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La guirlande de Julie: augmentée de documents nouveaux

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NOTICE
SUR LA GUIRLANDE DE JULIE

Quand les dieux eurent fait

Le chef-d'œuvre parfait

Que Julie on appelle,

Minerve qui la vit

En pleura de dépit,

Et se trouva moins belle.

Voiture.

Après Helene, il n'y a gueres eu de personne dont la beauté ayt esté plus generalement chantée.
TALLEMANT DES RÉAUX.

La princesse Aminte, fille de la Déesse d'Athènes, avoit un esprit de pacification, et portoit la paix partout où elle alloit. C'étoit une personne aimable et aimée de tout le monde, qui n'a jamais fait que du bien, et qui a toujours empêché le mal autant qu'elle a pû. Elle avoit des charmes dans l'esprit qui se faisoient connoître à tous ceux qui l'approchoient, mais qui ne se peuvent exprimer. Jamais personne n'a mieux sçû qu'elle conserver l'affection de ceux qui étoient le plus mal ensemble, ni être si bien venuë chez les ennemis des gens qu'elle venoit de quitter. Rien n'étoit beau sans elle: les maisons qu'elle ne vouloit pas honorer de ses visites étoient désertes et décriées; enfin son approbation seule faisoit valoir ceux qu'elle en jugeoit dignes, et pour bien débuter dans le monde, il falloit avoir l'honneur d'être connu d'elle.»

Ainsi parle Mademoiselle dans la Princesse de Paphlagonie [1], et si nous commençons cette Notice par un début digne des Perrault et des Galland, c'est que Julie-Lucine d'Angennes de Rambouillet fut une fée, bonne, gracieuse, spirituelle et presque divine, à laquelle les poëtes ses contemporains prodiguèrent avec justice les plus éclatants hommages dus à sa féminine puissance.

Ces éloges enthousiastes dont elle fut l'objet, ces pompeuses métamorphoses dans lesquelles on se plut à transformer ses différents mérites comme pour mieux les fixer, ces bouquets de madrigaux qui enguirlandent encore sa mémoire après avoir animé son exquise beauté, toute cette gamme de louanges enfin peut paraître à première vue excessive et fanatique, mais l'étude sérieuse de sa personne et de sa vie justifie pleinement à nos yeux l'ardente admiration qu'elle sut inspirer.

Julie d'Angennes fut un esprit rare, digne de tenir un illustre rang dans l'histoire littéraire des femmes françaises, par sa grâce, ses vertus, sa remarquable intelligence, et le doux éclat poétique qu'elle semble jeter sur la société polie de son époque.

Le XVIIe siècle naissait à peine, que la poésie des Ronsard, des Baïf et des Du Bellay changeait brusquement sa manière rude, quoique mignarde, au sein même de l'hôtel de Rambouillet. La Muse vigoureuse et féconde du XVIe siècle, introduite par Malherbe dans la maison de la vertueuse Arthenice, y abandonna son allure négligée. Initiée peu à peu à de nouvelles doctrines, elle sut se façonner à l'étiquette du bel esprit, et, mettant tous ses soins à enjoliver son style, à gazer son langage, à modifier son ton, elle fut tour à tour coquette sans être prude, spirituelle avec malice, frivole avec enjouement. De forte fille populaire à l'accent net et franc, elle devint damoiselle affétée, usa de métaphores, sut jouer de l'éventail et étaler ses falbalas. Elle eut peut-être moins de verve gauloise; mais elle acquit à coup sûr plus de politesse française. La Muse avait pris rang de qualité.

Julie ne contribua pas médiocrement à cette transformation poétique, conçue et opérée sous ses auspices; à la protection qu'accordait madame de Rambouillet aux littérateurs en renom, elle ajouta les charmes de sa pétulante conversation et de son vivace entrain, et fut surtout, par sa seule présence, la reine des madrigaux, le bon génie inspirateur, la vivante idole, et comme le palpable idéal des poëtes qui l'entouraient [2].

Autour de cette déité se forma une cour brillante et courtisanesque, nourrie de l'Astrée et des pastorales à la mode, esprits délicats, talents gradués, génies naissants, qui tous se hasardaient avec savoir sur les gracieux confins du Païs de Tendre [3], en se proclamant heureux de se mourir pour la dame de leurs pensées et de payer la dîme à sa beauté.

Dans ce temple du beau parler, la recherche était de bon goût, le vulgaire à l'index, et tous les efforts incombaient à proscrire le malsonnant, à chasser le banal, et à revêtir d'honnêtes circonlocutions la brutalité de certains mots, trop court vêtus jusqu'alors.

Il fallait être passé maître dans l'art du bien dire, et superbement connaître tout le bel air des choses, pour posséder ses grandes et petites entrées dans cette immortelle réunion; un novice eût-il laissé échapper une expression triviale, une tournure de phrase basse ou grossière, qu'aussitôt environné de mignonnes toux sèches, de cris étouffés, et du mouvement accéléré des zéphirs [4], il fût resté pétrifié devant les visages froidement dédaigneux et l'attitude visiblement outragée de la noble assemblée. Aussi, quel langage chastement imagé il se parlait dans ce sanctuaire d'euphonie et de pudeur! Que d'audacieux néologismes, que d'habiles périphrases, que de brillantes et solides épithètes qui vinrent enrichir notre langue pour demeurer aujourd'hui parmi nous, et sans qu'on y songe, de l'emploi le plus familier!

C'est sur cette société d'élus, où sa spirituelle beauté s'épanouissait, que l'illustre Julie régnait sans égale. Elle était l'arbitre souverain des belles choses, le point de mire des saillies vives et élégantes. Toutes les fusées d'esprit étaient tirées en son honneur, et une œuvre badine ou sérieuse n'aurait pu se passer de son assentiment.

