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Mémoires sur la vie publique et privée de Fouquet, surintendant des finance et sur son frère l'abbé Fouquet

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«L'on dit que M. de Lesdiguières avoit gagné M. de la Baulme, et même M. de Bessemaux[1612], chez qui il loge, parce que, du vivant de M. le cardinal, il étoit le confident de M. Fouquet. A quoi je ne vois pas d'apparence, Bessemaux étant dévoué au siècle présent. L'on dit aussi que les enfants[1613] de M. Catinat lui ont parlé fort honnêtement, et il s'étoit conduit sur cette affaire avec tant de réserve qu'il étoit mis au nombre des douteux.»

VIII

chanson sur le procès de fouquet.

Le procès de Fouquet donna lieu à un grand nombre de chansons où éclate la haine contre le gouvernement et les réformes qu'il tentait. On les trouve dans les recueils du temps et dans le Nouveau Siècle de Louis XIV (t. II). En voici une qui ne brille pas par la poésie, mais qui résume assez nettement l'opinion qu'on se formait alors des juges et des mobiles qui les faisaient agir. Elle fut composée aux fêtes de Noël 1664[1614]:


1

A la venue de Noël
Chacun se doit bien réjouir,
Car Fouquet n'est point criminel;
On n'a pu le faire mourir.

2

Quand, par ses malices, Berryer
Dedans l'abîme l'attira,
Il étoit dans un grand bourbier,
Mais d'Ormesson l'en retira.

3

Sainte-Hélène fort s'emporta
Quand il se mit à rapporter,
Et le premier il protesta
Qu'il le falloit décapiter.

4

«J'ai, dit-il, un double argument,
Messieurs, pour fonder mon avis;
L'un est: Je serai président[1615],
L'autre est dedans la loi, Si quis

5

«[O grand] Dieu [s'écria Pussor],
Qu'il est profond [qu'il est savant]
En peut-on trouver un plus fort
Pour régir le sénat normand?

6

«Mais, messieurs, ajoutons encor
Un troisième raisonnement,
Par où je conclus à la mort,
Et non pas au bannissement.

7

«Quand d'ardoise il couvrit un toit,
L'autre de tuiles seulement,
Fut-ce pas pour tromper le roi?
Répondez à cet argument[1616]

8

«Il est fort bon,» dit Gisaucour.
Et Ferriol pareillement:
«Messieurs, admirons son discours
Et le suivons aveuglément.»

9

Hérault dit: «Vous n'avez pas tort,
Et quand il n'auroit fait que Vaux,
N'est-il pas bien digne de mort
D'avoir tant dépensé en eaux?»

10

«Pour moi, je n'y répugne pas,
Ajouta le petit Noguès;
Car je prétends l'évêché d'Acqs (de Dax)
Pour mon frère le Béarnès.»

11

Roxante (Roquesante), assuré Provençal
Se mit alors en grand émoi,
Et dit: «Messieurs, vous faites mal,
Quand vous tronquez ainsi la loi.»

12

Il leur expliqua donc la loi,
D'une très-savante façon,
Disant: «Messieurs, une autre foi
Apprenez mieux votre leçon.»

13

La Toison, sitôt qu'il finit,
En faveur de Fouquet parla,
Et ne voulut pas qu'on punît
En lui les crimes de Sylla.

14

La Baulme vint à son secours
Et suivit le grand d'Ormesson;
Quelqu'un m'a dit que son discours
Fut très-petit, mais qu'il fut bon.

15

Verdier s'emporta là-dessus,
Et par maint auteur allégué
Il leur prouva que tout au plus
Il devoit être relégué.

16

«Mais pour ces messieurs contenter,
Dit raillant le grand Massenau[1617],
Si l'on faisoit décapiter
Les Mirmidons qui sont à Vaux?»

17

«Je ne leur ferai point de mal,
Non plus qu'à Fouquet», dit Moussy
« Ni moi», dit M. Catinat,
«Ni moi,» dit Le Féron aussy.

18

«Je sais bien, dit Brillac, par où
Nous mettre, messieurs, tous d'accord;
Qu'on lui mette la corde au cou,
Mais que l'on ne serre pas fort.»

19

«La corde au cou! cria Regnard,
Je crois que vous n'y pensez point.»
«Dieu nous préserve, dit Besnard,
D'un ministre la torche au poing!»

20

Poncet ne montra point de fiel,
Comme avoit fait Pussort;
Mais par un discours tout de miel
Conclut doucement à la mort.

21

Monsieur le prévôt des marchands[1618]
Ne parut pas si modéré;
Ce n'est pas qu'il soit trop méchant,
Hais Fouquet l'a voit ulcéré:

22

«En raisonnements superflus
Je ne veux point perdre de temps.
Ni combattre des corrompus,
«Des lâches et des ignorants.

23

Pontchartrain dit: «Ces nouveaux noms
Nous conviennent bien moins qu'à toi;
Tes rentes et tes pensions,
Tes procès-verbaux en font foi.»

24

Si Séguier eut raison ou tort,
Je ne déclarerai pas ce point.
Je l'honore et révère fort;
C'est pourquoi je n'en parle point.

25

Mais, pour finir notre chanson,
Que chacun se mette à crier:
«Gloire soit au grand d'Ormesson
Et le diable emporte Berryer!»

IX

conduite de louis xiv a l'égard du rapporteur du procès de fouquet.

Nous avons vu (p. 439) que la résistance d'Olivier d'Ormesson aux volontés hautement manifestées de la cour entraîna sa disgrâce. Cependant on ne trouve rien, dans son Journal, qui puisse justifier une anecdote racontée par la Hode, dans son Histoire de Louis XIV[1619] et répétée par M. de Sismondi, dans son Histoire des Français[1620]. D'après ces écrivains, Louis XIV aurait personnellement sollicité Olivier d'Ormesson, pour ce qu'il appelait son affaire, et d'Ormesson lui aurait répondu: «Sire, je ferai ce que mon honneur et ma conscience me suggéreront.» Dans la suite, Olivier d'Ormesson, sollicitant pour son fils le titre de maître des requêtes, le roi lui aurait dit: «Je ferai ce que mon honneur et ma conscience me suggéreront.» Rien n'est moins vraisemblable que ce récit. Il n'était pas dans le caractère de Louis XIV de descendre à des sollicitations personnelles, ni dans celui d'Olivier d'Ormesson de répondre au roi avec une hauteur insolente.

Au lieu de ces anecdotes, le Journal d'Olivier d'Ormesson donne un récit détaillé de la démarché qu'il lit près du roi quelques jours avant la mort de son père, et lorsque déjà l'on désespérait de sa vie[1621]. «M. Pelletier[1622] m'écrivit qu'il étoit bon d'aller voir le roi et M. Colbert. A midi, je montai en carrosse pour aller voir M. Colbert; je ne le trouvai pas, et l'on me dit qu'il dineroit au Louvre. Je fis écrire mon nom. De là, je fus au Louvre. Étant monté par la petite montée, à cause que la reine loge dans l'appartement du roi, je demeurai quelque temps dans un petit cabinet par où le roi devoit passer sortant du conseil. Mais ayant pensé que M. Colbert me verroit en sortant, je descendis dans l'appartement de la reine mère[1623], où je reçus accueil de tous ses officiers; et l'huissier ayant dit mon nom, madame de Beauvais[1624] me vint quérir où j'étois pour me présenter à la reine-mère. J'entrai dans la chambre, et lui fis une profonde révérence. Elle me fit bon visage, me demanda des nouvelles de mon père, me dit qu'elle se souvenoit toujours de Calais quand elle me voyoit; que j'y servois fort bien[1625]; me parla du feu des halles, et enfin me témoigna beaucoup de bonté.

«M. le Prince étoit au coin de la cheminée, qui me fit, des yeux, bien de l'amitié, et enfin coula le long du paravent pour s'approcher de moi, et me dit; «Je vous ai fait faire compliment de ma part, et je suis bien aise de vous assurer moi-même de mes services et de l'estime que j'ai pour vous.» Je lui répondis par une profonde révérence.

«Je sortis incontinent, crainte de perdre l'occasion de parler au roi. Étant dans le cabinet, le roi vint; je me présentai à lui. Il me demanda: «Comment se porte votre père?» Je lui dis qu'il n'avoit point de mauvais accident; mais son grand âge et son mal nous donnoient bien de la crainte. Il me demanda encore, marchant toujours, s'il avoit de la fièvre. Lui ayant dit qu'il en avoit peu, voyant que je suivois, il s'arrêta sur la porte de la chambre de la reine mère; je lui dis que mon père m'avoit commandé d'avoir l'honneur de remercier Sa Majesté de la bonté avec laquelle il avoit reçu la très-humble prière qui lui avoit été faite par M. l'évêque d'Agen[1626] de me conserver la grâce qui lui avoit été accordée, et dont il avoit trouvé bon qu'il le remerciât; que je suppliois en mon particulier Sa Majesté de me continuer l'honneur de ses bonnes grâces. Le roi me répliqua: Quand vous les mériterez, je vous les accorderai volontiers.» Et aussitôt il entra dans la chambre, et moi je me retirai. La sécheresse de cette réponse laissait peu d'espoir à Olivier d'Ormesson, et en effet la place de son père fut donnée à Poncet[1627], un des juges de Fouquet. Il sollicita, avec aussi peu de succès, comme le prouve son Journal, plusieurs autres places qui devinrent vacantes au conseil d'État. Jamais Louis XIV ne lui pardonna l'indépendance dont il avait fait preuve comme rapporteur du procès de Fouquet.

X

la chambre de justice continue le procès des financiers après la condamnation de fouquet.

La Chambre de justice ne cessa pas aussitôt après la condamnation de Fouquet. Les financiers qui avaient été enveloppés dans ce procès furent condamnés à payer des taxes considérables. Olivier d'Ormesson retrace, dans son Journal, les dernières séances et les résultats de cette Chambre. «Le dimanche, 18 octobre 1665[1628], M. le Pelletier m'envoya quérir pour aller souper chez M. Boucherat avec M. Brillac. Là j'appris que le traité des taxes de la Chambre de justice avoit été signé, devant le roi, à cent dix millions, savoir, deux millions en argent comptant, vingt millions en argent payables en cinq ans, trente-huit millions en billets, et cinquante millions en rentes, droits et autres bons effets; qu'il n'y avoit d'exceptés de ce traité que Marchand, les deux Monnerot et le duché de Penthièvre; que la difficulté étoit quelle compagnie on formerait pour juger tous les incidents et faire vendre les immeubles. L'on dit que l'affaire de M. de Guénégaud s'accommoderait: 1° il n'étoit point excepté du traité; 2° madame de Sully[1629] avoit envoyé dire chez le maréchal d'Albret[1630] que, dans trois jours, l'on verroit combien la famille de Guénégaud avoit obligation à M. le chancelier; 3° le roi avoit écouté sur cela assez favorablement MM. d'Albret et Duplessis, et dit que l'on dit, de sa part, à Colbert, de lui en parler; 4° la mort de M. Hérault[1631], qui rompoit les mesures; 5° le retardement affecté depuis cinq ou six jours.

