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Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet, surintendant des finance et sur son frère l'abbé Fouquet

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Suite et fin du procès de Fouquet.—La Chambre de justice se rend à l'Arsenal (14 novembre 1664) pour entendre et juger l'accusé.—On donne lecture des conclusions du procureur général requérant la peine de mort.—Déclaration du chancelier à l'occasion de lettres de femmes publiées à l'époque de l'arrestation de Fouquet.—Fouquet sur la sellette.—Il proteste contre la compétence de la Chambre à son égard.—Principaux chefs d'accusation.—Premier interrogatoire de Fouquet sur les pensions.—Second interrogatoire (17 novembre); discussion entre le chancelier et Fouquet.—Troisième interrogatoire (18 novembre).—Intérêt qu'inspire le procès de Fouquet.—Maladie de la reine Marie-Thérèse.—Emplâtre que lui envoie madame Fouquet la mère.—Quatrième interrogatoire relatif au mare d'or (20 novembre).—Cinquième interrogatoire (21 novembre).—Impatience que témoigne Fouquet.—Sixième interrogatoire (22 novembre).—Septième et huitième interrogatoires (26 et 27 novembre).—Influences que l'on fait agir sur le chancelier.—Parti nombreux et actif qui s'intéresse au salut de Fouquet.—Neuvième interrogatoire (28 novembre).—Mort du président de Nesmond (30 novembre).—Séances des 1, 2 et 3 décembre, où Fouquet est interrogé sur les avances qu'il avait faites au trésor public et sur ses dépenses excessives.—Dernier interrogatoire sur le crime d'État (4 décembre); récriminations de Fouquet contre le chancelier, auquel il reproche sa conduite pendant la Fronde; il y oppose les services qu'il avait rendus à la même époque.—Olivier d'Ormesson opine le premier et parle pendant quatre jours (du 9 au 13 décembre).—Sainte-Hélène prend ensuite la parole (15-16 décembre).—Courage de M. de Massenau.—Folie de Berryer.—Pussort opine avec beaucoup de force (17 décembre).—Suite de la délibération (18, 19 et 20 décembre).—L'avis d'Olivier d'Ormesson est adopté par treize voix contre neuf.—Joie générale.—L'arrêt est signifié à Fouquet (22 décembre) et commué par le roi en un emprisonnement perpétuel dans la forteresse de Pignerol.—On sépare de Fouquet son médecin Pecquet et son valet de chambre la Vallée.—Exil des parents de Fouquet.—Persécutions dirigées contre les juges qui avaient sauvé Fouquet: exil de Roquesante, disgrâces de Pontchartrain et d'Olivier d'Ormesson.—La haine publique poursuit les juges qui avaient opiné pour la mort de Fouquet; trois d'entre eux (Hérault, Sainte-Hélène et Ferriol) ne tardent pas à succomber; on attribue leur mort à la vengeance céleste.

La Chambre de justice subissait le contre-coup de l'émotion profonde qu'entretenaient les plaintes des poëtes et les écrits de toute nature où l'on prenait la défense de Fouquet. Plus le procès s'avançait, plus cette agitation des esprits devenait vive et animée. Les partisans de Fouquet commençaient à se compter dans la Chambre: ses adversaires aussi, mais ces derniers se sentaient faiblir en présence de l'opinion publique et du blâme de leurs amis et de leurs familles. Le chancelier se montrait toujours docile aux ordres de la cour, et dirigeait le procès avec partialité; mais tantôt il sommeillait, tantôt il grondait et se plaignait des lenteurs affectées de la Chambre. Pussort et Voysin, naturellement emportés, avaient été exaspérés par les requêtes de récusation de Fouquet, et ils ressemblaient plutôt à des accusateurs qu'à des juges. Le président de Nesmond, qui, sur la requête de récusation, avait voté contre Fouquet, ne s'en consolait pas, et il mourut peu de temps après en maudissant sa faiblesse[1359]. Les autres membres du parlement de Paris étaient favorables à Fouquet. Il en était de même des maîtres de la Chambre des comptes. Les membres des parlements provinciaux et les maîtres des requêtes étaient partagés. Néanmoins la majorité semblait favorable à Fouquet, lorsque, le 14 novembre, la Chambre se rendit à l'Arsenal pour entendre et juger l'accusé. Jusqu'alors elle avait tenu ses séances au Palais de Justice, d'abord dans la salle du conseil, et ensuite dans une pièce où siégeait ordinairement la Cour des monnaies[1360].

Dès le matin, les mousquetaires, qui avaient toujours été chargés de la garde de Fouquet, veillaient aux portes de l'Arsenal[1361]. Aussitôt que la Chambre fut réunie, le chancelier fit donner lecture du réquisitoire du procureur général; Chamillart n'avait fait qu'apposer sa signature au bas des conclusions prises par Denis Talon. Elles étaient ainsi conçues: «Je requiers, pour le roi, Nicolas Fouquet être déclaré atteint et convaincu du crime de péculat[1362], et autres cas mentionnés au procès, et pour réparation condamné à être pendu et étranglé jusqu'à ce que mort s'en ensuive, en une potence qui, pour cet effet, sera dressée en la cour du Palais, et à rendre et restituer au profit du seigneur roi toutes les sommes qui se trouveront avoir été diverties par ledit Fouquet ou par ses commis, ou par autres personnes, de son aveu et sous son autorité, pendant le temps de son administration; le surplus de ses biens déclarés acquis et confisqués, sur iceux préalablement prise la somme de quatre-vingt mille livres parisis[1363] d'amende envers ledit seigneur.»

Après la lecture des conclusions du procureur général, le chancelier consulta la Chambre pour savoir si l'on ferait placer l'accusé sur la sellette. La réponse fut affirmative. Séguier ajouta qu'avant de faire entrer M. Fouquet il devait déclarer qu'il s'était plaint avec raison des lettres infâmes que l'on avait fait courir à l'époque de son arrestation; qu'elles étaient supposées, et que l'on n'avait publié aucune de celles qui s'étaient trouvées dans les cassettes du surintendant, le roi n'ayant pas voulu compromettre la réputation de dames de qualité[1364].

On introduisit ensuite Fouquet, qui portait le costume des bourgeois de l'époque, habit de drap noir avec manteau. Il s'excusa de paraître devant la Chambre sans robe de magistrat, déclarant qu'il en avait vainement réclamé une depuis un an. Sommé par le chancelier de prêter le serment qu'on exigeait alors des accusés, il s'y refusa, en renouvelant les protestations qu'il avait toujours faites contre la compétence de la Chambre de justice, et déclarant qu'il ne pouvait reconnaître que la juridiction du Parlement. Il ajouta que, ces réserves faites, il était disposé à répondre à toutes les questions et à donner les éclaircissements qu'on lui demanderait[1365]. La Chambre, consultée par le chancelier, passa outre, et il fut procédé immédiatement à l'interrogatoire.

Les nombreux chefs d'accusation allégués contre Fouquet peuvent se réduire à quatre: 1° les pensions qu'il prélevait sur les fermiers des impôts; 2° les fermes qu'il s'était fait adjuger sous des noms supposés; 3° les avances qu'il avait faites au trésor public; 4° le crime d'État résultant du projet trouvé à Saint-Mandé. Fouquet ne pouvait nier la réalité des abus commis dans les finances; il était forcé de reconnaître que lui et ses créatures avaient reçu des pensions, pris à ferme différentes taxes, et fait des avances au trésor; mais il rejetait toutes ces fautes sur le désordre de l'administration financière du temps de Mazarin. Les pensions n'étaient, à l'entendre, qu'un remboursement de ses avances autorisé par le cardinal. Il en était de même des impôts qui lui avaient été adjugés. Sans les prêts qu'il avait faits à l'État, le gouvernement eût été impossible. Enfin le projet trouvé à Saint-Mandé n'était qu'une chimère, le produit d'une imagination exaltée par un moment de colère; ce papier laissé derrière un miroir était oublié depuis longtemps, et Fouquet croyait l'avoir jeté au feu. Tel fut le système de défense qu'il adopta et soutint habilement. Pour le suivre au milieu des questions obscures et compliquées de l'administration financière, il eût fallu un président bien instruit de ces matières et capable de démêler la vérité au milieu des sophismes de la défense. Séguier, affaibli par l'âge et peu au fait des détails du procès, se faisait instruire chaque matin par Berryer, Foucault et Chamillart sur les chefs d'accusation qui devaient être développés à l'audience; mais il était incapable de lutter contre un adversaire aussi habile que Fouquet et aussi versé dans les matières de finances. Pussort, qui les connaissait mieux que le chancelier, avait compromis son autorité dans la Chambre par la violence de son caractère. Aussi l'interrogatoire de Fouquet tourna-t-il à son avantage.

Les questions portèrent d'abord sûr une pension de cent vingt mille livres que Fouquet était accusé d'avoir prélevée sur la ferme des gabelles, adjugée, en 1655, à Girardin sous le nom de Simon le Noir[1366]. L'accusé ne nia pas le fait, mais il répondit que le cardinal Mazarin lui avait accordé cette pension pour le rembourser des avances qu'il avait faites à l'État[1367]. Il fit preuve de modération et d'habileté dans cette première audience: «La compagnie, dit Olivier d'Ormesson[1368], paraît l'avoir entendu favorablement, et les zélés sont mal satisfaits de M. le chancelier.»

La seconde audience eut lieu le lundi 17 novembre[1369]. Fouquet s'assit, comme la première fois, sur la sellette. Le chancelier lui dit de lever la main; Fouquet répondit qu'il avait déjà exposé les raisons qui l'empêchaient de prêter serment. Là-dessus, le chancelier entra dans de longs discours pour établir le pouvoir légitime de la Chambre, qui avait été instituée par le roi[1370], et dont un arrêt du Conseil avait déclaré que Fouquet était justiciable. A cela l'accusé répondit que les arrêts du Conseil du roi étaient tantôt conformes aux lois, tantôt opposés, et que dans le dernier cas ce n'étaient pas de véritables arrêts. «Comment! reprit le chancelier, vous dites que le roi n'a pas pu juger et qu'il a abusé de sa puissance!—C'est vous qui le dites, répliqua Fouquet (a temetipso hoc dicis)[1371], mais non pas moi, et j'admire qu'en l'état où je suis, vous me veuillez faire une affaire avec le roi. Mais, monsieur, vous savez bien vous-même qu'on peut être surpris. Quand vous signez un arrêt, vous le croyez juste; le lendemain, vous le cassez, ayant reconnu la surprise[1372]. Vous voyez donc qu'on peut changer d'avis et d'opinion.—Mais cependant, ajouta le chancelier, quoique vous ne reconnaissiez pas la Chambre, vous lui répondez, vous lui présentez des requêtes, et vous voilà sur la sellette; ce qui prouve que vous êtes devant vos juges.—Il est vrai, monsieur, répondit Fouquet, je suis sur la sellette; mais je n'y suis pas par ma volonté; on m'y mène; il y a une puissance à laquelle il faut obéir. C'est une mortification que Dieu me fait souffrir et que je reçois de sa main. Peut-être pouvait-on bien me l'épargner après les services que j'ai rendus et les charges que j'ai eu l'honneur d'exercer[1373]

Le chancelier continua ensuite l'interrogatoire sur la pension que Fouquet recevait des fermiers des gabelles, sans que l'accusé se déconcertât et lui laissât prendre aucun avantage sur lui.

Le lendemain, 18 novembre, Fouquet comparut encore devant la Chambre et refusa de s'asseoir sur la sellette; il allégua, pour expliquer sa conduite, que, la veille, le chancelier lui avait dit qu'étant sur la sellette il reconnaissait la Chambre de justice, et, comme il ne voulait rien faire qui pût préjudicier à son privilège, il priait la Chambre de trouver bon qu'il ne se mît pas sur la sellette[1374]. Le chancelier, surpris de ce refus, lui dit qu'il pouvait se retirer et que la Chambre en délibérerait. Fouquet fit un pas comme pour se retirer, mais revenant aussitôt: «Je ne prétends point, dit-il, faire un incident nouveau pour gagner du temps; je veux seulement renouveler mes protestations et vous prier d'en prendre acte. Après quoi je répondrai.»

Le chancelier répliqua qu'il ferait toutes les protestations qu'il voudrait, mais que la Chambre ne pouvait pas douter de son pouvoir. Puis il passa à l'interrogatoire, qui porta sur les pensions que Fouquet recevait des fermiers des aides[1375] et du convoi de Bordeaux[1376]. La première, qui était inscrite au nom de Gourville et de Bruant, était de cent quarante mille livres. La seconde était de cent dix mille livres, qui devaient être payées annuellement à Fouquet, à madame Duplessis-Bellière, au marquis de Créqui, à la marquise de Charost, à MM. de la Rochefoucauld, de Brancas, etc. Fouquet se tira de cet interrogatoire avec autant d'habileté et de présence d'esprit que des précédents.

L'intérêt qu'inspirait le prisonnier s'accroissait avec le danger, et, malgré les gardiens, ses communications avec le dehors continuaient. «On parle fort à Paris, écrivait madame de Sévigné[1377], de son admirable esprit et de sa fermeté. Il a demandé une chose qui me fait frissonner; il conjure une de ses amies de lui faire savoir son arrêt par une certaine voie enchantée, bon ou mauvais, comme Dieu le lui enverra, sans préambule, afin qu'il ait le temps de se préparer à en recevoir la nouvelle par ceux qui viendront la lui dire, ajoutant que, pourvu qu'il ait une demi-heure à se préparer, il est capable de recevoir sans émotion tout le pis qu'on lui puisse apprendre. Cet endroit-là me fait pleurer, et je suis assurée qu'il vous serre le cœur.»

La Chambre ne se réunit pas le 19 novembre, à cause de la gravité de la maladie de la reine Marie-Thérèse. Le roi avait fait dire au chancelier qu'il désirait que la Chambre suspendit ses travaux pendant que tout le royaume était en prières pour cette princesse[1378]. On prétendit que ces délais n'avaient été imaginés que pour interrompre le cours des admirations[1379] qu'inspiraient les réponses de Fouquet, et avoir le loisir de reprendre haleine des mauvais succès. Ainsi tout était interprété en faveur de Fouquet et contre ses ennemis. L'emplâtre composé par madame Fouquet la mère pour la jeune reine fit grand bruit. Ce fut la marquise de Charost, fille de Fouquet, qui le porta à la reine mère pour le donner à Marie-Thérèse[1380]. L'effet en fut merveilleux[1381], et la reine déclara que c'était madame Fouquet qui l'avait guérie. «La plupart, suivant leur désir, ajoute madame de Sévigné, se vont imaginant que la reine prendra cette occasion pour demander au roi la grâce de ce pauvre prisonnier; mais pour moi, qui entends un peu parler des tendresses de ce pays-là, je n'en crois rien du tout. Ce qui est admirable, c'est le bruit que tout le monde fait de cet emplâtre, disant que c'est une sainte que madame Fouquet et qu'elle peut faire des miracles.»

La séance du jeudi 20 novembre ne présenta de remarquable que la rude apostrophe du chancelier à un des juges les plus inoffensifs, M. Hérault, conseiller au parlement de Bretagne. Fouquet était dans l'usage, à son entrée dans la salle où était réunie la Chambre, de saluer le chancelier et ensuite les commissaires. Quelques-uns lui rendaient son salut; d'autres, à l'exemple du chancelier, ne paraissaient pas s'en apercevoir. Séguier, voulant donner une leçon aux premiers, s'en prit au conseiller Hérault. Au moment où il portait la main à son bonnet: «C'est à cause que vous êtes de Bretagne, lui dit-il[1382], que vous saluez si bas M. Fouquet.» Le pauvre Hérault n'osa répliquer, et les autres commissaires se tinrent pour avertis. «Je n'avais pas touché à mon bonnet, ajoute d'Ormesson, et je ne l'ai fait qu'une fois à l'imitation de quelques-uns.»

L'interrogatoire roula pendant cette séance sur le marc d'or, que Fouquet s'était fait adjuger sous le nom de Duché. On lui reprochait d'avoir détourné à son profit les fonds provenant de cette taxe, que les nouveaux titulaires d'un office payaient au roi avant d'en obtenir les provisions. A en croire ses partisans, il sortit encore à son honneur de cette accusation. Mais ce qui résulte surtout des pièces du procès, c'est que Fouquet avait eu soin de faire disparaître toutes les preuves qui pouvaient établir sa culpabilité dans cette affaire.

Le 21 novembre, il fut interrogé sur les sucres et les cires de Rouen. Il était accusé d'avoir pris cette ferme sous des noms supposés, et d'avoir donné en payement au trésor des billets sans valeur[1383], tandis que lui-même prélevait des droits considérables. Cet interrogatoire fut moins avantageux à l'accusé, de l'aveu même de madame de Sévigné: «Il s'est impatienté, écrit-elle à Pomponne, sur certaines objections qu'on lui faisait et qui lui ont paru ridicules. Il l'a un peu trop témoigné, et a répondu avec un air et une hauteur qui ont déplu. Il se corrigera; car cette manière n'est pas bonne; mais en vérité la patience échappe. Il me semble que je ferais tout comme lui.»

Fouquet se corrigea à la séance suivante, celle du 22 novembre. Il y fut interrogé sur les octrois. C'était encore un impôt que Fouquet s'était fait adjuger à vil prix sous des noms supposés. Heureusement pour lui, le chancelier, dont l'âge avait affaibli les facultés, ne comprenait pas bien ces questions de finances[1384]. Pussort, qui aurait pu le diriger, était tellement emporté, que la majorité de la Chambre ne l'écoutait qu'avec défiance. Fouquet, bien mieux instruit sur toutes ces matières que le chancelier et que la plupart de ses juges, parvint encore à se tirer de ce mauvais pas, quoique ce fût un des plus glissants de son affaire. En même temps, il avait adouci son ton. «Je ne sais quel bon ange, dit madame de Sévigné, l'a averti qu'il avait été trop fier.»

Les séances du 26 et du 27 novembre furent encore consacrées aux octrois, et les amis de Fouquet convinrent qu'il s'embrouilla sur des points importants, et qu'il aurait pu être poussé par un juge qui eût été habile et bien éveillé; mais le chancelier sommeillait doucement. «On se regardait, dit madame de Sévigné[1385], et je pense que notre ami en aurait ri, s'il avait osé.»

Il semble que les hésitations et la faiblesse de Séguier ne venaient pas seulement de la vieillesse. Il était circonvenu par des influences qu'Olivier d'Ormesson laisse entrevoir et sur lesquelles insiste madame de Sévigné. Le premier écrit dans son journal, à la date du 22 novembre[1386]: «J'ai su la dévotion de M. le chancelier à M. de Genève[1387] et les quatre visites faites au couvent de Sainte-Marie du faubourg[1388], auxquelles il porta mille écus, et les réponses honnêtes qu'il a faites sur l'affaire de M. Fouquet.» Il faut voir dans madame de Sévigné comment la supérieure de la Visitation, qu'elle connaissait et sur laquelle son nom de Chantal[1389] aurait suffi pour lui donner de l'autorité, profita des visites de Séguier pour lui parler en faveur de Fouquet. Ce fut alors que le chancelier fit entendre ces paroles honnêtes dont parle Olivier d'Ormesson. Ainsi chaque parti s'agitait avec une ardeur qu'il ne faut pas oublier en étudiant ce procès. Si Colbert, Pussort et Voysin cherchaient à gagner ou à intimider les juges, il y avait une ligue fort active de dames, de religieuses, de dévots et dévotes, qui travaillaient à représenter Fouquet comme la victime innocente d'une odieuse persécution. Entre ces deux partis, il était difficile de garder l'impartialité d'un juge.

D'Ormesson inclinait de plus en plus vers ceux qui voulaient sauver Fouquet. Lorsque le chancelier, ou Pussort, alléguait un grief contre l'accusé, il opposait immédiatement une réponse. Le chancelier lui ayant dit, après avoir cité une des charges les plus fortes: «Que peut répondre M. Fouquet à cela?—Voici l'emplâtre qui le guérit,» répliqua d'Ormesson[1390]. On rit de cette allusion à l'emplâtre de madame Fouquet, qui avait fait tant de bruit.

L'engouement des dames pour Fouquet devenait tel, qu'elles allaient se placer dans une maison qui avait vue sur l'Arsenal, pour apercevoir l'accusé au moment où on le ramenait à la Bastille. Madame de Sévigné s'y rendit masquée[1391]. «Quand je l'ai aperçu, dit-elle, les jambes m'ont tremblé, et le cœur m'a battu si fort, que je n'en pouvais plus. En s'approchant de nous pour rentrer dans son trou, M. d'Artagnan l'a poussé et lui a fait remarquer que nous étions là. Il nous a donc saluées et a pris cette mine riante que vous lui connaissez. Je ne crois pas qu'il m'ait reconnue; mais je vous avoue que j'ai été étrangement saisie quand je l'ai vu rentrer dans cette petite porte. Si vous saviez combien on est malheureuse quand on a le cœur fait comme je l'ai, je suis assurée que vous auriez pitié de moi; mais je pense que vous n'en êtes pas quitte à meilleur marché, de la manière dont je vous connais. J'ai été voir votre chère voisine; je vous plains autant de ne l'avoir plus que nous nous trouvons heureux de l'avoir. Nous avons bien parlé de notre cher ami; elle a vu Sapho (mademoiselle de Scudéry), qui lui a redonné du courage. Pour moi, j'irai demain en reprendre chez elle; car de temps en temps je sens que j'ai besoin de réconfort. Ce n'est pas que l'on ne dise mille choses qui doivent donner de l'espérance; mais, mon Dieu! j'ai l'imagination si vive, que tout ce qui est incertain me fait mourir.»

