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Médée: tragédie

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SCENE IV.

JASON, MEDÉE.

MEDÉE.

TU n’iras pas si loin pour me trouver, Perfide.
C’est Medée. Oüi, c’est elle.

JASON.

Ah! crains mon desespoir
Barbare...

MEDÉE, le frappant de sa Baguette.

Arreste, Ingrat; & connois mon pouvoir.

JASON.

Quel prodige estonnant! Dieux! ma fureur est vaine!
Je me sens retenu par une estroitte chaîne.
Je demeure immobile, & malgré mes efforts
Le pouvoir de son art s’oppose à mes transports.

MEDÉE.

Juge, si c’est à moi de craindre ta vengeance.
Un sort comme le mien n’est pas en ta puissance;
Magnanime Heros, ne songe plus à moi;
Trop indigne aussi-bien d’un Epoux tel que toi.
Laisse une Infortunée, oublie une Estrangere,
Sans appui, sans couronne, errante & solitaire.
Un hymen plein d’appas, un thrône glorieux
T’attendent en ce jour dans ces superbes lieux.
Est-il temps de rester auprés d’une Jalouse!
Va soupirer aux pieds de ta nouvelle Epouse.
Vante lui ton ardeur, assure lui ta foi:
Tu luy voles le temps que tu perds avec moi.
Dois-tu pas à son sort unir ta destinée?
Haste-toi de conclurre un si doux hymenée,
Le Sacrifice est prest, & le Temple est orné;
On n’attend plus que toi. Cours, Epoux fortuné.

JASON.

Quoi! La Barbare encore & m’insulte & m’outrage!
Faut-il que par son art elle brave ma rage?
Je ne puis l’immoler à ma juste fureur!
Son sang appaiseroit Créüse & ma douleur!

MEDÉE.

Oüi, Jason, à Créüse il faut quelque victime;
Et mon sang répandu doit effacer mon crime.
Sois content. J’ay versé le plus pur de ce sang.

JASON.

Comment?

MEDÉE.

A tes deux Fils j’ay sceu percer le flanc.
Regarde ce poignard & cette main sanglante;
C’est mon sang, du tien, qu’elle est teinte & fumante.
Mon bras pour dernier coup vient de les égorger.
Si déjà ton ardeur languit pour la Princesse;
Si tu fuis, Inconstant, ta nouvelle Maîtresse;
Cours du moins, Pere heureux, à tes Fils expirans,
Rens leur les derniers soins, embrasse les mourans.

JASON.

Ah! Barbare!

MEDÉE.

En est-ce assez, & connois-tu Medée?
De son affreux pouvoir garderas-tu l’idée?
Oublîras-tu sa haine, ainsi que son amour?

JASON.

Monstre, à tes propres Fils avoir ravi le jour!
Pourquoi sacrifier d’innocentes victimes!

MEDÉE.

Ils estoient nez de toi, demandes-tu leurs crimes?
Ma trop juste fureur a dû les en punir;
J’ay dû finir leurs maux, j’ay dû les prevenir;
Te delivrer d’un joug que ton esprit abhorre;
Rompre ces derniers nœuds qui nous serroient encore;
Et, pour mieux t’oublier, effacer sans retour
Jusqu’aux traces, Ingrat, de nostre affreux amour.
Ce n’est pas sans remords que je m’y suis forcée.
Tu m’en as inspiré l’audace & la pensée;
Tu m’as seul enhardie à ce crüel dessein,
Infidelle, & c’est toy qui leur perce le sein.

JASON.

Quoi! les Dieux irritez, pour te reduire en poudre
Sur ta teste à mes yeux ne lancent pas la foudre.

MEDÉE.

Vangeurs des trahisons, Ennemis des Ingrats,
Les Dieux pour t’accabler ont employé mon bras;
La foudre étoit trop peu pour punir ton offence.
J’ay servi leur justice & rempli leur vengeance.
C’en est fait. Pour repaistre & mes yeux & mon cœur,
Moi-même j’ay voulu joüir de ta douleur.
Un spectacle si doux met le comble à ma gloire:
Je savoure à longs traits ta peine & ma victoire
Et je recouvre enfin ma gloire, mon repos,
Mon Sceptre, mes Parents, la Toison & Colchos.
Je pars; puis que ma fuitte a pour toi tant de charmes,
Leve encor jusqu’à moi tes yeux chargez de larmes,
Ingrat. Voi ces Dragons qui soûmis à ma loy,
(Medée monte dans un Char, traîné par des Dragons.)
Et plus reconnoissans, plus fidelles que toi,
Par des chemins nouveaux vont guider leur maîtresse.
Tes vœux sont satisfaits; pour jamais je te laisse.
Adieu; je t’abandonne aux horreurs de ton sort.
Ingrat, je te hais trop pour te donner la mort.
(Le Char s’envole.)

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