«Le mercredi, 18 novembre[1632], j'appris que M. le chancelier avoit, le lundi, parlé à madame de Guénégaud, et lui avoit dit, par ordre du roi, qu'il falloit que M. de Guénégaud optât, ou de prendre abolition et reconnoître avoir commis les faussetés dont il étoit accusé, et dire le fait comme il s'étoit passé, ou que le roi le feroit juger par de nouveaux commissaires, et qu'elle avoit répondu qu'avant de parler il étoit nécessaire qu'elle en pût communiquer avec M. de Guénégaud et avec son conseil. Je sus aussi que, le mardi, après midi, la question de l'hypothèque des taxes avoit été jugée devant le roi; que MM. de Sève, d'Aligre et de Villeroy avoient été d'avis que le roi ne pouvait avoir privilège pour le payement des taxes au préjudice de créanciers antérieurs; que c'était une maxime nouvelle qui ne pouvoit être établie que par une déclaration qui ne pouvoit avoir son effet que pour l'avenir, et non pour le passé; que M. Colbert, après avoir reconnu que c'étoit une maxime nouvelle, avoit conclu qu'elle étoit nécessaire pour le payement des taxes, et qu'autrement le traité de cent dix millions seroit inutile; que M. le chancelier avoit été de cet avis, et que le roi avoit suivi l'avis de M. le chancelier. C'est une résolution qui étonne tout le monde; elle ruine tous les créanciers des financiers; elle ruine tout le commerce d'argent avec les gens d'affaires; elle ruine le roi, parce que les financiers, n'ayant plus de crédit, ne pourront plus faire aucune avance au roi, et il est certain qu'après que ces taxes-ci seront payées, il faudra abolir cette maxime et rétablir la contraire. L'on signifie tous les jours des taxes qui sont si extraordinairement grosses qu'elles emportent au moins tous les biens des taxés, et il paroît impossible qu'elles puissent être acquittées. C'est une plainte générale contre la rigueur de ces taxes.

«Le jeudi, 17 décembre[1633], je fus au Petit-Arsenal, où la Chambre de justice s'assembla chez M. Clapisson, à cause que M. le cardinal des Ursins étoit logé dans le Grand-Arsenal, dans l'appartement du grand-maître[1634]. M. le chancelier étant arrivé, l'on discourut de la forme de vérification des abolitions. M. le chancelier demanda à M. Chamillart, qu'on fit entrer pour y être présent, comme il devoit en user, disant qu'il falloit faire deux séances, et ordonner que le procureur général donnerait ses moyens d'obreption et subreption. M. de Brillac dit qu'il y auroit inconvénient, forma des difficultés, prétendant qu'il serait mieux de finir aujourd'hui, et il me semble qu'il ne disoit pas cela à propos; car leurs règles étoient prises, et il n'étoit pas capable de les faire changer. Enfin M. de Guénégaud, vêtu de noir, s'étant avancé au-devant du barreau, M. le chancelier lui a fait lever la main et prêter le serment de dire la vérité. Ensuite le greffier lui ayant dit de se mettre à genoux, il s'y est mis un genou à terre seulement. M. le chancelier ayant dit qu'il falloit y mettre les deux genoux, il les y a mis; et puis M. le chancelier lui a demandé s'il avoit obtenu des lettres d'abolition, il a dit que oui; si elles contenoient la vérité, a dit que oui; s'il vouloit s'en servir, a dit que oui. J'oubliois qu'avant de faire entrer M. de Guénégaud, M. Poncet a lu la requête de M. de Guénégaud, disant que, dans le procès criminel intenté contre lui, il avoit obtenu lettres d'abolition, et qu'il en demandoit l'entérinement; que sur cette requête, ayant été ordonné le soit monstré[1635], le procureur général avoit donné ses conclusions; que ledit sieur de Guénégaud, mandé en la Chambre et ouï, il ferait ce que de raison. Sur quoi il avoit été mandé, et, après avoir répondu ce que dessus, M. le chancelier a ordonné la lecture des lettres; ce que Foucault a fait. Elles contiennent la confession de tous les chefs d'accusation. A la fin, il y a: «Sa Majesté se réservant de le taxer à telle somme qu'elle avisera.» La lecture achevée, M. de Guénégaud toujours à genoux, et lui retiré, le procureur général a requis de bouche la communication desdites lettres pour y donner ses moyens d'obreption et de subreption. M. le chancelier ayant demandé les avis, les conclusions ont été suivies. Après, on s'est levé et retiré.

«Le vendredi, 18 décembre, le matin, à la Chambre de justice, chez M. Clapisson, M. le chancelier venu, M. Poncet a lu la requête de M. de Guénégaud, les lettres d'abolition avec les conclusions du procureur général, qui ne les empêchoit être entérinées, à la charge que Sa Majesté ferait telle taxe qu'elle aviserait, et de dix mille livres d'aumône. M. Poncet a dit que le procès de M. de Guénégaud avoit été instruit, rapporté, vu, et que les juges devoient juger selon la rigueur des ordonnances et des lois, et ne pouvoient pas s'en départir; mais que les rois pouvoient les combattre par la clémence; qu'il se souvenoit d'un beau mot d'un grand chancelier d'un grand roi d'Italie, Théodoric, Cassiodore: Felix querela, cum justitia pietate vincitur; que le roi avoit fait grâce à M. de Guénégaud par ses lettres d'abolition, et qu'il étoit d'avis de les entériner, à la charge de la taxe et de l'aumône de dix mille livres; Tous ont été du même avis, sans parler, sinon M. Brillac, qui a dit que l'on ne condamnoit point un accusé à une aumône sans l'interroger, et qu'il étoit mieux de ne pas parler de la taxe, le roi la pouvant faire, et même étant juste qu'il la fit. M. le chancelier a dit que c'étoit M. de Guénégaud qui avoit lui-même dressé ses lettres et les avoit présentées avec cette clause, et ainsi qu'il n'y avoit rien à dire. Après, il a dit que les comédies finissoient par des mariages, et la Chambre de justice par la clémence; qu'elle ne s'assembleroit plus là. On s'est ensuite retiré.»

XI

convention pour la garnison de belle-île.

Le chevalier de Maupeou, dont Fouquet parle dans le projet trouvé à Saint-Mandé, avait conclu un traité avec un capitaine suisse pour l'entretien de cinquante soldats de la même nation dans la forteresse de Belle-Île. Une copie de ce traité se trouve dans les papiers de Fouquet(t. II, p. 334).

«S'ensuit ce qui a été convenu entre le chevalier de Maupeou et le sieur Jean-Jacques Knopfly, du canton et de la ville de Zug en Suisse, pour l'entretien de cinquante soldats de la mesme nation en garnison à Belle-Isle:

«1° Ledit sieur Knopfly sera obligé d'entretenir audit lieu la quantité de cinquante hommes, lui compris, le sergent et toutes les autres hautes payes, moyennant la somme de mille cinquante livres par chacun mois;

«2° Mondit sieur de Maupeou sera obligé de luy faire payer toujours un mois d'avance sur le lieu;

«3° En cas que quelque soldat tombe en quelque faute, ledit soldat sera châtié par la justice des Suisses à la rigueur;

«4° Il sera permis audit sieur Knopfly d'avoir un de ses soldats qui ait pouvoir de vendre du vin, bière ou autres choses pour la nécessité de ses camarades et non à personne autre, sans payer aucun droit;

«5° Quand on n'aura plus besoin de leurs services, et que l'on les voudra congédier, l'on leur payera un mois de gage pour s'en pouvoir retourner à leur pays;

«6° Le présent traité commencera le quinzième de ce mois.

«Nous, soussignés, promettons exécuter ponctuellement tout ce qui est contenu au traité ci-dessus, à Paris, ce vingt-sixième mars mil six cent soixante-un.

«Le chevalier de Maupeou,
Jean-Jacques Knopfly

La date de ce traité est importante. On voit, en effet, que postérieurement à la mort de Mazarin, Fouquet faisait encore lever des troupes étrangères par un des hommes qu'il regardait comme dévoués à ses intérêts, et qu'il avait désigné nominativement pour le seconder dans son projet de guerre civile. C'est une nouvelle preuve de la persistance avec laquelle Fouquet poursuivait son plan.

XII

l'amiral de neuchèse et fouquet.

M. de Neuchèse, dont il a été souvent question dans l'histoire de Fouquet, était commandeur de l'ordre de Malte. Il avait été nommé vice-amiral et intendant général de la marine le 7 mai 1661, en remplacement de Louis Foucault de Saint-Germain, maréchal de France, décédé.

Après l'arrestation de Fouquet, le commandeur de Neuchèse fut accusé à la cour, comme le prouvent plusieurs lettres autographes qui sont entre les mains de M. Armand de Neuchèse et qui ont été communiquées par M. Beauchet-Filleau, correspondant du ministère de l'instruction publique. Voici d'abord une lettre de Colbert, datée de Fontainebleau, 17 octobre 1661:

«Monsieur, je me remets à ce que vous dira vostre secrétaire e à tout ce que vous aurez pu apprendre par vos amis touchant l'estat de vos affaires en ce pays-cy. Il est vray qu'elles ne sont pas en tel estat que je pourrois le souhaiter; mais je ne les tiens pas si désespérées que vous ne puissiez encore les raccommoder. Je suis de tout mon cœur, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

«Colbert

Une seconde lettre, du 19 octobre 1661, sans signature, est aussi relative aux accusations qui pesaient sur le commandeur de Neuchèse par suite de ses relations avec Fouquet: «Vous saurez tout par le porteur et la lettre de M. Matarel. On vous a servi ici de bonne manière, et en vérité vous en aviez grand besoin. On n'a jamais vu une telle rage que celle de M. Fouquet; car il a fait tout son possible pour perdre amis et indifférents. Madame du Plessis est accusée d'avoir servi à ses galanteries. Bref, c'est un abîme que tout ce qu'a fait cet homme-là; songez à vous en allant presser incessamment votre armement, et à servir nostre maistre en fesant parler, s'il y a lieu, de vous. Remerciez Colbert; écrivez-lui et au Roy une lettre d'assurance de fidélité dernière. Nous la donnerons, s'il y a lieu; le reste au porteur, estant tout à vous sans réserve... De Fontainebleau, ce 19 octobre 1661.

«P. S. Assurément on fera le procès à M. Fouquet. Si vous aviez le temps, on vous pourrait bien mander de venir ici dire votre projet[1636]; mais n'y songez pas, si on ne vous l'ordonne.»

