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Propos sur le christianisme

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IX
PROPHÉTIES

En aucun temps je ne me fiai aux coteaux de l’Aisne comme en l’été de l’an quatorze. Je me trouvais réconcilié à cette terre, sauvage un peu par ses roches, et par les noms sinistres qui rappelaient les guerres de l’autre siècle. De précieux amis vieillissaient là. Vingt marches de pierre me conduisaient à leur jardin fleuri ; vingt marches encore, et l’on était au paisible jardin des morts, fleuri de marjolaine et d’hysope, autour de l’église paysanne. De ce promontoire la vue s’étendait presque jusqu’à Soissons, par une trouée fameuse. Sur le plateau à blé, presque à la hauteur du coq indicateur des vents, passait la Route des Dames au nom charmant. La falaise était riche de sureaux et de vignes et portait, sur ses pentes arides, des genévriers et un rosier sauvage à odeur musquée que je n’ai vu que là. On pouvait s’y plaire ; et, en ce mois de Juillet, j’achevais une clôture durable autour d’une maison de tisserand.

C’est là que j’entendis deux prophéties. Une première fois moi-même je vaticinai, je ne sais pourquoi, en compagnie d’un philosophe paysan, que l’on jugeait un peu fou. Cette sécurité des travaux, dont l’image s’offrait partout, me parut d’un moment, comme elle était. Il ne faut qu’une peste, disais-je, ou une querelle entre les hommes, pour que cette sauvage écorce de la terre, que l’on voit par places, recouvre le coteau, le plateau, la vallée, et les collines éparses semblables à des îles. Le soir, qui effaçait les différences, et la vue aussi de mon mélancolique compagnon, me faisaient penser à ces choses ; mais il me semble maintenant que je déclamai un peu plus que l’état présent ne le conseillait. L’avenir d’alors, maintenant passé, donne trop de sens à ces paroles de hasard.

Un autre jour ce fut une sorte de sorcière qui prophétisa, courbée en deux par les travaux, levant vers moi son regard bleu et son visage couleur de brique. Elle me montrait, dans le jardin et dans les vergers en terrasse, une quantité étonnante de taupinières, et elle parla en ces termes : « Vous savez ce qu’on dit par ici et ce que je sais ; autant de taupinières, autant de tombes. » Elle redit plusieurs fois la même chose, en regardant à droite et à gauche, comme elle avait coutume. Sur quoi je fermai mon imagination comme une porte, admirant comment la ressemblance fait preuve en ces esprits trop faibles pour soulever la métaphore. Or il y eut, partout par là, comme on sait, encore plus de tombes que de taupinières.

De ces rencontres émouvantes, je ne pense rien. Il y a, à toute minute, des rencontres aussi admirables que celles-là, si l’on voulait admirer ; et tout est signe dès que l’on cherche des signes. Du moins je comprends un peu mieux les temps homériques, et ces présages continuellement tirés des oiseaux, des nuages, de la foudre ; dont quelques-uns se trouvaient vérifiés par hasard, et beaucoup réalisés par l’action de ceux-là même qui y croyaient ; car souvent l’oracle conseille en même temps qu’il annonce ; et ce n’est pas merveille si la mêlée devient terrible, selon la prédiction, du moment qu’on y croit. Le monde n’a point changé, et notre sagesse repose toute sur elle-même. Qui veut croire trouvera des preuves, d’autant que le souvenir ne retrouve jamais le passé tel qu’il fut, mais le recouvre de ce qui a suivi, suspendant au présage l’accomplissement comme une couronne. Les dieux sont les premiers nés du souvenir.

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