N'est-ce pas pour elle que Voiture écrivait ses lettres les plus galantes et ciselait ses vers les plus enjoués; que le vénérable Godeau, abandonnant ses paraphrases bibliques, se faisait rimeur de ruelles, et que le grave Chapelain, infidèle à sa Pucelle, contraignait son bon sens à madrigaliser? N'est-ce pas encore pour cette douce enchanteresse que Colletet, Malleville, Gombaud, Scudéry, Habert, Desmarests et tant d'autres luttaient de talent et de finesse, et que Pierre Corneille, amoureux lui-même, dictait à sa muse émue les petits vers musqués qu'il parafait de son grand nom?

Il n'y a jamais eu une dame qui ait si bien entendu la galanterie, ni si mal entendu les galants, pensait spirituellement le malicieux Voiture [5]. En effet, au milieu de tous ces mourants, Julie d'Angennes demeurait d'une humeur toujours libre et aimable, savante sans orgueil, modeste sans contrainte; elle vivait dans ce monde galant, comme la salamandre parmi les flammes, sans que le moindre soupçon ait pu l'atteindre; sa vertu toujours souriante brillait dans toute sa pureté, et elle semblait enfin soutenir de son exemple cette admirable mais trop souvent dangereuse maxime de madame de Sablé: «Que les femmes, ornements de la terre, sont faites pour être adorées et répandre autour d'elles tous les grands sentiments, en accordant comme une assez digne récompense leur estime et leur amitié.»

C'est de sa mère, la marquise de Rambouillet, s'écrie Fléchier dans sa remarquable oraison funèbre [6], que «l'admirable Julie tenoit cette grandeur d'âme, cette bonté singulière, cette prudence consommée, cet esprit sublime et cette parfaite connoissance des choses qui rendirent sa vie si éclatante. Vous dirai-je, poursuit l'harmonieux orateur, qu'elle pénétroit dès son enfance les défauts les plus cachés des ouvrages d'esprit et qu'elle en discernoit les traits les plus délicats? que personne ne savoit mieux estimer les choses louables, ni mieux louer ce qu'elle estimoit? qu'on gardoit ses lettres comme un modèle de pensées raisonnables et de la pureté de notre langue... et que, tout enfant qu'elle étoit, elle se fit admirer de ceux qui étoient eux-mêmes l'ornement et l'admiration de leur siècle?»

Telle était l'incomparable fille d'Arthenice, qui, à ces belles qualités, joignait un dévouement héroïque et un philosophique mépris de la mort [7], et si l'on envisage cet éclatant ensemble de perfections, qui s'élevait modestement au milieu d'une civilisation avide de trouver la femme forte pour la diviniser, on comprendra que tout ce que Paris comptait alors de personnes illustres et distinguées, se soit empressé autour de cet astre, pour lui décerner de justes honneurs et de sincères adulations.

Lorsque le baron de Sainte-Maure parut à l'hôtel de Rambouillet, il tomba aussitôt sous le charme de Julie d'Angennes, et par ses manières courtoises, ses multiples attentions et ses franches coquetteries, il essaya de donner l'éveil au cœur de cette sirène, dont il se déclara vivement l'amant le plus passionné et le prétendant le plus tendre [8].

Montausier n'était à cette époque que le brillant officier de Casal [9]; il avait l'air noble et grand, la taille bien prise, les yeux vifs et pleins de feu, et sur la mâle beauté de son visage se peignait une expression de téméraire franchise qui semblait défier l'hypocrisie; à cet extérieur aimable et sympathique, le futur gouverneur du Dauphin ajoutait un esprit cultivé, une farouche bravoure et cette scrupuleuse honnêteté à remplir ses devoirs qui fit dire plus tard à Montesquieu: «Le caractère de Montausier a quelque chose des anciens philosophes et de cet excès de leur raison.»

Le nouveau venu reçut l'accueil le plus chaleureux dans le palais d'honneur des Rambouillet; ce n'était pas encore l'austère Alceste qu'il fut dans la suite, mais le gentilhomme dans toute sa magnificence, l'ami des plaisirs et des agréables entretiens, le poëte improvisateur et le chansonnier habile, le plaisant moraliste enfin, qui savait rire des vices de son époque et les censurer gaîment. A ces différents titres, il eut vite conquis tous les suffrages et toutes les sympathies dans le cercle spirituel d'Arthenice, où il prenait à partie Balzac ou Sarasin, Ménage ou Voiture, Charleval ou l'abbé Cotin, et surtout Conrart et le formaliste Chapelain. Mais il ne pouvait consacrer à ces aimables récréations que les pacifiques entr'actes de sa jeunesse active: la guerre ou la politique venaient trop tôt le rappeler en province ou à l'étranger, et le soupirant de Julie devait faire voyager sa passion que ces absences forcées ne faisaient qu'allumer davantage. Cependant, hâtons-nous de le dire, absent ou présent, M. de Sainte-Maure occupa toujours une place importante dans la société de la marquise de Rambouillet. Il s'était lié assez intimement avec Chapelain, dont il fut sans cesse le fidèle ami, et avait entrepris avec le père de la Pucelle une correspondance familière et suivie, à laquelle participaient quelquefois la marquise et sa fille, et tous les beaux esprits de l'endroit [10].

Montausier était-il à l'armée, la docte assemblée ne parlait que de sa bravoure et de ses actions d'éclat dans les campagnes auxquelles il prenait part; chacun se plaisait à vanter l'universel mérite de l'absent regretté, et l'après-dînée se passait le plus souvent à commenter sa dernière missive ou son nouveau sonnet.