Le commandeur de Neuchèse ne partit pas immédiatement, comme le prouve la lettre que lui écrivait le duc de Vendôme, le 31 octobre 1661:

«Monsieur, vous vous tenez fort caché sur tous les bruits qui ont couru à la cour, et les démarches de vostre secrétaire sont cause que ces bruits se confirment. Pour moi, comme vostre amy, lorsqu'on m'en parle, je responds des épaules et je ne sçay que dire, puisque vous vous estes caché de moi comme des autres. Vous estes bon et sage; mais la Toussaint vous trouve encore non embarqué. Croyez que cela vous faict grand tort et plus que je ne vous le sçaurois dire. Remédiez-y et promptement... Je remets le surplus au sieur Matarel et suis votre bien humble serviteur.

«César de Vendosme

Le commandeur de Neuchèse se justifia auprès du roi et de Colbert, ainsi qu'il résulte de cette lettre que lui adressa le ministre, le 24 octobre 1661: «Je vous remercie très-humblement des mémoires que vous m'avez envoyés; je ne manqueray pas de les présenter au Roy, qui asseurément y aura beaucoup d'esgards pour le chois des officiers de la marine: cependant je me resjouis, comme votre serviteur, que vous ayez fait une déclaration ingénue à Sa Majesté sur le sujet dont je vous ai escrit; et, au cas que vous n'y ayez rien omis, je ne vois point que vous eussiez pu suivre une meilleure voie pour vous bien establir dans son esprit, et lui inspirer une bonne opinion de vostre conduite, et de ce qu'elle peut attendre de vous à l'avenir.»

XIII

saint-évremond et fouquet.

Saint-Évremond fut enveloppé dans la disgrâce de Fouquet[1637]. Voici comment: il avait été désigné pour faire le voyage de Bretagne avec le roi; avant de partir, il laissa à madame du Plessis-Bellière une cassette où il y avait de l'argent, des billets et plusieurs lettres. Après l'arrestation de Fouquet, on mit sous le scellé tous les papiers et meubles de madame du Plessis-Bellière. On trouva chez elle la cassette de Saint-Évremond, où se trouvait la Lettre sur la paix des Pyrénées, dans laquelle Saint-Évremond critiquait très-vivement la conduite du cardinal Mazarin. Elle fut dénoncée au roi, qui ordonna de mettre Saint-Évremond à la Bastille. Prévenu par Gourville, Saint-Évremond se retira d'abord en Normandie, d'où il parvint à passer en Hollande et en Angleterre.

Saint-Évremond n'oublia pas ses relations avec Fouquet dans son Discours sur l'Amitié[1638]; telle est du moins l'opinion de son biographe des Maizeaux[1639]. Voici le passage dans lequel des Maizeaux croit voir une allusion à Fouquet alors enfermé à Pignerol: «Comme je n'ai aucun mérite éclatant à faire valoir, dit Saint-Évremond, je pense qu'il me sera permis d'en dire un, qui ne fait pas la vanité ordinaire des hommes: c'est de m'être attiré pleinement la confiance de mes amis; et l'homme le plus secret que j'aie connu en ma vie[1640] n'a été plus caché avec les autres que pour s'ouvrir davantage avec moi. Il ne m'a rien celé tant que nous avons été ensemble, et peut-être qu'il eût bien voulu me dire toutes choses lorsque nous avons été séparés. Le souvenir d'une confidence si chère m'est bien doux: la pensée de l'état où il se trouve m'est plus douloureuse[1641]. Je me suis accoutumé à mes malheurs; je ne m'accoutumerai jamais aux siens; et puisque je ne puis donner que de la douleur à son infortune, je ne passerai aucun jour sans me plaindre.»

XIV

pellisson et la bastille.—bessemaux gouverneur de cette prison d'état.

(Mémoires sur Fouquet, t. II, p. 402-403.)

Pellisson parle assez plaisamment des libertés de la Bastille dans ce placet qu'il adressa au roi le 8 septembre 1665: «Sire, après avoir assuré Votre Majesté du plus profond respect et de la plus parfaite vénération qu'on aura jamais pour elle, je prendrai, si elle me le permet, un style plus propre à la divertir qu'à la fatiguer.

«Il y a ici une douzaine de libertés, qui toutes ensemble ne valent pas la douzième partie d'une liberté entière. On les nomme liberté de la cour; liberté de la terrasse; liberté de s'y promener seul; liberté de l'escalier; liberté d'une fenêtre; liberté d'écrire pour ses affaires; liberté de voir quelqu'un avec un officier, liberté de le voir sans témoin; liberté d'être malade; liberté de s'ennuyer tant que l'on veut: les deux dernières ne sont refusées à personne.

«De tant de libertés, Sire, je n'en ai encore demandé aucune; mais j'ose demander très-instamment, et avec toute la soumission possible, la liberté de louer Votre Majesté, c'est-à-dire, de mettre sur le papier et d'adresser à quelqu'un des beaux esprits d'aujourd'hui je ne sais combien d'ouvrages qui pourraient enfin s'effacer de ma mémoire, et où j'ai tâché, dans les divers temps de ma longue prison, d'enfermer en mille manières différentes une partie des éloges infinis que Votre Majesté mérite. J'avois résolu de n'en parler jamais qu'au sortir d'ici; mais comme je suis pressé depuis dix mois d'une fluxion sur le poumon, et contraint enfin d'entrer aujourd'hui dans les remèdes, qui, par l'aversion que j'en ai, pourront aussitôt me tuer que le mal même, il me fâcheroit, Sire, de mourir sans avoir laissé ce bon exemple aux sujets de Votre Majesté et ce léger témoignage, qu'en conservant jusqu'à la mort la gaieté d'une bonne conscience, j'ai su honorer et révérer Votre Majesté plus que personne ne fera jamais, et penser incessamment à la servir ou à lui plaire.

«J'écris ce placet avec un crayon sur une feuille arrachée d'un de mes livres, pour éviter une négociation longue et peut-être inutile, si je demandois de l'encre et du papier. Je supplie très-humblement Votre Majesté de croire que je saurai encore la louer et la bénir jusqu'à la fin, sans murmure, plaintes ni lamentations, et que ceux qu'elle comble de ses faveurs ne peuvent faire de prières plus ardentes que moi pour la santé, la grandeur et la gloire de Votre Majesté.»

Ces libertés de la Bastille dont parle Pellisson n'étaient pas une plaisanterie: Jean Rou, détenu à la Bastille en 1675, en parle aussi dans ses Mémoires[1642], dont voici quelques passages:

(T. I, p. 59) «Dans la chambre qu'on me donna, je ne trouvai pour tout meuble qu'une petite chaise de paille, et la seule fenêtre par où entrait le jour était une double grille sans la moindre vitre ni châssis. M. le lieutenant, nommé la Grizolle, m'ayant introduit dans ce beau domicile, me dit que j'avois la liberté, mais pour cette seule fois, d'écrire chez moi, afin de me faire venir un lit, une table et quelque vaisselle, parce que le Roi me faisoit bien, à la vérité, la grâce de me nourrir et de me loger, mais qu'il falloit que je me meublasse; et qu'après ces petits besoins spécifiés à ma femme, il ne m'étoit pas permis de joindre aucune autre particularité dans ma lettre...»

(p. 63.)—Au bout de quelques jours, on le fait changer de chambre; la Grizolle lui dit: «Habillez-vous, le Roi vous donne la liberté de la cour, et je ne suis venu ici que pour vous mener joindre la compagnie de plusieurs messieurs, qui véritablement sont arrêtés ici aussi bien que vous, mais avec une entière liberté de communiquer les uns avec les autres, et d'être même visités de tous leurs amis. J'ai même déjà envoyé chez vous annoncer cette bonne nouvelle, et sans doute que vous verrez bientôt ici ce que vous avez de plus cher.»

(p. 71)... «Dès que cette liberté de la cour m'eut été accordée, il y eut une permission entière à tous mes amis de me venir voir...»

(p. 81): «Je passe à deux mots que j'ai à dire sur la distinction du traitement qui, à la faveur des obligeantes recommandations de M. de Montausier, me fut fait à la Bastille tant que j'y fus arrêté. J'ai déjà parlé du grand nombre de visites que j'avois la liberté de recevoir; mais, outre cela, j'avois celle de la terrasse, que ni le chevalier d'Humières, ni le marquis de Pomenars n'avoient point, encore moins par conséquent tous les autres beaucoup inférieurs à ceux-là. Enfin, s'il venoit à faire mauvais temps, depuis l'arrivée de ma femme (qui ne manquoit pas de se rendre auprès de moi tous les matins, et y demeurait jusqu'à onze heures du soir, le maître d'hôtel de la Bastille et toute sa séquelle la ramenant avec eux, par la commodité du hasard qui les avoit rendus mes voisins porte à porte), si, dis-je, il survenoit du mauvais temps, j'avois la liberté de la retenir toute la nuit avec moi, ce qui ne se pratiquoit pour aucun autre prisonnier...»

Dans les Mémoires dont nous venons de citer quelques extraits, Jean Rou parle de Bessemaux ou Bezemaux, gouverneur de la Bastille (p. 85):... «Je lui dis (au sous-lieutenant de la Bastille qui venait lui annoncer sa mise en liberté) que puisqu'on me chassoit, je ferais comme j'en avois toujours usé, depuis que j'étois au lieu où nous nous trouvions, savoir, que je n'y avois jamais appris qu'à obéir. «Monsieur, me dit-il, vous ne sauriez mieux faire; mais oserois-je vous demander une chose? N'irez-vous pas dire adieu à M. le gouverneur?» Il me faisoit cette question, parce que depuis cinq ou six jours quatre gendarmes, que M. le prince de Soubise avoit fait emprisonner pour quelques mauvais déportements, ayant enfin obtenu leur élargissement, s'en étoient allés sans faire aucune civilité à M. de Bezemaux, par ressentiment de ce que, sur quelques paroles peu respectueuses, il les avoit fait renfermer dans leur chambre; cette imprudente conduite, nonobstant le peu de cas que M. de Bezemaux faisoit de pareilles gens, n'avoit pas laissé de lui déplaire, par cette seule raison qu'une conduite indiscrète choque le bon sens, comme un vilain objet choque la vue, et une puanteur l'odorat. Ce fut donc là pourquoi on me faisoit la question dont je viens de parler; à quoi je répondis que je n'étois nullement gendarme, et que d'ailleurs j'avois toujours été si bien traité par les obligeants ordres de M. le gouverneur, que je n'avois garde de manquer à lui en faire mes très-humbles remercîments. Je fus donc mené à M. de Bezemaux[1643], et dès qu'où m'eut ouvert la porte de sa chambre, il me fit l'honneur de venir au-devant de moi, avec ces obligeantes paroles: «Monsieur, je sais bien que c'est un bruit répandu dans la Bastille que j'ai toujours de la joie quand il y entre un prisonnier, et du chagrin quand il en sort; je ne discuterai point avec vous, monsieur, le vrai ou le faux de cet indigne soupçon; mais je vous prie très-sincèrement de croire que j'ai reçu avec un singulier plaisir la lettre dont le roi m'a honoré pour l'ordre de vous faire sortir.» Le gouverneur accompagna ces paroles de l'obligeante demande qu'il me fit, si j'étois content de toutes les manières dont ses gens m'avoient traité depuis ma détention; à quoi ayant répondu comme je le devois, il me pria d'en vouloir bien rendre témoignage à M. le duc de Monlausier; puis me présentant la main: «Il est fort tard, dit-il, et je ne juge pas à propos de vous laisser aller seul à l'heure qu'il est. Qu'on mette les chevaux au carrosse, dit-il à ses gens, et qu'on ramène monsieur chez lui.» Je descendis donc, après une nouvelle présentation de mes respects, et trouvai le carrosse qui m'attendoit avec deux flambeaux, que deux valets de pied portaient; mais avant que d'y entrer, j'allai prendre mes hardes de nuit dans ma chambre, etc.»

