Médée: tragédie
SCENE II.
JASON, CRÉUSE, IPHITE, CYDIPPE.
CRÉUSE.
JE croyois en ces lieux trouver le Roi mon Pere.
On vient de m’assurer qu’il vous cherche, Seigneur.
JASON.
Je n’ay point veu le Roi, Madame; mais mon cœur.
Par de profonds respects, par l’amour le plus tendre,
Ne pourra-t-il jamais meriter & pretendre
Que vous daigniez aussi me chercher quelque jour?
Cét espoir n’est-il pas permis à mon amour?
Jamais, vous le sçavez, ardeur si violente
Ne regna dans un cœur & n’en fût triomphante.
Tout le jure à vos yeux; soins, vœux, empressemens,
Mes remords immolez, mes transports, mes sermens;
Et mes tendres respects, & mes ardens hommages,
Vous sont de cét amour d’inviolables gages.
Je sens un feu si vif s’accroistre à chaque pas.
Madame, à tant d’amour vous ne répondez pas?
CRÉUSE.
Hé! le puis-je, Seigneur? une jeune Princesse
Ne doit qu’à son Epoux déclarer sa tendresse.
Il est vrai que le Roi, qui doit regler mes vœux,
Estime vos vertus, applaudit à vos feux.
Il m’a mesme ordonné d’écouter vostre flâme;
Si j’ose aprés cela vous découvrir mon ame;
J’estime ainsi que luy cét illustre Jason,
Qui surmonta Neptune & conquît la Toison;
De la gloire amoureux, prodigue de sa vie,
L’ornement de la Grece, & l’effroi de l’Asie,
Le chef de nos Guerriers, la fleur de nos Heros,
Dont le nom est vanté de Corinthe à Colchos.
Peut-estre un doux panchant m’entraîneroit sans peine.
Mais un fatal obstacle & m’arreste & me gesne.
Medée est votre Epouse, & des nœuds si puissans
Mettent un frein trop juste à mes vœux innocens.
Pourrois-je à ce panchant abandonner mon ame,
Tandis qu’un autre hymen vous attache....
JASON.
Ah! Madame,
Cessez, cessez de craindre un hymen odieux,
Condamné par les Grecs, reprouvé par les Dieux.
Dés demain, dés ce jour faut-il briser ses chaînes?
CRÉUSE.
Mais qui m’assurera qu’insensible à ses peines,
Vous puissiez soûtenir sa veuë & sa douleur,
Sans lui rendre bien-tost vos vœux & vostre cœur?
Je crains un long panchant; sa tendresse, ses larmes;
Je redoute ses yeux, je redoute ses charmes:
Son art est au dessus de tout l’effort humain,
Seigneur, & de vostre ame elle sçait le chemin.
Tant que vous la verrez, que vous pourrez l’entendre,
Je crains tout d’un amour & si long & si tendre.
Je crains....
JASON.
Ah! dissipez une indigne frayeur.
Quel outrage! ainsi donc jugez-vous de mon cœur?
Connoissez mieux ce cœur, Madame & ma tendresse.
Rien ne peut m’enlever à ma belle Princesse:
Je deffie à la fois les Mortels & les Dieux;
Et tout l’art de Medée, & l’Enfer & les Cieux.
Si sa presence icy vous allarme & vous blesse,
Il faut vous delivrer du soupçon qui vous presse.
Un veritable amour éclatte avec plaisir.
Commandez seulement; je suis prest d’obéïr.
Je donnerois mon sang; j’immolerois ma vie.
Trop heureux que pour vous le Sort me l’eût ravie.
CRÉUSE.
J’entends le Roi, Seigneur. Il paroît à vos yeux.