De son côté, le pauvre exilé trouvait un grand adoucissement à sa tristesse dans les épîtres qui lui étaient adressées. C'étaient de longs et curieux bavardages, remplis des bruits du jour, des scandales à la mode, des ouvrages nouveaux, parmi lesquels le tendre amant savait si bien retrouver tous les coq-à-l'âne de la conversation de l'hôtel, qu'il parvenait à assister de loin aux agréables devis de la ruelle d'Arthenice.

Néanmoins, l'impatient jeune homme désirait vivement assurer les liens sacrés qui l'unirent par la suite à Julie d'Angennes. Cette dernière hésitait à contracter ce mariage: elle comprenait peu qu'on se donnât de sang-froid un maître, et répétait souvent qu'elle renoncerait le plus tard possible à sa chère liberté, qu'elle ne devait abandonner, en effet, dans les mains du marquis de Montausier, que quatorze ans plus tard.

Les choses en étaient là vers 1641, lorsque Montausier, dans ses loisirs justement acquis, réunit et fit écrire par Jarry les madrigaux de sa fameuse Guirlande, qu'il avait conçue et préparée bien avant que d'en couronner sa charmante fiancée.

Quoiqu'il existât déjà plusieurs recueils de poésies italiennes sous le nom de Guirlande [11], le galant baron sut donner à sa fantaisie un cachet de nouveauté et d'originalité, qui surpassa les dons les plus merveilleux que l'amour ait pu faire éclore dans l'imagination des amants.

Ce manuscrit... Mais laissons, pour un instant, la parole à M. de Gaignères, l'auteur principal d'une Notice que la tradition a consacrée [12]. Charles Nodier, dans l'édition qu'il a donnée de la Guirlande, prétend qu'il y aurait quelque pédantisme à la remplacer par une autre; nous nous rangeons à l'avis de ce maître, et bien que la Notice en question soit assez confusément rédigée, nous nous contenterons de l'annoter et d'y ajouter les éclaircissements que nous croyons nécessaires.

Nous reproduisons donc ici cette Notice sans en changer l'orthographe et dans toute son intégrité [13]:

LE dessein de cet ouvrage est un des plus ingénieux et des plus galants qu'on pût imaginer en ce genre. M. Huet l'a appelé le chef-d'œuvre de la galanterie et a vanté la magnificence de son exécution [14]. On peut dire qu'elle n'a été en rien inférieure au projet.

Il a pour auteur feu M. le duc de Montausier [15] qui l'envoya, le jour de la fête de Julie-Lucine [16] d'Angennes de Rambouillet [17], à cette charmante personne dont il devint l'époux après en avoir été longtemps l'amant [18].

Comme cette fête arrivoit dans un temps où la terre ne produit pas assez de fleurs au gré des amants [19], celui-ci suppléa à la stérilité de la saison par cette guirlande.

Ce manuscrit commence par huit feuillets.

Les trois premiers sont en blanc. On lit au haut du recto du second le billet que l'abbé de Rothelin [20] écrivoit de sa main à M. de Boze [21], en lui faisant présent de ce beau livre:

Je prie M. de Boze de vouloir bien accepter le présent livre, et le placer dans son magnifique cabinet, comme une marque de ma tendre amitié.

L'abbé de Rothelin.

Le quatrième feuillet contient le titre.

Sur le cinquième est peinte une guirlande superbe, au milieu de laquelle on lit ces mots:

LA
GVIRLANDE
DE
IVLIE

Le sixième est encore en blanc.

Il y a sur le septième une miniature où l'on voit Zéphire entouré d'un nuage et représenté du côté gauche au côté droit du spectateur [22]. Il tient dans sa main droite une rose, et dans sa gauche la guirlande de fleurs [23], au nombre de vingt-neuf, qu'il souffle légèrement sur la terre pour qu'on puisse les reconnoître aisément [24].

Le huitième contient un madrigal intitulé: Zéphire à Ivlie.

Le corps de l'ouvrage vient ensuite; il est de quatre-vingt-dix feuillets, dont le premier est coté 6, et le dernier 95.

De ces quatre-vingt-dix feuillets, il y en a vingt-neuf qui contiennent chacun une fleur, et soixante et un qui contiennent chacun un madrigal [25].

Ce volume est terminé par une table alphabétique qui n'est point du tout commode. Elle est dressée selon l'ordre des premières lettres de chaque madrigal, de là vient que le nom de la même fleur y est répété plusieurs fois, et qu'on n'y voit pas d'un seul coup d'œil toutes les pièces qui ont été faites sur elle [26].

Nous avons corrigé ce défaut en substituant à cette table défectueuse celle donnée par l'abbé Rive [27].

Sans vouloir enrichir le passé aux dépens du présent, il faut avouer qu'il seroit difficile aujourd'hui d'assembler un aussi grand nombre de beaux esprits et de poëtes célèbres qu'il s'en trouva alors pour immortaliser le nom de Julie.

La table qui contient les noms de tous ces poëtes, et que nous avons ajoutée à celle de l'abbé Rive, ne présente que les illustres fondateurs de l'Académie françoise, qui s'élevoit alors à l'hôtel de Rambouillet, en attendant qu'elle reçût et sa forme et sa gloire du cardinal de Richelieu.

Mais quand on n'auroit pas appris par là qui sont ceux qui aidèrent à M. de Montausier à célébrer mademoiselle de Rambouillet, il seroit toujours facile de juger, par tant de poésies diverses et ingénieuses, que des esprits d'un ordre supérieur y ont eu part.

