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Propos sur le christianisme

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VIII
L’HOMME DE DIEU

L’homme de dieu vient sans avertir, et s’en va de même ; soit qu’il parle, soit qu’il revive un moment en ses écrits austères, soit qu’un rude apôtre nous ramène à la doctrine. Et que dit l’homme de dieu ? Il dit que nulle puissance de ce monde étalé ne mérite respect ; il dit qu’un César vaut l’autre, et qu’aucune justice ne naîtra ni par les triques ni par les piques. Que la perfection est toute dans ce pouvoir invisible de penser et de vouloir, et enfin de se gouverner soi-même. Que nous sommes comptables premièrement de cette paix avec nous-mêmes qui dépend de nous. Que nous sommes rois chacun de notre petit royaume, et qu’en voilà bien assez pour nous occuper. Que les choses humaines autour de nous, si mauvaises qu’elles soient, font assez voir une justice redoutable, par toutes ces passions que l’on voit prises à leur propre piège et par ces flèches qui reviennent sur l’archer. Qu’on ne recrute que l’envie contre l’ambition, que la lâcheté contre l’orgueil et la fureur ; que, s’il fallait choisir, la condition de l’esclave est encore la meilleure, parce que la nécessité d’obéir nous conduit naturellement à régner sur nous-mêmes ; au lieu que le lourd devoir de gouverner nous jette hors de nous et dans les apparences de la justice. Qu’ainsi chacun doit rester à sa place ; que chacun doit craindre d’avoir et craindre de pouvoir. Que de toute façon l’épreuve de la souffrance et de la mort est commune à tous et imposée, non point par quelque César, ce qui montre assez que notre travail d’homme n’est pas d’écarter l’épreuve, mais plutôt de la surmonter par la ressource de l’esprit. Que c’est la même épreuve pour le soldat et pour tous, et qu’il faut un aveuglement volontaire, c’est-à-dire la plus grande lâcheté de l’esprit, pour que nous nous trompions là-dessus. Qu’au reste ce surcroît de maux, si c’en est un, qui vient des hommes est très évidemment la suite de leurs erreurs, mensonges et convoitises, et que nul ne peut se permettre de s’en plaindre s’il ne s’est purifié lui-même.

L’homme de dieu est importun. Il faut pourtant suivre aussi ces pensées hivernales, faire retraite et carême. Le paysage dénudé nous y invite. Quand toutes les feuilles sont tombées, le soleil touche la terre justement en ses points de fertilité. Mais ce n’est qu’un moment. L’esprit revient là, mais n’y peut rester. Parce qu’il s’est mis au monastère, s’appliquant à ne respecter que ce qu’il doit respecter, par cela même il en doit sortir. Comme ce corps vivant sait bien rappeler l’esprit qui veut s’exiler, ainsi les pouvoirs excommuniés par le silence de l’esprit appellent au secours ; car César aussi est l’homme de dieu, et conspire avec tous contre lui-même. Tout homme veut respect ; et tout homme s’y connaît. Non pas cette obéissance séparée ; personne n’en veut. Il n’est point de riche qui cherche seulement la richesse ; tout ambitieux veut approbation. Et de même j’ai remarqué que celui qui refuse le mieux n’est pas celui qui se plaint le plus. Tous ces morts n’irritent en effet que la partie mortelle, et cela ne va pas loin. Mais un mensonge qui cherche approbation irrite autrement ; est-ce irriter qu’il faut dire ? Il réveille la partie haute. On a observé pourtant que révolte ne vient pas tant de misère ; mais on n’en tire point la conséquence qui est que la sottise est moins supportée qu’aucun autre mal, peut-être par cet écho en nous-mêmes. Car ces sottises naissent et renaissent en chacun, par cette âme de vérité qui en doit sortir ; et l’homme de dieu ne peut pas nous permettre de laisser l’esprit dans ses langes. Ce ne sont point les actes, ce sont les discours qui nous appellent. César veut penser ; César, nous sommes de ta suite. Cette collaboration ne se refuse point.

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