Pauvre et douce Corée
Le Pou-Kan est cette montagne altière qui domine Séoul, au nord. Elle servait autrefois à la défense et elle est restée couverte par un rempart et des tours qui se détachent nettement sur sa crête. Pour y monter on sort de la ville par une des grand’portes et l’on prend la route impériale qui mène à Mouk-den et à Pékin, celle que suivaient naguère les ambassadeurs chinois quand ils apportaient à Séoul le calendrier ou qu’ils escortaient une princesse et sa dot. Les Japonais ont bâti sur ce chemin un arc de triomphe pour célébrer une indépendance dont les Coréens ne sont pas plus fiers.
La campagne aux portes de Séoul est riante et variée par des côtes, des plis de terrain, une suite de vallons fermés et paisibles où les villages sommeillent sous de vieux châtaigniers. Les champs sont en rizières, mais la culture a respecté les bouquets d’arbres, les troncs merveilleusement élancés des grands saules toujours tremblants. Les chemins, souvent taillés dans le roc, serpentent entre les potagers, les vergers de pruniers, de mûriers et d’abricotiers, animés par un va-et-vient d’habits blancs, de paysans qui poussent leurs taureaux, de femmes qui vont à la fontaine, une cruche noire sur la tête, et personne ne se presse, la lumière est belle, l’air léger, les gens heureux d’habiter un pays aussi calme.
Ces lieux champêtres étaient autrefois le rendez-vous des nobles qui y prenaient leurs soupers fins. Ils avaient des maisons de plaisance, des kiosques sous les arbres, des pelouses, des étangs et ils s’y promenaient au clair de lune avec des danseuses. Ils y amenaient des baladins et des acrobates. La vie était alors toute féodale : les gentilshommes campagnards ne voyageaient qu’en grand équipage et rendaient la justice en chemin, quand un suppliant se jetait devant leur chaise. Les chapeaux étaient trois fois plus grands, les pipes encore plus longues et les jupes des femmes si volumineuses qu’elles ne pouvaient marcher qu’à petits pas comme des déesses.
On quitte la route mandarine pour s’enfoncer dans les gorges du Pou-Kan et le paysage tourne au sévère. Les maisons deviennent rares, ce sont des hameaux de montagnards perdus dans un chaos de pierres. Les montagnes sont décharnées, à pic, d’une admirable sauvagerie, elles menacent le ciel de leurs dents de scie, et les remparts qui suivent les soubresauts de leur échine feraient de cette position une citadelle imprenable, si les Coréens voulaient se battre. Au printemps, ce ravin désolé est couvert de violettes et de pivoines et les gens de Séoul y viennent en promenade pour jouir de la vue.
Par un temps clair, en effet, du sommet du Pou-Kan on peut apercevoir un grand morceau de la Corée. C’est un pays rugueux, découpé comme un échiquier par des montagnes qui lèvent dans tous les sens leurs têtes sourcilleuses, barricadé dans ses rochers, partagé en une foule de vallées impraticables qui se défendent d’elles-mêmes. Elles ont jalousement protégé les vieilles mœurs et les naïves coutumes, les conquérants sont passés sur les grandes routes sans pénétrer au cœur du pays et il y aura toujours dans cette Corée bosselée et originale des chemins creux et des sentiers dérobés que l’étranger ne foulera pas.