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Médée: tragédie

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SCENE III.

JASON, CRÉUSE, CYDIPPE.

CRÉUSE.

AH! Seigneur:

JASON.

Ah! Madame.
Quel est mon desespoir! où portez vous vos pas?

CRÉUSE.

Ah! Seigneur, le Roi vient de mourir dans mes bras.
Ce dernier coup manquoit au tourment qui m’accable.
Joüet infortuné du Sort impitoyable,
Preste enfin d’assouvir son rigoureux courroux,
Je viens du moins, je viens mourir auprés de vous:
Vous fermerez mes yeux.

JASON.

Dieux! qu’entens-je? ah! Madame,
On peut esteindre encore une crüelle flâme.
Les Dieux, les justes Dieux pour vous s’interessans,
Prendront soin par pitié de vos jours innocens;
Et vous verrez Medée à vos pieds expirante,
Y servir de victime à ma fureur sanglante.
J’en atteste ces Dieux. J’en jure mon amour.

CRÉUSE.

En vain vous pretendez me rappeller au jour.
Medée à se vanger est trop ingenieuse.
Mon sang doit assouvir sa rage furieuse;
Et vos soins, votre amour, loin de me secourir,
Irritent le poison dont je me sens mourir.
Envieux du plaisir que m’offre vostre veüe,
Son art haste l’effet du charme qui me tuë;
Et l’Amour seul, plus fort que ses Enchantemens,
M’anime & me soutient encor quelques momens.
Ecoutez-moi, Seigneur. Mes maux ny ma foiblesse
Ne sçauroient rallentir l’ardeur de ma tendresse.
La Mort même ne peut éteindre un feu si beau.
Je l’emporte avec moi dans l’horreur du tombeau;
Mon amour y vivra. La Fortune jalouze
N’a pû souffrir, Jason, de me voir vostre Epouse.
Mais la Crüelle au moins me laisse la douceur,
De mourir prés de vous, possedant vostre cœur.
Je goûte en mes tourments cette douceur secrette.
La vie & les grandeurs n’ont rien que je regrette.
Unique & tendre objet de mes vœux les plus doux,
Je ne plains en mourant, ne regrette que vous.
Trop heureuse en effet si comblant mon attente
Les Dieux... ah! quel tourment! quelle ardeur devorante!
Mon supplice s’accroît; je me sens déchirer:
Je brûle. Adieu, Jason; il faut nous separer.

JASON.

Nous separer! ô Dieux! ah! rigueur qui me tuë.
Nous separer! quel coup pour mon ame éperduë!
Ah! je souffre à la fois mille horribles tourmens!
Quoi tous les Dieux sont sourds à mes gemissemens!
Je vous perds pour jamais; en vain je les implore.
Et j’ay seul allumé ce feu qui vous devore!
Non je ne verrai point un si crüel malheur;
Et par un pront trépas j’en previendray l’horreur.

CRÉUSE.

A trop de desespoir vostre ame s’abandonne.
Vivez, Jason, vivez. C’est moi qui vous l’ordonne.
Ne me refusez pas dans mon sort rigoureux
L’unique & dernier bien qui flatte encor mes vœux.
Gardez le souvenir d’une triste Princesse.
Conservez lui, Jason, toute vostre tendresse.
Elle meurt vostre Epouse. A la face des Dieux
Recevez donc ma main & mes derniers adieux.
Que ne puis-je employer ces vains restes de vie,
A vous prouver l’amour dont mon ame est remplie?
Helas! on n’a jamais aimé si tendrement;
Et jamais je n’aimay plus que dans ce moment.
J’en atteste les Dieux. Mes forces s’affoiblissent:
Ma voix, mon sang se glace; & mes yeux s’obscurcissent.
Malgré le Sort crüel, qui va nous désunir,
Mon cœur vous aime encore à son dernier soupir.

CYDIPPE.

Elle expire, Seigneur.

JASON.

Destin impitoyable!
Elle est morte; & je vis! ô tourment effroyable!
Ah! mon bras au deffaut de ma lente douleur
De ce supplice affreux doit m’épargner l’horreur.
Meurs, lâche; meurs enfin. Mais ma douleur m’abuse.
Je dois un sacrifice aux Manes de Créüse.
Pour appaiser son Ombre & ses ressentimens,
Je veux livrer Medée au plus crüels tourmens;
De mon ame aussi-tost sur le rivage sombre
De ce sang assouvie ira trouver son ombre.
La soif de te vanger seule arreste mon bras.
Belle Ombre, attens; j’y cours & vais suivre tes pas.
Medée en vain me fuit; en vain son art la cache.
A ma juste fureur il n’est rien qui l’arrache.
Je suivray la Barbare au bout de l’Univers.
Et je la trouveray même au fond des Enfers.
Mon amour furieux me servira de guide.

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