XV

extraits des lettres de louvois sur la forest, honneste et valcroissant.

(1669-1670).

M. Walckenaer, dans ses Mémoires sur madame de Sévigné (t. III, p. 291 de la première édition), dit: «Fouquet était, par les ordres de Louvois, détenu à Pignerol dans une dure captivité. Personne ne pouvait communiquer avec lui; on lui avait interdit tous les moyens de donner de ses nouvelles. Il fut réduit, pour écrire, à se servir, au lieu de plume, d'os de chapons; au lieu d'encre, de suie mêlée avec du vin; et cette ressource lui fut encore enlevée. Mais auparavant une lettre de lui, péniblement tracée par ce moyen, avait été transmise à sa femme par un gentilhomme nommé Valcroissant, autrefois attaché au service du surintendant, et qui avait conservé pour lui un vif sentiment de reconnaissance. Pour ce seul fait, Valcroissant fut condamné à cinq ans de galères.»

Le récit de M. Walckenaer s'appuie sur deux autorités: 1° les lettres de Louvois citées dans Delort, et surtout la lettre où il est dit que Valcroissant a été condamné aux galères et conduit à Marseille (11 juillet 1670); 2° le passage d'une lettre de madame de Sévigné qui recommande à M. de Grignan un gentilhomme, dont le nom a été laissé en blanc par les anciens éditeurs, lequel avait été condamné aux galères pour avoir transmis à madame Fouquet une lettre de son mari. Ce rapprochement parait d'abord ingénieux et décisif. Les nouveaux éditeurs des lettres de madame de Sévigné[1644] ont adopté l'opinion de M. Walckenaer et introduit dans le texte le madame de Sévigné le nom de Valcroissant. J'avoue que je conserve quelques doutes et qu'il me semble nécessaire de bien établir deux points: 1° Louvois parle d'un gentilhomme, qui est amené à Pignerol en 1670 par le major de Dunkerque et que l'on tient au secret, puis qui est conduit aux galères à Marseille par un sieur de Saint-Martin; 2° madame de Sévigné recommande vivement à la même époque à M. de Grignan un gentilhomme qui avait été condamné à cinq ans de galères pour avoir remis à madame Fouquet une lettre de son mari. Mais rien ne prouve que ce gentilhomme soit Valcroissant. Pourquoi aurait-on amené ce dernier de Dunkerque à Pignerol, s'il eût été coupable d'avoir porté antérieurement une lettre à madame Fouquet? Était-ce pour une confrontation? Mais Louvois défend de le laisser communiquer avec qui que ce soit, et ordonne de le tenir au secret le plus rigoureux. Il n'est pas question de son jugement à cette époque, et on ne trouve aucune, trace, dans les lettres de Louvois, des motifs qui ont pu faire conduire le sieur de Valcroissant d'abord à Pignerol, puis à Marseille. D'autre part, madame de Sévigné, ni dans cette lettre, ni dans une autre du 28 novembre 1670, où elle reparle de ce gentilhomme, ne dit qu'il eût été conduit à Pignerol. Il me semble donc difficile d'affirmer, comme le fait M. Walckenaer, que le gentilhomme dont parle madame de Sévigné soit ce Valcroissant qui est mentionné dans les lettres de Louvois. Du reste, pour que le lecteur puisse en juger, je citerai les passages des lettres de Louvois qui se rattachent au complot formé en 1669 pour gagner quelques-uns des soldats de la garnison de Pignerol et aux suites qu'il eut en 1670.

Dans une lettre du 17 décembre 1669[1645], Louvois dit à Saint-Mars: «J'ai appris fort en détail, du sieur de Blainvilliers, tout ce que vous avez fait pour vous saisir de la Forest et du nommé Honneste. J'en ai rendu compte au roi, qui a été fort satisfait de ce que vous avez fait. Il a commandé à M. de Lyonne de faire faire des remercîments de sa part à M. le duc de Savoie de la manière honnête dont il en avoit usé en laissant prendre dans ses États ledit la Forest et ledit Honneste, et je vous enverrai par l'ordinaire prochain un présent que Sa Majesté souhaite que vous envoyiez en son nom au major de Turin, qui a agi en ce rencontre avec tout le zèle que l'on aurait pu attendre d'un sujet de Sa Majesté.

«Le roi, comme je vous l'ai mandé par ma dernière, dont le courrier que je vous ai dépêché étoit chargé, trouve bon qu'avec les officiers de votre compagnie vous jugiez en conseil de guerre vos soldats, et que par l'exemple que vous en fera, vous fassiez perdre aux autres l'envie de plus faire de pareilles trahisons. Sa Majesté ne désire pas que vous jugiez le nommé Champagne, valet de M. Fouquet, quoique, suivant ce que m'a dit le sieur de Blainvilliers, il s'y soit soumis par écrit; mais elle entend que vous le teniez dans une prison dure, pour le punir de son infidélité, et se remet à vous d'en user comme vous le voudrez à l'égard de la Rivière, autre valet de M. Fouquet, c'est-à-dire de le laisser auprès de lui ou de l'en ôter, Sa Majesté se promettant qu'en cas que vous le lui ôtiez, vous ne le laisserez sortir qu'après une prison de sept ou huit mois, afin que, s'il avoit pris des mesures pour porter des nouvelles de son maître, elles soient si vieilles en ce temps-là qu'elles ne puissent en rien préjudicier; et pour éviter de pareils accidents à celui qui vient d'arriver, il faut, comme je vous l'ai déjà marqué, faire faire une grille, vis-à-vis de chacune des fenêtres de votre prisonnier, qui soit en demi-cercle, en saillie hors du mur extérieur de deux ou trois pieds, et entourer chacune desdites grilles d'une claie fort serrée et assez haute pour empêcher qu'il ne puisse voir autre chose que le ciel, et que ladite claie se trouve opposée à tous les terrains qui sont vis-à-vis de ses fenêtres, et que quand il sera nuit, vous fassiez descendre des nattes dessus ses fenêtres, que vous relèverez à la pointe du jour. Ainsi l'on ne pourra lui faire signe, ni lui en faire à qui que ce soit, et il ne pourra plus rien jeter ni rien recevoir.

«A l'égard du sieur Honneste, qui vient débaucher des soldats de votre compagnie, le roi désire que vous le teniez prisonnier, et son valet avec lui jusqu'à nouvel ordre; en sorte qu'ils n'aient tous deux de commerce avec personne du dehors, et par la peine et la mortification qu'ils souffriront, empêcher que l'on ne se hasarde si facilement à essayer de corrompre vos soldats.»

1er janvier 1670.

«Monsieur, j'ai reçu, avec vos lettres des 19 et 21 du mois passé, le mémoire qui y étoit joint. Par la première, je vois que vous avez fait le procès au nommé la Forest, et que vous l'avez fait exécuter.

«Les jalousies que vous ferez mettre (aux fenêtres de Fouquet) de fil de Richard (sic) ne feront point l'effet que celles de bois, à moins que vous ne les fassiez faire de même force, c'est-à-dire qu'il y ait autant de plein que de vide.

«Je vous envoie les tablettes que vous m'avez adressées, parce qu'elles pourront servir à la conviction du sieur Honneste, auquel le roi veut faire faire le procès, ainsi que vous l'apprendrez du sieur de Loyauté.

«Si le sieur Honneste a peur, il en aura bien davantage quand il verra qu'on lui va faire son procès; il faut cependant le tenir dans une prison dure, car il est bon d'effaroucher les gens que l'on pourroit envoyer pour vous débaucher vos soldats.

«Le roi se remet à vous d'en user comme vous le jugerez à propos à l'égard des valets de M. Fouquet: il faut seulement observer que si vous lui donnez des valets que l'on vous amènera d'ici, il pourra bien arriver qu'ils seront gagnés par avance, et qu'ainsi ils feroient pis que ceux que vous ôteriez présentement.»

«Du 16 janvier 1670.

«Les précautions que vous avez résolu de prendre pour empêcher que M. Fouquet ne donne de ses nouvelles à personne, ni n'en reçoive de qui que ce soit, sont bonnes; et puisque ses valets sont si infidèles au roi, Sa Majesté trouve bon qu'ils soient dorénavant privés de leurs gages.»

Du 21 janvier 1670.

.....«L'argent qui s'est trouvé sur le nommé la Forest étant confiscable au roi par son crime et sa punition, Sa Majesté veut bien que vous en disposiez.

«J'ai fait rembourser pour vous au sieur de Blainvilliers tout ce qu'il m'a dit que vous aviez dépensé pour la prison du sieur Honneste, qui se monte, si je ne me trompe, à neuf cents et tant de livres.»

«Du 26 janvier 1670,

«La punition que vous avez fait faire des cinq soldats qui vous avoient trahi ne saurait produire qu'un très-bon effet; je ne doute pas que cet exemple de sévérité ne contienne les autres dans le devoir. Je ne puis qu'approuver toutes les précautions que vous prenez pour la sûreté des prisons de Pignerol, étant persuadé que vous n'oublierez rien de tout ce que vous croirez nécessaire pour les maintenir en bon état, et que l'on peut s'en reposer sur vos soins.»

«Du 28 janvier 1670,

«J'ai reçu le plan des jalousies que vous faites faire pour les fenêtres de M. Fouquet; ce n'est pas comme cela que j'ai entendu qu'elles doivent être, mais bien des claies ordinaires qu'il faut mettre autour des grilles en saillie et en hauteur nécessaire pour empêcher qu'il ne voie les terres des environs de son logement.»

«Du 11 février 1670.

