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Pauvre et douce Corée

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Le blanc domine dans le costume coréen : c’est la couleur qui convient le mieux à ce peuple enfant. Vestes, pantalons, souliers, bonnets sont, dans la campagne, d’une blancheur éclatante, et les citadins portent tous le pardessus de toile flottant, blanchi, empesé, lustré par les soins des épouses. Les rues de Séoul ont tous les jours un air de fête grâce à ces vêtements clairs et les Coréens le savent bien : la moitié de leur gaieté serait détruite s’ils cessaient de s’habiller en blanc ; en vain les Japonais leur vantent le mac-farlane, ils restent fidèles à leurs habits neigeux et salissants, mais d’une beauté éblouissante dans cet air toujours sec.

Aussi loin qu’il s’expatrie, le Coréen garde son costume blanc. Au bord du fleuve Amour, quand on découvre un potager et un jardinier tout enfariné qui arrose ses choux, le planteur est sûrement un Coréen. A Vladivostok, au milieu des casaques ternes des Chinois et des pelisses russes, les habits blancs des Coréens détonnent joyeusement. « Se promener à l’étranger en veste de satin » c’est, dit le proverbe coréen, un acte parfaitement inutile. Pourtant ils s’y promènent, nul n’apprécie la richesse de leur accoutrement, mais ils croiraient trahir la vieille Corée en quittant sa livrée blanche.

La couleur est laissée aux jeunes gens, aux femmes et aux enfants et les préférences des Coréens vont aux couleurs tendres, au bleu de ciel, aux tons saumonés, au gris perle, aux couleurs d’œillet ou de pervenche. S’ils abordent les tons vifs, c’est avec une franchise de campagnards, portés aux couleurs qui chantent, aux vert pomme, aux rougeurs de pêche, aux cerises, à l’abricot. Leurs enfants ont l’air échappés d’un champ de fleurs, au printemps, papillons multicolores qui jettent un rayon de vie au milieu de la foule toute blanche et nonchalante.

Les habits des Coréens ne sont pas pratiques : ils portent de la toile dans un pays où il fait très froid l’hiver, des habits blancs comme ceux des Arabes dans une contrée qui n’est pas le désert. Pour se préserver de la boue ils ont de hautes semelles et des patins de bois qui les obligent à marcher d’un pas de procession. Ils endossent par-dessus l’habit des redingotes en fibres d’ortie aussi déchirables qu’une toile d’araignée ; ils ignorent les boutons et n’usent que de rubans ; ils enferment leur chignon dans des serre-tête incommodes en crin de cheval et portent en équilibre sur cette perruque un chapeau de bambou ou de crin précieux. Leurs femmes s’embarrassent dans de vraies crinolines, leurs jupes remontent jusque sous les bras et leurs gilets couvrent à peine leurs épaules. Elles se cachent la tête sous un grand manteau de soie aux manches flottantes et avancent difficilement, n’ayant ni les bras ni les jambes libres. Mais ce costume oblige à marcher posément, il est d’accord avec le train de la vie, jamais pressée, il a de la couleur, il fait de l’effet et les Coréens n’y renonceront qu’à contre-cœur parce que dans leur pauvreté ils aiment le blanc, la joie des yeux, et que leurs femmes seraient bien inoccupées si elles n’avaient à soigner jour et nuit leur vestiaire. Séoul est une grande blanchisserie où le tic tac des battoirs ne s’arrête jamais. Les femmes travaillent pour que leurs maris resplendissent et ainsi, pensent les Coréens, la vie est bien faite.

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