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Propos sur le christianisme

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VI
HUMANITÉS

Il n’y a point d’Humanités modernes, par la même raison qui fait que coopération n’est pas société. Il faut que le passé éclaire le présent, sans quoi nos contemporains sont à nos yeux des animaux énigmatiques. Ils le sont pour nous, si nous manquons d’études ; ils le sont en eux-mêmes, s’ils manquent d’études. L’homme qui invente le téléphone sans fil n’est qu’un animal ingénieux ; ce qu’il peut montrer d’esprit vient d’autre source.

J’ai observé un certain genre d’incrédulité qui ne suffit à rien. Les dogmes de l’Église sont à première vue indémontrables et même absurdes. Soit donc, et laissons-les. Mais celui qui regarde dans les perspectives du temps aperçoit beaucoup d’autres dieux, d’autres cérémonies, et des temples qui parlent humainement. Chaîne d’énigmes qui détourne de s’ébahir parce qu’un polytechnicien va à la messe. Les hommes ont suivi bien d’autres messes. Mais il faut s’approcher ; il faut connaître un peu plus intimement le peuple du Droit, qui est le Romain, et le peuple Sophiste, qui est le Grec ; sans négliger le peuple adorant, qui est le Juif. Ici un sublime sauvage et impossible ; ici, par une crainte sans mesure, les superstitions de la main et du pied, du couteau de table et du pot à beurre. Dans les deux autres peuples, si proches de nous aussi, mais par d’autres côtés, des dieux en tout bois et sur toute colline, des oracles, des augures et des haruspices. L’Égypte et l’Assyrie, incompréhensibles, forment le fond lointain. L’Orient rêve encore derrière, et le Polynésien danse. On ignorerait tout de l’homme si l’on n’avait, par bonheur, familiarité avec les Juifs, avec les Grecs, avec les Romains, qui ont tant avancé en diverses parties de la sagesse, gardant avec cela d’étonnantes erreurs. Celui qui ignore cela est sauvage encore, par une incrédulité mal assise ; dont Montaigne nous peut guérir ; mais il nous renvoie aux anciens ; il y faut aller. Ou bien considérer Pascal comme une sorte de fou, et même Descartes, qui pélerina à Lorette. Ainsi le Moderne, j’entends sans culture rétrospective, ne voit que fous ; mais je l’attends au spiritisme, à la théosophie, à tous ces fruits de l’étonnement ; car ce sont des moments dépassés ; mais il faut les avoir dépassés et surmontés par une sorte de jeu. Les études classiques assurent le pied sur cette planète ; l’homme s’y étudie à croire sans se jeter. Nos folles guerres viennent certainement de trop croire, comme il arrive à ceux qui n’ont rien vu.

Polynésiens téléphonant ; cela ne fait pas un homme. D’où ces autels sanglants, et sans dieu. Mais tous les autels furent sanglants et sans dieu. On ne remarque pas assez que l’humaniste, déjà avec rosa la rose, se lave les mains de ce sang mêlé à l’eau de la source Bandusienne. Les Bacchantes retournent à la frise de marbre. Poésie guérit de frénésie. Les surprises du cœur sont disciplinées ; un dieu balance l’autre. Le galop des Centaures ne jette plus dans la charge panique. Déjà Socrate et Phèdre, leurs pieds nus dans l’eau, s’amusaient à l’entendre. Ce sont nos travaux d’Hercule, et nos voyages d’esprit, par quoi nous effaçons sur la médaille humaine ce pli de fanatisme bas. D’où mûrira l’enthousiasme qui ne tue point. Jaurès modèle. Modèle de tous, et du forgeron encore mieux ; car toute force est redoutable, et à elle-même aussi. Les Belles-Lettres donc pour tous ? Et pourquoi non ? Regardons cette idée en face.

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