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Pauvre et douce Corée

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Par les matins légers d’hiver les enfants vont en classe avec un grand bruit de sabots. Le dernier des coolies se saigne aux quatre veines pour que son fils apprenne à lire au moins le coréen et les marmots de la populace s’asseyent sur les bancs de l’école à côté des enfants nobles. Chez les uns l’habit est plus fin, le chapeau plus coquet, chez tous l’ardeur d’apprendre est la même : le respect dont ils voient les lettrés environnés leur fait désirer de s’instruire. Les plus intelligents apprennent le chinois et entreront dans la classe des interprètes, la seconde après la noblesse, les autres trouveront plus tard un passe-temps dans la lecture des romans coréens, mal imprimés sur du papier à chandelles, mais bourrés d’aventures merveilleuses. Aussi la classe est suivie, on la reconnaît au ramage qui s’échappe des fenêtres. Derrière la muraille mince les écoliers chantonnent la leçon ; les voix sont claires, alertes, et si l’on entre, on aperçoit des rangées de têtes éveillées, attentives, des fronts bien doués, des bouches souriantes, des figures qui vivent et qui comprennent. La vieille barbe grise et la paire de besicles qui enseignent semblent n’avoir aucun effort à faire pour jeter le bon grain dans ces petits cerveaux.

Après l’école enfantine, férus de chinois, les jeunes ambitieux coréens passent à l’école étrangère. La Corée est un pays faible, l’étranger y est puissant. Bien que la France n’ait sur elle aucune convoitise, elle y possède une influence par les chemins de fer, les mines, le service des postes : l’école française est donc fréquentée. Les élèves sont des jeunes gens avec la natte ou des pères de famille avec le chignon ; mais, en voyant ces grands garçons qui peinent pour apprendre notre langue, font des dictées, des cartes muettes et plissent leur front pour y faire entrer les noms de nos rivières et de nos départements, il est impossible de ne pas se sentir pris de sympathie pour ces braves gens. Si loin des Gaules, il est doux d’écouter sa « maternelle », même zézayée par un Coréen, et nous avons passé de longues heures dans cette petite école à côté de M. Y, de M. Pak ou de M. Hou qui épelaient de leur mieux l’histoire de France. Il fait bon entendre au bout du monde les noms de Vercingétorix, de Jeanne d’Arc, de Bayard et de Du Guesclin, et sentir qu’un étranger, si différent de nous, s’y intéresse. Sur le tableau noir les Coréens écrivaient d’une main sage en bouclant leurs majuscules : « La France est le plus beau pays du monde ! » Aucun d’eux n’y viendra sans doute, mais ils parleront sa langue, ils l’écriront, ils nous garderont une humble amitié. Ne la dédaignons pas.

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