Pauvre et douce Corée
Les lettrés coréens apprennent le chinois et composent des poésies savantes en chinois à l’instar des classiques. Mais ces chinoiseries n’émeuvent pas l’homme du peuple. Il a, lui aussi, sa poésie nationale, des chansons et des odes en coréen, où il retrouve les événements de sa vie, ses chagrins, ses rêves. Le pêcheur qui revient le soir avec son panier plein de goujons chante :
Un jeune forgeron qui voit son père avancer en âge s’écrie douloureusement :
La plupart des chants sont des plaintes d’amour très naïves, où les amants déçus prennent la nature pour confidente, délire habituel aux cœurs tendres :
Une chanson sera sur le bruit du vent et tous ceux qui ont entendu craquer les pins un jour de tourmente la réciteront avec plaisir au coin du feu :
Parfois le poète philosophe, mais c’est toujours avec mélancolie. Voilà six mille ans que les Orientaux ne se consolent pas de voir fuir le temps :
Le sens vif de la poésie n’a jamais manqué aux Coréens. Ils ont beaucoup vécu dans le rêve, bernés par leurs voisins. N’adoraient-ils pas les étoiles jusqu’au seizième siècle ?
Ils ont en outre une littérature sentencieuse, des proverbes à l’usage de la vie qui dénotent un bon sens moqueur et un esprit ouvert, sans malice, sur les ridicules. La sagesse coréenne n’est pas insipide et plate, elle a des aperçus vifs et courts, elle peint un défaut en trois mots. Les proverbes sont le miroir des races. Ceux de Corée nous montrent un pays pauvre, obligé de compter : « Offrir une poire à quelqu’un et mendier les pépins », « Je ne veux pas acheter de vin, fût-ce à ma propre tante, à moins qu’il ne soit bon marché » ; un pays de malchanceux : « Si je colporte du sel, il pleut ; si je colporte de la farine, le vent souffle » ; un pays où la misère est sordide : « Quand même la maison serait brûlée de fond en comble, ce serait encore un bienfait que d’être délivré des punaises. »
Le Coréen se garde de forcer son talent : « Si le roitelet essaye de marcher au même pas que la cigogne, il sera vite écartelé. » Il se moque doucement des ambitieux trop pressés : « Il veut tirer de l’eau chaude du puits » ; des mystérieux qui font le malin et l’entendu comme « un sourd-muet qui a mangé du miel » ; de ceux qui gaspillent leur peine : « Si vous creusez un puits, n’en creusez qu’un. » Il n’envie pas les hommes au pouvoir, points de mire des envieux et qui « mangent toute crue la chenille aux mille pattes », l’avanie. Il avertit même les rois que leur puissance a des bornes : « Un homme, quelque grand qu’il soit, est-il capable de cueillir les étoiles ? » « Même le roi s’embarrasse dans la vigne. »
Les proverbes plaisantent le muscadin de Séoul, le bourgeois qui fait du genre : « un homme sans jaquette qui porte des bagues en argent » ; les jeunes étourdis : « Un chien d’un jour ne craint pas le tigre » ; les incrédules : « Avez-vous besoin de toucher la procession ? » les palefreniers vantards : « Le courrier mange pendant que les chevaux galopent. »
Il en est qui font allusion à l’humble posture de la Corée, comprimée et foulée par ses voisins : « Quand les baleines combattent, les crevettes ont le dos brisé. » Il en est où le Coréen avoue naïvement sa déconvenue : « Il me dit de monter à l’arbre et puis il le secoua » ; et d’autres où il rumine les maux qu’il endure, le cœur révolté : « Même un ver de terre se souvient d’avoir été foulé aux pieds. »
Ces bons mots se colportent dans les campagnes, ils se disent aux foires et dans les auberges, ils résument la façon de sentir du pays, ils nous donnent naïvement le fruit de longues méditations : « L’abricot sauvage s’ouvre de lui-même. »