Propos sur le christianisme
XXIX
LA VIERGE MÈRE
En ces jours cléments du mois d’août, on voit partout des mères portant des tout petits à peine nés. Chacun admire ces mouvements de piété parfaite, cette paix, cette espérance, cet enveloppement, cette précaution, surtout ce retour de l’enfant vers sa propre vie, parfaite amitié et adhérence, qui n’a point lassé les peintres. A bon droit les prêtres célèbrent la Vierge Mère en ces temps du plein été. Mais y penseront-ils seulement ? Et qui donc y pensera ? Le vrai culte se voit dans la foule, sans une seule faute ; l’impatient se range de lui-même ; la mère passe la première partout, comme une reine. Ce bonheur sans paroles, et par la seule vue, range les passions et les fait sourire.
Que l’athlète ait été adoré au-dessus des aveugles forces, c’est un beau moment. Mais l’Humanité montre de la suite et une parfaite philosophie, comme les mythes le font voir. Le Juste en croix est dieu déjà dans le Gorgias de Platon ; cette idée étonne ; Socrate n’en peut trouver de preuve que dans sa propre volonté. Voyez pourtant comment une idée peut faire son chemin. Mais la commune méditation ne pouvait s’arrêter là, et la froide doctrine de l’homme dut plier devant l’intercession de la Vierge Mère. Cette simple image de la mère et de l’enfant vainquit les docteurs. L’enfant Jésus régna par le bonheur, comme règne l’Été. Tel est l’ordre des idées ; nos aigres doctrinaires n’y changeront rien. La beauté est heureusement la règle première et dernière de nos pensées.
« La femme, dit le sévère Aristote, doit surmonter la difficulté d’obéir. » Cette pensée semble heurter l’autre, et la femme elle-même s’y trompe ; mais qui donc pense selon son propre être ? Il serait mieux de contempler le vrai visage du commandement, qui n’est que celui de la nécessité extérieure. Il n’y a ici qu’une fausse majesté. « Il faut », c’est le mot du roi, et c’est le mot de l’homme ; mais c’est comme s’il disait : « Je ne puis. » Entendez cet aveu toujours dans les orgueilleuses déclamations du chef. Or, pour savoir ce qui est de nécessité, il n’y a qu’à observer, compter et mesurer sans aucun respect. La nécessité d’obéir est commune à l’homme et à la femme ; mais c’est plutôt l’homme, observateur et mesureur des choses, qui la fait connaître ; et cela ne mérite point respect, mais seulement précaution. Les passions de l’orgueil doivent être apaisées par cette vue, aussi bien chez l’esclave que chez le maître.
Où donc est l’abus ? En ceci que les passions commandent plus qu’il ne faudrait. Et où donc le remède, sinon en cette Humanité persuasive par sa seule présence ? Et cette opinion de présence ferait assez si la folle ambition de la femme n’empruntait les pensées de l’homme, afin de participer aussi à ce pouvoir du chef, qui n’est qu’esclavage. La femme est mégère en ce rôle ; car la mesure, du moins, sauve le chef ; mais les Furies, comme l’art ancien l’avait senti, sont bien nos punitions. Que de Furies au temps des massacres ! Ce laid visage nous avertit assez ; mais le laid avertit mal, parce qu’il irrite. Adorons maintenant le vrai et beau visage des mères. Guérissons-nous de grimace. Imitons cette paix. La justice suivra.