Ces poésies ou madrigaux ont été imprimés à Paris, en 1729 [28], à la suite de la Vie de M. de Montausier, rédigée par Nicolas Petit, jésuite, qu'on a confondu avec d'autres auteurs du même nom, dont les ouvrages sont annoncés dans la France littéraire, t. Ier, p. 361; t. II, p. 92, et Supplément, part. Ire, p. 167. L'on vient de réimprimer tout récemment [29] ces madrigaux avec la Vie de M. le duc de Montausier.

L'on apercevra aisément à la table des noms des auteurs, que M. de Montausier, comme amant, a composé un très-grand nombre de ces madrigaux. On ignore les raisons pour lesquelles il s'est caché quelquefois sous ces lettres: M. le M. de M. [30], ainsi que le marquis de Racan par celles de M. le M. de R. [31]; M. Conrart, que l'on peut appeler le père de l'Académie françoise, n'y est désigné que par M. C. [32].

Comme la baronnie de Montausier ne fut érigée en marquisat qu'en 1644 [33], trois ans après que la Guirlande de Julie fut présentée à mademoiselle de Rambouillet, l'on sera sans doute étonné que M. de Montausier ait pris le nom de marquis avant de l'être effectivement; mais on ne doit pas ignorer qu'il étoit très-commun que les gens de qualité prissent dans le monde le titre de marquis avant que la terre de leur nom fût érigée en marquisat [34]. Le frère aîné de M. le duc de Montausier, qui mourut en 1633 [35], avoit aussi porté le titre de marquis de Montausier.

Chapelain, fameux par l'attente de la Pucelle qui avoit par avance un nom qu'elle n'a pu soutenir quand elle a été au grand jour [36], fut un de ceux qui brilla le plus en cette occasion. La fleur impériale dont il fit choix donna lieu à une allégorie fort spirituelle, sur laquelle roule toute la finesse de son madrigal [37].

En voici l'explication en deux mots:

Le grand Gustave étoit alors au plus haut période de sa gloire, et il en jouissoit sans rivaux, puisque personne ne pouvoit lui disputer celle d'être le plus fameux conquérant de son siècle. Mademoiselle de Rambouillet, juge très-capable du vrai mérite, ne parloit d'ordinaire de ce prince qu'avec éloge; elle avoit même son portrait dans sa chambre, et disoit toujours qu'elle ne vouloit point d'autre amant que ce héros [38].

Cela donna lieu à Chapelain de choisir pour sujet de son madrigal la fleur qu'on nomme impériale, qu'il suppose être Gustave ainsi métamorphosé qui vient lui rendre hommage et lui offrir de la couronner. Voiture, à qui cette fiction avoit sans doute paru très-noble, y fait allusion dans la lettre qu'il écrivit à mademoiselle de Rambouillet [39], au nom du roi de Suède, et qui commence: Voicy le lion du Nord, etc.

On a cru devoir cette explication en particulier à ceux qui verront ce livre, sans entrer dans le détail du reste, qui s'entend facilement, et l'on se contentera d'ajouter ici que Robert [40], célèbre peintre d'alors, fut chargé de peindre les fleurs dont il est enrichi, et que Nicolas Jarry [41], le plus fameux maître d'écriture de son temps, a écrit de sa main et les madrigaux et la table des auteurs.

Afin que rien ne manquât à embellir cet ouvrage, il fut relié par le Gascon, qui n'avoit pas d'égal en son art, et enrichi par le dehors et le dedans des chiffres de Julie-Lucine, afin que l'on sût d'abord à qui il étoit [42].

Tant que madame de Montausier a vécu, elle a conservé précieusement ce gage de la politesse et de l'amour de son mari pour elle. Étant morte, M. de Montausier en devint le dépositaire et le montroit avec plaisir à ses amis. De ses mains, il passa en celles de madame la duchesse d'Uzès, sa fille [43], qui savoit trop ce qu'il valoit pour ne pas le garder avec soin. Aussi ce ne fut qu'après sa mort que ce livre fut vendu par ses héritiers, comme une pièce qui ne méritoit pas leur attention. Un particulier l'acheta à l'intention de M. Moreau, premier valet de chambre de monseigneur le duc de Bourgogne, si connu par son mérite et son bon goût, qui lui paya quinze louis d'or, valant alors deux cents livres; et depuis il a eu l'honnêteté de m'en faire un présent et de m'obliger à le prendre, croyant, avec raison, enrichir par là mon cabinet [44].

Nicolas Jarry, écrivain inimitable du dernier siècle, fit trois manuscrits de la Guirlande de Julie dans la même année 1641, savoir: un in-folio, un in-quarto et un in-octavo.

Le premier [45], annoncé dans le Catalogue des livres de M. le président Crozat de Tugny, Paris, 1751, p. 119, no 1316, n'étoit pas imprimé. C'est une erreur de ne pas l'avoir annoncé manuscrit. Il est de la propre main de Jarry, sur papier in-quarto, à longues lignes, et contient cinquante-trois feuillets très-bien écrits, en lettres bâtardes. Il paraît avoir été l'esquisse et le modèle de l'in-folio présenté à mademoiselle de Rambouillet. M. le marquis de Courtanvaux en a été ensuite possesseur. Il est passé, à sa vente, entre les mains de P. F. Didot, imprimeur de Monsieur [46].

Le second [47], très-précieux, sur vélin in-folio, qui a donné lieu à cette Notice, est supérieurement écrit en lettres rondes; les figures de toutes les fleurs, peintes par le fameux Robert, et la reliure magnifique, en maroquin rouge, de ce livre, orné, en dehors et en dedans, du chiffre entrelacé de J. L., ajoutent au très-grand mérite de cet ouvrage unique en son genre.