A la séance du 28 novembre, le chancelier fit lire l'article des quatre prêts[1392]; on désignait ainsi les prêts faits à l'État par Fouquet sous le nom de quatre traitants, le Blanc, du Tot, Francfort et Ancillon. Ce grief ne parut pas assez important pour qu'on s'y appesantît; tel était l'avis d'Olivier d'Ormesson, et la Chambre l'adopta, malgré l'opposition de Pussort. Lorsque Fouquet eut été introduit, on revint à l'article des octrois, sur lequel il donna de nouvelles explications et prit sur le chancelier un avantage signalé par l'à-propos avec lequel il lui répondit. Comme Séguier lui demandait s'il avait eu la décharge d'une somme dont il parlait, Fouquet répondit qu'il l'avait eue conjointement avec d'autres. «Mais, reprit le chancelier, quand vous avez eu vos décharges, vous n'aviez pas encore fait la dépense.—Il est vrai, répondit Fouquet, mais les sommes étaient destinées.—Ce n'est pas assez, répliqua le chancelier.—Mais, monsieur, dit alors Fouquet, quand je vous donnais vos appointements, quelquefois j'en avais la décharge un mois auparavant, et, comme cette somme était destinée, c'était comme si elle eût été donnée.» Le chancelier dit que cela était vrai et qu'il lui avait obligation de l'avoir ainsi fait payer par avance.

Dans le même temps arriva la mort du président de Nesmond (30 novembre), qui fit une vive impression sur la Chambre. On racontait qu'à ses derniers moments il avait chargé ses héritiers de demander pardon à la famille de Fouquet de ce qu'il avait contribué à faire rejeter la requête de récusation présentée contre Pussort et Voysin[1393].

La Chambre ne rentra en séance que le 1er décembre. Le chancelier s'efforça de presser l'interrogatoire, sans laisser à Fouquet le temps de s'expliquer[1394]. Il espérait ainsi lui enlever l'avantage que lui donnaient une parole vive et facile, la présence d'esprit et la connaissance approfondie du procès. Fouquet insista pour qu'on le pressât moins. «Monsieur, dit-il au chancelier, je vous supplie de me donner le loisir de répondre. Vous m'interrogez, et il semble que vous ne vouliez pas écouter ma réponse; il m'est important que je parle: il y a plusieurs articles qu'il faut que j'éclaircisse, et il est juste que je réponde sur tous ceux qui sont dans mon procès.» Comme la Chambre parut approuver la réclamation de Fouquet, Séguier le laissa développer tous ses moyens de défense. Il en fut de même à la séance du 2 décembre, où Fouquet parla pendant deux heures et un quart avec beaucoup de sang-froid et d'habileté[1395]. Il s'agissait d'un point délicat, d'un prêt de six millions que l'on prétendait fait à l'État, et qui était en grande partie supposé. Fouquet se rejeta, comme toujours, pour expliquer les avances qu'on lui reprochait, sur les nécessités de la guerre et sur les ordres pressants de Mazarin. Madame de Sévigné se hâta d'avertir Pomponne du résultat favorable de cette séance: «Notre cher et malheureux ami, lui écrivait-elle, a parlé deux heures ce matin, mais si admirablement bien, que plusieurs n'ont pu s'empêcher de l'admirer. M. Regnard entre autres a dit: Il faut avouer que cet homme est incomparable; il n'a jamais si bien parlé dans le parlement; il se possède mieux qu'il n'a jamais fait

La séance du 3 décembre fut encore en partie consacrée à l'interrogatoire de Fouquet sur les prêts faits au trésor public et sur ses dépenses excessives. On lui reprochait, d'après les états que l'on avait trouvés dans ses maisons, d'avoir dépensé jusqu'à quatre cent mille livres par mois, seulement pour sa table[1396]. Fouquet avoua qu'il y avait eu excès et prodigalité, mais il prétendit que ce n'était pas aux dépens du trésor public, et se rejeta sur son désir d'être agréable à tous[1397]. Il n'était pas, disait-il, de l'humeur de ses ennemis, qui étaient durs et n'obligeaient jamais personne. Ces raisons habilement développées et commentées touchaient la Chambre et le public, surtout au moment où les réformes de Colbert blessaient un grand nombre d'intérêts.

Il ne restait plus que le crime d'État. L'interrogatoire roula sur ce grief le jeudi 4 décembre. Le chancelier fit d'abord lire par le greffier le projet trouvé à Saint-Mandé[1398]; puis il demanda à Fouquet comment il pouvait se justifier des desseins criminels développés dans cet écrit. L'accusé répondit que ce n'était qu'une pensée extravagante, laissée imparfaite, et qu'il avait désavouée aussitôt qu'elle était sortie de son esprit[1399]. Une pièce aussi ridicule ne pouvait servir, disait-il, qu'à lui donner de la honte et de la confusion, mais on ne pouvait en faire un chef d'accusation contre lui[1400]. Comme le chancelier le pressait et lui disait: «Vous ne pouvez pas méconnaître que ce soit là un crime d'État», il répondit: «Je confesse, monsieur, que c'est une extravagance; mais ce n'est pas un crime d'État. Je supplie ces messieurs, dit-il en se tournant vers les juges, de trouver bon que j'explique ce que c'est qu'un crime d'État: c'est quand on est dans une charge principale, qu'on a le secret du prince, et que tout d'un coup on se met du côté de ses ennemis, qu'on engage toute sa famille dans les mêmes intérêts, qu'on fait livrer les passages par son gendre[1401] et ouvrir les portes à une armée étrangère pour l'introduire dans l'intérieur du royaume. Voilà, messieurs, ce qu'on appelle un crime d'État.» Le chancelier, dont tout le monde se rappelait la conduite pendant la Fronde, ne savait où se mettre, et les juges avaient fort envie de rire[1402].

Jamais Fouquet n'avait montré autant de véhémence. Il continua en rappelant les services qu'il avait rendus au cardinal Mazarin et que nous avons retracés[1403]. C'était lui, disait-il, qui lui avait conseillé, contre l'avis des ministres, de se retirer, qui s'était engagé à le faire revenir et y avait réussi: il en avait la preuve écrite dans les lettres du cardinal, et même un certificat signé de la reine mère[1404]. Le chancelier, étourdi de l'attaque si vive et si directe qu'il venait de recevoir, laissa Fouquet s'étendre autant qu'il le voulut. Il négligea même de l'interroger sur les moyens d'exécution du projet trouvé à Saint-Mandé, et, lorsqu'on lui rappela cette omission, il répondit avec humeur: «De quoi parlez-vous? de l'engagement de Deslandes, de Maridor[1405], de cette négociation de Rome[1406]? Voilà de belles preuves!» Et il marqua par son geste qu'il les trouvait ridicules[1407]. Sur cela, Pussort dit à demi-voix: «Tout le monde n'est pas de votre sentiment.» On avait, du reste, remarqué que, pendant cet interrogatoire, où Fouquet profita si habilement de la faiblesse du chancelier, Pussort n'avait pu se contenir et qu'il indiquait son improbation par des sourires et des mouvements de tête[1408].

L'interrogatoire terminé, la Chambre avait à entendre l'avis motivé des rapporteurs et à prononcer sa sentence. Olivier d'Ormesson devait parler le premier, et on voit dans son Journal[1409] avec quel soin religieux il se prépara à l'accomplissement de ce devoir. Madame de Sévigné, sa parente, qui le voyait souvent et avait de l'influence sur ses avis, nous apprend elle-même qu'il se condamna à une solitude complète pour méditer à loisir et préparer son rapport: «M. d'Ormesson, écrit-elle à M. de Pomponne[1410], m'a priée de ne le plus voir que l'affaire ne soit jugée; il est dans le conclave et ne veut plus avoir de commerce avec le monde. Il affecte une grande réserve; il ne parle point, mais il écoute, et j'ai eu le plaisir, en lui disant adieu, de lui dire tout ce que je pense.»

Ce fut le 9 décembre qu'Olivier d'Ormesson commença la récapitulation du procès[1411]. Il parla cinq jours de suite, les mardi, mercredi, jeudi, vendredi et samedi, et, malgré les interruptions fréquentes du chancelier et de Pussort, il parla avec clarté et netteté. Il conclut au bannissement à perpétuité et à la confiscation des biens, avec amende de cent mille livres, dont une moitié serait versée au trésor public, et l'autre employée en œuvres pies[1412]. L'avis d'Olivier d'Ormesson fut généralement approuvé. Il ne faut en juger ni par les lettres de madame de Sévigné, qui l'admire[1413], ni même par le Journal de ce magistrat. Mais Gui-Patin, qu'on n'accusera pas d'avoir été favorable aux financiers, écrivait à Falconnet, le 16 décembre 1664: «M. d'Ormesson a dit son avis, et après de belles choses a conclu au bannissement perpétuel et à la confiscation de tous les biens.» Et quelques jours plus tard: «On dit que M. Fouquet est sauvé. On en donne le premier honneur à celui qui a parlé le premier, M. d'Ormesson, qui est un homme d'une intégrité parfaite.»

Sainte-Hélène, qui prit la parole après Olivier d'Ormesson, n'effaça pas l'impression qu'il avait produite. Il parla pendant les séances des 15 et 16 décembre, et opina à la peine de mort[1414]. On remarqua à l'audience du 15 le courage d'un des juges, nommé Massenau. Il souffrait depuis huit jours d'une colique néphrétique. Il se fit traîner à l'Arsenal, où il éprouva d'horribles douleurs. Le chancelier, le voyant pâlir, lui dit: «Monsieur, retirez-vous.—Non, lui répondit le juge, il faut mourir ici.» Cependant, comme M. de Massenau était près de s'évanouir, le chancelier suspendit l'audience. Massenau sortit, rendit deux pierres, et revint au bout d'un quart d'heure[1415]. Cette histoire fut aussitôt répandue et redite partout avec admiration. On parla en même temps de la folie de Berryer[1416], que l'on accusait des fraudes principales commises dans l'inventaire des papiers de Fouquet. «Après avoir été saigné excessivement, écrit madame de Sévigné, il ne laisse pas d'être en fureur; il parle de potences, de roues; il choisit des arbres exprès; il dit qu'on le veut pendre; il fait un bruit si épouvantable, qu'il le faut tenir et lier.» Ainsi tout se réunissait pour exciter de plus en plus la pitié et la sympathie publiques en faveur de l'accusé, et la haine contre ses adversaires.

Ce fut en vain que Pussort parla pendant cinq heures avec beaucoup de force[1417]. Son discours résumait toutes les accusations et les faisait ressortir nettement et vigoureusement, mais avec trop de passion. Il conclut, comme Sainte-Hélène, à la peine de mort. Son argumentation, quoique serrée et énergique, fit peu d'effet dans la Chambre, et au dehors, on l'accusa d'emportement, de rage, de furie[1418]. Gisaucourt, Ferriol, Noguès, Hérault, qui n'avaient pas d'autorité dans la Chambre, opinèrent le 18 décembre, et conclurent tous quatre à la mort. Roquesante, qui les suivit, reprit l'avis d'Olivier d'Ormesson[1419].

Le lendemain, 19, MM. de la Toison, du Verdier, de la Baume, de Massenau, adoptèrent les mêmes conclusions[1420]. Le maître des requêtes Poncet opina à la mort (séance du 20 décembre)[1421]; il le fit avec une apparence de modération qui est assez bien caractérisée dans des couplets satiriques qui coururent à cette époque:

Poncet ne montra point de fiel
Comme avoit fait Pussort;
Mais par un discours tout de miel
Conclut doucement à la mort.

Après Poncet, le Féron, de Moussy, Brillac, Regnard et Besnard furent tous de l'avis le plus doux et lui assurèrent la majorité[1422]. Voysin n'en parla pas moins avec beaucoup de véhémence pour appuyer l'opinion de Sainte-Hélène[1423]. Le président de Pontchartrain se déclara pour l'avis d'Olivier d'Ormesson. Enfin le chancelier, opinant le dernier, vota la peine de mort. Ainsi treize des juges s'étaient prononcés pour le bannissement, et neuf pour la mort. L'arrêt fut rédigé immédiatement et signé par les rapporteurs et par le chancelier (20 décembre)[1424].

«Tout Paris, dit Olivier d'Ormesson[1425] attendait cette nouvelle avec impatience; elle fut répandue en même temps partout et reçue avec une joie extrême, même parmi les plus petites gens des boutiques: chacun donnait mille bénédictions à mon nom sans me connaître. Ainsi M. Fouquet, qui avait été en horreur lors de son emprisonnement, et que tout Paris eût vu exécuter avec joie incontinent après son procès commencé, est devenu le sujet de la douleur et de la commisération publiques par la haine que tout le monde a dans le cœur contre le gouvernement présent, et c'est la véritable cause de l'applaudissement général pour mon avis.» Il fallut qu'Olivier d'Ormesson fit fermer sa porte pour échapper aux félicitations que l'on venait lui adresser de toutes parts[1426]. Il évita, le dimanche 21 décembre, d'aller au sermon de son curé Claude Joly, afin de se soustraire à des manifestations trop vives. Il entendit la messe à Sainte-Geneviève, et de là il se rendit à la maison des jésuites[1427], où il reçut les félicitations d'un grand nombre de pères et entre autres du père de Champneuf[1428]. Il est très-probable que ce jésuite est le même que Fouquet cite, dans son trop fameux projet[1429], comme plein de zèle pour son parti et pouvant faire porter des lettres par les jésuites de maison en maison.

Le lendemain, 22 décembre, le rapporteur se rendit à la Bastille[1430] pour donner à d'Artagnan décharge des registres de l'Épargne. Dès que d'Artagnan le vit, il l'embrassa et lui dit à l'oreille qu'il était un illustre; tant la pitié pour Fouquet avait gagné jusqu'à ses gardiens! Pendant ce temps le greffier de la Chambre, Foucault, était allé signifier l'arrêt à Fouquet. Après l'avoir fait descendre à la chapelle, il lui demanda son nom. Fouquet lui répondit: «Vous savez bien qui je suis, et pour mon nom, je ne le dirai pas plus ici que je ne l'ai dit à la Chambre, et pour suivre le même ordre je fais mes protestations contre l'arrêt que vous m'allez lire.» On écrivit ses protestations, et ensuite Foucault s'étant couvert lui donna lecture de l'arrêt, que Fouquet entendit tête nue. Immédiatement après on conduisit Fouquet dans la chambre de d'Artagnan, et le gouverneur de la Bastille, Bessemaux, fit sortir son médecin Pecquet et son valet de chambre la Vallée de l'appartement qu'il avait occupé. Ils fondaient en larmes de douleur de se voir séparés de leur maître, ne sachant pas d'ailleurs ce qu'on allait faire de lui et redoutant sa mort. Leurs cris attendrirent d'Artagnan: il envoya leur dire qu'il n'était question que du bannissement.

Fouquet, qui était à la fenêtre de la chambre de d'Artagnan, aperçut Olivier d'Ormesson, au moment où il se retirait après avoir rédigé son procès-verbal. Il le salua avec un visage plein de joie et de reconnaissance, et lui cria par la fenêtre qu'il était son serviteur. D'Ormesson lui rendît son salut sans rien dire, et s'en alla le cœur serré conter ce qu'il avait vu à Turenne et à madame de Sévigné[1431]. Le soir même, Turenne vint chez d'Ormesson pour le féliciter de sa noble conduite. «Il est incroyable, ajoute ce magistrat[1432], jusqu'où va la folie du peuple sur cela; tous ceux de la maison qui vont par la ville disent que parmi les moindres gens l'on me donne des bénédictions.»

La sentence, quoique rigoureuse, ne satisfit pas les ennemis de Fouquet, et on la fit commuer par le roi en un emprisonnement perpétuel dans la forteresse de Pignerol. Madame Fouquet la mère et sa belle-fille reçurent l'ordre de se rendre à Montluçon[1433]; Gilles Fouquet, qui avait été privé de sa charge de premier écuyer du roi, fut relégué à Joinville; M. et madame de Charost, à Ancenis. Ce ne fut pas sans peine que la mère de Fouquet, âgée de soixante-douze ans, obtint de garder avec elle le plus jeune de ses fils, celui que l'on avait voulu exiler à Joinville. Quant aux enfants de Fouquet, ils avaient été amenés, aussitôt après l'arrestation de leur père (septembre 1661)[1434], par M. de Brancas, de Fontainebleau à Paris, et remis à leur aïeule. Nous les retrouverons dans la suite.

Ces rigueurs contre la famille de Fouquet, et surtout celles qui frappèrent les juges coupables seulement d'avoir préféré leur conscience aux faveurs de la cour, n'étaient pas propres à calmer et à ramener l'opinion publique. Roquesante, conseiller au parlement de Provence, avait adopté l'avis d'Olivier d'Ormesson: il fut une des premières victimes de la colère des ennemis de Fouquet; on l'exila à Quimper-Corentin[1435], sous prétexte qu'il avait demandé aux fermiers des gabelles une pension pour une dame de sa connaissance. Cette accusation fut traitée de fable, et on n'imputa la disgrâce de ce juge qu'à la résistance qu'il avait opposée aux sollicitations de Berryer et de Chamillart[1436]. Gui-Patin écrivait à cette occasion[1437]: «Voilà ce qui ne s'est jamais vu, un commissaire exilé.» L'estime publique vengea Roquesante de cette injustice. Pendant que l'on déchirait, dans des pièces satiriques, les juges courtisans, on célébrait le courage de ce membre du parlement d'Aix[1438]. Sept ans plus tard, madame de Sévigné, qui avait la mémoire du cœur, écrivait à sa fille[1439]: «Vous savez ce que m'est le nom de Roquesante, et quelle vénération j'ai pour sa vertu. Vous pouvez croire que sa recommandation et la vôtre me sont fort considérables.» Et, plus loin: «Pour M. de Roquesante, si vous ne lui faites mes compliments en particulier, vous êtes brouillée avec moi.»

Bailly, avocat général au grand Conseil, fut exilé pour avoir dit à Gisaucourt, un des juges, qu'il devrait bien remettre le grand Conseil en honneur, et qu'il serait déshonoré s'il suivait l'exemple de Chamillart et de Pussort[1440]. Le président de Pontchartrain avait courageusement résisté aux instances du chancelier et du secrétaire d'État la Vrillière, son parent: il en fut puni dans la personne de son fils. Saint-Simon l'affirme, et, malgré quelques erreurs de détail, son récit paraît véridique[1441]. «Pontchartrain, dit-il, fut un des juges de M. Fouquet; sa probité fut inflexible aux caresses et aux menaces de MM. Colbert, le Tellier[1442] et de Louvois[1443], réunis pour la perte du surintendant. Il ne put trouver matière à sa condamnation, et par cette grande action se perdit sans ressource. Il était pauvre, tout son désir et celui de son fils était de faire tomber sa charge sur sa tête en s'en démettant. La vengeance des ministres fut inflexible à son tour; il n'en put jamais avoir l'agrément; tellement que ce fils demeura dix-huit ans conseiller aux requêtes du Palais, sans espérance d'aucune autre fortune. Je le lui ai ouï dire souvent, et combien il était affligé d'être exclu d'avoir la charge de son père.»

De toutes les persécutions dirigées contre les juges intègres, la plus odieuse fut celle qui frappa Olivier d'Ormesson, lui enleva, à la mort de son père, la place de conseiller d'État qui lui avait été promise, le priva de toutes les places qui devinrent successivement vacantes, et le condamna à une retraite prématurée[1444]. Mais, plus encore que Roquesante et Pontchartrain, Olivier d'Ormesson fut vengé par l'opinion publique. Le Brun, qui avait conservé un vif attachement pour Fouquet[1445], voulut faire le portrait du rapporteur, qui avait contribué à le sauver[1446]. Pellisson, à peine sorti de la Bastille, se hâta de venir témoigner sa reconnaissance à Olivier d'Ormesson[1447]. Enfin, cette honorable disgrâce a assuré au rapporteur du procès, dans le souvenir de la postérité, une place que ses vertus seules n'auraient pu lui donner.