........... «Vous avez bien fait de n'avoir aucun égard aux raisons que vous a données M. Fouquet pour avoir auprès de lui son valet nommé Champagne, et suivant votre avis il sera bon de ne relâcher le sieur Honneste que lorsque vous aurez fait poser des grilles et des jalousies à ses fenêtres. Cependant ayez grand soin d'empêcher que M. Fouquet ne profite du temps qu'il faut pour les faire, et continuez à prendre les autres précautions que vous jugerez nécessaires pour sa sûreté.»

«Du 10 mars 1670,

«Vous avez bien fait de laisser au sieur de Loyauté la liberté d'exécuter ce que je lui ai mandé pour faire faire le procès au sieur Honneste, et si je ne vous en ai pas écrit, c'est par omission.»

«Du 26 mars 1670.

«Je vois que vous êtes résolu de conduire vous-même le sieur Honneste au conseil souverain de Pignerol, lorsque les juges le demanderont pour le juger; cela est bon, et lorsqu'il y aura arrêt rendu contre lui, l'intention de Sa Majesté est qu'il lui soit envoyé, pour, après qu'il l'aura vu, faire savoir sa volonté pour le faire exécuter.

«L'on m'a donné avis que le sieur Honneste, on un des valets de M. Fouquet, a parlé au prisonnier qui vous a été amené par le major de Dunkerque[1646], et lui a, entre autres choses, demandé s'il n'avoit rien de conséquence à lui dire, à quoi il a répondu qu'il le laissât en paix: il en a usé ainsi, croyant que c'étoit quelqu'un de votre part qui l'interrogeoit pour l'éprouver et pour voir s'il diroit quelque chose. Par là vous jugerez bien que vous n'avez pas pris assez de précautions pour empêcher qu'il n'eût quelque communication que ce put être, et comme il est très-important au service de Sa Majesté qu'il n'en ait aucune, je vous prie de visiter soigneusement le dedans et le dehors du lieu où il est enfermé, et de le mettre en état que le prisonnier ne puisse voir ni être vu de personne, et ne puisse parler à qui que ce soit ni entendre ceux qui lui voudraient dire quelque chose.»

«Du 21 avril 1670.

«Je suis bien aise de voir par ce que vous me mandez que l'avis qui m'avoit été donné qu'un des valets de M. Fouquet et le sieur de Valcroissant s'étoient parlé soit faux. Vous devez être circonspect en toutes choses pour ne donner point de matière de parler contre votre exactitude.»

«Du 14 juillet 1670.

«Lorsqu'il y aura occasion, je serai bien aise de faire plaisir au chevalier de Saint-Martin, qui a conduit à Marseille le sieur de Valcroissant, condamné aux galères.»

Ces extraits prouvent, selon moi, que M. Walckenaer, et après lui les nouveaux éditeurs des Lettres de madame de Sévigné, ont eu tort d'affirmer que le gentilhomme condamné aux galères pour avoir remis à madame Fouquet une lettre de son mari, se nommait Valcroissant. Ils auraient pu tout au plus donner cette opinion comme une hypothèse; mais introduire sans autorité suffisante ce nom dans le texte me paraît une hardiesse contraire aux principes de la critique historique et littéraire.

XVI

mort de fouquet—analyse de la dissertation de paroletti.
(voyez ci-dessus, p. 462-463)

M. Modeste Paroletti a publié à Turin, en 1812, une dissertation intitulée: Sur la mort du surintendant Fouquet, Notices recueillies à Pignerol[1647]. Après avoir rappelé sommairement le ministère et la disgrâce de Fouquet, l'auteur arrive à son emprisonnement et à sa mort à Pignerol, qui sont le but principal de ses recherches[1648]. Il nous apprend que la citadelle de Pignerol fut démantelée en 1696, et que l'on peut à peine reconnaître aujourd'hui l'endroit ou s'élevaient le donjon et les remparts. Afin de retrouver les actes relatifs à la mort de Fouquet, M. Paroletti fit des recherches dans les registres mortuaires des diverses paroisses de Pignerol; mais il n'y trouva pas le nom de Fouquet. Il examina ensuite les inscriptions funéraires, et parcourut les églises et les sépultures, sans rencontrer aucune trace du surintendant. Ce fut seulement en étudiant les anciens registres des notaires de Pignerol qu'il commença à découvrir quelques indices relatifs à Fouquet. Deux documents de l'année 1679 établissaient que Marie-Madeleine de Castille, épouse séparée de messire Nicolas Fouquet, ministre d'État, ci-devant surintendant des finances, accompagnée de son fils, Charles-Armand Fouquet, clerc du diocèse de Paris[1649], était venue à Pignerol en 1679, et que ces deux personnes avaient logé dans la maison du sieur Fenouil jusqu'en 1680. Les deux actes cités par M. Paroletti sont relatifs à des procurations données par le jeune Fouquet et par sa mère à leurs représentants. M. Paroletti conclut avec raison de ces deux actes que Fouquet ne serait pas sorti de prison vers 1674, comme on avait prétendu l'induire des Mémoires de Gourville[1650].

M. Paroletti (p. 16-17) analyse un troisième acte notarié, en date du 27 janvier 1680, environ deux mois avant la mort de Fouquet, qui contient une procuration donnée par madame Fouquet à M. Jean Despineux, à Paris, pour obtenir le remboursement de quelques rentes sur l'Hôtel de Ville. Cette procuration fut reçue par le notaire Lanteri, au donjon de la citadelle de Pignerol. D'où résulte qu'à cette époque Fouquet y était encore emprisonné, et que sa famille y habitait avec lui.

Il est probable que la permission d'aller aux eaux de Bourbon, dont parle Bussy-Rabutin (ci-dessus, p. 463), arriva en février ou en mars, et que Fouquet, dont la santé était depuis longtemps affaiblie, mourut avant de pouvoir en profiter. Comme on avait connu, à Paris, l'autorisation accordée à Fouquet, Gourville a avancé qu'il était sorti de prison avant sa mort. Il aurait fallu dire, si l'on cherchait une précision de langage dont Gourville s'est peu inquiété, qu'il avait obtenu avant sa mort la permission de sortir de prison.

M. Paroletti, ne voulant négliger aucun genre d'information, recueillit tout ce que la tradition a conservé à Pignerol relativement à Fouquet (p. 17, 18 et 19). Beaucoup d'habitants de Pignerol se souvenaient d'avoir entendu dire, dans leur jeunesse, qu'un personnage de grande importance avait terminé sa vie dans la citadelle. «De ces individus, ajoute M. Paroletti (p. 18), il en est quelques-uns qui confondent ce personnage avec l'homme au masque de fer, qui certainement n'est jamais venu à Pignerol; mais il en est d'autres qui savent positivement que ce personnage était un ministre d'État. Une des ci-devant religieuses du couvent de Sainte-Claire conserve le souvenir d'un récit entendu dans sa jeunesse sur la visite de quelques officiers à ce monastère, pour y examiner une inscription sépulcrale, et recueillir des notices sur un prisonnier d'État décédé au donjon de la citadelle. Le secrétaire de la mairie se souvient d'avoir appris de son devancier, que des officiers étaient venus, il y a cinquante ans[1651], rechercher, dans le couvent des Feuillants, des Mémoires sur la vie de M. Fouquet. C'étaient les moines de ce couvent, tous Français à cette époque, qui prenaient soin des prisonniers d'État détenus à la citadelle.»

M. Paroletti termine en citant les lettres de Bussy-Rabutin et de madame de Sévigné, dont nous avons donné des extraits (ci-dessus, p. 463). Il conclut (p. 20) en adoptant l'opinion qui fait mourir Fouquet dans le donjon de Pignerol, vers le milieu du mois de mars 1680; il ajoute «que sa mort a dû être connue à Paris vers le 24 ou le 25 de ce mois; que son corps a été probablement déposé dans les caveaux de l'église de Sainte Claire, jusqu'à ce qu'il fût transporté à Paris, pour être déposé dans le tombeau de sa famille; enfin que la suppression du couvent de Sainte-Claire, les changements survenus dans l'église et la dispersion des papiers appartenant à ce monastère, sont la cause probable du manque d'indications touchant la mort et la sépulture de M. Fouquet.»

Une inscription, placée derrière un portrait de Fouquet, que possède M. H. de Vielcastel, porte que Fouquet est mort à Paris, le 22 mars 1680. Cette note, dont on ignore et la date et l'auteur, ne saurait prévaloir sur les témoignages contemporains que nous avons mentionnés.

XVII

fouquet et le masque de fer.

(Mémoires sur Fouquet, t. II, p. 467)

J'ai déjà dit un mot (p. 467, note 1) de la dissertation où l'on a soutenu que Fouquet était le personnage désigné sous le nom de l'homme au masque de fer[1652]. L'argumentation de M. Paul Lacroix peut se réduire aux trois points suivants:

1° Toutes les hypothèses que l'on a faites jusqu'ici sur l'homme au masque de fer sont inadmissibles;

2° On ne sait ni le lien ni l'époque de la mort de Fouquet (ce qui porte l'auteur à supposer que les bruits de mort répandus au mois de mars 1680 étaient une invention du roi et de ses agents);

3° Louis XIV, qui avait intérêt à faire disparaître Fouquet, le fit conduire par Saint-Mars aux îles Sainte-Marguerite et de là à la Bastille, où il est mort en 1703.

Je reprends chacun de ces points: je n'ai pas à discuter les hypothèses sur l'homme au masque de fer; je me bornerai à renvoyer aux ouvrages de Delort, de Roux-Fazillac et de Ellis relatifs à ce personnage mystérieux. Lors même qu'ils n'auraient pas résolu la question, il ne s'ensuivrait pas qu'on doive identifier Fouquet avec l'homme au masque de fer.

Le second point est plus important pour nous. Si, en effet, la mort de Fouquet en 1680 était bien constatée, il serait inutile de s'occuper du reste de la dissertation. J'ai cité[1653] les passages des lettres de Bussy-Rabutin et de madame de Sévigné, qui me paraissent ne laisser aucun doute raisonnable sur ce point. On peut y ajouter l'extrait suivant de la lettre de madame de Sévigné du 3 avril 1680 (vers la fin de cette lettre): «Mademoiselle de Scudéry est très-affligée de la mort de M. Fouquet; enfin voilà cette vie qui a donné tant de peine à conserver! il y auroit beaucoup à dire là-dessus. Sa maladie a été des convulsions et des maux de cœur sans pouvoir vomir.» Les lettres de Louvois à Saint-Mars parlent également de la mort de Fouquet. Reste le passage des Mémoires de Gourville; j'ai dit[1654] comment, à mon avis, il pouvait se concilier avec les textes que je viens de rappeler. «Mais, ajoute M. P. Lacroix, les uns font mourir Fouquet d'apoplexie, les autres de suffocations. Comment les mettre d'accord?» Il me semble que la difficulté n'est pas plus sérieuse que la précédente, et que l'apoplexie pulmonaire est précisément accompagnée de suffocations, semblables à celle dont parle madame de Sévigné.