Il paraît qu'après M. de Gaignières, ce manuscrit passa entre les mains du chevalier de B***; il fut acheté, en 1726, à la vente de ses livres [48], par M. l'abbé de Rothelin, qui, comme on l'a vu plus haut, en fit présent quelque temps après à M. de Boze. M. de Cotte [49] l'acheta des héritiers de M. de Boze, avec une partie de sa bibliothèque, et le céda à M. Gaignat, à la vente duquel il fut acheté par M. le duc de La Vallière [50]. M. Peyne, libraire de Londres, l'a payé, à la vente de ce dernier [51], quatorze mille cinq cent dix livres. Nous ignorons entre les mains de qui il est passé [52].

Le troisième et dernier manuscrit de la Guirlande [53] contient quarante feuillets sur vélin in-octavo, écrits en lettres bâtardes. Il ne renferme que les madrigaux seuls, sans aucune peinture. La reliure est la même que celle du manuscrit précédent (1641), parce qu'ils furent présentés, tous les deux en même temps, à mademoiselle de Rambouillet, par M. le duc de Montausier. L'on ignore absolument comment il est passé dans la bibliothèque de M. le duc de La Vallière [54]. M. G. Debure fils aîné, chargé de la vente de cette bibliothèque, l'a payé quatre cent six livres, et en est actuellement le possesseur [55] (1784).

Ce manuscrit peut être regardé comme le chef-d'œuvre de M. Jarry, parce qu'il excelloit encore plus dans les lettres bâtardes que dans les lettres rondes.

Nous croyons ne pouvoir mieux finir cette Notice qu'en rapportant le sonnet de Gilles Ménage, imprimé dans ses Miscellanea, Parisiis, 1652, in-4o, p. 124.

SONNET
SUR
LA GVIRLANDE DE IVLIE [56]

Sous ces ombrages verds la nymphe que j'adore,

Ce miracle d'amour, ce chef-d'œuvre des Dieux,

Avecque tant d'éclat vient d'ébloüyr nos yeux,

Que Zephire amoureux l'auroit prise pour Flore.

Son teint estoit plus beau que le teint de l'Aurore,

Ses yeux estoient plus vifs que le flambeau des Cieux,

Et sous ses nobles pas on voyoit en tous lieux

Les roses, les jasmins et les œillets éclore.

Vous qui, pour sa Gvirlande, allez cueillant des fleurs,

Nourrissons d'Apollon, favoris des neuf sœurs,

Ne les épargnez point pour un si bel ouvrage.

Venez de mille fleurs sa teste couronner:

Sous les pieds de Ivlie il en naît davantage

Que vos savantes mains n'en peuvent moissonner.

Nous avons donné audience à M. de Gaignères pour la contexture et l'histoire des trois manuscrits de Jarry; complétons sa Notice par l'analyse succincte et aussi complète que possible des diverses copies et éditions de la Guirlande de Julie.

C'est le Recueil de Maurepas que nous citerons en premier lieu: Le volume I de ce Recueil manuscrit [57] contient une copie prise très-fidèlement, le 24 octobre 1715, sur le texte de l'in-8° de Jarry, appartenant alors à M. le duc d'Uzès.

En second lieu, dans un des manuscrits de Conrart [58] indépendant des deux collections connues de la bibliothèque de l'Arsenal, nous voyons une version très-incomplète des madrigaux de la Guirlande, parmi lesquels plusieurs pièces aussi anonymes qu'inédites se trouvent mêlées.

Ces deux copies manuscrites sont les seules dont nous ayons eu connaissance.

Le recueil de Sercy [59] eut la gloire de mettre au jour les madrigaux imprimés de l'illustre Guirlande, mais c'est à l'édition de la Vie du duc de Montausier, parue en 1729 [60], que revient l'honneur d'une première impression conforme au texte de l'in-folio manuscrit.

Voici maintenant les éditions intégrales et successives de la Guirlande de Julie:

1° La Guirlande de Julie, offerte à Mlle de Rambouillet, Julie-Lucine d'Angènes, par M. le Marquis de Montausier. Paris, de l'Imprimerie de Monsieur, 1784, in-8° de 82 pages [61].

2° La Guirlande de Julie, offerte à Mlle de Rambouillet, Julie-Lucine d'Angènes, par M. le Marquis de Montausier, ornée de trente gravures dessinées et peintes par Mme Legendre. A Paris, chez Mlle Adèle Prudhomme, rue des Marais, no 18.—H. Nicole et Pelicier.Imprimerie de Didot le jeune, 1818, in-18 carré, frontispice gravé, avec vignette [62].

3°La Guirlande de Julie, expliquée par de nouvelles annotations sur les madrigaux et sur les fleurs peintes qui la composent, par M. Amoreux, Dr Mn. Gabon et Cie, Montpellier et Paris, 1824, in-8° [63].

4° La Guirlande de Julie, offerte à Mlle de Rambouillet par M. de Montausier. Paris, N. Delangle, éditeur, 1826 (collection des Petits Classiques françois) [64].

5° La Guirlande de Julie pour Mlle de Rambouillet, Julie-Lucine d'Angennes. (Appendice de Précieux et Précieuses, par Ch. L. Livet. Paris, Didier et Cie, in-8o, 1859; 2e édition, in-12, 1870 [65]).]

