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Médée: tragédie

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PREFACE.

IL y a peu d’Histoires aussi connuës que celle de Medée, & de sujets de Tragedie aussi celebres que celuy-cy. Euripide l’a traitté parmi les Grecs. Ennius, Pacuvius, Accius, Ovide, & Seneque parmi les Romains. Monsieur Corneille parmi nous. La Tragedie d’Euripide & celle de Seneque nous restent encore avec quelques vers des autres.

Je me suis laissé tenter aprés tant de grands hommes à la beauté de ce sujet. Il m’a toûjours paru que les deux grands ressorts de la Tragedie, la terreur & la pitié, s’y font sentir vivement; & que Medée toute méchante & toute criminelle qu’elle est, estant aussi tres malheureuse & trahie par celuy pour qui elle a tout fait & tout abandonné, est l’un des personnages du monde le plus propre à faire un grand effet sur la Scene. La simplicité même du sujet, quoy que du goût de peu de gens parmi nous, a esté un nouvel attrait pour moy. J’ay voulu tenter de donner au Public une Piece à peu prés dans le goût des Anciens: c’est à dire, une Piece dans laquelle une action grande, tragique & merveilleuse, mais en même temps tres simple, fût soutenue seulement par la noblesse des pensées, par la vivacité des mouvemens, & par la dignité de l’expression. C’est ainsi que ces grands Maistres de l’art, sur les ouvrages desquels l’art même & les regles ont esté formés, ont constitué leurs Tragedies, & ont composé ces chefs-d’œuvre merveilleux, qui ayant fait l’admiration de tous les siecles, font encore pleurer & fremir dans la simple lecture. Ces Genies sublimes se sentant assez de force pour soutenir un sujet par luy même & et par eux mêmes, ont dédaigné d’avoir recours à un grand attirail d’incidens & d’Episodes; & ont rebutté les jeux de Theatre, les petites surprises & ces autres agremens frivoles, qui plaisent dans la Comédie; mais qui ne servent dans la Tragedie qu’à amortir & à éteindre le pathetique, qui en est l’ame. Ils auroient crû sortir du caractere du Poëme tragique, & blesser en quelque maniere la raison, & les regles par consequent, s’ils s’étoient écartez de cette simplicité d’action. Que penseroient-ils donc s’ils entendoient dire à present qu’une Tragedie n’est pas Tragedie ny dans les regles, parce qu’elle est simple? ils jugeroient sans doute que de pareils Critiques n’ont aucune idée de la Tragedie ny des regles; & qu’ils n’en connoissent que le nom.

On seroit tres faché cependant, que ceux qui ne connoissent pas les Tragedies des Anciens par elles mêmes, en voulussent juger par cette Piece qui leur est infiniment inferieure en tout. Pour ressembler à ces grands hommes, ce n’est pas assez de travailler dans leur goût & d’aprés eux; il faudroit encore avoir leur genie. Cette Piece donc peut fort bien estre simple comme celles des Anciens sans estre belle: mais en ce cas, c’est uniquement ma faute; & cela n’empêche pas que la veritable grandeur ne se trouve presques toujours jointe avec la simplicité.

Je ne répondray point à toutes les Critiques qui se sont d’abord élevées contre cette Piece. Je crois qu’on doit toûjours laisser au Public une liberté entiere d’en juger, & qu’un ouvrage doit se deffendre par luy-même. Peut-estre que ceux à qui la grande simplicité d’action qui regne dans cette piece, n’auroit pas entierement pleu dans la representation, en seront moins blessez dans la lecture; & qu’ils trouveront que j’y ay supplée autant qu’il m’a esté possible, par le soin que j’ay pris de l’expression. J’ay toûjours esté persuadé que c’est ce qui anime & ce qui soutient le plus un ouvrage, lorsque n’estant pas dans la bouche des Acteurs qui luy donnoient en quelque maniere la vie, il est comme mort sur le papier. Aussi avec quel soin les Anciens, & en particulier les Tragiques Grecs ne s’y sont-ils pas attachez? Il seroit trop long de parler icy de la sublimité, de la force, de la richesse, de l’harmonie, de la vivacité de leurs expressions; de ces tours si naturels en apparence, & pleins en effet d’un si grand art; de ces hardiesses nobles & heureuses, où ne s’éleva jamais un mediocre genie; de ces belles Epithetes qui rassemblant en un seul mot plusieurs idées, leur donnent plus de force en les offrant ainsi en raccourci; & qui par leurs peintures vives & nobles, font le charme de la Poësie qu’elles animent & qu’elles enrichissent. Je diray seulement pour donner quelque idée du soin que ces grands hommes ont pris de l’expression, qu’ils s’y sont attachez, jusqu’à n’employer presque que des mots consacrez à la Poësie & inconnus à la Prose; & que quand même on renverseroit la structure & l’arrangement de leurs vers, on ne laisseroit pas d’y sentir encore la Poësie la plus magnifique & la plus élevée.

Je ne sçaurois cependant m’empêcher de répondre à une des objections qu’on m’a faites. On m’a accusé d’avoir pris plusieurs pensées dans Monsieur Corneille. Mais pour me rendre justice, on devoit avoir dit que Monsieur Corneille ayant pris plusieurs pensées dans Seneque, j’ay crû pouvoir aussi puiser dans la même source & y en prendre quelques unes. Voilà la verité; & je défie qu’on puisse citer un endroit de cette Piéce qui paroisse emprunté de Monsieur Corneille, & qui ne soit pas de Seneque. J’ay crû qu’il ne m’étoit pas deffendu de suivre ce Poëte latin, & de m’enrichir de ses beautez & de ses pensées, à l’exemple de Monsieur Corneille lui-même. Si ceux qui ont quelque discernement & quelque goût pour ces sortes de choses, se donnent la peine de comparer avec l’Original les endroits que la Medée de Monsieur Corneille & celle-cy ont de communs; ils connoistront aisement, que ce que j’ay traduit ou imité, n’est point une copie de copie; mais que j’ay travaillé d’aprés l’original.

Personne n’est plus admirateur que moi du merite de Monsieur Corneille. Personne n’a plus de veneration & d’estime pour un si grand homme: & cette veneration jointe au grand nom qu’il s’est acquis si justement, m’auroit peut-estre empêché de traiter un sujet déja traité par luy, si je n’avois consideré que dans sa Medée, comme il le reconnoît luy-même, ce grand genie qui s’est fait admirer depuis, ne s’estoit pas encore entierement developpé, quoy qu’à travers les nüages qui le couvrent, il ne laisse pas de faire briller déja des étincelles de ce beau feu, qui achevant bien-tôt aprés de dissiper tout ce qui luy faisoit ombre, a produit le Cid, Polieucte, Cinna, & les Horaces. J’ay même traité ce sujet si differemment de luy, que hors le fond de la Fable qui ne sçauroit n’estre pas le même, & ce que nous a fourni Seneque; je ne croy pas que le même sujet puisse estre traitté plus diversement. Aussi j’espere que tous les gens desinteressez me rendront la justice de croire, que quand Monsieur Corneille n’auroit jamais fait sa Medée, je n’en aurois pas moins fait celle-cy, avec le secours d’Euripide & de Seneque, qui ont esté mes seuls & veritables guides.

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