Quant aux juges qui avaient cédé aux instances de la cour, ils furent exposés à une haine si violente et à un mépris si universel[1448], que plusieurs en moururent de désespoir. Nous avons déjà vu quels remords avaient troublé les derniers moments du président de Nesmond. Dès le mois d'octobre 1665, Hérault, conseiller au parlement de Bretagne, succomba[1449]. «On parlait de sa mort comme d'un coup du ciel, dit Olivier d'Ormesson[1450].» Sainte-Hélène ne tarda pas à le suivre; il mourut subitement. «Plusieurs personnes dignes de foi m'ont dit, ajoute Olivier d'Ormesson en racontant cet événement[1451], que, plus de trois mois auparavant, il se justifiait à tous ceux qui le voyaient du procès de M. Fouquet; il ne parlait d'autre chose. L'on prétendait qu'il était mort de chagrin d'avoir été trompé dans les récompenses qui lui avaient été promises.» On ne manqua pas de rappeler que c'était en face de la Bastille qu'il avait été atteint du mal qui l'avait enlevé brusquement. Presque dans le même temps, Ferriol, conseiller au parlement de Metz, succomba à une maladie de langueur. On imputa également à la vengeance céleste la mort de ce magistrat frappé dans la force de l'âge. Il avait désiré et espéré la charge de lieutenant criminel, et, comme Sainte-Hélène, il avait été trompé dans son attente[1452].

CHAPITRE XLVIII

—1664-1680—

Fouquet est transféré a Pignerol et enfermé dans le donjon de cette forteresse (décembre 1664—janvier 1665).—Vigilance et humanité de d'Artagnan, chargé de la garde de Fouquet pendant le voyage.—Arrivé à Pignerol (janvier 1665), il remet Fouquet à Saint-Mars.—Instructions données à Saint-Mars.—Danger que court Fouquet au donjon de Pignerol (juin 1665) par suite de l'explosion des poudres.—Fouquet est transféré au château de la Pérouze où il passe un an (juin 1665—août 1666).—Efforts de Fouquet pour entretenir des correspondances avec ses amis.—Ils sont déjoués par la vigilance de Saint-Mars.—Occupations de Fouquet dans sa prison (1667-1668)—Il tombe malade.—Tentative de la Forest pour gagner quelques-uns des soldats de la citadelle de Pignerol (1669); elle est découverte, et la Forest exécuté (1670).—Lauzun emprisonné à Pignerol (1671).—Ses relations avec Fouquet, auquel il raconte ses aventures (1672).—Fouquet le croit fou.—Causes qui contribuèrent à adoucir la captivité de Fouquet: influence d'Arnauld de Pomponne et de madame de Maintenon.—Fouquet obtient la permission de recevoir une lettre de sa femme (1672), puis de lui écrire et d'en recevoir des nouvelles deux fois par an (1674).—Lettre de Fouquet à sa femme (5 février 1675).—L'abbé Fouquet obtient la permission de revenir à Barbeau (1678), et madame Fouquet de se rapprocher de son mari.—Adoucissement à la captivité de Lauzun et de Fouquet (1679)—La famille de Fouquet vient s'établir a Pignerol.—Rupture entre Lauzun et Fouquet.—Mort de l'abbé Fouquet (1680).—Mort de Nicolas Fouquet (mars 1680).—Il est inhumé dans l'église des Filles de la Visitation (28 mars 1681).—Mort de madame Fouquet la mère (1681), de l'évêque d'Agde (1702) et de la veuve du surintendant (1716).—Vertus de madame de Charost, fille de Fouquet.—Fils et fille nés du second mariage du surintendant.—Le marquis de Belle-Île (Louis Fouquet) continue la postérité masculine de la famille Fouquet.—Illustration de ses fils, le comte et le chevalier de Belle-Île.—Légendes sur le surintendant Fouquet.

Dès que l'arrêt de la Chambre de justice eut été signifié à Fouquet, d'Artagnan le fit monter dans un carrosse, avec plusieurs mousquetaires, pour le conduire à Pignerol. Au moment du départ, un ancien écuyer de Fouquet, la Forest, se présenta à lui: «Je suis ravi de vous voir, lui dit Fouquet; je sais votre fidélité et votre affection. Dites à nos femmes qu'elles ne s'abattent point, que j'ai du courage de reste, et que je me porte bien[1453].» Ce fut sur le midi que Fouquet sortit de la Bastille; il était seul au fond du carrosse. Trois hommes chargés de veiller sur lui prirent place devant. Il avait le visage gai, et tout le peuple lui donnait des bénédictions[1454]. Après avoir franchi la porte Saint-Antoine, il alla coucher à Villeneuve-Saint-Georges; et, le lendemain, il suivit la route de Lyon. Le bruit qu'il était malade se répandit bientôt. On avait les soupçons les plus sinistres. Tout le monde se disait: Quoi? déjà... On ajoutait que d'Artagnan ayant envoyé demander à la cour ce qu'il ferait de son prisonnier malade, on lui avait répondu qu'il le menât toujours, en quelque état qu'il fût[1455]. Le médecin et le valet de chambre de Fouquet avaient été retenus à la Bastille, et cette circonstance ajoutait encore aux inquiétudes et aux soupçons.

Cependant d'Artagnan sut, comme par le passé, se montrer aussi humain que vigilant. Il donna à Fouquet les fourrures nécessaires pour ne pas souffrir du froid en traversant les montagnes. Enfin, ils arrivèrent à Pignerol, dans le courant de janvier 1665[1456], et d'Artagnan remit le prisonnier entre les mains de Saint-Mars, un des maréchaux-des-logis des mousquetaires. Saint-Mars avait quatre mousquetaires et une compagnie d'infanterie, avec lesquels il devait veiller à la garde de Fouquet, enfermé dans le donjon de Pignerol. Les ordres transmis à Saint-Mars par d'Artagnan avaient été rédigés par Louvois[1457], qui, depuis plusieurs années, avait été attaché au ministère de la guerre, sous la direction de son père, Michel le Tellier. Ces instructions[1458] portaient en substance que Saint-Mars devait imiter la prudente et sage conduite de d'Artagnan pendant le temps qu'il avait veillé à la garde de Fouquet, enfermé à Vincennes et à la Bastille. Il lui était surtout recommandé de ne pas permettre que Fouquet communiquât de vive voix ou par écrit avec qui que ce fût, qu'il reçût la visite de personne, ni qu'il sortit de son appartement, sous quelque prétexte que ce fût, même pour se promener. Saint-Mars ne devait lui fournir ni encre, ni plumes, ni papier; mais il pourrait lui procurer les livres qu'il demanderait, en prenant la précaution de ne lui en donner qu'un seul à la fois, et de s'assurer, lorsqu'il le rendrait, qu'il n'avait rien écrit ni marqué dans l'intérieur. Si le prisonnier avait besoin de linge on de vêtements, Saint-Mars aurait soin de lui en fournir, et il serait remboursé des avances qu'il aurait faites pour cet objet. Il devait être donné à Fouquet un valet auquel on allouerait six cents livres de gages; mais à la condition qu'il n'aurait pas plus que son maître de communications avec l'extérieur. Les dépenses pour la nourriture et l'entretien de Fouquet et de son valet seraient prises sur un fonds annuel de six mille livres. Un autre fonds de douze cents livres servirait pour le bois et la chandelle, à l'usage de Fouquet ou des soldats employés à sa garde. Dans le cas où Fouquet tomberait malade, il serait assisté par des médecins, chirurgiens et apothicaires de la ville de Pignerol, au choix de Saint-Mars. Lorsque Fouquet voudrait se confesser, on ne lui refuserait pas l'assistance d'un prêtre; mais on aurait soin que le confesseur ne fût prévenu qu'au moment où il devrait entendre Fouquet. Un chapelain devait lui dire la messe tous les jours, et recevoir pour son ministère une somme de mille livres, et, en outre, cinq cents louis pour achat des ornements et autres objets nécessaires à la célébration de la messe.

Saint-Mars exécuta rigoureusement les ordres qu'il avait reçus. Il exerça sur Fouquet une surveillance si vigilante, que toutes les tentatives du prisonnier pour entretenir quelques relations avec l'extérieur, et celles de ses amis pour pénétrer jusqu'à lui, restèrent longtemps sans résultat. Il ne lui laissa ni plume, ni encre, ni papier[1459], ne lui permit de se confesser qu'aux cinq fêtes solennelles (Noël, Pâques, l'Ascension, l'Assomption et la Toussaint)[1460], régla strictement ses dépenses de nourriture et d'habillement[1461], et, sur le plus léger soupçon, renvoya les valets qui le servaient[1462].

Pendant la première année de la captivité de Fouquet à Pignerol, il n'arriva qu'un seul incident remarquable. Au mois de juin 1665, la foudre tomba sur le donjon de la citadelle, où Fouquet était enfermé, et mit le feu aux poudres. L'explosion fut terrible: une partie du donjon fut emportée. La chambre de Fouquet fut détruite; ses meubles volèrent en éclats et furent brûlés. Lui-même et le valet qui le servait n'échappèrent au danger qu'en se réfugiant dans l'embrasure d'une fenêtre, qui faisait saillie. Cet événement parut miraculeux, et on ne manqua pas de dire à Pignerol et à Paris[1463], que le ciel s'était déclaré contre l'arrêt du roi en sauvant celui qu'il avait proscrit.

Comme Fouquet ne pouvait plus habiter le donjon de la citadelle, on le logea provisoirement dans la demeure du commissaire Damorezan, qui était une des principales maisons de Pignerol[1464]. On le transféra ensuite au château de la Pérouze, où il resta enfermé plus d'une année (juin 1665—août 1666), pendant qu'un architecte envoyé de Paris réparait les dégâts causés par la foudre au donjon de Pignerol. Fouquet fut toujours pendant cet intervalle soumis à la garde de Saint-Mars.

Durant son séjour au château de la Pérouze, Fouquet tenta d'entrer en relation avec ses amis; il fabriqua de l'encre avec de la suie délayée dans quelques gouttes de vin, fit des plumes avec des os de chapon, et écrivit sur les marges des livres qu'on lui avait prêtés ou même sur des mouchoirs[1465]. Il avait trouvé moyen de faire de l'encre sympathique qui ne paraissait que lorsqu'on chauffait le papier[1466]. Mais la vigilance de Saint-Mars déjoua toutes les tentatives de Fouquet pour faire parvenir à ses ennemis les billets qu'il avait écrits. On les trouva dans un dossier de chaise où il les avait cachés. Saint-Mars redoubla de sévérité, et le prisonnier fut fouillé avec une rigueur inusitée[1467]. Tous ses efforts pour gagner les valets qui le servaient avaient échoué également[1468]. Fouquet découragé tomba malade au mois de juin 1666. Cependant il ne tarda pas à être assez bien rétabli pour qu'on pût le transférer au mois d'août de la même année dans le château de Pignerol, qui avait été réparé[1469].

Il semble que, se résignant alors à une captivité qu'il avait vainement tenté d'adoucir, il chercha sa consolation dans la religion et dans l'étude. Il demanda les œuvres de saint Jérôme et de saint Augustin. On les lui refusa[1470]. La lettre de Louvois n'indique aucun motif. Craignit-on l'influence des jansénistes qui invoquaient saint Augustin comme leur principal docteur? Nous sommes réduits sur ces questions à des hypothèses. Ce qui est certain, c'est que Louvois autorisa Saint-Mars à procurer à Fouquet les œuvres d'un docteur moins suspect, saint Bonaventure. On se montra plus facile pour la poésie: Fouquet avait demandé un Dictionnaire des rimes françaises[1471]; on le lui accorda. Il paraît qu'il en fit usage; car après sa mort, son fils ainé, le comte de Vaux, obtint la permission d'emporter ses poésies. Pour donner un aliment à l'activité de son esprit, Fouquet s'occupa encore à enseigner le latin et la pharmacie[1472] à un des domestiques attachés à son service.

Cette activité intellectuelle, jointe à une captivité rigoureuse qui le privait de tout exercice physique, suffirait pour expliquer les maladies qui affligèrent Fouquet si fréquemment pendant sa captivité[1473]. Cependant, au milieu de ses souffrances, il ne négligeait pas les tentatives pour gagner ceux qui le gardaient. En 1669, un de ses anciens serviteurs, la Forest, s'introduisit à Pignerol et chercha, de concert avec un personnage désigné sous le nom de Honneste[1474], à corrompre quelques-uns des soldats de la garnison[1475]. Cinq reçurent de l'argent[1476], et furent dans la suite sévèrement punis. Dès que la Forest et Honneste s'aperçurent que leurs manœuvres étaient découvertes, ils passèrent en Savoie; mais ils y furent arrêtés. La Forest fut exécuté après un jugement sommaire en 1670[1477]. Quant à l'autre personnage, il n'est pas facile de savoir ce qu'il devint. On voit par les lettres de Louvois qu'il dut être traduit devant le conseil souverain de Pignerol. Mais on ignore quelle punition lui fut infligée; c'est peut-être de lui que parle madame de Sévigné dans une lettre au comte de Grignan en date du 25 juin 1670: «Si l'occasion, dit-elle, vous vient de rendre service à un gentilhomme de votre pays, qui s'appelle ***, je vous conjure de le faire... Ce pauvre garçon était attaché à M. Fouquet; il a été convaincu d'avoir servi à faire tenir à madame Fouquet une lettre de son mari; sur cela il a été condamné aux galères pour cinq ans. C'est une chose un peu extraordinaire. Vous savez que c'est un des plus honnêtes garçons qu'on puisse voir, et propre aux galères comme à prendre la lune avec les dents[1478].» Louvois et Saint-Mars ne partageaient pas la tendresse de madame de Sévigné pour le prisonnier de Pignerol. Ils ne se bornèrent pas à punir les serviteurs de Fouquet et les soldats qui s'étaient laissé gagner; ils redoublèrent de sévérité à l'égard de Fouquet lui-même: les fenêtres de sa prison furent garnies de grilles de fer, qui ne lui laissaient apercevoir qu'un coin du ciel[1479].

Vers la fin de l'année 1671, la citadelle de Pignerol reçut un nouveau prisonnier, le duc de Lauzun, que Fouquet n'avait connu que sous le nom de Péguilin[1480], lorsqu'il commençait à peine à paraître à la cour. Lauzun fut pour Saint-Mars un hôte plus embarrassant que Fouquet. A peine arrivé à Pignerol, il tenta de mettre le feu au donjon. Une poutre de la chambre où se trouvait Fouquet fut consumée. «C'eût été une belle aventure, écrivait à cette occasion madame de Sévigné[1481], s'il eût brûlé ce pauvre M. Fouquet, qui supporte sa prison héroïquement et qui n'est nullement désespéré.» Lauzun finit par trouver moyen de communiquer avec les autres prisonniers enfermés dans le donjon de Pignerol; ils pratiquèrent dans la muraille un trou, qui leur permit de se parler et de se voir[1482]. Fouquet, privé depuis si longtemps de toutes nouvelles du dehors, espérait en avoir par Lauzun. Mais il éprouva un étrange désappointement. Il avait laissé Péguilin pointant à peine à la cour, où il était protégé par le maréchal de Gramont, son compatriote, et par la comtesse de Soissons, Olympe Mancini. Lorsque ce cadet de Gascogne dit à Fouquet qu'il avait été colonel-général des dragons, capitaine des gardes, et qu'il avait eu la patente de général d'armée, l'ancien surintendant le crut fou et s'imagina qu'il lui racontait ses visions. Mais quand Lauzun passa à son mariage avec mademoiselle de Montpensier, et lui dit que le roi y avait consenti, puis l'avait rompu, Fouquet ne douta plus de sa folie et la crut poussée à un tel point qu'il craignit presque de se trouver avec lui[1483]. Dès lors il prit pour des imaginations d'un cerveau dérangé, toutes les nouvelles que lui donna Lauzun, et ce ne fut que longtemps après, lorsque sa captivité commença à s'adoucir, qu'il reconnut que Lauzun ne l'avait pas trompé.

Plusieurs changements qui devaient contribuer à améliorer la situation de Fouquet étaient arrivés à la cour: Simon Arnauld de Pomponne, qui avait été lié étroitement avec le surintendant, était devenu secrétaire d'État en 1671. Madame Scarron, qui prit bientôt le nom de madame de Maintenon, était l'amie intime de madame de Montespan et la gouvernante des enfants que celle-ci avait eus de Louis XIV. On aime à croire pour l'honneur de madame de Maintenon qu'elle n'oublia pas les services que madame Fouquet lui avait rendus[1484], et qu'elle usa de son influence déjà très-puissante en faveur du prisonnier de Pignerol. Ce qui est certain, c'est qu'en 1672, Fouquet obtint la permission de recevoir une lettre de sa femme[1485], et que deux ans après il lui fut accordé d'écrire deux fois par an à sa famille, et d'en recevoir des nouvelles, à la condition que toutes les lettres passeraient par les mains de Louvois. Ce fut déjà une grande consolation pour le prisonnier.

Vers le même temps son frère, l'évêque d'Agde, qui, depuis la disgrâce du surintendant, était exilé, revint à Paris, et quoiqu'il n'eût pas d'autorisation formelle pour y résider, on y toléra sa présence. Le père Rapin, connu par divers écrits et surtout par son poëme des Jardins, eut des entrevues avec l'évêque. «Il parle comme un prophète, écrit le jésuite à Bussy-Rabutin[1486], et il me fit voir une lettre de monsieur son frère à madame sa femme, qui me donna de la pitié et de l'admiration. J'en fus touché et charmé tout ensemble. Si cela paraissait dans le public, on aurait bien de l'aversion contre ceux qui ont endurci le cœur du roi contre lui. Enfin, monsieur, il n'y a que la morale chrétienne qui donne de la joie dans la disgrâce et du plaisir dans les afflictions; toutes les autres morales sont bien froides sur le chapitre de la consolation dans les grandes souffrances.»

La lettre dont parle le père Rapin, et qui était si propre à entretenir et raviver les sentiments de compassion qu'avait inspirés le malheur de Fouquet, est parvenue jusqu'à nous[1487]. Il est probable que l'on en multiplia les copies et qu'on les fit circuler parmi les amis de Fouquet. L'une d'elles s'est conservée entre plusieurs requêtes et autres pièces relatives à son procès. Cette lettre porte la date du 5 février 1675. Il y avait alors dix ans que Fouquet était enfermé à Pignerol:

«Votre lettre, écrivait-il à sa femme, m'a tiré d'une inquiétude plus grande que vous ne sauriez croire. J'avais passé trois mois avec impatience à l'attendre. Elle est enfin arrivée et m'a donné autant de consolation que je suis capable d'en recevoir dans un lieu d'amertume et de douleur.

«Vous avez bien fait, madame, de ne pas importuner à contre-temps M. de Louvois, lequel peut bien sans doute vous faire la grâce de réparer le temps perdu et au delà. Je supplie de tout mon cœur la divine Bonté de le récompenser abondamment de toutes les charités qu'il nous fait, et de me donner un moyen de lui faire dire par vous mes sentiments, que je ne puis exprimer par écrit.

«Je suis ravi que mon fils lui ait une si grande obligation avant que d'entrer dans le monde; et si je pouvais lui en avoir une autre encore avant d'en sortir[1488], dites-lui hardiment tout ce que vous pourrez de ma gratitude; vous n'en direz pas assurément trop.

«Rien ne me touche davantage dans votre lettre que le pieux exercice que vous avez pris pour notre chapelle[1489], et les sacrements que vous y fréquentez. Il y a longtemps que j'ai besoin et le désir d'en user de même. J'ai souvent importuné le sieur de Saint-Mars et le prêtre qui vient ici me confesser de m'obtenir la consolation de pouvoir me disposer à la mort, que je sens n'être pas éloignée, par l'entretien libre et fréquent d'un très-bon religieux ou ecclésiastique non suspect, auquel je puisse ouvrir entièrement et sans précipitation ma conscience sur ma mauvaise vie passée et présente, m'instruire sur plusieurs scrupules bien fondés, me fortifier par les secours ordinaires que Dieu a institués pour la vie et nourriture des âmes chrétiennes, enfin me consoler en mes déplaisirs continuels et échauffer ma froideur trop souvent glacée. Mais je n'ai pu en venir à bout; de sorte que je ne fais mes confessions et communions qu'à Noël, Pâques, Pentecôte, l'Assomption et la Toussaint. Ainsi je me trouve quelquefois, comme cette année, quatre mois entiers, entre Noël et Pâques, privé d'une assistance que l'on ne croit peut-être pas si nécessaire ici qu'ailleurs, mais qui l'est en effet beaucoup davantage, parce qu'une oisiveté forcée est la mère des désespoirs, des tentations et agitations continuelles, dans un esprit accablé de désirs et d'impuissance, surchargé d'ennuis et de déplaisirs que personne ne prend soin de soulager. On croit être oublié ou abandonné de ses proches, méprisé des autres, inutile et à charge à tout le monde. A cela il n'y a d'autre remède que la patience et la tranquillité qui procèdent ordinairement d'un bon usage des sacrements et de l'entretien journalier d'un homme spirituel et charitable, qui n'ait que Dieu pour but et non point de lâches desseins de faire sa fortune aux dépens d'un affligé[1490].