La bibliographie de ce livre aussi recherché que curieux se termine ici; nous croyons avoir noté aussi consciencieusement que possible les faits les plus saillants qui ont rapport à cet ouvrage; nous avons parlé de ses manuscrits, de ses copies et de ses différentes réimpressions; revenons donc à son parrain et aux poëtes qui dans cette fête des madrigaux prirent part, sur le Parnasse, à la nombreuse cueillette des fleurs qui composèrent l'immortelle couronne.

Pendant son séjour à Paris, M. de Sainte-Maure, assidu à l'hôtel de Rambouillet, vivait dans la plus parfaite intelligence avec les familiers de la marquise. C'étaient chaque jour assauts de sonnets, de rimes équivoques, d'épigrammes ou de rondeaux. Dans cette épicurienne demeure des Muses, l'esprit sans cesse était en sentinelle et l'impromptu sur le qui-vive, prêts à saisir la plus petite allusion ou le moindre prétexte pour lancer un bon mot, une espièglerie, un rien adorable. Aussi, lorsque l'occasion s'offrit à tous ces poëtes de faire leur cour à la princesse Julie, ce fut par un enthousiasme général et une pluie de fleurs qu'ils s'empressèrent d'y répondre.

L'ingénieuse conception de Montausier rallia vers un but unique les talents les plus opposés; les flèches du madrigal furent mises en commun dans le même carquois, la coquetterie de chacun fit trêve pendant quelque temps pour laisser paraître la galanterie d'un seul. Enfin, il se forma pour ce plan d'amour une association généreuse et spontanée, une union fidèle, une fraternelle solidarité.

Les jardins d'Apollon furent dévalisés. C'était à qui apporterait les plus belles fleurs ou en plus grand nombre [66], et Montausier vit venir à lui, tous animés du même zèle, Arnauld d'Andilly père et fils, Arnauld de Corbeville, Arnauld de Briotte, marquis de Pomponne; Chapelain, Colletet, Corneille, Desmarests de Saint-Sorlin, Godeau, Gombaud, Habert de Montmor; Habert, abbé de Cérisy; Habert, commissaire d'artillerie; Malleville, Martin de Pinchesne, Scudéry, Tallemant des Réaux, et jusqu'au vieux marquis de Rambouillet qui voulut, comme les autres, attacher son petit madrigal à la Guirlande de sa fille Julie.

Voiture seul manquait à l'appel: poëte trop grand seigneur, et amoureux pour son propre compte, il ne voulait pas être comparé. Il est vrai, à ce que dit Tallemant, «que les chiens de M. de Montausier et les siens n'ont jamais trop chassé ensemble [67]»; mais il est juste aussi d'ajouter que le grand épistolier voyageait alors en Espagne [68], et qu'il prit fièrement sa revanche plus tard par ses lettres et poésies à l'adresse de Mlle de Rambouillet et sa riche métamorphose de Julie en Diamant [69].

M. de Montausier composa seize madrigaux pour sa chère cruelle: l'amant, comme on le voit, avait fait au poëte la part du lion; mais la muse Erato n'inspira pas toujours le poëte comme elle l'aurait dû, et, bien qu'il ait lutté sans trop de désavantage avec ses illustres émules, nous ne pouvons disconvenir que quelques-unes de ses fleurs manquent de coloris et paraissent maussades. L'Alceste de l'hôtel de Rambouillet ne fut pas toujours exempt de cet esprit alambiqué qui fit jaillir la pure critique de l'Alceste de Molière, et, de l'avis de Charles Nodier, l'Oronte de la comédie aurait trouvé place dans la Guirlande [70].

Claude de Malleville vient après Montausier par le nombre de madrigaux. L'heureux poëte de la Belle Matineuse, qui remporta le prix sur tous ses concurrents pour ce célèbre sonnet proposé au mérite [71], travailla sur treize fleurs de la Guirlande, dont neuf furent insérées dans le manuscrit original [72]; ses vers, galamment tournés, remplis de délicatesse et de douceur, sont dignes assurément de ses autres poésies.

Georges de Scudéry vient ensuite avec un bouquet de douze fleurs brillantes et diaprées, parmi lesquelles cinq seulement furent prises et conservées par Montausier. Ces pièces, du fécond auteur d'Alaric, sont empreintes d'une légère affectation, mais le sentiment qui les a dictées est sincère [73], et l'on reconnaît vite d'ailleurs, sous l'aimable tournure de ses madrigaux, le faire original du Poëte guerrier. Scudéry rima souvent pour la marquise de Rambouillet et la charmante Julie. Nous trouvons dans ses poésies, outre de longues stances à Arthenice [74], le sixain suivant sur le portrait de Mme de Montausier, peinte sur marbre en habillement de Pallas, par Stella [75]:

Cette taille, ce port et cette majesté,

Mieux que l'habillement, montrent la vérité

De ce que le pinceau nous a voulu dépeindre.

L'art icy n'a point voulu feindre,

Et sans doute, ayant tant d'appas,

Ou c'est IVLIE ou c'est PALLAS.

Après Scudéry, Pierre Corneille apparaît, modestement dissimulé derrière l'initiale C, et porteur de six fleurs qu'on attribua faussement à Conrart [76]. Habitué de l'hôtel de Rambouillet, où de sa voix lente et monotone il donnait la première lecture de ses tragédies [77], et digne admirateur des vertus de Julie, l'auteur du Cid ne pouvait rester inactif dans ce tournoi galant: il abaissa donc mignardement son vers ample et sonore au ton madrigalesque, son style fier et élevé devint doucereux et fleuri, bref le grand tragique daigna changer sa manière et laissa gracieusement coqueter sa plume pour le chef-d'œuvre de Montausier.

