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Médée: tragédie

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ACTE II.


SCENE PREMIERE.

MEDÉE, seule.

OU suis-je, Malheureuse? où portay-je mes pas?
Qu’ay-je veu? qu’ay-je oüi? je ne me connois pas.
Furieuse je cours; & doute si je veille.
Quel bruit, quels chants d’hymen ont frappé mon oreille?
Corinthe retentit de cris & de concerts.
Ses Autels sont parez; ses Temples sont ouverts.
Tout à l’envi prepare une odieuse pompe.
Tout vante ma Rivale, & l’Ingrat qui me trompe.
Jason, il est donc vrai! jusques-là me trahit
Jason honteusement me chasse de son lit!
Il m’oste tout espoir! Epouse infortunée!
Que dis-je, Epouse! helas! pour nous plus d’hymenée;
L’ingrat en romp les nœuds. Dieux justes, Dieux vangeurs,
De la foi conjugale augustes Protecteurs,
Garants de ses sermens, témoins de ses parjures,
Punissez son forfait & vengez nos injures.
Toi sur tout, O Soleil, j’implore ton secours;
Toi qui donnas naissance à l’Auteur de mes jours:
Tu vois du haut des Cieux l’affront qu’on me destine;
Et Corinthe joüit de ta clarté divine!
Retourne sur tes pas & dans l’obscurité
Plonge tout l’Univers privé de ta clarté.
Ou plûtost, donne moi tes chevaux à conduire.
En poudre dans ces lieux je sçauray tout reduire.
Je tomberay sur l’Isthme avec ton char brûlant.
J’abîmeray Corinthe & son peuple insolent.
J’écraseray ses Rois; & ma fureur barbare
Unira les deux mers que Corinthe separe.

Mais où vont mes transports? est-ce donc dans les Cieux,
Que j’espere trouver du secours & des Dieux?
Deitez de Medée, affreuses Eumenides,
Venez laver ma honte & me servir de guides.
Armons nous. De nostre art déployons la noirceur.
Que toute pitié meure & s’éteigne en mon cœur;
Que de sang alteré, que de meurtres avide
A l’Isthme il fasse voir ce qu’a veu la Colchide.
Que dis-je! De bien loin surpassons ces forfaits.
De ma tendre jeunesse ils furent les essais.
J’estois & foible & simple, & de plus innocente.
L’amour seul animoit ma main encor tremblante.
La haine avec l’amour, le couroux, la douleur,
M’embrazent à present d’une juste fureur.
Que n’enfantera point cette fureur barbare?
Le crime nous unît; il faut qu’il nous separe.

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