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Propos sur le christianisme

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VII
DE LA THÉOLOGIE

Il y a quelque chose de mort dans toute Théologie, quelque chose de mort aussi dans toute Géométrie. Ce sont des idées sous clef ; nul n’y va plus voir, et l’on en fait le compte par des registres et abrégés, comme font les teneurs de livres. Or ces provisions d’esprit se corrompent encore plus vite que les provisions de bouche. Et qu’est-ce qu’une idée à laquelle on ne pense point ? Bossuet prouve Dieu par les vérités éternelles. « Une vérité ne peut cesser d’être vérité. Descartes meurt, Bossuet meurt, la vérité ne meurt point. Mais comme une vérité n’est rien aussi sans quelque pensant, il existe donc un Pensant éternel ». Voilà une pensée de disciple et une armoire aux idées. Descartes est bien plus difficile à suivre, parce qu’il brise l’armoire aux idées et les idées mêmes, allant jusqu’à dire qu’il n’y a point du tout de vérités éternelles et que la volonté de Dieu en décide à chaque instant, même du triangle et du cercle. Comprenne qui pourra. Toujours est-il qu’il y a ici du scandale et une occasion de douter de l’indubitable, par quoi la théologie de Descartes se trouve animée d’incrédulité. Au feu les idoles. Ainsi va le vrai Géomètre, toujours doutant et défaisant, d’où les idées naissent et renaissent. Car je tiens que si l’on veut savoir ce que c’est qu’une ligne droite il faut y penser toujours, j’entends la vouloir et maintenir toujours, ce qui est douter et croire ensemble. Quant à la ligne droite qui tient d’elle-même, et qui est enfermée en quelque Palais des Mesures, je sais qu’elle n’est point droite. Rien au monde n’est droit.

Rien au monde n’est juste. Aucun objet n’est Dieu. Mais l’homme juste est celui qui pense toujours au juste, et continuellement le maintient et le veut, imitant le Dieu de Descartes en cette création continuée. C’est ainsi que le juste fait justice de tout, comme le géomètre fait géométrie de tout. Un tel homme ne se fie point à l’ordre des choses, et la pointe de son jugement toujours attaque la justice établie et vénérée, la redressant d’après le modèle qui n’existe pas. Ce feu du jugement moral, cette ardeur à briser, ce culte du Dieu seulement aimé, nu, et sans aucune puissance, voilà par où la religion vit et revit. Plus religion dans ce Socialiste que dans ce Thomiste. Mais il se peut bien que le socialisme soit théologique maintenant, et que la Justice soit maintenant sous clef dans quelque Pavillon des Justes Mesures. L’idée aura donc péri par la Suffisance.

On doit appeler machine, dans le sens le plus étendu, toute idée sans penseur. Je remarque que la téléphonie sans fil guérit de comprendre et même d’essayer de comprendre. Et l’avion a tué l’idée de l’avion, comme les ailes, en l’oiseau, ont tué le doute, âme des formules de Newton et d’Euler. Car qui pensera, si tout est pensé ? Qui réglera, si tout est réglé ? La violence est l’effet inévitable, et souvent prochain, d’une pensée sans aucun doute ; et c’est ce que l’on voit en gros chez les fous. Peut-être est-il dans la destinée de toute théologie, aussitôt achevée, de rouler sur la terre comme un char d’assaut, C’est ainsi que la puissance déshonore la justice.

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