Quoique la mort de Fouquet en mars 1680 me paraisse démontrée par la réunion de tous les textes contemporains, il est possible que des esprits obstinés demandent toujours comment il se fait qu'elle ne soit constatée par aucun acte authentique, et ne s'avouent pas convaincus. Il faut donc suivre l'auteur de la brochure dans la dernière partie de son argumentation et rechercher avec lui pourquoi Louis XIV qui, depuis 1672, avait adopté à l'égard de Fouquet une conduite plus humaine, change tout à coup de sentiments, le fait traîner de prison en prison et l'ensevelit vivant au fond d'un cachot. M. Lacroix parle de secrets d'État dont Fouquet était dépositaire; mais Louis XIV n'ignorait pas cette circonstance à l'époque où il le fit arrêter, et cependant il lui avait permis de communiquer avec Lauzun et avec sa famille, de 1679 à 1680[1655]. Pourquoi aurait-il modifié tout à coup sa conduite? La raison d'État ne suffit pas pour expliquer ce changement. Aussi M. Paul Lacroix a-t-il recours à une autre hypothèse. Madame de Maintenon qui, selon lui[1656], avait été une des maîtresses du surintendant, étant devenue toute-puissante, voulut effacer toutes les traces de sa vie passée, et Louis XIV ne fit que céder aux exigences tyranniques de cette femme en faisant disparaître Fouquet. Ce système suppose résolue affirmativement la question suivante: madame de Maintenon a-t-elle été une des maîtresses de Fouquet? Pour le prouver, M. Lacroix invoque les billets apocryphes cités par Conrart et que Conrart lui-même, remarquons-le en passant n'attribuait pas à madame Scarron, mais à madame de la Baume. Nous croyons avoir établi, au contraire, par les lettres même de madame Scarron[1657] que, tout en recevant les bienfaits de madame Fouquet, elle avait évité d'accepter une position qui l'eût mise trop directement en rapport avec le voluptueux surintendant. Dès lors le système bâti par M. Lacroix croule par la base. Louis XIV n'aurait eu aucun intérêt à redoubler de rigueur contre un prisonnier qui ne pouvait ni inquiéter sa puissance ni offenser son orgueil. Aussi notre conclusion est-elle qu'il est impossible d'appliquer à Fouquet les traditions plus ou moins douteuses relatives à l'homme au masque de fer.

XVIII

surintendants des finances de 1594 a 1653.

Il est souvent question, dans ces Mémoires sur Fouquet, des surintendants qui l'avaient précédé; il ne sera donc pas inutile d'en donner ici la liste, de 1594 à 1653, d'après les Mémoires inédits d'André d'Ormesson. Ce magistrat, père du rapporteur du procès de Fouquet, avait été en relation avec tous les surintendants dont il parle. Aussi a-t-il intitulé ce chapitre: Les surintendants des finances que j'ai vus et connus.

«Quand le roy Henry IV entra dans Paris, au mois de mars 1594, il fit messire François d'O, seigneur de Fresnes, gouverneur de Paris et surintendant des finances, lequel mourut en l'an 1595. Après sa mort, plusieurs furent employés aux finances. Messire Nicolas de Harlay, seigneur de Sancy, luy succéda en cette charge; et, ayant parlé trop librement au roy sur son mariage avec la duchesse de Beaufort[1658], il fut disgracié; et fut mis en sa place, en l'année 1598[1659], messire Maximilien de Béthune, marquis de Rosny, qui, estant fort rude et fort mesnager, paya les dettes du roy, tant envers les estrangers que les François, remplit son arsenal de canons et d'armes pour armer cinquante mille hommes, et la Bastille, dont il estoit gouverneur, de quantité d'or et d'argent. Il fut aussy grand-maistre de l'artillerie et duc de Suilly, et, ayant gouverné les finances avec un pouvoir absolu, lorsque le roy Henry IV décéda, en mai 1610, il fut disgracié en 1611, par MM. de Sillery, chancelier, Villeroy, secrétaire d'Estat, et le président Jeannin, qui ne le pouvoient souffrir à cause de sa rudesse et paroles insolentes.

«En la place dudit duc de Suilly, au lieu du surintendant, fut composée une direction de finances, composée de sept personnes: de MM. de Chasteauneuf, président de Thou, président Jeannin, Maupeou, Arnauld, Bullion et Villemontée. Cette direction rapportoit, tous les samedys, ce qu'elle avoit fait pendant la semaine, devant M. le chancelier de Sillery, où toutes les despenses estaient arrestées. Cet ordre dura jusqu'au mois de mai 1616, que le président Jeannin, lequel avoit tousjours esté contrôleur général des finances, depuis l'établissement de la direction, fut fait surintendant des finances, et, son gendre, M. de Castille, intendant.

«Pierre Jeannin, président autrefois de Bourgogne, fut fait surintendant des finances en l'année 1616, et bailla son contrôle général à Claude Barbin, favori et confident du mareschal d'Ancre, lequel Barbin usurpa toute l'autorité dans les finances et les affaires d'Estat, et demeura en cet estat jusqu'au 14 avril 1617, que ledit mareschal d'Ancre fut tué sur le pont du Louvre, auquel jour il (Claude Barbin) fut arresté prisonnier et mis dans la Bastille. Le président Jeannin reprit lors la surintendance des finances et fit son gendre, M. de Castille, intendant et contrôleur général.

«Le comte de Schomberg fut fait surintendant des finances à Tours, au mois de septembre 1619, et y demeura jusqu'au mois de janvier 1623, qu'il fut disgracié et renvoyé en sa maison.

«Messire Charles, marquis de la Vieuville, fui mis en sa place. Il estait fort entendu aux finances et très-puissant dans l'esprit du roy, et, estant encore fort jeune, faisoit très-bien cette charge. Il avoit esté capitaine des gardes et lieutenant de roy de Champagne et gouverneur de la ville de Rheims. Il demeura en grande autorité depuis janvier 1623 jusques en l'an 1624, que M. le cardinal de Richelieu fut fait chef du conseil, lequel, ayant pris le dessus, le fit disgracier à Saint-Germain-en-Laye, au mois d'aoust 1624, et fut envoyé prisonnier dans le chasteau d'Amboise, dont il se sauva au mois d'aoust 1625.

«Messire Jean Boschard, seigneur de Champigny, et messire Michel de Marcillac furent faits surintendans des finances ensemble, audit mois d'aoust 1624, et demeurèrent ensemble jusqu'au commencement de l'année 1626, que ledit sieur de Champigny fut mis au conseil des dépesches. Messire Michel de Marillac demeura seul surintendant jusques au mois de juin de l'année 1626 qu'il fut fait garde des sceaux de France, par la disgrâce de M. le chancelier Halligre, renvoyé en sa maison de la Rivière, près de Chartres.

«Audit sieur de Marillac succéda messire Antoine Ruzé, seigneur d'Effiat, qui fut fait surintendant des finances, au mois de juillet 1626, par la faveur du cardinal de Richelieu, et exerça cette charge jusqu'en l'an 1632, qu'il mourut mareschal de France, commandant une armée du roy dans l'Allemagne, près la ville de Strasbourg.

«Par son décès, furent faits ensemble surintendans messire Claude Bullion, ancien conseiller d'Estat, et messire Claude Bouthillier, secrétaire d'Estat, et exercèrent cette charge ensemble jusqu'a la fin du mois de décembre 1641, que M. de Bullion mourut. M. Bouthillier demeura seul surintendant, et estoit un des six ministres qui ne pouvoient estre changés pendant la régence[1660]. Néantmoins, au mois de juillet 1644, il fut disgracié, et sa charge donnée à messire Nicolas le Bailleul, président de la cour et chancelier de la reyne régent. Claude de Mesmes, sieur d'Avaux, fut fiat surintendant avec ledit sieur le Bailleul. Il fut presque à l'instant envoyé à Munster, plénipotentiaire pour la paix, avec M. le duc de Longueville et M. Servien. Il a tousjours esté employé dans les ambassades, vers les princes estrangers. Je ne veux pas oublier de dire que la principale conduite et direction des finances estoit, sous M. le président le Bailleul, entre les mains du sieur Michel Particelle, seigneur d'Émery, contrôleur général des finances. Les sieurs de Mauroy, de Charron et Maillier, intendans, n'approchoient pas de son employ et autorité.

«Au mois de juillet 1647, ledit sieur président le Bailleul donna sa démission de la charge de surintendant des finances, de laquelle fut pourvu messire Michel Particelle, seigneur d'Émery, contrôleur général des finances, lequel en presta le serment entre les mains de Leurs Majestés, dans la ville d'Amiens, le jeudy 18 juillet 1647. Pour le regard de M. d'Avaux, il estoit encore en ce mois à Munster, plénipotentiaire pour la paix générale, avec M. le duc de Longueville et M. Servien, plénipotentiaire comme luy. Ledit sieur d'Avaux fut disgracié en juin 1648, et réduit (relégué) dans Roissy.

«Le 9 juillet, M. d'Émery fut disgracié et envoyé en sa maison de Taulay, et le mareschal de la Meilleraye fait surintendant des finances, et MM. Halligre et Morangis faits directeurs le mesme jour. Le président le Camus, son beau-frère, estant tousjours contrôleur général des finances, sans crédit, ayant perdu son appuy, M. d'Émery, son beau-frère.

«En mars 1649, le mareschal de la Meilleraye quitta la surintendance; et, en octobre 1649, MM. d'Émery et d'Avaux furent restablis dans leurs charges de surintendans, et lors les directeurs signoient les arrêts du conseil des finances avec eux; mais M. de Chasteauneuf ayant esté restabli dans la charge de garde des sceaux, au mois de mars 1650, les directeurs n'ont plus signé les arrests, ny esté appelés aux affaires de conséquence concernant les finances. MM. d'Avaux et d'Émery résolvant tout sans les y appeler, et toute l'autorité estoit entre les mains de M. d'Émery, encore qu'il fust tousjours malade.

«Au mois de [mai] 1650, M. d'Émery estant décédé, la reyne donna la charge de surintendant des finances, vacante par la mort dudit sieur d'Émery, à M. le président de Maisons (René de Longueil), président de la cour, et, au mesme temps, M. d'Avaux remit volontairement sa charge de surintendant entre les mains de la reyne, ne se voyant pas aux bonnes grâces de M. le cardinal Mazarin, qui ne communiquoit ses secrets qu'audit sieur de Maisons, son bon amy, et fit une action de prudence et de générosité tout ensemble, et a esté fort estimé. Satius est cum dignitate cadere quam cum ignominia servire.

«Le 8 septembre 1651, M. le marquis de la Vieuville fut restabli en sa charge de surintendant des finances, vingt-sept ans après en avoir esté despouillé, et fut mis en la place de René de Longueil, président de la cour et seigneur de Maisons. Il trouva huit intendans des finances: Mauroy, Tillier, Bordier, Foulé, Bordeaux, Gargan, Hervart et Marin.

