Médée: tragédie
SCENE III.
JASON, CRÉUSE, CREON, suitte.
CREON.
JE vous cherchois, Seigneur. Sçavez-vous qu’en ces lieux
Un nouvel Envoyé du Roi de Thessalie,
Vient demander raison du meurtre de Pelie?
De mes refus Acaste offensé justement,
Veut bien suspendre encor son fier ressentiment,
Et jurer avec nous une étroitte alliance,
Si je livre en ce jour Medée à sa vengeance,
Ou qu’au moins la chassant du sein de mes estats,
Je refuse un azyle à ses assassinats.
Il me presse...
JASON.
Ah! Seigneur vostre cœur magnanime
Pourroit-il lui livrer une triste victime?
Pourroit-il....
CREON.
En faveur de vos Fils & de vous,
Je ne veux point livrer Medée à son courroux,
Mais est-il juste aussi, Jason, que de ses crimes,
Mes sujets innocens deviennent les victimes,
Et que d’une Etrangere appuyant les forfaits,
De mes heureux estats je trouble ainsi la paix?
Non il faut qu’elle parte, & qu’une prompte fuite
Nous délivre des maux qu’elle traîne à sa suite.
Je le veux. Cét exil est necessaire à tous;
Pour Acaste, pour Moi, pour ma Fille, pour Vous,
Pour Medée elle-mesme. Il faut purger Corinthe,
De ce funeste objet qui la glace de crainte.
Il faut nous épargner ses cris & sa fureur.
Je hais jusqu’à sa veüe; elle me fait horreur.
Des songes effrayans, des presages sinistres,
Des redoutables Dieux les augustes Ministres,
M’annoncent de leur part le plus affreux malheur,
Si je ne l’abandonne à leur courroux vangeur.
Rompez avec éclat le charme qui vous lie:
Expiez un hymen qui tache vostre vie.
Assez & trop long-temps ses liens mal tissus,
Ternissent vostre gloire, & soüillent vos vertus.
Assez & trop long-temps avec douleur la Grece,
Voit gemir sous le joug de cette Enchanteresse
Le plus grand des Heros qu’elle conçeût jamais.
Separez vos vertus d’elle & de ses forfaits.
Justifiez ainsi l’appui que je vous donne.
Possedez à ce prix ma fille & ma couronne.
Je veux que dés demain l’Astre brillant du jour
Ait veu partir Medée en commençant son tour;
Et que Corinthe ainsi n’estant plus prophanée,
Il se preste avec joye à ce doux hymenée.
JASON.
Je cede à vos raisons; j’obéis. Mais Seigneur,
Daignez par vos bontez adoucir son malheur:
Par tout ce qui pourra rendre son sort moins rude,
Consolez ses ennuis; flatez sa solitude.
CREON.
Quoiqu’elle ayt merité des maux plus rigoureux,
Je consens à remplir vos desirs genereux;
Et pour mieux adoucir son deplaisir extrême,
Je veux à cét exil la preparer moi-même.
Mais allons publier cét hymen, ce départ.
Qu’au bon-heur de leurs Rois nos Sujets prennent part.
Allons avec éclat annoncer à Corinthe
La source de sa joye & la fin de sa crainte.
Que des chants d’hymenée & d’aymables concerts,
Commencent ceste Feste & remplissent les airs.
Que du Dieu de l’hymen les feux sacrez s’allument;
Qu’on pare les Autels & que les Temples fument.
Jason trouve une Epouse enfin digne de lui.
Daignent les justes Dieux m’exauçant aujourd’hui,
Marquer de leurs faveurs cette grande journée,
Et la rendre à jamais celebre & fortunée!
Fin du premier Acte.