Propos sur le christianisme
XXII
LE CATÉCHISME
L’Église en son admirable tentative d’universelle réconciliation, se fondait sur cette idée que les hommes, si différents qu’ils soient par l’aspect, la force, les aptitudes, et encore divisés par les passions et les intérêts, ont en commun l’Esprit, qui est justement ce qu’il y a de plus éminent en chacun d’eux, et qui soutient et porte tout le reste. Cette idée de l’Humanité Réelle n’était pas inconnue aux grands Anciens ; elle est impliquée dans Platon, explicite dans Marc-Aurèle. Mais enfin c’est l’Église qui a tenté pour la première fois sur cette Planète d’enseigner la Fraternité selon la Fraternité même, c’est-à-dire à tous, sans considérer la puissance, la richesse ou les aptitudes. Le Catéchisme est le premier essai de l’École universelle. Et quoiqu’elle parlât par figures, la doctrine était émouvante et persuasive par l’idée qui y était cachée, qui n’est autre que l’idée de l’Esprit Humain. Nos mœurs sont encore, et heureusement pénétrées et vivifiées de ce puissant système auquel nous devons la dignité de la femme, l’esprit chevaleresque, et l’idée d’un Pouvoir Spirituel au-dessus des rois et des nations.
Mais, comme dit Auguste Comte, ce système, d’inspiration droite, et qui poussa assez loin l’organisation de l’immense famille humaine, a manqué par le haut. Il est bon de sentir en soi la communauté humaine ; mais il faut encore pouvoir l’éprouver par le doute et l’investigation. Faute d’une doctrine démontrable, l’Église était menacée de deux côtés ; d’un côté par tous les genres d’inspirés et d’énergumènes, qui devaient proposer et ont proposé en effet des croyances tout aussi arbitraires et tout aussi peu vraisemblables que les détails du dogme, surtout pris à la lettre. Et d’un autre côté l’élite même des penseurs, des organisateurs, des instituteurs, dont l’Église ne pouvait se passer, devait frapper, sonder, éprouver la doctrine, d’après ce sentiment de l’Universel qui les portait énergiquement à la recherche des preuves. Ainsi la grande idée de l’Église devait périr faute de contenu.
C’est la Science Positive qui a institué le contenu et la preuve de l’Idée Catholique. Car il est vrai que les hommes s’accordent par le dedans, et en quelque sorte en puissance ; mais c’est la démonstration qui les accorde réellement, par le double moyen de la théorie et de l’expérience. Et il n’est point nécessaire qu’un homme sache tout et comprenne tout ; il suffit qu’il sache et comprenne bien une seule chose pour qu’il se sente en cela le frère et le semblable de tous ceux qui savent et comprennent. Par exemple, pour une éclipse, ils peuvent tous suivre, à l’heure fixée, le passage de la lune sur le soleil ; cette prédiction qui s’accomplit, c’est le miracle de l’esprit. Mais, sans pénétrer jusqu’aux détails la théorie de l’éclipse, ils peuvent encore se faire une idée suffisante des raisonnements et calculs qui permettent de prévoir la durée de l’éclipse, l’heure et le lieu où elle sera visible. Qu’ils remarquent seulement le tour de la lune d’Ouest en Est parmi les étoiles ; qu’ils le comparent au tour que fait le Soleil dans le même sens, mais en un an ; ils comprendront déjà que la lune rattrape et dépasse le soleil, et qu’ainsi l’éclipse commence par l’ouest. Comparant aussi les deux vitesses, qui diffèrent l’une de l’autre en gros comme le mois et l’année, ils calculeront la durée d’une éclipse sans erreur grossière, assez pour éprouver en eux-mêmes et éveiller en eux-mêmes cette puissance de penser qui a déjà effacé de ce monde la terreur, la fureur et les querelles que l’éclipse traînait dans son ombre, et qui effacera bien d’autres terreurs, fureurs et querelles, à mesure que les hommes prendront le goût de penser. Ainsi je suivais l’Idée, en marchant sur des ombres en forme de faucilles, pendant que les hommes, les uns à travers un verre noirci, les autres dans le reflet des eaux, regardaient l’Image. L’Esprit de Platon était avec nous.