← Retour

Médée: tragédie

16px
100%

ACTE III.


SCENE PREMIERE.

JASON, CRÉUSE, IPHITE.

JASON.

MAdame, c’en est fait. Medée aprés ce jour,
Abandonne Corinthe & quitte cette Cour.
En menaces en vain elle oze se répandre.
Dans un terme si court que peut-elle entreprendre?
Et d’ailleurs pour ses Fils tremblante dans son cœur,
Des ôtages si chers retiennent sa fureur.
Je sais même observer ses pas & sa colere.
Ainsi rien ne s’oppose à l’hymen que j’espere.
Tout m’annonce un bon-heur infaillible & prochain,
Et les Dieux, de mon sort seront jaloux demain.
Que ce crüel delai me fait de violence;
Et que ce jour est long à mon impatience!
J’accuse sa lenteur de moment en moment.
Elle irrite ma flâme & mon empressement.
L’heureux Jason languit. Mais ma belle Princesse,
Partagez-vous du moins ma joye & ma tendresse?
Aimez-vous des transports dont vous causez l’ardeur?
Sentez-vous du plaisir à faire mon bon-heur?
Vous ne me dittes rien. Quelle raison secrette,
Dans ces heureux momens peut vous rendre müette?
Une sombre langueur que vous cachez en vain,
De vostre front troublé ternit l’éclat serein.
Que vois-je! à vos yeux même il échappe des larmes.
D’où viennent vos frayeurs? d’où naissent vos allarmes.
Ay-je pû, ma Princesse, offenser vos beaux yeux?
Qu’ay-je fait? qu’ay-je dit? & vous suis-je odieux?

CRÉUSE.

Moi, vous haïr, Seigneur! quelle injustice extrême!
Et ma bouche & mes yeux ont avoüé que j’aime.
Mon cœur suit mon devoir. Tous mes soins, tous mes vœux
N’aspirent qu’à vous plaire & qu’à vous rendre heureux.
Mais dans nostre bon-heur je ne sçay quelle crainte
M’allarme malgré moi; tient ma joye en contrainte.
N’a-t on pas veu cent fois les Dieux mêmes jaloux
Traverser un bon-heur pour des Mortels trop doux.
Je plains même, je plains le destin de Medée,
Et ce funeste amour dont elle est possedée.
Daignent les justes Dieux soulageant sa douleur,
Ne pas faire sur nous retomber son malheur.
Helas! si quelque jour leur fatale colere
Empoisonnoit le cours d’un destin si prospere?

JASON.

Ah! calmez ces frayeurs. Les Dieux justes toûjours
De vos prosperitez feront durer le cours.

CRÉUSE.

Mais quand des Dieux, Seigneur, je n’aurois rien à craindre,
De vous n’auray-je pas quelque jour à me plaindre?
Vous me repondez d’eux; repondez-moi de vous.
Helas! si vous brisiez un jour des nœuds si doux,
Et si vous m’immoliez à quelque ardeur nouvelle,
Que deviendrois-je, O Ciel! dans ma douleur mortelle?

JASON.

Vous pleurez, ma Princesse, & vous pouvez penser,
Que jamais vostre Amant puisse vous offenser.
Quel outrage crüel vous faites à ma flâme?
Lisez-vous donc si mal dans mes yeux, dans mon ame?
Ah! rien ne peut jamais éteindre un feu si beau.
On verra son ardeur durer jusqu’au tombeau.
Que n’en puis-je exprimer toute la violence!
Vos yeux ne sont-ils pas garands de ma constance?

CRÉUSE.

Hypsipile & Medée, objets de vos amours,
Se sont laissé surprendre à de pareils discours;
Et de nouveaux objets vostre ame possedée,
A laissé cependant Hypsipile & Medée.

JASON.

Leur exemple inegal vous trouble sans raison,
Madame; bannissez un injuste soupçon.
Hypsipile & Medée en prevenant mon ame,
Avoient sçeu m’engager à répondre à leur flâme.
Touché de leurs bien-faits, sensible à leur amour,
Mon cœur crut leur devoir quelques soins à son tour;
Et d’y répondre au moins ne pouvant me défendre,
La crainte d’estre ingrat me força de me rendre.
Mais dés que je vous vis, un trouble imperieux,
Asservit tout mon cœur au pouvoir de vos yeux.
D’une pressante ardeur l’extrême violence,
Surmonta ma raison, força ma resistance;
Et je sentis enfin que jusques à ce jour,
Je n’avois pas connu le pouvoir de l’Amour.
Un si parfait amour bravera la mort même.
J’en atteste des Dieux la puissance suprême.
Puissent ces Dieux vangeurs, si je trahis ma foi,
Epuiser leur courroux & leurs foudres sur moi.
Si votre cœur m’aimoit, il prendroit ma deffense.
Un veritable amour bannit la deffiance.

CRÉUSE.

Un veritable amour est-il jamais sans soins?
Je ne craindrois pas tant, helas! si j’aimois moins.

JASON.

Si vous sentez mes feux, ah! sentez donc ma joye;
Et que dans vos transports vostre amour se deploye.
Si prez de rendre heureux vostre fidelle Amant,
Prenez part, s’il se peut, à son ravissement.

CRÉUSE.

Vous le voulez; je cede & ma tristesse change.
Je ressens vostre joye & pure & sans mélange.
Oüi Jason, je me rens, & l’Amour est vainqueur.
Il comble tous mes vœux, m’assurant vostre cœur.
Adieu. Je vais au pied des Autels de sa Mere,
Implorer ardamment son secours tutelaire;
La presser d’augmenter nos fidelles ardeurs,
Et de verser sur nous ses plus douces faveurs.

Chargement de la publicité...