Médée: tragédie
SCENE II.
MEDÉE, RHODOPE.
MEDÉE.
HÉ bien! tu vois le prix que me gardoit
Jason.
L’Ingrat couronne enfin sa noire trahison.
Il Epouse Créüse; & la pompe s’appreste.
Tout m’annonce ma mort. Mais à quand cette Feste?
RHODOPE.
Madame, cét hymen se celebre demain.
MEDÉE.
Demain! Le temps est court & et le terme prochain.
Il faut en profiter.
RHODOPE.
Quel funeste hymenée!
Helas! à quels malheurs estes vous condamnée.
MEDÉE.
Ah! rien n’est comparable aux horreurs de mon sort.
Rhodope, qui l’eût crû? Jason jure ma mort.
Au plus honteux destin son mépris me ravale.
Il m’attache en Esclave au char de ma Rivale.
J’ay tout ozé pour lui; pour lui j’ay tout quitté,
Païs, thrône, parens, gloire, felicité.
Il me coûte, l’Ingrat! jusqu’à mon innocence.
Je n’ay voulu que lui. Crüelle recompense?
Pour prix de cét amour qui n’a voulu que luy,
Il me laisse sans rang, sans honneur, sans appui,
Sous un Ciel estranger, criminelle, accablée,
Proscrite, fugitive, odieuse, exilée;
Et seule à la merci d’un monde d’ennemis,
Que m’ont fait les forfaits que pour lui j’ay commis.
RHODOPE.
Trop indigne de vous aprés sa lache injure,Oubliez un Ingrat, dédaignez un Parjure.
D’un genereux orgueüil vous armant en ce jour....
MEDÉE.
Hé! puis-je triompher de mon fatal amour?
Malheureuse! tout cede à mon art redoutable.
La nature se trouble à ma voix formidable
Tout tremble, tout fléchit sous mon pouvoir vainqueur.
Et je ne puis bannir un Ingrat de mon cœur.
L’Amour brave ma force, & méprise mes charmes;
Il rit de ma fureur & m’arrache des larmes.
Pour un Perfide encore il trouble ma raison.
J’aime; que dis-je, aimer? j’adore encor Jason.
Pour lui je trahirois encor Pere & Patrie;
Pour lui j’immolerois mon repos & ma vie.
D’un tyrannique Amour trop barbare rigueur,
Cesse pour un Ingrat de déchirer mon cœur.
RHODOPE.
En ce funeste état que vous estes à plaindre!
MEDÉE.
Il est vrai, je le suis; mais plus encore à craindre.
On n’offensa jamais Medée impunement.
Mais, que dit ma Rivale, & que fait son Amant?
RHODOPE.
Ah! Madame, il soupire aux pieds de la Princesse;
Et n’est plus occupé que du feu qui le presse.
MEDÉE.
Ton sang va me vanger, lâche & perfide Epoux!
Tu mourras... quelle horreur vient glacer mon courroux?
Et depuis quand Medée est elle si timide?
Son cœur n’est-il hardi que pour un parricide?
Aprés tant d’innocens immolez sans remords,
Je respecte un Ingrat digne de mille morts.
Ah! qu’il meure. Où m’emporte une jalouze rage?
Qu’il meure! ce Heros, ton amour, ton ouvrage;
Le fruit de tant de soins, de perils, d’attentats,
L’objet de tant de vœux.... non, il ne mourra pas.
Quelque juste fureur dont je sois possedée,
Qu’il vive, & s’il se peut, qu’il vive pour Medée;
Ou, si de mon bon-heur le Destin est jaloux,
Qu’il vive, s’il le faut, pour d’autres que pour nous.
C’est Creon, qui le force à l’hymen qui m’accable;
Creon merite seul mon courroux implacable,
Lui, qui de son pouvoir ennivré follement,
Me ravit mon Epoux, m’arrache mon Amant,
Fait regner en Tyran le crime & le divorce;
Et ne connoît de droits que l’injure & la force.
Qu’il perisse & sa Race. Accablons son orgueüil;
Mettons son insolence & sa gloire au cercueüil.
RHODOPE.
Ah! moderez, de grace, une douleur si forte.
Etouffez, ou cachez l’ardeur qui vous emporte.
J’entens du bruit. On vient. Domptez ce fier couroux,
Madame; c’est Creon qui s’avance vers vous.