«Le marquis de la Vieuville estant décédé le mercredy, second jour de janvier 1655, MM. Servien et Fouquet furent faits surintendans des finances, le samedy, 18 février 1655, et M. Mesnardeau-Champré, troisième directeur, avec MM. Halligre et Morangis.»

XIX

comparaison de l'administration de colbert et de celle de fouquet.

Colbert, dont l'acharnement contre Fouquet parait odieux, a effacé cette tache par les immenses services qu'il rendit à la France. Lui-même a pris soin de les rappeler dans un Mémoire qu'il présenta à Louis XIV, et où il attribue tout le mérité de son administration à l'initiative du roi[1661]. Après avoir tracé un tableau des réformes opérées en 1662, il continue ainsi: «Il sera peut-être bon de faire un parallèle de l'état du royaume pour toutes les affaires dans lesquelles les finances peuvent avoir part au mois de septembre 1661 avec celui du mois de décembre 1662, c'est-à-dire seize mois après que le roi a commencé à prendre le soin de cette nature d'affaires:

SEPTEMBRE 1661.DÉCEMBRE 1662
Les finances étoient régies par le
surintendant seul avec une autorité
souveraine, dont étoient provenus
tous les désordres.
Le roi a supprimé cette charge,
et s'en est réservé la fonction tout
entière, et s'est chargé par ce moyen
d'un travail de trois heures par jour
l'un portant l'autre, dont il s'est
admirablement acquitté.
Les manières pour la conduite des
finances étoient de faire et défaire
sans cesse, négliger les revenus
ordinaires et faire des affaires
extraordinaires [1662]
Le roi a supprimé les affaires
extraordinaires, et augmenté
prodigieusement ses revenus ordinaires.
Les impositions sur les peuples en
milles et droits sur les fermes étoient
augmentées en toute rencontre.
Le roi a diminué les tailles de
huit millions de livres en deux années
(1661 et 1662).
Les surintendants ne pensoient
qu'à appauvrir les peuples en augmentant
les impositions.
Le roi travaille à enrichir les
peuples par la diminution des
impositions.
S'enrichir eux-mêmes, leurs parents,
leurs amis et une trentaine
de gens d'affaires.
A s'enrichir soi-même pour pouvoir
ensuite faire des grâces.
Les bâtiments, les meubles, l'argent
et autres ornements n'étoient
que pour les gens de finance et les
traitants, auxquels ils faisoient des
dépenses prodigieuses, tandis que
les bâtiments de Sa Majesté étoient
bien souvent retardés par le défaut
d'argent; que les maisons royales
n'étoient point meublées, et qu'il
ne se trouvoit pas même une paire
de chenets d'argent pour la chambre
du roi.
Le roi leur a retranché toutes
ces superfluités et a fait passer,
pour ainsi dire, toute abondance en
ses maisons, qui sont à présent dignes
de Sa Majesté, non-seulement
par leurs bâtiments, mais encore
par les meubles, l'argenterie et autres
ornements.
Tous les beaux-arts n'étoient employés
que par les partisans traitants,
qui n'avoient ni le goût de
ces belles choses ni assez de force
pour les pouvoir soutenir par leur
protection.
Le roi a relevé les beaux-arts,
leur a donné sa protection tout
entière et en même temps les a
employé pour lui, ce qui les a
fait refleurir en peu de temps.
Les auteurs et tous les savants
couroient risque de tomber en cette
nécessité de n'avoir à louer que la
corruption.
Le roi les a retirés de cette disgrâce,
leur a donné sa protection
tout entière, et par le moyen des
pensions qu'il donne à tous les savants,
il y a lieu d'espérer que les
lettres seront plus florissantes sous
son règne qu'elles n'ont encore
été.
Les revenus étoient réduits à
vingt et un millions de livres; encore
étoient-ils consommés pour
près de deux années.
Le roi a augmenté ses revenus
jusqu'à cinquante millions
de livres en seize mois de temps.
La marine étoit entièrement perdue
et ruinée, soit pour les vaiseaux,
soit pour les galères, n'ayant
été mis en mer aucune galère depuis
près de dix ans, ni plus de deux
vaisseaux.
Le roi a mis dix-huit vaisseaux
en mer jusqu'en juin 1662, et, le
reste de l'année, six. Sa Majesté a
assemblé, avec un soin et une dépense
incroyables, assez de chiourmes
pour mettre, en 1662, six galères
en mer, et d'autres sur les
côtes de Provence.
L'on n'avoit jamais pensé au commerce
dans le royaume.
Sa Majesté en a fait un de ses
principaux soins, et a donné une
telle protection qu'elle a vu un nombre
considérable du vaisseaux se
bâtir de nouveau.
Les dépenses de l'État pour les
troupes, maisons royales et autres,
n'étoient jamais faites qu'après un
long retard et donnoient une occupation
perpétuelle à tous les gens
de finance pour toute l'année.
Le roi, dès les premiers temps de
l'année commencée, a donné ordre
à toutes les dépenses principales,
de sorte qu'il n'a plus été nécessaire
d'y penser tout le reste de l'année.
L'on consommoit en remises et
intérêts vingt millions de livres.
Le roi n'a plus donné un sou de
remise ni d'intérêt depuis qu'il a
pris soin de ses finances.
Toute la France et l'Europe
voyoient toujours le roi dans une
prodigieuse nécessité, ne subsistant
que sur le crédit des partisans
et ne pouvant jamais faire de dépense
extraordinaire.
Le roi s'est mis dans une si grande
réputation d'abondance d'argent
après l'affaire de Dunkerque[1663], que
toute l'Europe a craint l'achat de
terres, de places et de tous les États
qui pourroient être à sa bienséance.

Ce parallèle, ajoute Colbert, pourroit être continué à l'infini; mais, pour l'abréger, il suffira de dire qu'il a fait (chose incroyable et même impossible dans la nature) passer en si peu de temps un État comme celui-ci, dans une matière si délicate et si importante que celle des finances, d'une extrémité de corruption au plus excellent degré de perfection qui se puisse imaginer, et toutefois c'est l'ouvrage d'un jeune prince de vingt-trois à vingt-quatre ans.»


ADDITIONS ET CORRECTIONS, Tome II

Page 6, ligne 15. La Fontaine avait parlé dans son Ode sur la paix du séjour que Mazarin fit à Vaux en 1659:

Quand Jules las de nos maux
Partit pour la paix conclure,
Il alla coucher à Vaux,
Dont je tire un bon augure
[1664].

M. Walckenaer a ajouté cette variante à la deuxième stance l'extrait suivant des Défenses de Fouquet: «M. le cardinal partit pour Saint-Jean de Luz, passa à Vaux, et, après avoir épuisé pour les affaires publiques tout ce que chacune des personnes dont je me servois avoit de crédit, me redemanda le même jour sur ses appointements quinze mille pistoles, et manda au sieur Colbert de m'en donner décharge.»

Page 36: ligne 18. de Gèvre, lisez de Gesvres.

Page 57, note 1: a cour, lisez la cour.

Page 58. Gilles Fouquet qui épousa en mai 1660, la fille du marquis d'Aumont est probablement le personnage désigné plusieurs fois sous le nom de M. de Mezière. Je n'ai pu en trouver la preuve, mais la Fontaine a composé un madrigal sur le mariage de M. de Mezière avec la fille de madame d'Aumont[1665]. Il est vrai que l'on donne à ce madrigal la date de juin 1659, dans l'édition de M. Walckenaer, tandis que le mariage de Gilles Fouquet avec mademoiselle d'Aumont n'eut lieu qu'en mai 1660[1666]; mais ces erreurs de date, qu'il faut attribuer aux éditeurs, n'ont rien qui doive étonner. Il en est de même du nom de maréchale donné à madame d'Aumont dans le titre du madrigal de La Fontaine et dans une note écrite par le poëte lui-même; madame d'Aumont[1667], n'était que marquise d'Aumont; c'était sa belle-sœur madame d'Aumony de Rochebaron, qui portait le titre de maréchale. Il est probable que la Fontaine avait écrit madame la M. d'Aumont, et que les éditeurs ont mis madame la maréchale au lieu de madame la marquise. Enfin ce qui me porte encore à croire que M. de Mezière était bien Gilles Fouquet, frère du surintendant, c'est que lorsqu'en 1679 la famille de Nicolas Fouquet obtint la permission de le venir voir à Pignerol, nous trouvons parmi les membres de cette famille un M. de Mezière, frère du prisonnier[1668].

Quoi qu'il en soit, voici les vers composés par la Fontaine sur le mariage de M. de Mezière avec mademoiselle d'Aumont, et la note qu'il y a jointe:

Belle d'Aumont et vous Mezière,
Quand je regarde la manière
Dont vous vous mariez, l'un venant de la cour.
Et l'autre de Paris, ou bien de la frontière,
J'appelle votre hymen un impromptu d'amour.
Avec le temps vous en ferez bien d'autres,
Et nous en pourrons voir dans neuf mois, plus un jour.
Un de votre façon qui vaudra tous les nôtres.

La Fontaine ajouta à ce madrigal la note suivante: «Comme j'étois sur le point d'envoyer le terme de la Saint-Jean, l'on m'a mandé que M. de Mezière s'en venoit à Vaux en diligence, et que madame la maréchale (lisez la marquise) d'Aumont y devoit aussi amener mademoiselle sa fille; que là ils s'épouseroient aussitôt, et que ce mariage avoit été conclu si soudainement, que les parties ne se doutoient quasi pas du sujet de leur voyage. J'aurois bien voulu pouvoir témoigner, par quelque chose de poli, le zèle que j'ai pour les deux familles; mais j'ai cru que l'épithalame ne devoit pas être plus prémédité que l'hyménée, et qu'il falloit que tout se sentit de la soudaineté avec laquelle monseigneur le surintendant entreprend et exécute la plupart des choses. Je me suis donc contenté d'ajouter au terme ce madrigal.»

Ce fut probablement à cette occasion que Fouquet se plaignit du petit nombre de vers que lui envoyait la Fontaine; et que le poëte répondit par le madrigal que nous avons cité (t. I. p. 467):

Trois madrigaux, ce n'est pas votre compte... etc.

Page 62, ligne 7: Rocollet dont parle la Fontaine dans la description de l'entrée de la reine Marie-Thérèse à Paris, était libraire et imprimeur du roi, et en même temps de la ville de Paris. On lit dans l'État de la France en 1657 (in-12), p. 179: «Pierre Rocollet, aussi imprimeur et libraire, choisi de Messieurs de la ville pour être leur imprimeur, et qui durant ces derniers mouvements, «paru aussi généreux capitaine que bon citoyen; pour marque de quoi Sa Majesté lui a fait don et présent d'une chaîne d'or avec la médaille de sa figure et pourtrait.»