«Je sais bien que, quand c'est pour peu de temps et qu'il y a des considérations de justice qui le requièrent, on se dispense de ces règles, et on ne s'arrête pas à la satisfaction d'un particulier; mais quand les procès sont terminés et que les choses tirent de longueur, dans un cours ordinaire[1491], les prisonniers peuvent avec respect inspirer des sentiments de christianisme et d'humilité[1492] dans le cœur de ceux dont tels secours dépendent; et moi je ne le puis pas, quoique l'incertitude de ma vie, tous les jours menacée par des faiblesses extrêmes, me fasse sentir très-souvent la douleur de cette privation. C'est pourquoi si vous pouvez obtenir, par vos bonnes prières, que les obstacles qui se rencontrent à l'exécution d'un désir si légitime soient levés, je vous assure, moyennant la grâce de Dieu, qu'en toutes les communions que j'aurai l'honneur[1493] de faire tout le reste de ma vie, au moins tous les huit jours, si je le puis, ceux par qui cette permission me sera procurée y auront bonne part, et que je prierai mon Dieu que je recevrai par leur moyen de leur faire la même miséricorde qu'à moi. Cependant faites à mon intention ce que je ne puis pas faire, et me rendez participant de vos solides dévotions.

«J'ai regardé le billet de ma mère comme un miracle et comme une relique. Sa main est plus forte que la mienne, et sa bonté est extrême pour un fils qui lui a tant donné de déplaisirs. Ce seront autant d'ornements à la couronne qu'elle a méritée par ses vertueuses souffrances et qui ne lui peut pas manquer. Je la supplie de me pardonner si je prie Dieu encore tous les jours qu'elles lui soient retardées[1494] jusqu'à ce qu'il me soit permis d'aller me jeter à ses pieds, et ne plus me séparer d'elle et de vous que par une mort, qui ne me sera point désagréable quand j'aurai fait mon devoir.

«En attendant, madame, continuez et redoublez vos sollicitations auprès de Dieu et de ceux qui exercent sa puissance en terre pour venir passer [ici] quelque temps et obtenir la liberté de me voir. Les prières assidues des personnes d'esprit et de vertu ne peuvent à la fin qu'elles ne soient exaucées[1495]. Dieu veut être prié et importuné. Quand il sait que le cœur des hommes est touché de compassion, c'est un signe pour lui; il leur donne occasion de mériter une récompense qu'il sait bien leur payer lui-même. Vous ferez plaisir à ceux auxquels vous donnerez les moyens de faire du bien; c'est une faveur que vous demanderez, mais c'est une charité que vous faites. Il n'y a rien contre la raison ni contre la justice, qu'après quatorze ans d'absence, une femme voie son mari sur le déclin de sa vie, et j'espère qu'un monarque glorieux, et que Dieu rend triomphant de toute l'Europe, voudra bien, pour l'amour et en l'honneur du même Dieu, pardonner et accorder un peu de soulagement à un de ses sujets, dont la personne, le bien et les espérances sont en son pouvoir. Si je me suis mal conduit, j'ai été châtié, et j'ai eu le temps d'en faire pénitence. Le ministre illustre[1496] qui voudra bien se charger de votre demande et appuyer vos raisons soutiendra une bonne cause, et en aura du mérite devant Dieu qui aime[1497] la miséricorde à ceux qui la font.

«Je loue Dieu de la bonne disposition en laquelle vous me mandez que sont nos enfants, chacun selon son âge. C'est une singulière bénédiction de sa divine Majesté, qui ne veut pas pour les péchés d'un père détruire absolument la famille d'une mère vertueuse. Cultivez bien ce qu'ils ont de bon et tâchez de détourner leur esprit du vice et d'y mettre l'aversion du jeu, qui est une très-pernicieuse inclination de plusieurs de notre famille[1498]. Gravez dans leur cœur une ferme résolution de gratitude envers ceux dont ils recevront des bienfaits et une inviolable exactitude à garder leur parole; cela, et la crainte de Dieu surtout, les fera prospérer.

«N'employez point vos soins et vos poursuites pour me faire voir leurs portraits, qui ne feraient que me presser[1499] le cœur, et ne pourraient profiter de ce que je pourrais leur dire; mais que votre charité s'emploie à me faire voir les originaux.

«Je n'ai pas bien compris comment vous vous êtes chargée des terres[1500], par quelle ferme, pour quel prix, et ce que vous êtes tenue d'acquitter de dettes. J'eusse bien voulu savoir cela en général, et je vous trouve bien accablée.

«Si vous pouvez, faites dire à ma fille de Charost quelque amitié de ma part.

«Depuis la Notre-Dame de septembre, que mourut devant mes yeux un de mes valets nommé Champagne, je n'ai eu joie ni santé; c'était un garçon diligent et affectionné et que j'aimais tendrement, que j'affectionnais et qui me soulageait. Je voudrais que son frère fût avec vous pour lui faire du bien. L'autre valet périt ici dans les remèdes, et a autant et plus besoin que moi. Il est chagrin de son humeur, et ainsi n'y ayant que lui et moi à nous entretenir jour et nuit, jugez comment je passe ma vie. Nous avons moins d'assistance, quand la nécessité est plus pressante. Nous pourrions beaucoup mériter, si la vertu répondait à l'affliction: c'est assurément un des moyens les plus efficaces que Dieu nous donne pour nous sauver, si elle pouvait être bien supportée; mais la peine est à gagner sur soi d'aimer ce qui naturellement n'est point aimable, de sorte qu'après quelques petits efforts on se relâche aisément, sitôt qu'on se sent offensé au corps ou en l'esprit, et on a recours à des réflexions inutiles.

«J'ai ici cette occupation tant que je veux, et je m'étudie à la retrancher non pas de la manière que je voudrais, mais que je puis, n'ayant compagnie de qui que ce soit à me divertir, consoler, assister spirituellement ni corporellement.

«M. de Saint-Mars vient quelquefois savoir de mes nouvelles, mais par cérémonie, non pas par entretien, ou pour amener un médecin: l'air de notre citadelle étant toujours dans quelque excès, et moi infirme et pas assez habile pour savoir ce qui m'est bon, il m'en faudrait un bien expert et sage qui ne me quittât point ou qui me vit deux ou trois fois par jour pour se conduire comme il verrait à propos, et non pas dans un temps que par pudeur je n'ose tout dire ou montrer devant le monde. Apprenez donc à cette fois qu'il n'y a mal en un corps humain que le mien s'en ressente quelque attaque. Je ne me vois point quitte de l'un, que l'autre n'y succède, et il est à croire qu'ils ne finiront qu'avec ma vie. Il me faudrait un assez gros volume pour en écrire ici le détail; mais le principal est que mon estomac n'est point de concert avec mon foie; ce qui sert à l'un nuit à l'autre, et de plus vous savez que j'ai toujours les jambes enflées. J'ai des sciatiques, des coliques, et si vous me permettez de tout dire, des hémorrhoïdes très-fâcheuses. J'ai fait cette année deux petites prières, et Dieu m'a fait la grâce de me donner relâche de cette douloureuse et importune sorte d'infirmité. Envoyez à M. Pecquet, qui sait mon tempérament, un petit mémoire; M. de Saint-Mars sait tout ce que je dis là et qu'on m'a fait observer pour ma gravelle un régime de bouillon et sirop qui m'ont soulagé. Si vous n'approuvez pas de consulter M. Pecquet, n'en faites rien.

«J'ai cru devoir, par raison de conscience ou autre (car on se flatte aisément), m'abstenir des jeûnes que je faisais sans y être obligé, et Dieu veuille que je ne sois pas obligé de quitter ce carême[1501]. Lors du commencement, j'ai eu de la peine à supporter les jours maigres, et je ne vous dis qu'une partie de mes misères, sans les rhumes, les fluxions, maux de tête, bruits d'oreilles. Quand vous m'écrirez, si vous savez un remède à ce mal, mandez-le-moi; notre médecin n'en sait pas. J'en suis fort incommodé; mais ne laissez pas de me donner avis sur les autres, si vous pouvez. A la fin, mes yeux sont réduits aux lunettes, et mes dents minées. Le plus sûr est de quitter les soins du corps entièrement et de songer à l'âme. Cela nous est important, et cependant le corps nous touche le plus. Si vous veniez ici, ce serait le moyen que l'un ou l'autre se portassent mieux; vous me communiqueriez votre vertu, et moi je fournirais la matière de l'exercer. Faites mes compliments à mes frères et sœurs, s'il y en a encore en vie. Je ne doute pas que Dieu n'en ait voulu appeler à lui, depuis le temps que je n'en ai ouï parler[1502]; et il faut que tout prenne fin, mais non pas ma connaissance (sic)[1503] et mon amitié pour vous. Embrassez ma fille de ma part, et me recommandez aux prières de votre petite communauté[1504]

Toute la famille de Fouquet se ressentit des dispositions plus favorables de la cour. L'abbé Fouquet, qui depuis 1661 avait été exilé comme ses frères, obtint la permission de revenir, en 1678, dans son abbaye de Barbeau près de Melun, et en même temps Louis XIV accordait au jeune comte de Vaux, fils aîné de Fouquet, la faveur de servir dans l'armée que ce prince commandait en personne[1505]. Madame Fouquet eut l'autorisation d'habiter en Bourgogne, afin de se rapprocher de plus en plus de son mari. Elle fut reçue partout avec le respect que méritaient ses vertus, quelquefois même avec un appareil qui ne convenait guère à sa fortune présente. «Je ne sais, écrivait Bussy-Rabutin à madame de Sévigné[1506], s'il vous est revenu que madame Fouquet a été à Autun rendre visite à l'évêque; que celui-ci alla au-devant d'elle avec six carrosses et deux cents chevaux de la ville.

Et j'y étais, j'en sais bien mieux le conte.

[1507] La dame fut fort aise de me voir et me dit que M. d'Autun faisait trop d'honneur à une malheureuse comme elle. Je lui répondis qu'il partageait cet honneur avec elle et qu'il n'était pas si généreux qu'elle pensait.» Madame de Sévigné lui répond sur un ton moitié sérieux, moitié plaisant[1508]: «Vous m'étonnez de la réception que M. d'Autun a faite à madame Fouquet; j'aurais peine à le croire si vous n'en aviez été témoin. Une malheureuse n'a pas accoutumé d'être si honorée. Je suis persuadée qu'il y a de la sainteté révérée dans l'excès de cette procession; ce fut assurément en qualité de relique et de châsse qu'il y eut tant de monde en campagne.» Une lettre de Bussy, en date du 5 décembre[1509], prouve que madame Fouquet passa toute l'année à Autun, d'où elle pouvait facilement entretenir des relations avec le prisonnier de Pignerol.

Au commencement de l'année 1679, la captivité de Fouquet et de Lauzun perdit beaucoup de la rigueur à laquelle on les avait si longtemps soumis. «Vous savez, écrivait madame de Sévigné à Bussy[1510], l'adoucissement de la prison de MM. de Lauzun et Fouquet? Cette permission de voir tous ceux de la citadelle et de se voir eux-mêmes, manger et causer ensemble, est peut-être une des plus sensibles joies qu'ils auront jamais.» Quelques mois plus tard, Fouquet obtint une consolation bien plus grande. Il lui fut enfin permis de recevoir sa famille. Sa femme, sa fille, ses fils, M. de Mezière son frère (Gilles Fouquet), se rendirent à Pignerol et furent admis dans le donjon où depuis quatorze ans gémissait le prisonnier[1511]. La fille de Fouquet obtint même la permission d'y occuper un logement près de celui de son père; mais à partir de ce moment, Lauzun, dont on connaît l'audace entreprenante et le caractère insolent, commença à se montrer moins bien disposé envers son compagnon de captivité. Il est inutile de chercher à approfondir les causes d'une rupture qui devint bientôt éclatante[1512], et qui porta le rancuneux Lauzun à poursuivre de sa haine la famille de Fouquet. Il est probable que le séjour de mademoiselle Fouquet au château de Pignerol n'y fut pas étranger[1513].

Fouquet ne jouit pas longtemps du bonheur d'être réuni à sa famille. Dès le commencement de l'année 1680, son frère l'abbé était mort[1514]. Épuisé lui-même par une longue captivité, il ne faisait plus que languir, et il mourut en mars 1680, au moment où il venait de recevoir l'autorisation de se rendre aux eaux de Bourbon. «Vous savez, je crois, écrit Bussy à madame de Montjeu[1515], la mort d'apoplexie de M. Fouquet, dans le temps qu'on lui avait permis d'aller aux eaux de Bourbon.» Madame de Sévigné parle également de la mort du surintendant, sans élever le moindre doute sur la réalité de l'événement[1516]. Le corps de Fouquet fut déposé provisoirement dans les caveaux de l'église de Sainte-Claire à Pignerol. Mais l'année suivante, madame Fouquet obtint l'autorisation de le faire transférer dans l'église du couvent de la Visitation, rue du Faubourg-Saint-Antoine, où sa famille avait sa sépulture. Il y fut inhumé le 28 mars 1681, comme l'atteste l'extrait suivant des registres mortuaires de cette église: «Le 28 mars 1681, fut inhumé dans notre église en la chapelle de Saint-François-de-Sales, messire Nicolas Fouquet, qui fut élevé à tous les degrés d'honneur de la magistrature, conseiller du parlement, maître des requêtes, procureur général, surintendant des finances et ministre d'État[1517].» Le comte de Vaux, fils aîné de Fouquet, avait rapporté de Pignerol les manuscrits de son père, et on en publia, en 1685, un extrait, sous le titre de Conseils de la Sagesse[1518].

La mère de Fouquet, qui avait vu mourir quatre de ses fils, dont trois ont figuré dans nos Mémoires, l'archevêque de Narbonne en 1673, l'abbé et le surintendant en 1680, succomba elle-même en 1681, dans un âge très-avancé et avec une réputation méritée de vertu et de sainteté[1519]. L'évêque d'Agde, Louis Fouquet, vécut jusqu'en 1702[1520], sans avoir pu se relever complètement de la disgrâce qui l'avait frappé en 1661. La veuve de Fouquet trouva un asile dans les bâtiments extérieurs du Val-de-Grâce, et y mena jusqu'en 1716 une vie pieuse et retirée[1521]. Madame de Charost, fille du premier mariage de Fouquet, se distingua également par sa piété et ses vertus. Elle était à la tête du petit troupeau que Fénelon dirigeait dans les voies du mysticisme[1522]. Elle s'y rencontra avec mesdames de Chevreuse et de Beauvilliers, filles de Colbert, et tous les ressentiments de famille s'effacèrent devant la charité chrétienne.

Fouquet avait laissé de son second mariage trois fils et une fille: Nicolas Fouquet, comte de Vaux, Charles-Armand Fouquet, Louis Fouquet marquis de Belle-Île, et Marie-Madeleine Fouquet. Cette dernière épousa Emmanuel de Crussol, duc d'Uzès et marquis de Monsalez. Le comte de Vaux mourut en 1705 sans postérité. Charles-Armand Fouquet entra dans la congrégation de l'Oratoire, qu'il édifia par ses vertus; enfin le marquis de Belle-Île, homme de beaucoup d'esprit et de savoir, dit Saint-Simon[1523], perpétua la branche masculine de la famille Fouquet par son mariage avec Catherine de Lévi. Il eut à supporter d'abord les rigueurs de la fortune: repoussé par la famille de sa femme, qui s'était opposée de toutes ses forces à son mariage, il vécut longtemps près de son oncle l'évêque d'Agde. Après la mort de ce dernier, Louis Fouquet vint demeurer avec sa mère dans les bâtiments extérieurs du Val-de-Grâce. Madame Fouquet avait été séparée de biens de son mari, avant sa condamnation, et elle avait obtenu pour ses reprises le marquisat de Belle-Île, qui passa à ce fils et à sa postérité. Les deux fils du marquis de Belle-Île eurent le génie hardi, aventureux, fécond en ressources de leur aïeul le surintendant, et purent l'exercer sur un théâtre plus vaste et plus brillant, celui de la guerre et de la diplomatie. Le comte et le chevalier de Belle-Île s'illustrèrent sous le règne de Louis XV, et l'on vit alors reparaître avec un éclat plus vif, mais passager, l'illustration un instant éclipsée de la famille Fouquet.

Quant au surintendant Nicolas Fouquet, son nom resta entouré, même pour les contemporains, d'une mystérieuse célébrité. On ne se contenta pas des qualités et des défauts que signale dans sa vie l'histoire véridique: on lui créa une légende. La Brinvilliers voulut l'associer à ce procès des empoisonnements, où elle enveloppait les plus illustres personnages de la cour[1524]. Les étranges Mémoires de l'abbé Blache[1525] font planer les mêmes soupçons sur la marquise d'Asserac, qui avait été étroitement liée avec Fouquet. Enfin, de nos jours même, ou a voulu voir dans le surintendant le héros de cette histoire du masque de fer, qui depuis près de deux siècles attire et amuse la crédulité publique[1526]. Sans nous arrêter à ces légendes, nous avons cherché à montrer dans Fouquet le magistrat habile et zélé, qui fut pendant la Fronde un des soutiens du trône, puis le surintendant prodigue et voluptueux qu'égarèrent ses passions et que perdirent ses vues ambitieuses.


Après avoir raconté aussi exactement qu'il nous a été possible la vie et la mort de Nicolas Fouquet, il nous reste à dire quelques mots de ses qualités physiques et morales. Si l'on en juge par les portraits du surintendant que l'on doit au talent de le Brun et de Nanteuil[1527], sa figure, sans être belle, était loin de manquer d'expression. L'œil est vif et intelligent. L'ensemble du visage dénote plus de finesse que d'élévation, plus de pénétration et d'astuce que de noblesse et de grandeur. Mais dire, comme Bussy-Rabutin[1528], que Fouquet avait la mine basse, me paraît injuste. N'oublions pas que le surintendant n'a pas été aimé seulement pour l'or qu'il prodiguait, mais que des femmes qui ont su lui résister, comme madame de Sévigné, parlent du son air aimable, ouvert et riant; et certes rien n'aurait été plus antipathique à un noble cœur, comme madame de Sévigné, que la dégradation de l'âme se reflétant dans les traits et l'expression du visage.

Quant au moral, les qualités comme les défauts de Fouquet éclatent dans sa vie privée et publique. Il suffit de les résumer en quelques mots. Fouquet était doué d'un esprit délicat, vif et pénétrant. Il comprenait les matières les plus diverses; questions financières et diplomatiques, matières juridiques et affaires de police, rien ne lui était étranger. Il avait le travail prompt et facile; il trouvait moyen de suppléer au temps que lui dérobaient les plaisirs. Est-il nécessaire du rappeler avec quel tact et quel goût il appréciait et récompensait les productions des lettres et des arts? C'est le plus beau titre de son administration. Fouquet possédait encore à un haut degré le talent de juger et de gagner les hommes. La plupart de ceux ou de celles qui rapprochèrent lui restèrent attachés dans la mauvaise fortune comme aux jours de sa prospérité. Son abord était facile et engageant, et lors même qu'il était contraint à un refus, il savait l'adoucir par des formes aimables et renvoyer presque contents ceux dont il ne pouvait satisfaire les désirs.

Malheureusement ce caractère, qui avait des charmes si puissants, était gâté par des défauts, et surtout par la vanité, la faiblesse et un entraînement funeste vers les plaisirs. C'est la vanité qui lui fit rechercher les honneurs, les palais, les fêtes somptueuses et créer ces merveilles de Vaux qui éclipsaient les demeures royales et annonçaient les splendeurs de Versailles. Fouquet n'avait pas une de ces ambitions profondes et criminelles, qui marchent à leur but avec une implacable résolution et brisent tous les obstacles. Il souhaitait le pouvoir plutôt pour la satisfaction d'une puérile vanité que par esprit d'orgueil et de domination. De là sa facilité à prodiguer l'or au lieu de le garder comme un moyen de puissance et de gouvernement. De là aussi sa crédulité si souvent trompée, et sa promptitude à prendre pour des amis tous ceux qui sollicitaient ses faveurs. Cet esprit brillant était plein de chimères et d'illusions; témoin son trop fameux projet de Saint-Mandé. Que dire de cette soif insatiable de plaisirs, qui dénote dans Fouquet une si étrange faiblesse de caractère? Il était, il est vrai, environné de séductions; mais ni le sentiment du devoir, ni l'âge, ni même l'intérêt de son ambition et de sa famille, ne purent l'arrêter sur la pente qui l'entraînait à l'abîme. Toutefois, il faut le reconnaître, ces passions, qui furent le fléau de sa vie et qui le poussèrent à des actes criminels, provenaient moins d'une nature pervertie que de la faiblesse de caractère et de l'absence de principes. Une prison de dix-neuf ans en a été la rude expiation. Ramené par le malheur à des sentiments plus élevés, Fouquet supporta mieux l'infortune que la prospérité. Après avoir habilement défendu devant la Chambre de justice une vie qu'il était prêt à sacrifier avec courage[1529], il sut trouver des consolations dans la religion et l'étude, et terminer chrétiennement une existence qu'avaient troublée les enivrements de la fortune et des passions. Les contemporains du surintendant, témoins de sa catastrophe et de son courage, furent plus touchés de ses malheurs que de ses fautes, et jugèrent que ces tortures morales et physiques, prolongées pendant dix-neuf ans, avaient dépassé et effacé ses erreurs. Il est difficile que la postérité ne partage pas ces sentiments de pitié et de sympathie, et que, malgré les justes sévérités de l'histoire, elle ne prenne pas parti pour la victime contre les bourreaux.

