Propos sur le christianisme
XLIII
LA TRINITÉ
Considéré, autant que faire se peut, selon la rigueur de l’entendement, le christianisme offre un ensemble de vérités sans reproche. Ce dieu nouveau, qui enfin est homme, termine un long tâtonnement d’idolâtrie errante, assuré enfin dans son vrai chemin par le dieu grec, à la fois athlétique et politique. Mais on n’en pouvait rester à cette forme extérieure ni à cette société extérieure. Le plus divin, en ce dieu homme, c’est la conscience ; et la conscience, élevée aussitôt jusqu’à l’esprit, propose une autre société et une autre vie. Voilà donc l’Esprit. Mais pourquoi le Fils et le Père ?
D’abord, pourquoi le Fils, dit aussi Fils de l’Homme ? Cela signifie que la forme humaine faible, souffrante et séparée, est divine encore. Entendez que la condition de l’esprit en cette forme ne doit point être exigée d’abord. Un ignorant, un méchant, un fou exigent encore respect par la seule forme extérieure. Ainsi le culte cherche l’esprit et l’espère, comme l’enfant dieu le signifie assez. Il me semble aussi que le bœuf et l’âne ne sont point hors de place dans cette puissante image ; ils figurent les dieux de l’Inde et de l’Égypte, déchus, mais encore participants.
Mais que signifie le rapport du Père et du Fils ? Le Dieu des anciens dieux fut toujours le Destin ou la Nécessité, ce qui revient à dire le Monde en son inexplicable existence, puissant par là absolument, mais aussi en ses raisonnables, explicables, irréprochables connexions qui font suivre l’effet de la cause selon une sorte de justice implacable. En cet être nous baignons de toutes parts ; nous vivons de lui et sommes nés de lui ; dépendants en ce sens, et sans remède. Car, si haut que l’esprit nous élève jamais, il faudra d’abord vivre, c’est-à-dire d’abord obéir, et encore mieux bénir cette obéissance qui nous donne pouvoir. Ainsi le plus ancien des dieux est encore immensité, puissance et sagesse. Cette idée ne doit pas être oubliée, ni l’autre, ni non plus l’autre. Et que les trois ne fassent qu’une, c’est ce que l’esprit termine, retrouvant ses propres lois en cet univers. Tel est le sommaire de nos pensées, et ceux qui ne le développeront pas ne développeront rien. Tout homme qui connaît, si peu que ce soit, connaît selon ces relations souveraines.
Peut-on adorer les images ? Mais que peut-on adorer, sinon des images ? Le géomètre lui-même ne se passe point de ces tracés grossiers qui disposent son corps comme pour accompagner l’attention intellectuelle. Mais bien plus justes encore, bien plus puissantes pour nous délivrer de ce mouvement étranglé des passions, plus justes et plus puissantes sont ces images si exactement propres à soutenir nos pensées, et ainsi à réconcilier le corps et l’esprit. Ces métaphores parlées ou chantées, maçonnées, sculptées ou peintes, sont la première preuve, et encore la dernière. Elles préparent, par cette atteinte du beau, corporelle certainement, mais spirituelle aussi. Car le beau n’a jamais rien coûté à l’intelligence, ni jamais exigé d’elle aucun reniement, et c’est ce qu’annonce la belle image. Mais le beau est encore ce qui termine nos pensées et les rassemble. Éveil à la fois et sommeil de nos pensées, comme la musique, ouvrant et fermant sans cesse la porte d’inquiétude, le représente si bien. Toutefois ce n’est pas assez de chanter au lutrin ; et c’est le mouvement même de la religion humaine qui nous rappelle que l’esprit est aussi quelque chose.