Guillaume Colletet [78], au contraire, poëte bon vivant et madrigalier par tempérament, semble mal à l'aise et un peu guindé dans les quatre pièces qu'il écrivit pour la Guirlande. Sa muse, comme celle de Villon, s'abandonnait au débraillé, aux chansons à boire et aux sonnets grivois, et l'époux de Claudine, qui prenait d'habitude ses divinités en bas lieu, dut se trouver cérémonieusement intimidé lorsqu'il eut à chanter la chaste beauté de Julie.

Philippe Habert, le commissaire de l'artillerie et l'auteur du Temple de la mort [79], attacha trois fleurs à la couronne poétique offerte à Julie: le Narcisse et deux Soucis. Ses madrigaux sont d'une finesse et d'une élégance remarquable, le troisième surtout, le plus connu après celui de Desmarests, est poussé dans le dernier galant:

Ne pouvant vous donner ni SCEPTRE, ni COURONNE,

Ni ce qui peut flatter les cœurs ambitieux,

Recevez ce SOUCY, qu'aujourd'huy je vous donne

Pour ceux que tous les jours me donnent vos beaux yeux.

Ce joli quatrain n'est-il pas d'un tour spirituel et d'une grâce parfaite!

Simon Arnauld, marquis de Pomponne [80], choisit avec délicatesse le Muguet, la Fleur de grenade et la Perce-Neige. Il traita avec goût ces trois sujets, qu'il signa du nom de De Briotte, sorte de pseudonyme dont le futur grand ministre ornait volontiers les productions poétiques de sa jeunesse.

D'Andilly le fils se décida pour le Soucy (sous le nom de Clytie) et la fleur de Thym; il se fit l'avocat de ces deux fleurs d'une manière si correctement adulatrice, que Julie d'Angennes dut prendre souvent plaisir à regarder le feuillet de vélin où elles s'épanouissaient dans leur élégance raffinée.

Desmarests, sieur de Saint-Sorlin [81], qu'on nommait le plus fou de tous les poëtes, et le meilleur poëte qui fût entre les fous, prouva, à l'occasion de la Guirlande, que s'il savait composer de longs et innombrables poëmes, il pouvait faire également de petits et délicieux madrigaux.—Il se présenta avec deux quatrains: l'un sur les Lys, l'autre sur la Violette; le premier d'un charme agréable, mais peut-être équivoque; le second tendrement expressif et d'un mouvement si emblématiquement vrai, qu'il l'emporte en franche beauté sur tous les autres madrigaux du recueil de Montausier. Il est impossible d'exprimer une prétention plus noble sous une forme aussi humblement séduisante. La Violette de Desmarests a conservé sa fraîcheur et son parfum délicat. Elle brille encore aujourd'hui dans tout son éclat, et la coquette petite fleur demeurera assurément immortelle dans notre poésie comme un parangon symbolique de grâce modeste et de timide hardiesse.

Le père Le Moyne [82], auteur du poëme héroïque de Saint Louis, fit par la suite une si ingénieuse Métamorphose de la Violette, que nous n'hésitons pas à la citer comme une charmante paraphrase du quatrain de Desmarests.

La voici:

L'humble et timide violette

Craint de montrer aux yeux du jour

L'infortune de son amour,

Depuis la faute qu'elle a faite.

Sans ajustement et sans fard,

Elle n'emprunte rien de l'art:

Son habit est simple et modeste,

Et son visage sans couleur,

Dans le repentir qui lui reste,

En fait un voile à sa douleur.

Sans avoir l'attrait ni la forme succincte du madrigal de Desmarests, l'œuvre du père Le Moyne est assez gracieuse pour figurer à sa suite.

Habert, l'abbé de Cérisy [83], celui-là même qui sut traiter avec un goût achevé un poëme d'environ 700 vers sur la métamorphose des yeux de Philis en Astres, pouvait d'autant plus aisément se faire l'interprète de la Rose et du Narcisse en faveur de Julie.—Il prêta à ces deux fleurs un langage de piquante courtoisie, qui, dans son exquise politesse, laisse percevoir le genre d'esprit de cet excellent écrivain.

La majesté des Lys tenta par deux fois Martin, sieur de Pinchesne [84], qui fit deux madrigaux sur ces fleurs royales.—Ce poëte ne fut pas divinement inspiré en cette occurrence, mais on ne saurait le juger sur cette œuvre de civilité: les Muses ne répondent pas toutes les fois qu'on les appelle, et le neveu de Voiture déploya assez de talent par la suite pour qu'on puisse le considérer comme le plus injustement négligé parmi les oubliés du XVIIe siècle.—De Pinchesne fut un des chantres les plus fidèles des beautés de Julie, et après la mort de Madame de Montausier il gravait encore sur son tombeau le sonnet suivant:

Tout ce qui peut rester d'une brillante vie,

Quand la mort en a mis la dépouille au tombeau,

Reste encore de Julie en un estat si beau

Qui d'honneurs immortels rend sa perte suivie.

Son âme, aux lois du temps cessant d'être asservie,

Ne se ferme aux rayons du céleste flambeau

Que pour s'ouvrir au jour d'un autre tout nouveau,

Dont elle est dans la gloire heureusement ravie.

Tandis que ses beaux ans furent en leur esté,

Jamais tant de vertu, d'esprit et de clarté

N'ont rendu parmi nous un mérite célèbre.

Ses beaux ans ne sont plus, mais son nom vit toujours,

Et la nuit ny l'oubli de l'empire funèbre

Jamais sous le soleil n'en borneront le cours.