APPENDICE, Tome II

I

protection accordée par fouquet aux lettres et aux arts dans les derniers temps de son ministère.

(1660-1661)

Fouquet ne cessa, pendant les dernières années de son ministère d'encourager les lettres et les arts, comme il l'avait fait par le passé. Les deux Corneille, stimulés par les pensions et les gratifications qu'il leur accordait, continuèrent de remplir la scène tragique avec un succès que proclamaient les contemporains, mais que la postérité n'a pas toujours ratifié. Thomas s'était emparé du sujet de Camma, que Fouquet avait proposé à son aîné, et, si l'on en croit la Muse historique de Loret, cette tragédie fut vivement applaudie[1530]. Il déclare que la pièce fut représentée

Avec un ravissement tel
Des judicieux qui la virent,
Oui mille et mille biens en dirent.
Qu'on n'avoit vu depuis longtems
Tant de rares esprits contens.

La Toison d'or, de Pierre Corneille, qui avait été composée dès l'année précédente pour le mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse, fut représentée, au mois de février 1661, par les comédiens du Marais[1531]. C'était plutôt un opéra qu'une tragédie, et l'éclat de la mise en scène fit passer la faiblesse de l'action dramatique. On y remarquait quelques beaux vers en l'honneur de la paix. Corneille fait ainsi parler la France, qui sortait à peine des longues guerres terminées par la paix des Pyrénées:

A vaincre tant de fois mes forces s'affoiblissent;
L'État est florissant, mais les peuples gémissent;
Leurs membres décharnés courbent sous mes hauts faits,
Et la gloire du trône accable les sujets.

La Fontaine ajouta au tribut poétique qu'il avait payé pour le premier terme de 1661 une pièce sur la grossesse de la reine, où il annonçait la naissance d'un Dauphin, et profita de l'occasion pour faire un éloge pompeux de Louis XIV. «La grossesse de la reine est l'attente de tout le monde, écrivait-il à Fouquet:

Quant à moi, sans être devin.
J'ose gager que d'un Dauphin
Nous verrons dans peu la naissance.»

Loret ne cessait de célébrer Fouquet, et on voit dans les passages mêmes que nous avons cités[1532] que Pellisson s'efforçait de modérer la verve un peu bouffonne du gazetier. Les bals donnés par le surintendant, l'arrivée de ses frères, les vertus de sa mère, ne sont jamais oubliés dans la Muse historique. Loret avait célébré, au commencement de l'année 1661[1533], un bal donné par Fouquet.

Samedi, monseigneur Fouquet
Avoit, ce dit-on, le bouquet,
C'est-à-dire en d'autre langage
Que cet illustre personnage,
Surintendant de la Toison,
Dans son opulente maison
Bien éclairée et bien musquée
Reçut toute la cour masquée.
Qui fut lors, selon sa grandeur,
Traitée avec tant de splendeur
Par ce magistrat très-habile
Et sa femme belle et civile.
Que notre prince omnipotent
En sortant parut fort content;
Dont les bouches de conséquence
Qui ne manquent point d'éloquence
Leur firent, pour remercimens,
D'assez obligeans complimens.

Vers la fin de juillet, l'archevêque de Narbonne François Fouquet, frère aîné du surintendant, vint présenter au roi, à la tête d'une députation des États de Languedoc, l'hommage de la province et témoigner de sa soumission aux volontés du roi. Aussitôt Loret[1534] célèbre ce Fouquet de race, pour me servir de ses expressions:

J'ai su de certaine personne
Que l'archevêque de Narbonne,
A qui le beau langage est hoc,
En revenant de Languedoc,
Où son sage esprit on admire,
Harangua le roi notre sire
A la tête des députés
De plusieurs villes et cités,
Afin d'assurer ce grand prince
Que les états de la province
N'ont dans leurs cœurs d'autres objets
Que d'être toujours bons sujets;
Et, comme il est Fouquet de race,
Il parla de si bonne grâce,
Que le roi fort content parut
Tant que ce prélat discourut.

Il est question, dans la même lettre, de la nomination de Louis Fouquet, autre frère du surintendant, à la charge de maître de l'oratoire du roi.

Monsieur d'Agde, un autre sien frère,
Que toute la cour considère,
Quoiqu'il ne soit qu'en son printemps,
Comme un des bons esprits du temps,
Est à son grand honneur et gloire
Reçu maître de l'Oratoire.
Charge qu'avoit cet orateur
Qui d'Amiens est le pasteur[1535].
Et par lui franchement remise,
A ce jeune astre de l'Église.
Infiniment judicieux
Et qui l'exercera des mieux.

Louis Fouquet était déjà aumônier du roi. En achetant pour lui la charge de maître de l'oratoire, le surintendant le mettait à la tête de tout le clergé inférieur de la chapelle du roi, composé du chapelain ordinaire et de huit chapelains qui servaient par quartier et célébraient toutes les messes basses dans l'oratoire particulier de Louis XIV.

Le Brun ne cessa de travailler aux peintures de Vaux pendant les dernières années du ministère de Fouquet. Lorsque le surintendant eut été disgracié, il ne cacha pas sa sympathie pour son malheur: «Je dînai, écrit Olivier d'Ormesson[1536], avec M. le Brun, qui conservoit beaucoup d'estime pour M. Fouquet, et témoignoit du chagrin de la dureté du siècle, et, quoiqu'il fût fort bien auprès de M. Colbert et qu'il eût la conduite des ouvrages des Gobelins, il n'en paroissoit pas content, disant que plus il faisoit, plus on exigeoit de travail de lui, sans témoignage de satisfaction, et que même on avoit de la jalousie de lui, parce que le roi en étoit content.»

II

portrait d'anne d'autriche par le cardinal de retz.
(Mémoires sur Fouquet, t. II, p. 123-124.)

Voltaire, dans la Préface de son Histoire de Russie (paragr. vii), après avoir cité le portrait d'Anne d'Autriche par le cardinal de Retz, pour montrer que la passion et le goût de la singularité égaraient son pinceau, ajoute:

«Il faut avouer que les obscurités de ces expressions, cette foule d'antithèses et de comparatifs, et le burlesque de cette peinture si indigne de l'histoire, ne doivent pas plaire aux esprits bien faits. Ceux qui aiment la vérité doutent de celle du portrait, en lui comparant la conduite de la reine; et les cœurs vertueux sont aussi révoltés de l'aigreur et du mépris que l'historien déploie en parlant d'une princesse qui le combla de bienfaits qu'ils sont indignés de voir un archevêque faire la guerre civile, comme il l'avoue, uniquement pour le plaisir de la faire.»

III

extraits des mémoires de madame de la fayette et du marquis de la fare sur fouquet.

Madame de la Fayette, qui était attachée à Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans, a parlé de la disgrâce de Fouquet dans l'Histoire de cette princesse. Elle n'a fait que toucher les principaux points, mais avec beaucoup de justesse et de discernement. Quant au marquis de la Fare, qui arriva à Paris en 1662 seulement, il n'a su que par ouï-dire ce qui concernait Fouquet. Il écrit, d'ailleurs, longtemps après les événements et sous l'influence de la société du Temple, qui était généralement hostile à Louis XIV. On ne doit le lire qu'avec précaution et défiance.

Madame de la Fayette, après avoir rappelé les intrigues qui troublaient la cour en 1661, continue ainsi[1537]: «Pendant ce temps-là, les affaires du ministère n'étoient pas plus tranquilles que celles de l'amour, et, quoique M. Fouquet, depuis la mort du cardinal, eût demandé pardon au roi de toutes les choses passées, quoique le roi le lui eût accordé[1538] et qu'il parût l'emporter sur les autres ministres, néanmoins on travailloit fortement à sa perte, et elle étoit résolue.

«Madame de Chevreuse, qui avoit toujours conservé quelque chose de ce grand crédit qu'elle avoit eu sur la reine mère, entreprit de la porter à perdre M. Fouquet.

«M. de Laigues, marié en secret, à ce que l'on a cru, avec madame de Chevreuse, étoit mal content de ce surintendant: il gouvernoit madame de Chevreuse. M. le Tellier et M. Colbert se joignirent à eux; la reine mère fit un voyage à Dampierre[1539], et là la perte de M. Fouquet fut conclue, et on y fit ensuite consentir le roi[1540]. On résolut d'arrêter ce surintendant; mais les ministres, craignant, quoique sans sujet, le nombre d'amis qu'il avoit dans le royaume, portèrent le roi à aller à Nantes, afin d'être près de Belle-Isle, que M. Fouquet venoit d'acheter[1541], et de s'en rendre maître.

«Ce voyage fut longtemps résolu sans qu'on en fit la proposition[1542]; mais enfin, sur des prétextes qu'ils trouvèrent, on commença à en parler. M. Fouquet, bien éloigné de penser que sa perte fût l'objet de ce voyage, se croyoit tout à fait assuré de sa fortune; et le roi, de concert avec les autres ministres, pour lui ôter toute sorte de défiance, le traitoit avec de si grandes distinctions, que personne ne doutoit qu'il ne gouvernât.

«Il y avoit longtemps que le roi avoit dit qu'il vouloit aller à Vaux, maison superbe de ce surintendant, et, quoique la prudence dût l'empêcher de faire voir au roi une chose qui marquoit si fort le mauvais usage des finances, et qu'aussi la bonté du roi dût le retenir d'aller chez un homme qu'il alloit perdre, néanmoins ni l'un ni l'autre n'y firent aucune réflexion.

«Toute la cour alla à Vaux, et M. Fouquet joignit à la magnificence de sa maison toute celle qui peut être imaginée pour la beauté des divertissemens et la grandeur de la réception[1543]. Le roi, en arrivant, en fut étonné, et M. Fouquet le fut de remarquer que le roi l'étoit. Néanmoins ils se remirent l'un et l'autre. La fête fut la plus complète qui ait jamais été. Le roi étoit alors dans la première ardeur de la possession de la Vallière: l'on a cru que ce fut là qu'il la vit pour la première fois en particulier; mais il y avoit déjà quelque temps qu'il la voyoit dans la chambre du comte de Saint-Aignan.

«Peu de jours après la fête de Vaux, on partit pour Nantes; et ce voyage, auquel on ne voyoit aucune nécessité, paroissoit la fantaisie d'un jeune roi.

«M. Fouquet, quoique avec la fièvre quarte, suivit la cour[1544], et fut arrêté à Nantes. Ce changement surprit le monde, comme on peut se l'imaginer, et étourdit tellement les parens et les amis de M. Fouquet, qu'ils ne songèrent pas à mettre à couvert ses papiers, quoiqu'ils en eussent eu le loisir. On le prit dans sa maison sans aucune formalité[1545]; on l'envoya à Angers, et le roi revint à Fontainebleau.

«Tous les amis de M. Fouquet furent chassés et éloignés des affaires. Le conseil des trois autres ministres (le Tellier, de Lyonne, Colbert) se forma entièrement: M. Colbert eut les finances, quoique l'on en donnât quelque apparence au maréchal de Villeroy[1546]; et M. Colbert commença à prendre auprès du roi ce crédit qui le rendit depuis le premier homme de l'État.

«L'on trouva dans les cassettes de M. Fouquet plus de lettres de galanterie que de papiers d'importance; et, comme il s'y en rencontra de quelques femmes qu'on n'avoit jamais soupçonnées d'avoir de commerce avec lui, ce fondement donna lieu de dire qu'il y en avoit de toutes les plus honnêtes femmes de France. La seule qui fut convaincue, ce fut Menneville, une des filles de la reine, et une des plus belles personnes, que le duc de Damville avoit voulu épouser. Elle fut chassée et se retira dans un couvent[1547]

Le marquis de la Fare, qui écrivait à la fin du règne de Louis XIV, est loin d'entrer dans les mêmes détails que madame de la Fayette sur le ministère de Fouquet. Cependant, comme il présente les faits sous un autre point de vue, il ne sera pas inutile de recueillir son témoignage. Il indique en quelques mots les vues ambitieuses du surintendant, mais il fait en même temps l'éloge de sa magnificence et de sa libéralité. «M. Fouquet, dit-il[1548], ayant pour but d'occuper un jour la première place, et par défiance aussi du cardinal, avec qui l'abbé Fouquet son frère l'avoit brouillé, ne songea qu'à se faire des créatures et répandit beaucoup d'argent dans la cour. Cela mit de la magnificence et de la joie: les vieux courtisans et les plus considérables ne songèrent qu'à se maintenir dans la familiarité et les bonnes grâces du cardinal (ce qui leur donnoit une grande distinction), et les jeunes gens qu'à se divertir et à jouir des bienfaits de M. Fouquet. Quelques-uns s'attachèrent au jeune roi et s'en trouvèrent bien dans la suite.»

Après ce tableau, où la Fare ne signale que le côté brillant du ministère de Fouquet, il passe à la mort de Mazarin et au gouvernement personnel de Louis XIV, puis il arrive à la disgrâce du surintendant. «La perte de M. Fouquet, dit-il[1549], qui avoit été, à ce que l'on croit, résolue par le cardinal Mazarin, mais non pas du consentement de la reine mère, qui avoit obligation à Fouquet, arriva sur la fin de cet été (1661). La reine mère l'abandonna à ses ennemis, à la persuasion de madame de Chevreuse, liée d'intérêt avec Colbert, qui, après avoir eu toute la direction des affaires du cardinal et sa confiance, avoit été dès longtemps destiné par ce ministre pour la réformation des finances. Cette affaire fut ménagée avec beaucoup de secret et de dissimulation de la part du roi. Il fit beaucoup de caresses à Fouquet, et, sous prétexte que cet homme avoit des liaisons considérables et qu'il avoit fortifié Belle-Isle sur la côte de Bretagne, le roi alla lui-même à Nantes pour l'y faire arrêter, comptant que sa présence empêcheroit que personne se pût soulever en faveur de ce ministre; ce qui parut puéril aux plus sensés, mais qui flatta le roi, dans la pensée qu'il en acquerroit la réputation d'un prince résolu, prudent et dissimulé. Fouquet, dans l'appréhension qu'il avoit eue du cardinal, s'étoit voulu mettre en état de lui résister en s'acquérant des amis; et, comme il étoit naturellement visionnaire, il crut en avoir un bien plus grand nombre qu'il n'en avoit réellement. Il en fit une liste: la moitié de la cour se trouva sur ses papiers et fut quelque temps après dans une grande consternation. D'un autre côté, les gens d'affaires prévirent bien l'orage qui alloit fondre sur eux. Quelques-uns furent arrêtés en même temps que le ministre; d'autres se sauvèrent, comme Gourville, le plus habile de ses confidents, qui mit à couvert beaucoup de bien et se retira en Flandre.

«L'emprisonnement de Fouquet fut suivi de l'érection d'une Chambre de justice; les prisons furent pleines de criminels et d'innocents; il parut qu'on en vouloit au bien de tout le monde. Colbert, persuadé que le roi étoit maître absolu de la vie et de tous les biens de ses sujets, le fit aller un jour au parlement pour en même temps se déclarer quitte et le premier créancier de tous ceux qui lui devoient[1550]. Le parlement n'eut pas la liberté d'examiner les édits: il fut dit que désormais il commenceroit par vérifier ceux que le roi lui enverroit, et qu'après il pourroit faire ses remontrances; ce qui, dans la suite, lui fut encore retranché. On peut s'imaginer la tristesse, la crainte et l'abattement que toutes ces choses produisirent dans le public, et voilà où commença cette autorité prodigieuse du roi, inouïe jusqu'à ce siècle, qui, après avoir été cause de grands biens et de grands maux, est parvenue à un tel excès, qu'elle est devenue à charge à elle-même.»

IV

cassette de fouquet.—liste des papiers conservés par baluze.

J'ai déjà parlé de la cassette de Fouquet[1551] et je crois que les points suivants sont bien établis: 1° les correspondances et papiers du surintendant Fouquet, conservés à la Bibliothèque impériale (f. Baluze), sont authentiques et proviennent des cassettes de Fouquet; 2° les manuscrits de Baluze ne renferment pas toutes les lettres de femmes qui furent trouvées dans ces cassettes: témoin les lettres de madame de Sévigné, qui tirent tant de bruit à l'époque de l'arrestation de Fouquet et qu'on a vainement cherchées dans ces manuscrits: 3e les billets cités par Conrart et Vallant ne figurent pas non plus dans les papiers conservés par Baluze. Un seul billet, celui que l'on attribue à mademoiselle de Menneville, rappelle quelques mots de l'original, mais il a subi des altérations considérables. Ce qui porte à croire que les autres billets copiés par Conrart et Vallant ne sont pas de pure invention, mais que le texte en a été défiguré. Souvent aussi on a attribué ces lettres anonymes à des personnes qui en étaient innocentes.

Pour que l'on apprécie plus facilement la nature de ces altérations, je placerai en regard le texte original du billet de mademoiselle de Menneville et la prétendue copie qu'en ont donnée Vallant et Conrart:

texte original. texte de vallant et conrart.
Rien ne me peut consoler de ne
vous avoir point vu, si ce n'est quand
je songe que cela vous auroit pu
faire mal. Ce seroit la chose du
monde qui me seroit la plus sensible,
Je trouverai le temps fort long de
votre absence. Vous me feriez un fort
grand plaisir de me faire savoir de
vos nouvelles. J'aurai bien de l'inquiétude
de votre santé. Pour mes
affaires (le projet de mariage avec
Damville). elles sont toujours en
même état. Il n'a point voulu dire
quand à leurs majestés, disant toujours
qu'il le feroit. A moi il me fait
tous les jours les plus grands serments
du monde. Je n'ai point pris
de résolution de rompre ou d'attendre
que je n'aie su votre avis; c'est le
seul que je suivrai. Adieu, je suis
tout à vous. Je vous prie que l'absence
ne diminue point l'amitié que
vous m'avez promise. Pour moi, je
vous assure que la mienne durera
toute ma vie. Adieu, croyez que je
vous aime de tout mon cœur et que
je n'aimerai jamais que vous.
Je compatis à la douleur que
vous me témoignez d'être allé au
voyage de Bretagne, sans que nous
ayons pu nous voir en particulier,
mais je m'en console aisément,
lorsque je pense qu'une semblable
visite eût pu nuire à votre santé.
Je crains même que, pour vous
être trop emporté la dernière fois
que je vous vis à la Mivoie[1552], cela
n'ait contribué à votre maladie.

Il serait fort inutile d'insister sur la nature des altérations: l'on
a extrait d'une lettre, empreinte de quelque émotion, un détail choquant
pour le mettre seul en relief, et l'on y a ajouté des inventions
qui lui donnent un caractère encore plus grossier.

Pour compléter ce qui concerne les papiers authentiques de Fouquet,
je vais indiquer sommairement les pièces contenues dans les
manuscrits Baluze. Elles sont reliées en deux volumes petit in-folio
et présentent un pêle-mêle qui rend toute classification difficile.
Voici d'abord la table des matières avec l'indication des pages:

TOME PREMIER.

