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Propos sur le christianisme

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III
PROMÉTHÉE

Une tombe, une grossière image, des marques reconnues sur l’arc ou sur la hache changent soudain les pensées. L’air natal, le jardin de la première enfance et des premiers jeux, la maison paternelle, les rues de la ville et les bonnes femmes au marché, toutes ces choses reconnues font bien mieux encore que verser des souvenirs, des regrets, des affections ; elles disposent le corps selon la confiance puérile, depuis longtemps oubliée ; c’est une douceur et une grâce que l’on sent et que l’on touche ; les passions amères sont aussitôt déliées ; c’est l’heure des espoirs et des serments ; c’est un retour de force et de jeunesse. Ainsi nos naïfs ancêtres, touchés par la beauté des choses, adorèrent une invisible présence ; d’abord des morts familiers, puis des morts illustres, à mesure que les vivants se réunissaient pour éprouver de nouveau, et bien plus fortes, ces émotions délicieuses. Les temples, par la masse, l’écho, les souvenirs accumulés, grandirent le Dieu. Le retour des cérémonies, les récits qu’on en faisait, les chants et les danses portèrent les sentiments esthétiques jusqu’à une sorte de délire. Les malheureux furent consolés ; bientôt ils furent consolés en espoir, et, par la prière, ils évoquèrent l’assemblée dans la solitude. C’est pourquoi il ne faut point dire que l’on éleva d’abord des temples en l’honneur des dieux ; mais il y eut des monuments, des maisons plus grandes et plus solides, des reliques de l’homme, des pierres et des nœuds de bois à sa ressemblance, bientôt sculptés par le témoignage des mains. Le dieu vint habiter l’idole et le temple.

La première réflexion porta sur ce grand et mystérieux sujet. On croyait aisément et même avec ferveur tout ce qui visait à expliquer tant bien que mal le bonheur le plus étonnant. Le miracle fut ainsi la première preuve.

Il faut admirer comment les plus sages, toujours ramenés au positif par la pratique des métiers, parvinrent à mettre un peu d’ordre et de raison dans les inventions théologiques. Il est vrai que les guerres formaient des grandes unités politiques, et qu’il fallait établir la paix aussi chez les Dieux. La parenté des dieux, et le pouvoir patriarcal transporté dans l’Olympe, furent des inventions comparables à celles de Copernic et de Newton. Les théogonies, dont nous voulons rire, marquèrent un immense progrès de la raison commune. La Sagesse, fille de la Beauté, trouva asile chez les Dieux ; et les philosophes commencèrent à réfléchir à leur tour sur les mythes populaires, soupçonnant déjà que l’homme juste dictait ses lois à Jupiter.

D’après cela il faut considérer le catholicisme comme un progrès décisif, même dans l’ordre intellectuel, puisqu’en décrétant un seul Dieu et une seule loi pour tous les hommes, il réduisit les autres dieux à l’état de puissances subalternes, et tendit toujours énergiquement à purifier les miracles, en les ramenant au cœur humain, qui est le vrai lieu des miracles. Il est clair que ce nouvel objet devait être soumis de nouveau à la réflexion et à la critique, et que le Dieu métaphysique, qui n’intervient plus que selon les lois immuables de la sagesse, devait rassembler en son idée toute l’humaine espérance. Pour peu de temps ; car le progrès des sciences, né lui-même de ce long mouvement de réflexion, touchait déjà, avec Descartes, à ce moment de l’esprit où l’imagination, avec son cortège de dieux, est enfin logée dans le corps humain. Prométhée connaît maintenant le secret des Dieux.

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