Il nous reste à noter les huit poëtes qui, bornant leur ambition à un seul madrigal, choisirent avec recherche, sur les fertiles coteaux de l'Hélicon, la fleur unique dont ils devaient orner le front de Julie.

Commençons par Chapelain [85] et son altière Couronne Impériale, qui fut si goûtée à l'hôtel de Rambouillet. M. de Gaignères parle assez longuement dans sa Notice du sujet allégorique traité dans ce madrigal; nous ne jugerons donc que l'œuvre en elle-même.—Chapelain s'était si puissamment imposé à son époque, avant la pénible apparition de son poëme, que de fait il ne pouvait être médiocre. Les quelques pièces qu'il donnait en à-compte sur son colossal chef-d'œuvre, étaient saisies, admirées, exaltées avec une telle passion, que c'eût été un crime de ne pas s'extasier.—Aujourd'hui nous pouvons considérer la Couronne Impériale avec un sens plus rassis et exempt de ce prisme d'enthousiasme qui fit regarder le créateur de la Pucelle comme le premier poëte du monde, et, à l'avouer franchement, le madrigal de Chapelain nous semble légèrement boursouflé et d'une allure un peu trop majestueuse pour l'harmonie générale et l'ensemble bien caractérisé de la Guirlande.

Godeau [86], par contre, trouva pour sa Tulipe une forme fraîche et idyllique; il donna à son vers l'élégance et le tour agréable de la pastorale, et le madrigal du Nain de la princesse Julie est si honnêtement troussé et d'une physionomie si colorée que l'on s'étonne, en le regrettant, que M. de Vence ait presque exclusivement consacré son talent à rimer des psaumes et à versifier des méditations chrétiennes et des églogues sacrées.

D'Andilly le père [87] drapa royalement ses Lys, sous son inspiration. Ils dressent noblement la tête et donnent à Julie, dans un langage pompeux, les marques de la plus haute courtoisie.

Le vieux Gombaud [88], en vétéran du madrigal, paya d'un fier et magistral quatrain sur l'Amaranthe, les bontés et les douces attentions que les Rambouillet lui prodiguaient dans sa fortune adverse.

L'auteur des Historiettes, le calomniographe Tallemant des Réaux [89], montra un échantillon de son savoir-faire galant dans un madrigal sur les Lys, et il s'en tira assez délicatement pour recevoir tous les éloges.

Arnauld de Corbeville [90] emprunta le pinceau de Flore pour donner le plus vif coloris et les tons les plus fins à la fleur qu'il cueillit; sa Tulipe, superbe d'éclat, reste l'emblème du plus parfait amour sous la forme la plus élégante.

Habert de Montmor [91] eut le choix original; il rima sur une robuste mais modeste petite fleur: La blanche Perce-Neige prêta à l'imaginative de l'auteur une grâce et un esprit qui font de son madrigal un des plus réussis de la Guirlande.

Le marquis de Rambouillet [92] enfin, qui n'était assurément pas le courtisan ordinaire des Muses, essaya, pour la première fois peut-être, de les invoquer, afin de couronner son admirable fille. A travers la métamorphose de l'Hyacinthe qu'il choisit, il trouva matière à un aimable sixain, assez agréablement tourné pour faire honneur à un poëte de profession.

Avec le père de la princesse Aminte se termine notre étude sur la Guirlande. Nous aurions pu étendre cette Notice, l'augmenter de nombreuses pièces, y joindre des poésies à la louange de Julie, et faire ressortir davantage la flore de chaque madrigal; mais nous avons craint d'alourdir de trop de plomb le fragile canevas sur lequel se joue, en légères arabesques, la délicatesse des plus doux madrigaux.

Nous avons reproduit avec une grande exactitude, l'orthographe de la Guirlande de Julie, extrêmement surannée même pour l'époque où elle fut calligraphiée par le célèbre Jarry. Après avoir revu sur tous les textes connus le texte original de l'œuvre de Montausier, nous en avons minutieusement recueilli les variantes pour les placer à la fin de ce volume, et, sans vouloir parler du luxe typographique dont nous entourons cette réimpression, nous croyons, grâce aux sérieuses études auxquelles nous nous sommes livré, donner une édition justement recommandable par sa clarté, ses annotations, ses documents inédits et les soins scrupuleux que nous avons apportés dans les plus petits détails.

La Guirlande de Julie devait figurer dans notre collection des Poëtes de ruelles au XVIIe siècle.—Le concours de tant de brillants esprits, réunis pour une œuvre si fameuse qu'elle est, en quelque sorte devenue classique, est d'un vif attrait pour la savante curiosité des lettrés.—Nous ne prétendons pas cependant présenter au public un chef-d'œuvre littéraire: ces petites pièces de poésie, ainsi que nous le fait remarquer un bibliographe judicieux, ont un mérite assez mince quand on les considère séparées des peintures pour lesquelles elles ont été faites, et privées d'une circonstance unique dans l'histoire de la galanterie; mais, en souvenir et pour le respect que nous portons à Mlle de Rambouillet, la Guirlande de la princesse Julie restera toujours le livre de l'imagination la plus française, l'Anthologie galante la plus précieuse de notre littérature, et comme un monument d'illustre courtoisie, à cette époque admirable et de suprême politesse où le talent tenait à honneur de couronner dignement et de fleurs immortelles la vertu, le mérite et la beauté.

OCTAVE UZANNE.

LA
GVIRLANDE
DE
IVLIE,
pour
Mademoiselle de Rambouillet,
IVLIE-LVCINE
D'ANGENNES.

Escript par N. Jarry.
1641

2

ZEPHIRE A IVLIE [1].
Madrigal.

De M. le marquis DE MONTAUSIER.

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