Pages1-2.Mémoire de ceux qui sont entrés à la Bastille pour voir M. de Richelieu.
2-4.Mémoire de ceux qui sont entrés à la Bastille pour voir M. le comte de Guiche.
5-9.Réponse aux prétendus moyens d'opposition à la concession que Sa Majesté a faite au sieur Gargot et du gouvernement qu'elle lui a donné de l'Île de Terre-Neuve en Amérique.
11-12.Lettre du roi portant concession de cette île à Gargot.
13-14.Lettre de Gargot sur le même sujet.
15.L'état des parties dont on demande le payement.
17-19.Mémoire sur le commerce, cité t. I, p. 310 et suiv.
22-23.Acte notarié portant engagement des la Loy (mari et femme) pour une certaine somme.—On trouvera plus loin (p. 187) un extrait de cet acte qui m'a permis de reconnaître quelle était l'entremetteuse qui conduisait l'intrigue de mademoiselle de Menneville.
24.Extrait d'un acte concernant le duc de Damville.
25-26.Lettres relatives aux affaires de finance.
27-51.Douze lettres de la femme la Loy, sans aucune classification, ni chronologique, ni par ordre de matières.
52.Lettre de M. de Nouveau, directeur des postes.—Voyez plus loin, p. 502 et suiv.
54.Lettre de mademoiselle de Trécesson (4 avril 1659), t. I, p. 423.
56.Lettre d'un agent de Fouquet à Bordeaux (22 août 1661).
58.Lettre de Bessemaux, gouverneur de la Bastille, à Fouquet (25 août 1661).
60-61.Lettre d'une femme qui dénonce à Fouquet un complot formé contre lui par Delorme, son ancien commis, son frère l'abbé Fouquet, un marquis et un président qui ne sont pas nommés; t. II, p. 296-297.
62-63.Lettre d'affaires adressée à Pellisson par un nommé Guitonneau.
64-65.Lettre anonyme, datée d'Aix-en-Savoie (20 août 1661).
66-69.Avis et nouvelles envoyés de Paris à Fouquet (3 septembre 1661).—Voy. plus loin, p. 499.
70-107.Seize lettres de la femme la Loy, placées pêle-mêle comme les précédentes.
107.Lettre relative à de Lyonne.
109.Lettre relative à Colbert.—Voyez plus loin, p. 498.
111.Sur le confesseur de la reine mère (lettre du 22 avril 1661), t. II, p. 130.
113.Lettre du 4 mars; avis donnés par une femme à Fouquet, t. II, p. 85.
115-116.Lettre contre l'avocat général Talon.
117-118.Sur le confesseur de la reine mère (2 août 1661), t. II, p. 218.
119.Même sujet. (4 août), t. II, p. 217.
121-122.Même sujet. (2 avril), t. II, p. 129.
123-124.Lettre de l'évêque d'Agde à Fouquet (22 avril), tome II, page 310.
125-171.Vingt-trois lettres de la femme la Loy.
172-179.Quatre lettres d'Hugues de Lyonne, t. II, p. 67 et suiv. page 85.
180.Lettre de la femme la Loy.
182-183.Sur le confesseur de la reine mère (21 juillet), tome II, page 168.
184-185.Lettre de la femme la Loy.
186.Billet du chevalier de Gramont, t. II, p. 307.
187.Lettre du président de Périgny.—Voy. plus loin, p. 495-496.
189.Sur le confesseur de la reine mère (28 juin 1661).—Voyez plus loin, p. 492.
191-196.Lettre de l'abbé de Bonzi (18 juillet 1661), t. II, p. 150 et suiv.
197-212.Huit lettres de la femme la Loy (6 mars).
213.Recette faite à l'Épargne, sans date.
214-215.Lettre d'un nommé Lecouturier pour demander à Fouquet de faire exécuter un arrêt (23 août 1661).
216-217.Arrêt à l'appui de cette lettre.
218.Même affaire.
220-221.Lettre signée Job; avis donnés par une personne attachée à la reine mère.—Voyez plus loin, p. 496-497.
222.Lettre signée Labriffe pour affaires de finance.
224.Lettre adressée à Pellisson et signée D.V., avis sur des plaintes contre lui.—Voyez plus loin, p. 496.
226-236.Cinq lettres de la femme la Loy.
237.Lettre de madame du Plessis-Bellière; il n'y est question que d'affaires.—Voyez plus loin, p. 488-490.
238-246.Six lettres de la femme la Loy.
 
TOME SECOND. 
Pages1-5.Mémoire sur les droits de Fouquet en Bretagne.
7.Mémoire d'affaires.
9-11.Lettres adressées de Bordeaux relatives à la navigation et aux approvisionnements de Belle-Île, t. I, p. 308 et suiv.
13.Sur divers navires.
15-20.Trois lettres de Pélagie de Rieux (madame d'Asserac). t. I, p. 264 et suiv.
21.Billet d'amour attribué à madame du Plessis-Bellière. t. II, p. 292.
22.Lettre de mademoiselle de Menneville à Fouquet, t. II. p. 195.
24.Lettre d'une personne de la famille d'Aumont relative à des affaires domestiques.
26-27.Sur les fortifications du Havre.
28-29.Lettre relative à la Bretagne.
30.Avis donnés de la Rochelle sur ce qu'on dit de Belle-Île.
32-36.Lettres de madame d'Huxelles à Fouquet, t. II, p. 135 et suiv.
37.Lettre de mademoiselle de Menneville à la femme la Loy, t. II, p. 204.
39-40.Lettre de Charnacé à Fouquet, t. II, p. 308.
41-42.Du même au même, t. II, p. 309.
43-45.Sur la disgrâce de mademoiselle de la Motte d'Argencourt.
46.Lettre relative à des marbres.
48-51.Lettre attribuée à madame d'Huxelles.
52-53.Lettre de mademoiselle de Menneville à Fouquet, t. II, p. 214.
54.Billet de mademoiselle de Menneville à Fouquet, t. II, p. 201.
56-59.Lettre de madame d'Huxelles à Fouquet.
60-61.Lettre sur les colonies d'Amérique, t. II, p. 315 et suiv.
63.Lettre de Devaux sur sa compagnie, qu'il voulait remettre en état.
64.Lettre de madame d'Asserac sur le projet de voyage en Bretagne, t. II, p. 180.
67.Lettre du marquis de Créqui à Fouquet.
68.Lettre de mademoiselle de Menneville à Fouquet, t. II. page 207.
70-73.Lettre de madame d'Huxelles.
73-82.Rapports de police par Devaux, t. II, p. 299 et suiv.
83.Lettre relative à des affaires de famille.
85.Lettre de madame de Motteville à madame du Plessis-Bellière. t. I, p. 361-362, note 3 de la page 361.
87-88.Souhaits pour le voyage de Bretagne (17 août 1661).
89.Lettre relative à des affaires de famille.
90.Rapports de police par Devaux.
92.Demande d'argent pour aider à acheter une maison à Suresnes.
94-96.Lettre de madame de Beauvais, t. II, p. 133.
98.Plaintes contre Bruant.
100.Lettre relative à des affaires de famille.
101-112.Lettres adressées à Pellisson par mademoiselle de Scudéry, t. I, p. 439 et suiv.
113.Extrait d'une lettre de l'abbé Viole, t. II, p. 80.
115-116.Nouvelles de Bretagne.—Acquisitions proposées à Fouquet dans ce pays.
117-118.Lettre d'Hugues de Lyonne relative au projet de mariage de son fils avec la fille de Fouquet, t. II, p. 70-71.
119-120.Lettre d'une femme Dubreuil.—Voyez plus loin, p. 420.
123-124.Lettre relative à Hortense Mancini (3 avril 1661), t. II, p. 159 et suiv.
125-126.Lettre de madame de Beauvais, t. II, p. 134.
129-171.Vingt-trois lettres ou billets de la femme la Loy.
173.Lettre d'affaires de madame du Plessis-Bellière.—Voy. plus loin.
174.Lettre de M. de Nouveau à Fouquet.
176.Mémoire de la main de madame du Plessis-Bellière des sommes payées par elle pour le procureur général.—Voyez plus loin.
178-179.Avis donnés à Fouquet par une femme qui garde l'anonyme.
180-181.Billet de la même personne.
182-183.Lettre de M. de Périgny.—Voyez plus loin, p. 494.
184.Lettre d'une femme qui prend le parti du fermier des impôts d'Orléans contre Gourville.
185.Suite d'un billet de madame du Plessis-Bellière, dont la première partie est à la page 173.
186-187.Lettre d'affaires écrite par une femme.
188.Lettre d'une femme qui garde l'anonyme; cette lettre, datée de la Barre (16 août 1661), contient des propositions pour l'acquisition d'une charge.
190-191.Lettre de Pellisson relative aux affaires de finance.
192-193.Lettres sur les matelots et sur les voyages lointains (3 septembre 1661).
194-195.Lettre de l'évêque d'Agde à son frère (13 mai 1661).—Voyez plus loin, p. 498.
196.Lettre d'un anonyme relative à des affaires de finance, en date du 8 juin 1661.
198-199.Fin d'une lettre d'affaires, dont le commencement se trouve aux pages 187-188.
200.Lettre donnant des nouvelles de la santé de Mazarin (2 mars 1661), t. II, p. 86.
202-206.Trois lettres de mademoiselle de Trécesson, t. I, p. 403 et suiv.
207-208.Lettre du 26 septembre 1660, signée Morant; le correspondant se plaint des impôts excessifs que l'on levait en Touraine.
209.Lettre de Girardin à Fouquet (18 octobre 1660) relative à des affaires de finance.
211-215.Trois lettres de mademoiselle de Trécesson, t. I, p. 403 et suiv.
217-219.Deux billets de mademoiselle de Menneville, t. II, p. 293.
221.Lettre de M. de Nouveau à Fouquet.
223-224.Lettre du marquis de Villequier à Fouquet, tome II pages 512-513.
225.Lettre de M. de Novion à Fouquet; affaires de finance.
227.Lettre d'affaires de la personne qui habitait la Barre.
229.Lettre d'affaires (13 décembre 1660).
231.Billet relatif à une discussion entre Fouquet et le premier président.
233.Lettre de mademoiselle de Trécesson (11 décembre 1658).
235.Lettre de Bessemaux, gouverneur de la Bastille, à Jannart, substitut du procureur général; il y est question d'acquisitions à Saint-Germain, etc.
237.Lettre de Marie Mancini, t. II, p. 297-298.
239.Avis donnés à Fouquet par une femme de la cour.
240-241.Lettre de M. de Bragelonne contenant des protestations de dévouement pour Fouquet.
242.Lettre de Girardin; affaires de finance.
245-257.Cinq lettres de mademoiselle de Trécesson.
258.Avis donnés à Fouquet par une femme.
260-262.Lettre sur les affaires de Bretagne.
263-264.Lettre de Fouquet à Bruant avec les réponses marginales de Bruant, t. II, p. 73 et suiv.
266-267.Lettre d'affaires relative au gouverneur de Paris.
268.Lettre d'affaires du 9 novembre 1660.
270.Lettre relative à une audience demandée et non accordée.
272.Lettre relative aux affaires de Bretagne.
274.Sur la disgrâce de mademoiselle de la Motte-d'Argencourt, t. II, p. 113 et suiv.
276-277.Lettre de Bessemaux à Fouquet (24 juillet 1661).
278-279.Lettre d'affaires anonyme.
280-284.Trois lettres de mademoiselle de Trécesson.
285-289.Trois lettres de M. de Nouveau.
291.Avis donnés a Fouquet.
292.Autographe de Fouquet; propositions pour la reine mère, t. II, p. 125-126.
294.Lettre d'affaires anonyme.
295-296.Demande d'argent adressée par une femme.
298.Lettre de Vardes pour madame du Plessis-Bellière, t. II, p. 308.
300-311.Plusieurs lettres de M. de Nouveau.
311-314.Trois lettres de mademoiselle de Trécesson.
316-317.Deux lettres de M. de Nouveau.
319-320.Lettre de mademoiselle de Trécesson.
322-331.Cinq lettres de la femme la Loy.
352.Une lettre de mademoiselle de Trécesson.
334.Traité entre les Suisses et le chevalier de Maupeou pour la garnison de Belle-Île.—Voy. p. 520.

Ainsi, sur deux cent soixante-treize pièces environ que contiennent les papiers Baluze, il y a cent et une lettres ou billets de cette femme la Loy, qui servait d'entremetteuse au surintendant; vingt-deux lettres de mademoiselle de Trécesson; quatre de madame du Plessis-Bellière, dont une douteuse; six billets de mademoiselle de Menneville; à peu près autant de madame d'Huxelles; quatre lettres de madame d'Asserac; cinq d'Hugues de Lyonne; trois de madame de Beauvais; trois de mademoiselle de Scudéry; une dizaine de M. de Nouveau; une du marquis de Villequier; une de madame de Motteville; deux du président de Périgny; deux de l'évêque d'Agde (Louis Fouquet); une de Marie Mancini; une de l'abbé de Bonzi; une de Vardes; deux autographes du surintendant; une lettre de Pellisson; deux de Girardin; trois de Bessemaux, le gouverneur de la Bastille; puis un grand nombre de lettres ou mémoires anonymes ou pseudonymes.

La classification que j'ai adoptée au chapitre XLI a, je crois, permis de simplifier le travail sur cette cassette. Il ne me reste plus qu'à ajouter ici quelques lettres moins importantes pour compléter l'étude sur ces papiers et pour donner en même temps une idée de l'orthographe de quelques-unes des correspondantes de Fouquet. Celle de mademoiselle de Menneville dénote une ignorance profonde. En voici un spécimen. Elle écrit à Fouquet: «Rien ne me peut consolé de ne vous avoier poient vu, si se net quant je chonge que se la auret peu fere malle [ce] se raies la chose du monde qui me se raies la plus sansible. Je trouveré le tant fort lon de vostre apesance. Vous me feriés un for gran plesier de me fere savoier de vos nouvelles. Joré bien de lin quiestude de vostre santé. Pour mes afaiere il sont tousjours en maiesme estat il na poient voulu dire quant à leurs majestés disanes tous jours qu'il le feroict. A moi il me faict tous jours les plus grans sermans du monde. Je né poient pris de résolusion de rompre ou datandre que je né sue vostre avie. Saies le seul que je suivré. Adieu je suis tout à vous. Je vous prie que la pesance ne diminue point la mitié que vous mavés promis. Pour moie je vous assure que la mienne dura toute ma vie. Adieu croiés que je vous esme de tout mon ceur et que je ne me ré (n'aimerai) jamaies que vous.»

L'entremetteuse a une orthographe aussi barbare. Voici une lettre qu'elle adressait à Fouquet, le 29 novembre 1660[1553]: «Jay renvoiies deus foies a St-Mende pour resevoier loneur de vos commendement et a prendre cant je pouroy aitre asse heureuse pour vous aller fere la reverense. Maies je nenne resus aucune ordre et baien que je croy quissis je ne pourre pas si fasilement jouir de se boneur vous aure la bonte de me fere savoier comme vous aprevez que je fase pour vous rendre conte de tout se que jay appris. Je ne peus menpaicher monsenieur duse de redite et vous suplier de monore tougour de loneur de votre baien veliense etent la chause du monde que je soite aveque le plus de pasion et qu'il nias raien au monde que je ne fise pour la pouvoier merite ses la protaitasion que vous faict la créature qui sera toute sa vis aveque la soumission que vous doies votre tres humble et tres aubeisente et aublige servante.»

Les lettres de cette femme sont toutes anonymes. J'ai reconnu qu'elle se nommait la Loy, en comparant plusieurs passages de sa correspondance avec un acte notarié qui se trouve dans les papiers de Fouquet (t. I, p. 22). En voici le début: «Fut présent en sa personne Louis de la Loy, escuyer, sieur dudit lieu, demeurant à Paris, au Palais-Royal, rue Saint-Honoré, tant en son nom que comme se faisant fort de damoiselle Bregide Converset, sa femme.» Par cet acte, en date du 26 juillet 1661, collationné à Fontainebleau le 4 août, Louis de la Loy et sa femme s'engagent à payer 18,500 livres pour un collier de perles orientales, contenant trente et une perles rondes pesant dix-huit grains chaque perle, envers Louis Loire, orfévre, demeurant sur le quai des Orfévres.

La correspondance de la femme la Loy[1554] contient le passage suivant, qui se rapporte à cette acquisition: «Je vous dirai que, suivant ce que vous m'aviez dit, j'ai mandé à M. de la Loy qu'il fist marché de ces perles et qu'il en tirât le meilleur compte qu'il pourroit; que tout au plus je ne voulois pas qu'il passât 18,000 livres.»

Il est encore question, dans plusieurs autres lettres, du mari de cette femme: «Je vous dirai, écrit-elle à Fouquet, que, pendant que j'étois allée faire mon jubilé hier[1555], M. vostre frère[1556] envoya chez nous un chariot de meubles, disant qu'il vouloit se faire tendre un lit dans une de nos chambres et des meubles pour des valets. M. de la Loy le refusa et dit qu'il ne souffriroit pas que dans une maison où nous étions l'on mit d'autres meubles que les nôtres, si bien qu'il en est fort en colère et dit à ses gens qu'ils les devoient toujours décharger, et que quand j'aurois été venue j'aurois mis ordre à cela, si bien que en partant il donna charge à son maître d'hôtel de les faire reporter. Je lui dis que M. de la Loy ne le vouloit pas absolument, et le maître d'hôtel voyant cela me dit qu'il se moquoit d'eux de faire comme cela; que tout le monde se moquoit de lui de ce qu'il ne faisoit pas mieux valoir sa charge[1557]; qu'il logeroit fort bien à la grande écurie et que les gentilshommes de M. d'Harcourt occupoient des chambres qui lui appartenoient, et que s'il vouloit il y logeroit fort bien lui et ses chevaux.»

Presque toutes les lettres d'amour contenues dans les papiers conservés par Baluze ont été citées antérieurement. On pourrait cependant y ajouter le billet suivant de mademoiselle de Trécesson. Elle écrivait à Fouquet[1558]: «Je vous conjure d'estre persuadé que l'amitié que j'ay pour vous est aussi tendre et aussi fidèle que je vous l'ay promise; quoiqu'en peu de mots ce soit dire beaucoup, je ne suis toutefois pas contente de ce petit billet et dans deux jours vous en recevrez de plus amples; mais le courrier va partir.» L'orthographe de mademoiselle de Trécesson est d'une correction remarquable pour l'époque.

Les billets de madame du Plessis-Bellière sont peu nombreux et ne parlent guère que d'affaires ou d'intrigues. On pourra en juger par les suivants. Elle écrit à Fouquet: «Je croyois avoir l'honneur de vous voir, et je pourray avoir cet honneur apres-disner, si l'affaire de M. de Créquy[1559] m'en donne le temps, pour vous parler de celle de M. de Brancas. Je [le] vis hier au soir au désespoir sur la charge de Flandre. Il vous escrivit une lettre que je retins, croyant qu'il valoit mieux que nous parlassions là-dessus; mais, comme je doute si je le pourray, je vous l'envoie. Ils luy ont fait voir dans sa famille que vous l'aviez fort peu considéré de n'entrer pas avec lui à fond dans cette affaire, et il fut surpris hier de la voir achevée sans qu'il le sût. Enfin il est si affligé, qu'on ne peut pas vous le représenter. Vous pouvez croire que je fis ce que je pus, mais ce qu'on lui fait voir que vous ne l'avez pas considéré assez et les tourmens que sa famille lui font (sic) le mettent à bout et me font croire qu'il faut que vous ayez la bonté de le remettre là-dessus. Il me semble que, si vous pouviez retirer ces papiers ou faire quelque autre chose, cela seroit nécessaire. Il dit pourtant qu'il ne veut rien, mais que l'on satisfasse Champlastreux, si l'on peut. Je vous envoie une opposition qu'il m'a donnée. Je ne l'ay vue qu'aujourd'huy; mais cela me paroist fascheux. Vous verrez ce qu'il vous plaira. S'il vous plaist de me faire quelque response, je seray encore icy; car l'affaire de M. de Créquy n'est pas encore accommodée.

«Je n'ay point encore receu le paquet de M. de Clérambault.»

Ailleurs, madame du Plessis-Bellière dresse une liste de quelques pensionnaires de Fouquet, sous ce titre: Mémoire de ce que j'ay payé pour M. le procureur-général[1560]:

  • Trois cents pistoles pour M. de la Croisette;
  • Trois cents pistoles pour mademoiselle de Vertus;
  • Cent pistoles pour retirer des prisonniers;
  • Deux cents pistoles pour le Val-de-Grâce;
  • Soixante pistoles pour les bénédictins anglais;
  • Quarante pistoles pour Asserant, soldat qui avoit été a Belle-Isle;
  • Sept cents francs à madame Courtet pour madame de Charaux (Charost);
  • Mille écus à M. de Terme (ou Jerme) pour l'année 1639, que M. de
  • Créquy avoit avancé deux mille deux cent cinquante livres à mon frère de Monplaisir [1561], pour l'intérêt d'une année qui lui étoit due;
  • A Bosc (ou Bou), quatre cents pistoles;
  • Encore à M. de Terme (ou Jerme) pour l'année 1660, mille écus;
  • Pour faire raccommoder la maison achetée sept cent cinquante livres j'en ai la quittance du maçon;
  • A l'abbé de Belesbat, trois cents pistoles;
  • A Bartet, mille écus;
  • A M. de Tracy, mille écus;
  • Encore à Bartet, mille écus.
  • Je trouve que c'est sept mille quatre cents livres qui me sont dues du reste de trente, que M. le procureur général avoit avancées pour moy à Girardin.»

Faut-il conclure de ces billets que madame du Plessis-Bellière ne s'occupait que des finances et des affaires politiques? Cette hypothèse est en opposition avec tous les témoignages des contemporains. Bussy-Rabutin, qui ne fait qu'exprimer l'opinion de son temps, dit, en jouant sur les mots, «qu'elle étoit la surintendante des amours du surintendant[1562].» J'avoue que, tout en rabattant beaucoup des bruits exagérés et des insinuations calomnieuses, il est difficile d'expliquer le rôle de madame du Plessis-Bellière à l'égard de sa nièce de Trécesson. Elle l'appelle auprès d'elle pour en faire une maîtresse et un agent de Fouquet. Elle descendait aussi à des détails bien peu dignes de son rang; témoin la lettre suivante, écrite à Fouquet par une femme nommée Dubreuil:

«Monseigneur,

«J'ay vu madame du Plessis ce matin un petit moment où je n'ay sçu luy dire ce que j'avois résolu par le peu de temps que l'on a à luy parler. J'estois donc résolue, monseigneur, de vous demander cette maison pour moy à condition que je vous déchargerois du soin que vous auriez de cet enfant jusqu'à l'âge de dix ans. Il me semble, monseigneur, que cela vous sera plus commode. Vous ne serez point importuné toutes les fois qu'il vous faudra quelque chose tant pour son éducation jusqu'à cet âge-là que pour son entretien. Vostre bonté, monseigneur, en disposera toujours à sa volonté, et, de quelque manière que ce soit, je me tiendrois fort heureuse de vous obéir aveuglément, et, pour vous montrer qu'il est vrai, c'est que je dois voir demain une nourrice qui n'est pas de loin; c'est hors la ville. De tous les soins qu'il faudra avoir de toute chose, vous pouvez, monseigneur, me les remettre, comme vous souhaitez que je m'abandonne tout à fait sous vostre protection. Je le fais, monseigneur, et vous la demande comme une chose sans laquelle je ne puis estre heureuse. Je viens d'apprendre que Marie Crevon[1563] s'en est allée ce matin et n'est pas revenue depuis; elle est sortie disant qu'elle ne vouloit pas aller en Dauphiné; on veut qu'elle y aille, et pour cet effet on la cherche. Je ferai tout mon possible pour la voir et savoir toutes choses.»

