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Légendes canaques

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FLIRT CANAQUE

A mon ami P. V.

N’Doui sent bien que Malalou est à son goût. C’est une jolie popinée, et toujours il pense à Malalou, et toujours il cherche Malalou dans les sentiers perdus de la tribu.

Mais Malalou s’est bien aperçue que N’Doui s’occupe d’elle ; alors elle évite de le rencontrer, elle fait un peu la coquette, Malalou, elle joue l’indifférence. — Quand N’Doui est là, elle fait semblant de ne pas le voir, ou, si elle est obligée de le regarder, elle allonge ses lèvres, elle affecte d’être très contrariée de sa présence.

Malalou est une jeune popinée d’une quinzaine d’années, à la poitrine très altière ; elle est ronde de partout, Malalou, fine de taille ; ses larges hanches s’évasent sous son blanc tapa de jonc battu. Et, suprême élégance, par-dessus son tapa, juste derrière, arrondissant encore son assiette, elle porte un petit volant de franges qui descend et bat sur ses jarrets, comme un chasse-mouches. Le manche d’un couteau à gaine sort de la ceinture tressée de son tapa. Malalou ne se blessera pas avec la lame tranchante, non ; elle sait s’accroupir et s’asseoir gentiment, et même avec décence.

Quand elle marche, Malalou, ses épaules remuent à peine, mais sa taille se ploie, ses hanches roulent et ondulent ; le chasse-mouches se balance bien en mesure, et ses mollets ronds remontent. Quelquefois N’Doui la suit de loin, Malalou, en pensant à beaucoup de choses.

Dans la boule de ses cheveux, un peu sur le front, elle a planté un peigne en bambou, Malalou. Deux lignes tatouées en bleu partent des ailes de son nez, et vont se perdre du côté de ses oreilles. — Quand elle rit, Malalou, elle montre des dents bien alignées, et bien blanches, comme les dents des roussettes.

N’Doui, lui, est un beau type d’homme, un athlète tout à fait complet, il doit avoir vingt ans. — Tout nu il est léger, même gracieux, tant ses mouvements sont souples. Habillé comme les blancs il serait trapu, lourdeau et gauche. — N’Doui est né pour être nu, son baguiyou est suffisant pour le vêtir.

N’Doui n’a pas encore détaillé tous les charmes qui adornent la suave Malalou, et font d’elle une belle, belle popinée. Il ne comprend même pas toute l’harmonie de l’ensemble. — Mais N’Doui suit sa nature, il s’abandonne à une impulsion qui le pousse de préférence vers Malalou, plutôt que vers les autres popinées.

Aujourd’hui Malalou est assise avec quelques popinées, autour d’une marmite immense à trois pieds, qui règne sur la place commune, devant les cases. — Malalou est très absorbée par la fabrication d’une ficelle en magnagna. Elle ne fait pas de la dentelle, ni de l’irlande, ni des trous-trous, Malalou…

N’Doui est par là, il arrive sans se montrer, il se cache derrière une case. Puis, il arrache une brindille de jonc, il l’arrange, la façonne, en fait une petite sagaïe, qu’il lance sur Malalou. Malalou reçoit cette inoffensive sagaïe dans le dos, elle cambre brusquement ses reins flexibles, et elle pousse un petit Koui ! Elle sait bien que c’est N’Doui qui est là, mais elle ne se retourne pas. — N’Doui s’avance un peu, il continue ses agaceries avec des brindilles, et avec des petits cailloux. Chaque fois qu’elle est touchée Malalou fait un Koui ! — Mais les Koui vont en s’atténuant. A la fin Malalou ne dit plus rien ; seule la place touchée frissonne un peu. Alors N’Doui se montre tout à fait. — Malalou feint d’être surprise, elle allonge les lèvres et fait la moue ; puis, vivement, elle prend sous la marmite un tison allumé qu’elle jette dans les jambes de N’Doui. — Celui-ci saute en l’air pour éviter le coup, tout en criant dans une note suraiguë Ouilllililililili !… Toutes les popinées rient. — Malalou continue à rouler sa ficelle.

N’Doui est resté là ; maintenant il est appuyé contre un cocotier, il joue du « courroua. » C’est une manière de longue flûte cintrée, en roseau. Il la tient appliquée sur le bout de ses lèvres, N’Doui semble souffler sur son pouce. L’autre extrémité de la flûte est en bas, au bout de son bras allongé le long de sa jambe. D’un doigt il bouche et il ouvre un trou, et touroutoutouroutoutou… Il joue en cadence le pas du pilou, en battant la mesure sur la terre, avec son pied ; et touroutoutouroutoutou, il n’y a que deux notes et deux tons, mais par moments pour que ce soit plus joli, il bourdonne avec ses lèvres charnues, tout en roulant des touroutoutou.

C’est enlevant, les popinées sont empoignées par la cadence, et tout en continuant chacune son ouvrage, Malalou de corder son magnagna, elles marquent la mesure avec leurs pieds. Peu importe les autres. N’Doui ne voit que Malalou, et touroutoutou pour Malalou. Au bout d’un moment, Malalou emportée par le rythme, oublie qu’elle doit être fâchée ; et elle regarde le beau N’Doui qui joue si bien du courroua. — Alors commence le langage muet, mais si éloquent des yeux.

Sans bouger la tête, de ses regards balancés en cadence, N’Doui détaille tous les appâts, tous les avantages physiques de la jeune Malalou, toujours en faisant touroutoutou. Ses yeux regardent la poitrine, puis ils se portent sur un bouquet de cocotiers du voisinage. Puis ses yeux regardent les bras, puis les jambes, puis tout de Malalou, et à chaque chose désignée, les yeux indiquent le bouquet de cocotiers tutélaire, toujours en cadence. — De temps en temps Malalou fait la moue, touroutoutou ; mais au fond elle est très flattée de cet hommage rendu à ses grâces.

Quand les autres popinées le regardent, N’Doui fait toujours touroutoutou, mais ses yeux ne bougent pas. Les jeunes popinées ne diraient rien, il le sait bien ; mais les vieilles femmes feraient : Tchiaaa ! Dès que les popinées ne le voient plus, les yeux de N’Doui roulent à nouveau, et recommencent à dire à la suave Malalou : Ces bras ronds, ces jambes musclées, ce corps souple, tout ça joli, il faut que ça aille dans ce bouquet de cocotiers, là-bas, au bout de mes yeux. Et touroutoutou Malalou fait la moue. Mais un de ces jours elle ira toute seule dans ce bouquet de cocotiers, en se donnant un petit air de pas l’avoir fait exprès. Et Malalou sera surprise quand elle verra N’Doui, elle se sauvera si maladroitement dans un taillis épais, comme une poule craintive, que N’Doui l’attrapera facilement, Malalou, en y mettant toute la violence d’un coq à crête rouge… Et touroutoutouroutoutou……… Puis N’Doui ramassera ses cliques et ses claques, et il se sauvera à travers la brousse, comme un voleur.

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