la ville se hâtent d’envoyer de rapides messagers aux barons des terres et à tous les guerriers, afin que nul ne fasse défaut, ni sergents, ni archers, ni chevaliers, ni soudoyers, ni bannis vivant dans les bois, ni agiles jeunes hommes. Quiconque veut voir régner Prix et Parage, gagner des terres ou retrouver l’aisance, obtiendra en récompense, pour être venu à Toulouse, d’avoir à tout jamais part aux biens qui s’y peuvent trouver.

Pour secourir la ville sont arrivés mille chevaliers habiles à manier les armes et courageux, et cinq cents dardiers. Quand ils sont réunis, au parlement plénier des hommes de la ville et de leurs chefs, Pelfort parle le premier, car il est beau parleur ; il expose les faits et les moyens d’améliorer la situation : « Barons, vous autres de Toulouse, c’est maintenant que le savoir, la réflexion, l’intelligence vous sont nécessaires. L’entreprise du [fils du] roi de France est pour nous d’une importance capitale ; il amène des étrangers, des hommes cruels et sanguinaires. Eh bien ! Avant qu’il se loge là dehors, parmi les vignobles, que monseigneur le jeune comte, puisqu’il est son feudataire et son meilleur parent[46], lui envoie des messagers vaillants et distingués, pour lui dire qu’il n’a à son égard tort ni faute, qu’il n’a commis envers lui ni déloyauté ni mensonge, et que, s’il veut accepter son hommage, il le lui fera volontiers, à lui, à l’Eglise, et à qui le réclamerait en son nom. Que le messager dise au fils du roi que, s’il vient à Toulouse avec peu de compagnons, le jeune comte recevra de lui sa terre et sera son vassal, qu’il lui rendra la ville pour en faire garder les tours, et que, du moment que le jeune comte offre de faire droit — et droit absolu — il ne devrait point être détruit à cause des paroles des médisants. Si le fils du roi repousse cette proposition et la rejette, que Jésus-Christ, dont nous ferons notre gonfalonier, nous défende ! »

[46] Ils étaient cousins issus de germains : la grand’mère de Raimon, Constance, était sœur du grand-père de Louis.

— « Voilà conseil excellent ! » répondent les barons. — « Le conseil est fort sage, dit le jeune comte, mais nous agirons autrement. Le roi était mon seigneur, et, s’il eût observé droiture à mon égard, je lui aurais toujours été loyal et fidèle ; mais, puisqu’il est envers moi malveillant, violent et hautain, puisque, tout d’abord, il m’a attaqué par les armes, m’a enlevé Marmande et tué mes chevaliers, puisqu’il chevauche contre moi avec tant de porte-bourdon, je ne lui enverrai pas de messager, je ne lui ferai pas d’avances ! Il a autour de lui d’orgueilleuses gens, de cruels conseillers, et il ne me serait d’aucun profit de lui faire quelque gracieuseté ; au contraire, je doublerais ainsi ma honte, mon dommage, et j’encourrais double reproche. Mais, quand le fils du roi sera ici en face, quand le massacre et le carnage auront duré nuit et jour, quand nous aurons vu trébucher et s’abattre par les places barons et destriers, quand nous nous serons montrés aussi forts que lui, si nous lui envoyons des messagers, il aura de nous miséricorde. Si vous m’en voulez croire, puisque le brasier s’allume, avant que le roi soit notre maître ou notre co-seigneur, nous mettrons nos affaires et les leurs sur un pied d’égalité, et nous verrons bien avec l’acier tranchant, en ce qui concerne Toulouse, si le mortier contient de l’eau ou du vin, et s’il se brisera[47]. Si nous pouvons défendre la ville, le rosier[48] s’épanouira, et l’on verra revenir Parage, Joie et Allégresse ! »

[47] C.-à-d. nous verrons de quoi Toulouse est capable.

[48] Peut-être Toulouse, que Guillem de Tudèle, lui aussi, compare à une rose (v. 1784) : que de totas ciutatz es cela flors e roza.

Les consuls font alors distribuer des vivres en abondance, mettre les reliques des saints à l’abri, construire des calabres et des pierrières, tendre les trébuchets, et fortifier la ville. Les postes de combat les plus dangereux sont répartis entre les barons de marque et leurs gens : tous jurent de ne pas quitter, quoi qu’il advienne, les ouvrages qu’ils ont à défendre. Les Toulousains, de leur côté, constituent une réserve d’hommes, pour porter secours, le cas échéant, aux défenseurs les plus menacés.

Que le Fils de la Vierge, qui est clarté et splendeur, et qui donna son sang précieux pour que vînt le pardon, considère raison et droiture, et veille à ce que les coupables expient leurs torts et leurs crimes ! Car le fils du roi de France arrive avec trente-quatre comtes et tant de gens qu’il n’est point en ce monde d’homme assez savant pour en évaluer les mille et les cents ! Il amène avec lui le légat de Rome qui prêche et lit que la mort et le carnage doivent se répandre tout d’abord, si bien que, dans Toulouse et ses appartenances, il ne reste aucun être vivant : ni dame, ni damoiselle, ni femme grosse, ni autre créature, ni enfant au sein ; tous doivent recevoir la mort dans les flammes ardentes.

Mais la Vierge Marie les en gardera, elle qui redresse les torts selon droiture. Et, puisque saint Sernin guide les habitants, qu’ils n’aient point de crainte ! Dieu, Droit, Force et Sens, avec le jeune comte, défendront pour eux Toulouse.

Amen !

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