Parmi les lettres qui paraissent écrites par madame d'Huxelles, j'ajouterai la suivante, où l'on trouve quelques renseignements sur les dangers qui menaçaient Fouquet: «Je vous escris ce billet pour vous dire adieu. Je suis extrêmement faschée de n'avoir pu vous entretenir. On m'a dit en grand secret que vous quittez votre charge de procureur général: qu'estant obligé d'estre tousjours auprès de la personne du Roy vous ne pouvez la faire. Je ne sçais si on ne veut point vous faire d'affaire du côté du Palais. Vous savez comme M. le Tellier fut longtemps avec M. le premier président et la liaison qu'ils ont renouvelée ensemble. M. de Turenne et M. Colbert sont de la partie. Bartet a dit la conversation qu'il avoit eue avec vous. M. de Turenne est persuadé que c'est vous qui avez contribué à l'éloigner, ce poirier[1564] ayant dit que, si on avoit affaire de chevaux, on n'avoit qu'à en prendre chez vous. Il est impossible de vous mander tout le détail de ce que l'on sçait. Faites-moi savoir si l'on vous peut escrire sûrement. Si vous m'envoyiez des noms, je m'en servirois si je savois quelque chose de conséquence. Adieu, monsieur, faites-moi l'honneur de croire que je suis tout à vous. Adieu, ayez soin de votre santé plus que vous ne faites.»

L'abbé de Belesbat, qui recevait une pension de Fouquet, fut exilé à l'époque de son arrestation aussi bien que Bartet. Je n'ai pu connaître son écriture et m'assurer si les lettres relatives au confesseur de la reine mère viennent de lui; mais je serais porté à le croire. J'ai publié presque toutes ces lettres dans le courant des Mémoires de Fouquet. Une seule, en date du 28 juin, a été omise. La voici: «Je n'ai point osé m'empresser ce matin à vous suivre pour vous apprendre, monseigneur, ce que le bon religieux que vous savez me dit hier. J'en appris, entre autres choses, qu'il croyoit qu'il pourroit bien n'y avoir plus de conseil de conscience[1565], et qu'il y avoit deux jours que quelqu'un donna avis et envie au roi de voir une lettre que ces messieurs du conseil de conscience écrivoient à Rome par son ordre. Le paquet étant déjà entre les mains du courrier fut reporté au roi, qui trouva que, dans cette lettre qu'il n'avoit point vue, ces messieurs écrivoient qu'ils tenoient le roi dans l'obéissance exacte qu'il devoit au saint-siège et s'attribuoient comme la gloire de le gouverner. Cela le choqua extrêmement, et, jaloux comme il est de son autorité, il parut si irrité, qu'il protesta qu'il ne les assembleroit plus.

«Au reste, madame de Chevreuse continue toujours à faire de grandes recherches à ce bonhomme-ci[1566], mais assurément cela ne servira de rien et vous apprendrez précisément tout ce qu'elle lui dira. Il persiste à croire ce que je vous ai écrit du roi et de mademoiselle de la Vallière et pense que ce qu'il en a dit il y a quelque temps est absolument vrai.

«Comme j'ai appris depuis peu que le père Leclerc, que je pensois qui devoit être confesseur du roi après le père Annat, le sera de Monsieur, je puis vous assurer que, si cela est de quelque chose, j'aurai des habitudes et des liaisons aussi étroites avec lui que j'en ai auprès du bon père.

«J'appris encore avant-hier une chose assez plaisante de Florence. La jeune duchesse[1567] s'y ennuie fort: ce qu'on trouve bien étrange en ce pays-là, ne sachant pas qu'elle est amoureuse en France du jeune prince de Lorraine[1568], qu'on avoit parlé de marier avec Mademoiselle[1569]. Avant qu'elle partit, elle avoit été cinq ou six fois seule dans sa chambre. L'on ne sait point s'ils ont couché ensemble; mais toujours elle le poursuivoit fort, et Mademoiselle, qui les éclairoit de fort près, en a découvert bien de petites affaires. Depuis peu même on a intercepté des lettres qui alloient à Florence. L'on a trouvé un poulet du cavalier et surtout des vers qu'il a faits sur son absence et qu'il lui envoie, qui sont la plus plaisante et la plus risible chose du monde.»

Parmi les personnages qui ont signé leurs lettres, il faut placer un magistrat fort estimé, le président de Périgny, qui fut le premier précepteur du Dauphin, fils de Louis XIV. Ces lettres ne sont pas adressées à Fouquet, mais à un intermédiaire qui devait parler au surintendant du désir qu'avait M. de Périgny de traiter d'une charge vacante. L'intermédiaire est probablement Pellisson, qui travailla plus tard avec le président de Périgny aux Mémoires de Louis XIV[1570].

«Comme je fermois ce billet, lui écrit M. de Périgny[1571], ou m'est venu dire que le traité de M. de Fourcy fut hier signé avec M.L.V., qui a vendu et donné procuration ad resignandum en qualité de curateur.

«Cela fait changer de face à nostre affaire et me fait perdre toute prétention d'entrer comme premier en la troisième[1572], parce que je ne crois pas que je me doive attirer une concurrence sur les bras.

«Mais cela ne nous excluroit pas de l'ouverture que je vous fis hier de changer avec M. de Maupiau (sic[1573]), parce que, lui paroissant contre un homme qui n'a pas le service, la chose seroit sans difficulté, et par cet expédient plusieurs choses s'ajusteroient toutes à la fois; M. le procureur général verroit tousjours la première place de la troisième et la seconde de la première remplies par deux hommes dépendant de lui[1574], et j'essayerois de prendre de M. de M. (Maupeou) et de lui donner, de mon costé, les instructions nécessaires pour servir utilement chacun dans son nouveau poste. M. de M. (Maupeou) auroit une place de premier au lieu de celle de second qu'il occupe, et moi, je serois sans compétiteur et n'aurois personne intéressé à traverser ma réception. Outre que j'aurois moins d'argent à fournir, parce que M. de Maupeou contribueroit quelque chose pour la primauté et M. de G. se relascheroit de prix ne considérant plus la charge comme première et ne sachant pas l'usage que l'on pourroit faire de sa primauté.

«Mais le secret et la diligence sont infiniment nécessaires en cette affaire. Si on l'agrée, vous m'obligerez de me faire au plus tost réponse sur tout, afin que j'agisse: et, si on ne l'agrée pas, je vous seray tousjours obligé de m'oster le plus tost que vous pourrez de la teste une affaire qui me travaille.»

Il paraît que Fouquet, désireux de s'attacher le président de Périgny, se montra disposé à lui avancer une partie de la somme nécessaire pour l'acquisition de la charge à laquelle il aspirait. C'est ce qui résulte de la lettre suivante, adressée au même intermédiaire par M. de Périgny[1575]: «La répugnance que j'ai à demander et la crainte de devenir incommode à ceux qui me font l'honneur de me vouloir du bien m'ont fait faire mille réflexions fâcheuses sur la demande que je vous ai prié de faire pour moi. Mais, pour faire connoître à M. le procureur général que je n'agis pas en cela par la seule nécessité de l'occasion présente, je vous supplie de lui dire que, si dès à présent j'étois en possession du bien qui me doit venir quelque jour, je saurois bien me passer du secours qu'il m'a fait l'honneur de m'offrir et n'aurois besoin que de sa faveur; mais que même dans l'état présent, si, au lieu de me rembourser le fonds de mes quittances, il lui plaît de m'assigner un simple usufruit pour quelques années en tels droits qu'il lui plaira, dont il retiendra le fonds, je serai infiniment satisfait de sa bonté, parce qu'elle me donnera moyen de payer les arrérages des sommes que je serai contraint d'emprunter, en attendant qu'il me vienne de quoi les payer du mien, ou bien encore s'il vouloit me faire vendre des rentes ou des gages à bien bon marché et faire prendre pour argent mes promesses payables à longs termes.

«Je sais bien que tout cela ce sont des aumônes travesties, et c'est ce qui me fait rougir; mais j'ai assez de courage pour espérer que, par mes services à venir, je me purgerois d'une partie de la bassesse que je fais à cette heure Je suis tout à vous.

«Périgny[1576]

Une lettre autographe de Bessemaux[1577], adressée à Fouquet, prouve que le génie envahissant du surintendant s'était communiqué à toute sa famille. Bessemaux, après lui avoir parlé d'affaires sans importance, ajoutait que Saint-Aunais était disposé à traiter de Leucate avec l'archevêque de Narbonne. Ce poste fortifié avait une certaine importance pour le Languedoc. Il est vrai qu'à cette époque Saint-Aunais, qui était mal vu de la cour, se croyait menacé de l'exil auquel il fut bientôt après condamné. Bessemaux se doute bien que cette situation n'est pas étrangère aux résolutions de Saint-Aunais. «Je ne sais, écrit-il à Fouquet, si son être[1578] présent et la peur de voir tout démolir lui inspirent cette pensée. Quoi qu'il en soit, la fidélité que je veux toujours avoir pour tout ce qui vous touche m'oblige à vous dire cela, et si vous désiriez que de moi-même je l'entretienne dans cette pensée, je crois que j'aurois peu de peine à le faire soumettre à ce que vous pourriez désirer. Ne feignez pas[1579], monseigneur, de m'ordonner quelque chose là-dessus et croyez que je suis à l'épreuve de tout pour vous et plus que personne du monde.» Il signe: «Votre très-humble, très-obéissant et très-fidèle serviteur.»

Les lettres anonymes et pseudonymes abondent dans la cassette de Fouquet. En voici deux qui viennent d'une même personne, qui, la première fois, signe D.V., et la seconde fois Job. Serait-ce de Villefargeau, comme pourraient le faire supposer les initiales placées au bas de la première lettre qui est adressée à Pellisson? Il est impossible de rien affirmer. Nous avons vu que du Grave, sieur de Villefargeau, était dévoué à Fouquet et en recevait pension. Il était également familier chez la reine mère[1580]. Il serait donc possible que ces lettres vinssent de lui.

«Monsieur[1581],

«Je serois ingrat de toutes les bontés que vous me témoignez, si je ne vous faisois voir ma reconnoissance en toute rencontre. Vous saurez, monsieur, qu'il y a une femme qui dit que son mari est mort au service de monseigneur le surintendant, qui vous charge de mille imprécations et qui dit que vous êtes la cause qu'elle n'a point de satisfaction de mondit seigneur. M. Berryer se plaint pareillement de vous et dit qu'il vous a donné pour près de huit à neuf cent mille livres de billets sur votre bonne foi, et, lorsqu'il vous en a voulu demander un récépissé, vous le lui avez refusé. Il s'en est plaint à beaucoup de personnes. Une dame de la cour, dont l'on n'a pas voulu dire le nom, se plaint pareillement de vous. Cette dernière nouvelle m'a été dite par une personne qui est attachée à M. Bruant. C'est pourquoi je n'y ajoute pas grand'foi. Je suis, monsieur, votre très-humble, obéissant et obligé serviteur.

«D.V.»

La même personne adresse à Fouquet la lettre suivante[1582]:

«Monseigneur,

«J'ai été cette après-dînée dans la chambre de la reine mère. Comme elle est sortie avec Monsieur, je suis demeuré dans ladite chambre avec M. de Joyeuse et Aubery, interprète des langues, et Mercier, valet de chambre de la reine, l'un desquels est venu à parler de votre autorité. Joyeuse a fait réponse: Je ne trouve pas que leur autorité augmente, mais qu'elle diminue. Ne voyez-vous pas qu'ils n'ont su avoir raison d'un conseiller, de leurs parents, qui a eu des coups de bâton, et que, malgré toutes leurs poursuites, le roi a donné la grâce à ces soldats?

«Auparavant le départ du roy, le Tellier et Colbert ont eu trois conférences particulières avec le roi et la reine mère, près de deux heures chacune. J'ai su d'un payeur des rentes que la nuit d'auparavant que le Tellier allât en sa maison des champs, Colbert passe presque toute la nuit avec lui; il croit que ledit Colbert sera bientôt surintendant. Ce payeur des rentes-là est fort son ami.

«Je suis, monseigneur, avec respect, votre très-humble, très-obéissant et très-obligé serviteur.

«Job

Je rétablis ici le texte complet d'une lettre d'Hugues de Lyonne, dont je n'ai donné qu'un extrait. Il écrivait à Fouquet, le 16 février 1661[1583]: «J'ai fait ce matin ce que je vous avois dit touchant Chandemer; Son Émin. l'a fort approuvé, et j'escrirai dès aujourd'huy en cette conformité. N'en soyez plus en inquiétude.

«Je vous avertirai encore que S. Ém. m'a dit que vous luy aviez tenu un discours qui l'avoit infiniment satisfait. Je suis au désespoir que, quand il me disoit cela, M. le chancelier est entré, qui a rompu cet entretien, dans lequel il fust entré dans le détail. J'avois la plus belle occasion du monde de pousser la chose et de dire peut-estre ce que vous n'aviez pas dit. Je compte néanmoins pour beaucoup que vostre discours lui ait plu, et il me semble qu'il y a à en tirer des conjectures fort avantageuses.»

Une lettre d'Hugues de Lyonne à Fouquet insiste, comme celles que nous avons citées dans les Mémoires, sur le triste état de ses affaires[1584].

«Ce lundi matin.

«Je vous prie de vous souvenir de mes affaires, si vous en trouvez ce matin la conjoncture favorable, et, si vous y trouviez quelque résistance, de n'oublier pas de dire que, si j'eusse esté indiscret et voulu accepter l'offre de S. Ém., j'eusse profité mesme de cinq cent mille francs que je lui eusse osté de sa bourse; 2° que j'ay plus de besoin qu'on ne croit de toutes mes pièces et qu'avec mesme les cent mille escus, je devrai encore les cinquante mille francs, la pluspart de mes dettes ayant esté contractées pour le service du roy ou au moins tourné à sa gloire; 3° que sans la parole formelle que vous m'avez donnée des 300,000 livres, j'aurois mieux aymé et aymerois encore mieux aujourd'hui la charge particulièrement après la sortie de M. Colbert[1585], avec qui je ne voulois point de demeslés qui pût faire de l'embarras à S. Ém., et lequel vient luy-mesme de profiter de cinq cent mille francs qu'il mérite bien: 4° que l'intention de S. Ém. avoit paru de me donner cent mille francs sur la charge et que j'ay trouvé moyen de le descharger de cinquante mille par une affaire venue de mon industrie qui ne couste rien au roy ni à ses sujets.»

Louis Fouquet, évêque d'Agde, donnait à son frère, le 15 mai 1661, des nouvelles de Paris[1586]: «L'on m'a dit que M. l'abbé de Montaigu auroit l'évêché d'Évreux.

«Je vous avertis que quelqu'un a pris soin de faire courir ici (qu'il y ait fondement ou non) que vous étiez extraordinairement ennemi et aliéné de notre ordre[1587] et qu'à Fontainebleau vous en auriez donné de grandes marques.

«M. de Narbonne vient loger chez madame d'Amours à Paris, et non pas chez mon frère l'abbé, comme il avait résolu d'abord.

«Mon frère l'abbé tente fort [de s'introduire] chez la reine d'Angleterre. Il y a même fait quelque petit présent depuis peu.

«M. de la Garde cherche depuis longtemps à vendre le mont Saint-Michel.»

J'ai déjà fait remarquer que Fouquet prenait grand soin de faire surveiller Colbert. En voici une nouvelle preuve. On lui écrivait[1588]: «Un valet de chambre du duc de Bournonville, lequel veut quitter son maître, m'a dit qu'il entroit valet de chambre de M. Colbert et m'a promis de me dire tout ce qui s'y passera. C'est un M. du May qui le fait entrer, commis de Colbert[1589], et lui a dit qu'il falloit préférer la condition de M. Colbert à quelle condition que ce soit, parce que présentement il étoit assuré d'être surintendant des finances, conjointement avec vous, monseigneur, et peut-être qu'il sera surintendant tout seul. Ce sont les discours dudit du May au valet de chambre.

«M. de la Casgne m'a dit qu'il avoit à vous parler, et nous sommes demeurés d'accord que doresnavant il vous mandera tout par billet.

«Je suis obligé de partir dans deux jours pour faire marcher notre régiment. S'il vous plaît de me commander quelque chose, votre valet de chambre la Vallée sait où je loge. Je suis à vous, monseigneur, et tous ceux qui dépendront de moi, pour nous sacrifier pour votre service.

«Il y a un M. Tessie[1590], huissier de la chambre de la reine mère, lequel vous sollicite pour payement d'un billet de 3,500 livres, auquel billet j'ai moitié; mais parce que je ne vous persécute pas comme lui à vous solliciter, il prétend de me traiter fort en cadet. C'est pourquoi, monseigneur, je vous supplie très-humblement de me donner ce qui m'appartient sur ledit billet pour m'aider à faire mon voyage et m'obliger à être toute ma vie, comme je suis, votre très-humble serviteur.»

Un personnage qui paraît avoir été attaché à Jannart, substitut du procureur général du parlement de Paris, donnait à Fouquet des nouvelles de Paris pendant son voyage de Bretagne. Il lui écrivait, le 3 septembre[1591]:

«Monseigneur,

«Tout ce que j'ai pu dire de l'état de votre santé à ceux de vos amis qui m'en ont demandé souvent [des nouvelles] a été que jusques à Blois nous avions eu des nouvelles que vous vous étiez, grâce à Dieu, fort bien porté et que, lorsque j'en aurois de plus fraiches, je leur en dirois.

«Quant à ce qui s'est passé de deçà depuis mercredi que je me donnai l'honneur de vous écrire, je ne vois pas autre chose que les enregistrements qui furent hier faits au parlement des déclarations concernant les rentes à vie, de la tontine, de la suppression de l'édit des secrétaires du roi et de la charge de colonel[1592], entre lesquels il n'y en a point qui puisse produire quelque chose, si ce n'est celui des secrétaires du roi. Car pour la tontine, qui [à ce qu'il] semble, produiroit quelque chose, si elle avoit lieu, encore qu'elle soit vérifiée, ç'a été à la charge de modifications qui seront arrêtées par six commissaires de la cour, qui s'assembleront pour les dresser et en feront rapport à la compagnie. Ainsi c'est encore bien tirer de longue.

«Aussitôt que la chose à l'égard des secrétaires du roi fut faite au parlement, je portai le duplicata de la chambre des comptes à M. le procureur général de ladite chambre, lequel [duplicata] M. Jannart m'avoit laissé. Il le reçut fort bien, et, comme je le pressai d'expédier, parce qu'on en avoit besoin, il me promit que la chose ne dureroit point et qu'il y travailleroit incessamment, m'ayant prié seulement de lui en envoyer autant de l'arrêt du parlement pour s'y conformer, ce que j'ai fait, et demain je le retournerai voir pour savoir ce qu'il aura fait. Il n'y a autre modification dans l'arrêt [si ce n'est] qu'à l'ordinaire les gages attribués par l'édit ne seront payés qu'après les anciennes charges acquises. Ce qui n'est rien.

«Lesdits secrétaires du roi sont contents de nos diligences. Ils m'ont dit avoir payé cent mille écus et qu'ils payeront le reste sitôt que la vérification de ladite chambre sera faite, et ainsi je la presserai. Ils sortent de céans présentement pour me prier de voir M. le procureur général, s'il est nécessaire.

«Quant à l'édit d'extinction de la chambre de justice sur les gens d'affaires, M. le procureur général et M. de Breteuil vous en écrivant au long, il me seroit bien difficile de vous en rendre un meilleur compte. Je vous dirai seulement que M. le premier président trouve que le temps est bien bref pour prendre ses mesures à propos. Il demeure d'accord que le roi lui en a parlé; mais, comme cela ne fut pas suivi lors et qu'il n'avoit point vu l'édit, il n'en avoit aussi point parlé à la compagnie; ce qu'il eût fait à son retour de Fontainebleau, il y a quinze jours. Il ajoute qu'il a peur que le parlement n'arrête des remontrances, et qu'il ne veuille estre meilleur ménager que MM. des finances ne sont de quitter les gens d'affaires pour quatre millions au lieu de plus de trente qu'il feroit venir, si on lui laissoit la liberté d'une chambre de justice. A mon sens, je crois qu'il seroit fort mauvais de mettre entre leurs mains le pouvoir d'accabler tout le monde. Ce n'est point là leur affaire. Lundy on verra plus clair leur bonne intention.