Page 62, dernière ligne: On envoyait, lisez On en voyait.

Page 81. ligne 21: il faisait aussi les affaires, lisez il faisait aussi ses affaires.

Page 101, ligne 6 et 7: de mademoiselle de Valentinois, lisez de madame de Valentinois.

Page 141. ligne 9: eutre autres, lisez entre autres.

Page 179. note 2: avant-dernière ligne: effetz, lisez effets.

Page 181, note 1: chapitre x, lisez chapitre xi.

Page 181, L'abbé de Marolles, (Mémoires, t. I. p. 278 et 285) parle des belles peintures que Fouquet avait fait exécuter à Saint-Mandé, et pour lesquelles la Fontaine avait composé des vers français, et Nicolas Gervaise, médecin et ami de Fouquet, des vers latins. Dans la suite, M. Tilon acheta pour les hospitalières de Chantilly la maison que Fouquet avait possédée à Saint-Mandé; elles s'y établirent en 1705 (note de M. Walckenaer, sur les Œuvres de la Fontaine, t. VI, p. 74, note 2).

Page 181, ligne 26: ausi bien, lisez aussi bien.

Page 225, note 3: ms., de la Bibl. impériale, lisez ms. de la Bibl. impériale.

Page 243. ligne 11. Il est question d'un M. Codur ou Codure sur lequel Bussy-Rabutin donne quelques renseignements[1669]. Codure avait été capitaine dans le régiment de la marine et s'était ensuite attaché à Fouquet.

Page 244, note 1, ligne 7: le roi ne partira point d'ic, lisez le roi ne partira point d'ici.

Page 251, ligne 12: Il passa à Angers, lisez Il passa à Ingrande.

Page 256. Une lettre de madame du Plessis-Bellière adressée à Arnauld de Pomponne à la date du 19 septembre 1661 donne quelques détails sur son exil. Voici cette lettre qui a été publiée par M. Monmerqué dans son édition des Mémoires de Conrart (collect. Petitot, t. XLVIII, p. 259, note):

«De Châlons, ce 19 septembre 1661.

«Vous pouvez croire que je n'ai pas douté de vos bontés pour tout ce qui nous regarde. Je vous comtois trop pour n'estre pas persuadée de vostre générosité, et vous me connoissez assez aussi pour vous imaginer ce que je souffre d'un si grand coup. Ce n'est pas que je n'aye assez prévu qu'il pourroit arriver du mal à M. le surintendant; mais je ne l'avois pas prévu de cette sorte, et je me consolois qu'on l'ostast de la place où il estoit, voyant qu'il le désirait luy-mesme pour songer à son salut. Mais, mon pauvre monsieur, le savoir en l'estat où il est et ne pouvoir lui donner aucune consolation! Je vous avoue que je suis dans une affliction incroyable, de sorte que je suis tombée malade d'une fièvre qui n'est pourtant pas violente. Si elle me continue je me ferai saigner demain. Vous avez sçu que j'avois en ordre d'aller à Montbrison; mais comme ma fille n'a jamais voulu me quitter, l'un a changé mon ordre, et je suis arrivée ici d'hyer au soir, après avoir fait soixante lieues de marche. Je vous supplie de me faire savoir des nouvelles de la santé de M. le surintendant, si vous en avez. Je crois qu'il n'y aura pas de mal à cela, et qu'ils ne le trouveront pas mauvais à la cour, quand les lettres seroient vues. Faites-moi sçavoir quand vous serez à Paris, et me croyez vostre, etc.»

D'après une lettre citée par Delort (Voyages aux environs de Paris, t. II. p. 210), l'abbé Fouquet s'était empressé de séparer sa cause de celle du surintendant. Il avait écrit à Colbert «qu'il n'avoit point eu de part à toutes les choses qui avoient déplu à Sa Majesté dans la conduite de son frère.»

Page 265, ligne 15. De Fouque, lisez de Fouquet.

Pape 291. note 1. Ordinairement, lisez ordinairement.

Page 293, note 2. Page 217 et 53, supprimez et 53.

Page 295, ligne 13. De précaution quand, lisez de précaution que quand.

Page 370. J'ai mentionné, d'après Delort, les imprimeries françaises dont disposait madame Fouquet; mais on fit en outre imprimer en Hollande, dès 1665, une partie des pièces du procès, comme le prouve l'ouvrage intitulé: Lettres et négociations de Jean de Witt, t. III. Le ministre plénipotentiaire de Hollande à la cour de France écrivait à Jean de Witt à la date du 27 février 1665: «On a ici avis de bonne part qu'on imprimoit à Amsterdam quelques pièces du procès de M. Fouquet, où, comme on croit, M. le chancelier, M. Colbert et quelques autres seigneurs pourroient être attaqués. Il est certain que cela ne peut être agréable au roi.» On lit encore dans une lettre du 15 mars 1665: «Je suis fâché que les actes du procès de M. Fouquet aient été publiés avant qu'on on ait pu arrêter l'impression. On m'a rapporté que M. Colbert s'en est plaint avec aigreur.»

Page 394. A l'occasion de Loret. M. Sainte-Beuve rapporte que Colbert ayant supprimé la pension que touchait ce gazetier. Fouquet, tout prisonnier qu'il était, fit prier mademoiselle de Scudéry d'envoyer secrètement à Loret 1,500 fr. pour le dédommager, ce qui fut exécuté, et sans qu'on put deviner d'abord d'où venait le bienfait. Le médecin anatomiste Pecquet avait été choisi par Fouquet pour être son médecin de plaisir, pour l'entretenir à ses heures perdues des plus jolies questions de la physique et de la physiologie; Pecquet ne se consola jamais d'avoir été séparé de lui. M. Sainte-Beuve ajoute: «Le plus grand témoignage rendu à Fouquet dans sa disgrâce fut assurément celui du poëte Brébeuf, lequel, dit-on, mourut de chagrin et de déplaisir de le savoir arrêté «voilà une mort qui est à elle seule une oraison funèbre.»

Page 395. J'ai suivi pour l'ode de la Fontaine, en faveur de Fouquet, le texte imprimé sous ses yeux en 1671 ce qui diffère dans quelques passages des éditions postérieures, et notamment des leçons qu'a adoptées M. Walckenaer.

Le même poëte, dans une ode adressée en 1662 au duc de Bouillon, fait allusion à la douleur que lui causait l'emprisonnement du surintendant[1670]:

Prince, je ris, mais ce n'est qu'en ces vers;
L'ennui me vient de mille endroits divers,
Du parlement, des aides, de la Chambre,
Du lieu fameux par le sept de septembre[1671],
De la Bastille[1672] et puis du Limosin[1673];
Il me viendra des Indes à la fin.

Pape 434. D'après Gui-Patin, la cour comptait que Fouquet serait condamné à la peine de mort. «On s'attendoit à la cour que, par le crédit de M. Colbert, sa partie, M. Fouquet seroit condamné à mort; ce qui auroit été infailliblement exécuté sans espérance d'aucune grâce. On dit que, quatre jours avant son jugement, madame Fouquet la mère fut visiter la reine mère, qui lui répondit: Priez Dieu et vos juges tant que vous pourrez en faveur de M. Fouquet; car du côté du roi, il n'y a rien à espérer.» (Lettre du 23 décembre 1664.)

Page 442. Madame de Sévigné ne croyait pas seule à la possibilité de l'empoisonnement du surintendant. On supposait généralement que les ennemis de Fouquet chercheraient à le faire périr, même par un crime «M. Fouquet est jugé, écrivait Gui-Patin à la date du 25 décembre 1665; le roi a converti l'arrêt de bannissement en prison perpétuelle et utinam non degeneret εἰς τὸν θάνατον car quand on est entre quatre murailles, on ne mange pas ce qu'on veut et on mange quelquefois plus qu'on ne veut; et de plus, Pignerol produit des truffes et des champignons: on y mêle quelquefois de dangereuses sauces pour nos François, quand elles sont apprêtées par des Italiens. Ce qui est bon c'est que le roi n'a jamais fait empoisonner personne; mais en pouvons-nous dire autant de ceux qui gouvernent sous son autorité?»

Page 445. Dès le mois de février 1665, on commençait à vendre le mobilier de Fouquet. Gui-Patin écrit le 28 février 1665: «On procède ici à la vente de tous les meubles de M. Fouquet; on commence par les meubles. Il y a une belle bibliothèque; on dit que M. Colbert la veut avoir; s'il en a tant d'envie, je crois bien qu'il l'aura: car il est un des grands maîtres, et a bien de quoi la payer.»

Page 446. Au moment où Fouquet cherchait, par divers moyens, à entrer en relation avec ses amis, ceux-ci s'efforçaient de leur côté de prouver son innocence. Leurs démarches étaient bien connues. Gui-Patin en parle dans une lettre du 16 mars 1666: «M. Fouquet le surintendant de jadis a eu soin de se faire plusieurs amis particuliers qui voudraient bien encore le servir, et en attendant l'occasion ils travaillent à faire un grand recueil de diverses pièces qui peuvent servir à sa justification; en ce recueil il y aura quatre volumes in-f°, dans lesquels sans doute le cardinal Mazarin ne trouvera pas de quoi être canonisé.»

Pape 448 Le roi d'Angleterre, Charles II. s'intéressa à Fouquet, si l'on en croit les lettres de Gui-Patin. Ce dernier écrivait au mois de septembre 1670: «Il est certain que le roi d'Angleterre a écrit au roi en faveur de M. Fouquet; mais il n'y a pas d'apparence que M. Colbert consente à cette liberté, contre laquelle il a fait tant de machines: interea patitur justus

Page 464. Pendant sa captivité à Pignerol Fouquet avait composé plusieurs ouvrages, d'où l'on tira les Conseils de la Sagesse ou recueil des maximes de Salomon, publiés en 1683 (2 vol. in-12). Fouquet se désigne lui-même dans la préface: «Il y a longtemps, Théotime, que vous me faites la grâce de me plaindre et de sentir pour moi les peines de ma solitude... Ces tristes spectacles et le silence affreux du désert où la fortune me retient encore n'empêchent pas que les heures n'y passent bien vite... Vous savez que je me consolois autrefois en livres, vous allez voir dans l'écrit que je vous envoie que je m'occupe maintenant à les expliquer.»

Un second ouvrage, tiré des papiers de Fouquet, fut publié sous ce titre: «Le Théologien, dans les conversations avec les sages et les grands du monde (Paris, 1683. in-4).

Un troisième ouvrage posthume de Fouquet, intitulé Méthode pour converser avec Dieu (1684, in-16) fut supprimé, quoiqu'il ne contint qu'un extrait des Conseils de la Sagesse. (Voy. sur ces divers traités l'ouvrage cité de M. Paul Lacroix, p. 250 et suiv.)

FIN DU SECOND VOLUME

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