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Propos sur le christianisme

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XXXVII
LES VERTUS THÉOLOGALES

Quand on voit qu’un homme qui entreprend quelque chose doute déjà de réussir avant d’avoir essayé, on dit qu’il n’a pas la Foi. Cette manière de dire est consacrée par l’usage. Une immense idée, que les anciens soupçonnaient à peine, s’est dégagée des langes théologiques, et marche maintenant sur la terre, sans aucun soutien extérieur. Mais il faut développer ce riche héritage.

Quand un homme doute au sujet de ses propres entreprises, soit qu’il organise la paix, soit qu’il veuille réformer la justice, soit qu’il prépare sa propre fortune, il craint toujours trois choses ensemble, les autres hommes, la nécessité extérieure et lui-même. Or il est évidemment fou d’entreprendre si l’on ne se fie d’abord à soi. Vouloir sans croire que l’on saura vouloir, sans se faire à soi-même un grand serment, ce n’est point vouloir. Qui se prévoit lui-même faible et inconstant, il l’est déjà. On ne peut ici s’en rapporter à l’expérience, parce qu’une volonté ferme ou chancelante change l’expérience. Il n’est pas sûr que les chemins s’ouvriront si vous avez la foi, mais il est sûr que tous les chemins seront fermés si vous n’avez pas d’abord la foi. C’est se battre en vaincu ; c’est sauter le fossé avec l’idée qu’on tombera dedans. Si chacun doute d’abord de son propre vouloir, il n’en faut pas plus, guerre suivra guerre. Ainsi la première vertu est Foi.

La Foi ne peut aller sans l’Espérance. Quand les grimpeurs observèrent de loin les premières pentes de l’Everest, tout était obstacle. C’est en avançant qu’ils trouvèrent des passages. C’est pourquoi décider d’avance et de loin que les choses feront obstacle au vouloir, ce n’est pas vouloir. Essayer avec l’idée que la route est barrée, ce n’est pas essayer. Aussi voit-on que les Inventeurs et Réformateurs tournent autour de la montagne, et s’avancent par chaque vallée aussi loin qu’ils le peuvent, et trouvent finalement passage ; car dans la variété des choses, qui est indifférente, qui n’est ni pour nous ni contre nous, il se trouve toujours occasion et place pour le pied. Et, selon le sens commun des mots, cette vertu devant les choses est bien l’Espérance.

Les hommes sont toujours dans le jeu. Que peut-on au monde sans la foi et l’espérance des autres ? Mais souvent les hommes sont presque tout et même tout ; la paix et la justice dépendent des hommes seulement. C’est pourquoi la Misanthropie tue l’espérance et même la foi. Si les hommes sont ignorants et paresseux sans remède, que puis-je tenter ? Tenterai-je seulement d’instruire un homme si je le crois stupide et frivole ? Il y a donc un genre d’Espérance qui concerne les hommes et dont le vrai nom est Charité. Et cette puissante idée, élaborée ainsi que les deux autres par la Révolution Chrétienne, n’est pas encore entrée avec tout son sens dans le langage populaire, qui s’en tient ici aux effets extérieurs. Le faible et abstrait devoir d’aimer ses semblables n’est pas encore rentré dans la sphère des devoirs envers soi-même. Ce sentiment est laissé à l’estomac. Mais, par la force de la commune pensée, conservée par le commun langage, le mot Charité se maintient dans le domaine des choses qu’il faut vouloir, et y développera tout son sens. Alors la pensée commune apprendra aux philosophes étonnés que la Foi, l’Espérance et la Charité sont des vertus.

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