«Ce matin, j'ai monté jusques à la cour des aides, où, causant avec le greffier, il m'a dit qu'on ne lui avoit point encore demandé les édits. Il me semble qu'ils devroient être retirés.

«M. le premier président et M. Ravot sont partis aujourd'hui pour aller à Fontainebleau recevoir, par la bouche de M. le chancelier, notamment ledit premier président, quelque réprimande de sa harangue.

«Ce matin, le commissaire Picard m'a dit qu'ils avoient reçu un arrêt du conseil pour procéder à la levée du scellé de M. le duc d'Épernon. Il n'y auroit possible pas de mal de voir ses tapisseries.

«M. Ceberet[1593] a envoyé la commission de la chambre de l'édit, qui, à mon avis, sera bien foible: de la grand'chambre, on y fait entrer M. Grangier; de la première, M. Fraguier et M. Amproux; de la seconde, point; de la troisième, M. Dubois; de la quatrième, M. le Vasseur; de la cinquième, M. Bochard. Je crois que M. le procureur général l'apportera (cet édit) au premier jour.

«Le commissaire la Vigne a enfin promis de porter à M. le procureur du roi l'information que vous savez. Nous verrons ce que c'est, et je vous en donnerai avis.

«M. Ménardeau m'a tantôt dit qu'il parlera lundi de l'affaire des vendeurs de volailles, et que M. le premier président lui avoit dit ce matin qu'il en falloit sortir.

«Nous avons nouvelles de Fontainebleau que M. le chevalier[1594] se porte beaucoup mieux, et madame la marquise[1595] et mesdemoiselles bien. Il n'y a que M. l'évêque d'Agde qui se porte mal; j'y ai passé tantôt; il attendoit encore la fièvre.

«M. Jannart et M. de Jarnay n'y étant pas, je ferai en leur absence ce qui se pourra présenter.

«Madame le Tellier est morte la nuit passée. M. Devaux[1596] m'a dit qu'il étoit après à disposer l'affaire que vous savez. Ce sera quand il voudra; car, pour le commissaire, il est tout prêt.»

Le premier président Guillaume de Lamoignon, qui contribua si puissamment à sauver Fouquet, n'avait pas toujours été en bonnes relations avec lui, à en juger par la lettre suivante[1597]:

«J'eus si peu de temps à vous entretenir, lorsque j'eus l'honneur de vous voir ces jours passés, que je n'ai pas pu vous dire que M. le président de Bragelonne m'avoit assuré bien savoir que M. le premier président seroit bien aise de se remettre avec vous. Il m'en parla, il y a quelque temps, en termes qui me firent bien connoître qu'il le disoit à dessein que je vous le fisse savoir. Mandez-moi, s'il vous plaît, si lorsque vous le vîtes dernièrement vous vous êtes réconciliés, et, en cas que vous ayez quelque chose de particulier à m'ordonner sur cela, prenez la peine de me le mander avec toute la confiance que vous devez avoir en votre obéissant serviteur.

«Vous croirez bien que c'est la part que je prends en tout ce qui vous regarde qui me donne cette curiosité. J'ai été deux fois à Saint-Mandé pour vous en parler.»

J'ai réservé pour la fin un certain nombre de lettres anonymes que j'attribuerais volontiers à M. de Nouveau, directeur des postes[1598]. Il a déjà été question (ci-dessus, p. 9) des moyens qu'employait Fouquet pour avoir connaissance des lettres qui l'intéressaient. De Nouveau lui parle dans plusieurs billets des papiers qu'il lui envoie ou qu'il se propose de lui porter[1599]. «J'envoie savoir si je pourrai sur les trois heures vous porter plusieurs papiers qu'il est bon que vous voyiez avant que l'on soit obligé de les rendre. Je serois bien aise aussi de profiter de cette occasion pour vous dire un mot d'une autre affaire qui regarde le marc d'or et vous assurer que je suis entièrement à vous.»

M. de Nouveau écrit encore à Fouquet[1600] une lettre qui atteste que sa position était menacée et qu'il avait besoin pour s'y maintenir de l'appui du surintendant: «Depuis avoir eu l'honneur de vous voir j'ai parlé à la reine mère et au roi. La première m'a promis de parler au roi pour accommoder toutes choses, et a sur ce fait connoître à Sa Majesté qu'il étoit nécessaire de récuser M. Berthemet. S. M. y a consenti, et m'a dit que demain matin il résolveroit la chose. Je l'ai conjurée de ne me pas abandonner sur ce que je l'avois fort bien servi dans tous les temps et étois en état de le faire encore. Le roi m'a répondu: «Je verrai toutes vos raisons.» Depuis, j'ai vu M. de Lyonne, que j'ai trouvé bien intentionné. Je vous rendrai compte de ce que nous avons concerté. Je vous supplie de ne rien oublier pour me sauver. Je tâcherai de vous en témoigner ma reconnoissance.»

La lettre suivante est plus explicite. Elle fait connaître qu'il s'agissait d'un partage de fonctions qui aurait enlevé à M. de Nouveau la connaissance des dépêches chiffrées[1601]: «Je viens présentement de parler au roi et lui ai donné ce que vous savez. En le prenant, Sa Majesté m'a dit: «Avez-vous vu M. le Tellier?» J'ai demandé sur quel sujet. A quoi il m'a fait réponse: «C'est pour Rossignol[1602], qui prétend «que l'on lui donne tous les chiffres.» A quoi j'ai reparti qu'il y a quelque temps que je savois que l'on me vouloit jouer cette pièce, parce que je n'avois pas voulu prendre des mesures avec de certaines gens. Il m'a fort pressé de lui parler franchement et qu'il me garderoit le secret. Je lui ai nommé l'homme. Il m'a assuré qu'il n'y avoit pas pensé, et, comme je lui ai représenté que c'étoit me dégrader des fonctions de ma charge, que je l'avois servi toujours et en tout temps avec bien de la fidélité, mais que depuis la mort de Son Éminence je m'y étois appliqué avec un si grand soin, que S. M. avoit vu qu'il ne s'étoit rien passé sans qu'elle en eût été informée. J'y ai ajouté que c'étoit peu de lui obéir et que si elle trouvoit que je fusse de quelque obstacle, je me retirerois chez moi et je lui obéirois en tout aveuglément. Il m'a dit: «Vous pouvez croire que je ne vous ordonnerai pas cela, étant content de vous. Je ne prétends pas faire tort à votre charge, lui donnant les chiffres et vous donnant le clair.» Je lui ai fait réponse que ce qui étoit en clair n'étoit rien. Je lui ai représenté que, se servant de R[ossignol], l'affaire ne pouvoit subsister parce qu'il faudroit un jour pour faire ce qui se fait en deux heures; que l'on vouloit employer R[ossignol] pour se rendre maître des dépêches, parce que R[ossignol] n'osant pas lui parler il faudroit qu'il donnât tout à M. le Tellier. J'ai fort appuyé sur cette impossibilité. A quoi il m'a répondu que c'étoit un homme qu avoit bien servi. Je lui ai répliqué que j'en avois fait de même et plus utilement; que Son Éminence avoit été huit ans sans s'en trouver mal, et que enfin il m'avoit prié de le continuer et de lui faire donner Espagne et Flandre seulement; et bien souvent Son Éminence m'ordonnoit de lui parler directement[1603]; que si Sa Majesté vouloit remettre les choses au même état, j'obéirois; mais que de me dégrader entièrement je ne pensois pas l'avoir mérité. Il m'a dit: «Ce n'est pas mon intention.» Enfin, après une fort grande conversation, il m'a dit: Eh bien, monsieur, je verrai.

«Voilà ce qui s'est passé, dont j'ai voulu vous rendre compte, parce que vous êtes assurément intéressé dans cette affaire par les services que je prétends vous y rendre. Mandez-moi ce que je dois faire, et si, nonobstant ce que je lui ai fortement représenté, je lui donnerai demain matin un placet pour lui faire connoître que ce sera du temps perdu, qui fera que l'on ne pourra travailler. Je ne veux agir que par votre ordre. Il me semble que, M. de Lyonne étant de vos amis, vous le pourrez prier d'appuyer cette affaire. Si vous le trouvez bon, je lui en parlerai demain avant le conseil. Pour M. le Tellier, je ne crois pas que je le doive voir. Je ferai néanmoins ce que vous m'ordonnerez. Je crois que, pour peu que vous appuyiez la chose, elle ira à l'avenir règlement. J'attendrai vos ordres sur ce que j'ai à faire, et si vous voulez bien que je vous voie après ce conseil, ne voulant pas faire un pas que par votre ordre.»

Les deux lettres suivantes n'ont d'importance que parce qu'elles prouvent à quel point le directeur des postes était dévoué à Fouquet. M. de Nouveau lui écrivait[1604]: «J'ai reparlé au roi, suivant vos ordres, qui m'a dit qu'il avoit vu mon placet et qu'il falloit instruire M. le chancelier de l'affaire pour l'en informer. Il me semble que vous ne m'avez pas dit que l'on l'eût résolu. Ainsi j'ai été auparavant en parler à M. le Tellier, qui m'a dit la même chose avec beaucoup de sécheresse que je n'ai pas fait semblant de remarquer, n'y ayant été que pour qu'il ne crût pas que j'affectois de ne le pas voir.

«J'ai été me plaindre à M. de Gourville des méchantes impostures qu'il vous a données sur mon quatriennal de général des postes. Je l'ai fait convenir que, chaque charge n'étant que à cent mille livres, l'on ne pouvoit pas taxer le quatriennal Cm L. (cent mille livres) ni CLm l. (cent cinquante mille livres); que j'en avois déjà payé XXXIIIIm l. Je vous supplie très-humblement de vouloir considérer mes justes raisons avec cette bonté que vous avez eue pour moi en tant de rencontres et de vous bien persuader qu'il n'y a homme au monde qui soit plus attaché à vos intérêts que je le suis, ni qui par le temps mérite mieux ni avec plus de soin et de ponctualité les grâces que vous lui ferez.

«Après cette véritable protestation, si vous voulez prendre sur les cent mille livres qui me sont dues quelque partie pour ma taxe, vous en serez le maître. Je souscrirai à tout ce qu'il vous plaira; mais en ce cas je vous demande que vous me donniez des assignations pour le reste. Quoi que vous ordonniez, je vous assure déjà que j'en serai très-content, ne doutant pas que me confiant à vous au point que j'y suis, vous ne vouliez accommoder mes affaires, et que je ne me ressente de la protection que vous m'avez fait l'honneur de me promettre et dont je tâcherai de me rendre digne par tout ce que je croirai qu'il faudra faire pour votre service et pour votre satisfaction; à quoi je vous promets de ne pas perdre un moment. Ordonnez après cela ce qu'il vous plaira.»

La dernière lettre, attribuée à M. de Nouveau, est relative à des discussions de préséance, et remplie de protestations d'attachement à Fouquet[1605].

«Je ne me suis pas donné l'honneur de vous voir sur ce qui arriva aux Feuillants, parce que M. Jeannin me dit qu'il vous en avoit rendu compte et que vous avez eu la bonté d'approuver la chose, puisque la difficulté que nous faisons pour la préséance ne regarde pas l'intérêt que vous pouvez avoir en cette affaire. J'ose croire que vous me faites bien la justice d'estre persuadé que je n'en puis jamais avoir d'autres ni en cette occasion ni dans aucune autre. M. l'évêque d'Agde, même après l'en avoir entretenu, me témoigne en être content, sans que je cherche des discours pour l'assurer de mes services. Cependant l'on me vient de dire qu'il vous avoit parlé de cette affaire bien autrement pour me rendre de mauvais offices, quoique j'aie des preuves assez essentielles de votre bouche pour ne pas craindre que, sur ce que l'on vous pourroit dire, vous me voulussiez condamner ni me soupçonner pour ce [de] jamais manquer au respect que je vous dois et que je vous rendrois en tous rencontres. Quelque certitude que j'aie de votre justice, je ne laisse pas d'en avoir de l'inquiétude comme de la chose du monde qui m'est la plus chère. Je vous supplie de me tirer d'embarras par un mot. A mon retour, j'aurai l'honneur de vous voir et de vous confirmer les assurances de mes services très-humbles.»

V

confiteor de fouquet.

J'ai indiqué ci-dessus (p. 323), à quelle occasion fut probablement composé le Confiteor de Fouquet. Une copie de cette pièce est conservée dans les manuscrits de la bibliothèque de Bourges, au milieu d'un livre de prières. J'en dois l'indication à M. Corrard, maître de conférences à l'École Normale et professeur de rhétorique au collège Rollin, et la transcription à M. Delouche, professeur de rhétorique au lycée impérial de Bourges:

Dans ce funeste estat où chacun m'abandonne,
Que contre moy les loix exercent leur pouvoir,
La mort, la triste mort n'a plus rien qui m'estonne,
Et je dis de bon cœur, pour faire mon debvoir:

Confiteor

Ces respects que chacun me rendoit à toute heure.
Tous ces divins honneurs que partout on m'offroit.
Ces superbes lambris de mes riches demeures,
Tout cela m'empeschoit de ne penser jamais

Deo

Je n'eus d'autre desseins que de ruiner la France;
A mes désirs pervers mon esprit s'employoit,
Et par là je m'estois acquis tant de puissance,
Que partout on me comparoit

Omnipotenti

Je foulois à mes pieds et la pourpre et l'ivoire,
Chez moy l'or et l'argent s'entassoient à monceaux,
Je mettois en ces biens mon bonheur et ma gloire,
Et j'aymois tous ces biens plus que tous les tableaux

Beatæ Mariæ

Bien que je prisse à toutes mains,
Jamais mon cœur ne se put rendre,
Et j'avois de si grands desseins,
Que pour y réussir partout il falloit prendre

Semper

Sur chacun j'ay fait ma fortune,
J'ay volé le marchand, j'ay volé le bourgeois,
Et je me souviens qu'autrefois
J'ay ravi l'honneur à plus d'une

Virgini

Jamais toute la terre humaine
N'eust sceu peser tous mes trésors;
Elle auroit employé vainement ses efforts,
Puisqu'un fardeau si lourd auroit fait de la peine

Beato Michaeli archangelo

Dans ce comble d'honneur rien ne m'estoit contraire:
J'estalois mes grandeurs en ballets et festins,
J'estimois plus la cour qu'ensemble tous les saincts,
Je fis cent feux pour elle, et jamais un pour plaire

Beato Joanni Baptistæ

Je n'eus point de respect pour le sainct Évangile,
En tout temps, en tout lieu j'eus mépris pour la croix;
En vain pour me prescher on employoit la voix,
Cette peine eust esté tout ensemble inutile

S. A. P. P. O. S. et tibi, Pater

Mais ce qui me fait voir encor plus criminel.
Et qui redouble mon martyre,
Le trouble que j'ay fait est tel,
Que pour m'en excuser je n'ay plus lieu de dire

Quia

Pendant les premiers temps de ma gloire passée,
L'esclat où je vivois esblouit ma raison,
Je me plaisois à voir la France renversée,
Et je ne dis jamais pour mes crimes un bon

Peccavi

Le peuple cependant contre moy murmuroit,
Les paysans foules crioient partout vengeance.
Un chacun, en un mot, surpris de ma puissance,
Disoit tout haut que c'en estoit

Nimis

Bien qu'ayant de l'Estat tant troublé les affaires,
Qu'il semblast que la France eust plié sous mes lois
Et que tout fust réduit aux dernières misères,
J'en aurois proposé bien d'autres toutefois

Cogitatione

Ouy, j'avais des desseins que je n'ose vous dire,
Pour le succès desquels je voulois tout ruiner.
Je ne puis y penser que mon cœur ne souspire,
Et moins encore l'exprimer

Verbo

Mais si, pour renverser la France,
A cent desseins pervers j'appliquois tous mes soins,
Si des grands pour cela j'employois la puissance,
Je ne travaillois guères moins

Opere

Mais puisqu'enfin il faut périr,
Et que sur moy des loix s'exerce la justice,
Sans le moindre murmure on me verra mourir,
Et confesser tout haut[1606]...

Mea culpa.

VI

résumé du procès de fouquet, par olivier d'ormesson[1607].

Après avoir retracé en détail tous les incidents du procès de Fouquet, Olivier d'Ormesson le résume dans le passage suivant: «Voilà ce grand procès fini, qui a été l'entretien de toute la France du jour qu'il a commencé jusques au jour qu'il a été terminé. Il a été grand bien moins par la qualité de l'accusé et l'importance de l'affaire que par l'intérêt des subalternes, et principalement de Berryer, qui y a fait entrer mille choses inutiles, et tous les procès-verbaux de l'Épargne, pour se rendre nécessaire, le maître de toute cette intrigue, et avoir le temps d'établir sa fortune; et, comme par cette conduite il agissoit contre les intérêts de M. Colbert, qui ne demandoit que la fin et la conclusion, et qu'il trompoit dans le détail de tout ce qu'il faisoit, il ne manquoit pas de rejeter les fautes sur quelqu'un de la Chambre: d'abord ce fut sur les plus honnestes gens de la Chambre qu'il rendit tous suspects, et il les fit maltraiter par des reproches publics du roi.

«Ensuite il attaqua M. le premier président, et le fit retirer de la Chambre et mettre en sa place M. le chancelier. Après il fit imputer toute la mauvaise conduite de cette affaire à M. Talon, qu'on ôta de la place de procureur général avec injure; et enfin, la mauvaise conduite augmentant, les longueurs affectées par lui continuant, il en rejeta tout le mal sur moi; il me fit ôter l'intendance de Soissons; il obligea M. Colbert à venir faire à mon père des plaintes de ma conduite, et enfin l'expérience ayant fait connoître qu'il étoit la véritable cause de toutes les fautes, et les récusations ayant fait voir ses faussetés, les procureurs généraux Hotman et Chamillart lui firent ôter insensiblement tout le soin de cette affaire, et, dans les derniers six mois, il ne s'en mêloit plus, et pour conclusion il est devenu fol.

«Ainsi le procès s'est terminé, et je puis dire que les fautes importantes dans les inventaires, les coups de haine et d'autorité qui ont paru dans tous les incidents du procès, les faussetés de Berryer et le mauvais traitement que tout le monde et même les juges recevoient dans leur fortune particulière, ont été de grands motifs pour sauver M. Fouquet de la peine capitale; et la disposition des esprits sur cette affaire a paru par la joie publique que les plus grands et les plus petits ont fait paroître du salut de M. Fouquet, jusqu'à tel excès qu'on ne le peut exprimer, tout le monde donnant des bénédictions aux juges qui l'ont sauvé, et à tous les autres des malédictions et toutes les marques de haine et de mépris, les chansons contre eux commençant à paroître, et je suis surpris que, y ayant quinze jours passés que cette histoire est finie, le discours n'en finit point encore, et l'on en parle par toutes les compagnies comme le premier jour.»

VII

influences exercées sur les membres de la chambre de justice pendant le procès de fouquet.

Les ministres, et surtout Colbert, ne cessèrent, pendant le procès de Fouquet, d'exercer sur les juges une pression dont nous avons cité de nombreuses preuves; mais l'opinion publique, les prières de la famille, et quelquefois même les sollicitations des seigneurs et des princes ne furent pas moins vives, et eurent plus d'influence sur les membres de la Chambre. Olivier d'Ormesson, qui n'est pas disposé à exagérer ces influences opposées aux vœux de la cour, en parle cependant dans son Journal[1608].

«Le fils de M. de Pontchartrain ayant vu les différents sentiments du public sur mon avis et celui de M. de Sainte-Hélène et de M. Pussort, se mit à genoux devant son père pour le conjurer de ne pas se déshonorer et toute sa famille par un avis de mort, et lui dit qu'il étoit résolu de quitter sa robe si ce déplaisir lui venoit. M. Hérault, qui avoit dit à plusieurs qu'il ne retourneroit point dans sa province (la Bretagne) les mains sanglantes, et qu'après avoir entendu mon avis, il en étoit convaincu, changea néanmoins et conclut à la mort, parce que M. d'Arbon, commis de M. le Tellier, y fut quatre fois, la veille, le presser et l'intimider, de sorte qu'il ne le quitta pas qu'il ne lui eût donné parole de suivre l'avis de M. de Sainte-Hélène.

«L'on impute à M. le Prince[1609] l'avis de M. de la Toison: on dit qu'il lui envoya Guitaut, et l'obligea de lui donner sa parole pour M. Fouquet. Je ne sais si cette sollicitation est véritable; mais je sais fort bien certainement, d'une personne sûre, qui me l'a dit depuis le procès jugé, que, dès le voyage de Fontainebleau[1610], M. le Prince avoit témoigné des sentiments très-favorables à M. Fouquet. Je sais encore que, dans la Bourgogne, tous les bons juges de M. de Marillac[1611] sont en estime, et que les autres, même leurs enfants, sont en horreur, et que M. de la Toison ne vouloit pas se déshonorer dans sa province.

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