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Pauvre et douce Corée

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Les lettrés coréens apprennent le chinois et composent des poésies savantes en chinois à l’instar des classiques. Mais ces chinoiseries n’émeuvent pas l’homme du peuple. Il a, lui aussi, sa poésie nationale, des chansons et des odes en coréen, où il retrouve les événements de sa vie, ses chagrins, ses rêves. Le pêcheur qui revient le soir avec son panier plein de goujons chante :

Comme le soleil couchant
Éclaire l’étang d’une faible lueur,
Je serre ma ligne à contre-cœur
Et je cingle vers le rivage.
Au loin, sur l’écume des vagues
Les fées des ondes passent d’un pied léger
Et les mouettes, repliant leur aile fatiguée,
Tantôt volent, tantôt plongent.
Étalons nos poissons argentés ;
A travers leurs ouïes passons un brin de saule,
Allons d’abord au cabaret
Et puis à la maison.

Un jeune forgeron qui voit son père avancer en âge s’écrie douloureusement :

Cette barre de fer massive,
Je veux l’amincir en fils tellement longs
Qu’ils atteignent le soleil et qu’ils l’accrochent
Et l’empêchent de se coucher,
Pour que mes parents,
Dont les tempes commencent à blanchir,
Ne puissent plus vieillir d’un seul jour.

La plupart des chants sont des plaintes d’amour très naïves, où les amants déçus prennent la nature pour confidente, délire habituel aux cœurs tendres :

Dans la nuit j’entendis l’eau du ruisseau
Qui sanglotait
« C’est ton amant, disait-elle
Qui m’a dit de pleurer. »
Ruisseau, je t’en supplie,
Retourne, retourne en arrière
Et va lui dire que je pleure aussi !

Une chanson sera sur le bruit du vent et tous ceux qui ont entendu craquer les pins un jour de tourmente la réciteront avec plaisir au coin du feu :

Quand la grande terre pousse un soupir,
Nous disons que le vent s’élève,
Et nous disons que le vent est fort
Quand la terre crie par toutes ses fissures.
Alors quelle frayeur ont les arbres sur les collines !
Car toutes les brèches du sol,
Les gouffres et les fondrières, les trous et les étangs
S’emplissent de rumeurs et de sifflements,
De doux murmures et de longs aboiements,
De cris perçants et de grognements,
De voix basses et de voix qui grondent,
Bruit des vagues et mugissement des bœufs.
Alors la terre gémit par toutes ses blessures
Et les forêts en frémissent jusqu’au bout du monde.

Parfois le poète philosophe, mais c’est toujours avec mélancolie. Voilà six mille ans que les Orientaux ne se consolent pas de voir fuir le temps :

Blanches mouettes
Au vol libre
Quand vous nagez en pleine mer,
Il n’y a pour vous ni souci ni regret.
Parlez-nous de ces îles heureuses
Où les mortels peuvent laisser leurs chagrins
Et s’envoler à votre suite.
Cette montagne, ces eaux bleues
N’ont pas été créées en un seul jour,
Elles se sont sensiblement accrues.
J’ai grandi, moi aussi,
Ma jeunesse a poussé,
Mes années se sont déroulées
Et voici que la vieillesse s’avance.
La moitié de ma vie est déjà écoulée ;
Plus jamais je ne serai jeune, plus jamais
Si je pouvais au moins cesser de vieillir !
Si mes cheveux savaient le secret de ne plus blanchir !
Avons-nous quatre ou cinq corps ?
Avons-nous deux ou trois vies ?
Celle-ci est un mauvais rêve
Sans un instant de repos
Et nous ne connaissons à fond que la douleur.

Le sens vif de la poésie n’a jamais manqué aux Coréens. Ils ont beaucoup vécu dans le rêve, bernés par leurs voisins. N’adoraient-ils pas les étoiles jusqu’au seizième siècle ?

Ils ont en outre une littérature sentencieuse, des proverbes à l’usage de la vie qui dénotent un bon sens moqueur et un esprit ouvert, sans malice, sur les ridicules. La sagesse coréenne n’est pas insipide et plate, elle a des aperçus vifs et courts, elle peint un défaut en trois mots. Les proverbes sont le miroir des races. Ceux de Corée nous montrent un pays pauvre, obligé de compter : « Offrir une poire à quelqu’un et mendier les pépins », « Je ne veux pas acheter de vin, fût-ce à ma propre tante, à moins qu’il ne soit bon marché » ; un pays de malchanceux : « Si je colporte du sel, il pleut ; si je colporte de la farine, le vent souffle » ; un pays où la misère est sordide : « Quand même la maison serait brûlée de fond en comble, ce serait encore un bienfait que d’être délivré des punaises. »

Le Coréen se garde de forcer son talent : « Si le roitelet essaye de marcher au même pas que la cigogne, il sera vite écartelé. » Il se moque doucement des ambitieux trop pressés : « Il veut tirer de l’eau chaude du puits » ; des mystérieux qui font le malin et l’entendu comme « un sourd-muet qui a mangé du miel » ; de ceux qui gaspillent leur peine : « Si vous creusez un puits, n’en creusez qu’un. » Il n’envie pas les hommes au pouvoir, points de mire des envieux et qui « mangent toute crue la chenille aux mille pattes », l’avanie. Il avertit même les rois que leur puissance a des bornes : « Un homme, quelque grand qu’il soit, est-il capable de cueillir les étoiles ? » « Même le roi s’embarrasse dans la vigne. »

Les proverbes plaisantent le muscadin de Séoul, le bourgeois qui fait du genre : « un homme sans jaquette qui porte des bagues en argent » ; les jeunes étourdis : « Un chien d’un jour ne craint pas le tigre » ; les incrédules : « Avez-vous besoin de toucher la procession ? » les palefreniers vantards : « Le courrier mange pendant que les chevaux galopent. »

Il en est qui font allusion à l’humble posture de la Corée, comprimée et foulée par ses voisins : « Quand les baleines combattent, les crevettes ont le dos brisé. » Il en est où le Coréen avoue naïvement sa déconvenue : « Il me dit de monter à l’arbre et puis il le secoua » ; et d’autres où il rumine les maux qu’il endure, le cœur révolté : « Même un ver de terre se souvient d’avoir été foulé aux pieds. »

Ces bons mots se colportent dans les campagnes, ils se disent aux foires et dans les auberges, ils résument la façon de sentir du pays, ils nous donnent naïvement le fruit de longues méditations : « L’abricot sauvage s’ouvre de lui-même. »

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