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Médée: tragédie

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SCENE VII.

MEDÉE, SES ENFANS, RHODOPE.

RHODOPE.

VOstre present, Madame, a charmé la Princesse.
Ne pouvant se lasser d’en vanter la richesse,
Dés ce soir sans soupçon elle veut s’en parer.
Creon même, Creon s’empresse à l’admirer.
Jason & vos presents les assurent, Madame,
Que la raison éteint la colere de vostre ame;
Que pour vous, pour vos Fils, vous faisant un effort,
Vous cedez par devoir à la rigueur du Sort.
Enfin tous deux comblant vos Enfans de caresses,
Ont temoigné pour eux les dernieres tendresses.
Que vois-je! vous pleurez. Si prés de vous vanger,
Quel trouble vous saisit & vient vous affliger?

MEDÉE.

Helas!

RHODOPE.

Vous gemissez; d’où naissent ces allarmes?
Attachant sur vos Fils vos yeux baignez de larmes,
Vous fremissez, Madame, & changeant de couleur
Vous détournez soudain la veuë avec horreur.

MEDÉE.

Quelque vive douceur qu’ayt pour moi la vengeance,
Un trouble violent en secret la balance.
Je pleure avec raison ces Enfans malheureux.
Quel crime les condamne, & qu’ont-ils fait aux Dieux?
Dans un âge si tendre ils vont perdre leur Mere;
Et les Infortunez n’ont déja plus de Pere.
Esclaves, Estrangers, sans appui, sans secours,
Quelle suitte de maux va marquer tous leurs jours.
C’est en vain que je vais leur ravir leur Marâtre,
De quelque objet nouveau mon Perfide idolatre,
Les remettra bien-tost sous un joug odieux,
Et les accablera d’un poids injurieux.
Quel Astre empoisonnant votre triste naissance,
Mes Fils, versa sur vous sa crüelle influence?
Languissans sous le joug, gemissans dans les fers,
Le Destin vous condamne à cent malheurs divers.
Vous vous consumerez dans un vil esclavage,
Essuyant chaque jour quelque nouvel outrage.
Quel sort... Ah cette idée irrite ma douleur,
Et l’amour maternel, redouble ma fureur!
Pour les Fils du Soleil quel indigne partage!
Quel coup... mon amour meurt & se transforme en rage;
C’en est fait. Innocens, vous me tendez les bras.
Ces regards caressans, ce souris plein d’appas,
Reveillant la nature, augmentant ma foiblesse,
Jusqu’au fond de mon cœur vont chercher la tendresse.
Helas! en souriant, vous repandez des pleurs.
Infortunez! déjà sentez vous vos malheurs!
Que voulez-vous de moi par ces douces caresses?
Il nous faut renoncer à toutes ces tendresses.
De votre trïste Mere il faut vous détacher;
A de si doux plaisirs il faut nous arracher.
En vain j’avois sur vous fondé mon esperance.
En vain je me flattois d’élever votre Enfance.
Il nous est interdit de nous voir desormais;
O mes Fils! il nous faut separer pour jamais.

RHODOPE.

Epuisez vos transports, Madame. La Princesse
Pour un temps assez court s’en prive & vous les laisse.
Elle leur a prescrit de venir en ces lieux,
Recevoir prontement vos pleurs & vos adieux.

MEDÉE.

L’Orgueilleuse déjà leur commande, & m’outrage!
O ma lente douleur! ô mon foible courage!
A quels affronts crüels, à quel sort odieux
Livres tu lâchement le plus beau sang des Dieux!
Ma fureur se reveille, & l’amour la ranime.
Ozons les affranchir du joug qui les opprime.
Couronnons ma vengeance & bornons leur malheur.
Que dis-tu Miserable, & que veut ta fureur?
Non, pour finir leurs maux, il n’est plus d’autre voye.
Un moment de douleur va me combler de joye.
Frappons.... Frappons...

UN DES ENFANS.

Ah! Dieux. Ma Mere! qu’avez-vous?

L’AUTRE ENFANT.

Pourquoi nous menacer, & d’où vient ce courroux?
Je tremble.

MEDÉE.

Je fremis. Leurs regards & leurs larmes
Me troublent, & des mains me font tomber les armes.
O mon sang! ô mes Fils, si chers à mes desirs!
Objets de ma tendresse & de mes deplaisirs,
Infortunez auteurs de ma douleur amere,
Approchez mes Enfans; embrassez votre Mere.
Empressez-vous encor d’obéïr à mes loix;
Et baisez moi du moins pour la derniere fois.

Rhodope, conduis les dans la chambre prochaine.
Leur veüe accroît mon trouble & redouble ma peine.
Qu’ils me coûtent de pleurs! qu’ils me sont chers! helas!
Mon lâche amour, mes pleurs ne les soulagent pas.

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