Propos sur le christianisme
X
DES MÉTAPHORES
Je n’approuve point ceux qui veulent changer la pantoufle de verre, dans Cendrillon, disant que ce n’est point du verre, et qu’il n’y eut jamais de pantoufles de verre, chose dure et cassante, mais qu’il s’agit de vair qui est fourrure souple et chaude. Remarquez qu’il y a bien d’autres choses impossibles, dans les autres contes et dans celui-là. Mais l’érudit est assez content d’avoir remis une pantoufle en place ; il attend l’occasion d’expliquer par la même méthode la citrouille qui devient carrosse, ou cette ronde de petites filles, qui, à force de tourner, devient motte de beurre. On peut rire du pédant ; mais il faut quelquefois le prendre au sérieux. C’est la sottise armée.
Je range le Pédant dans la puissante classe des Détourneurs, dans laquelle on trouve aussi des espèces non dépourvues d’élégance. Et la chasse du Détourneur est une chasse aux Idées. Dès qu’une idée s’envole ils la tuent, comme on tue les Idées, en détournant de les chercher. L’Esprit se jette sur quelque pauvre relation bien aisée à saisir et à redresser. Il rit de cette victoire facile, et le Détourneur marque un point.
J’ai dit souvent que tous les contes sont vrais ; mais ce n’est pas assez dire. La profonde sagesse populaire est plus rusée que nos philosophes. Et, au rebours du Détourneur, elle nous met en garde contre cette fausse Raison, qui n’est qu’imagination conforme à la coutume. Et par un piquant moyen, aussi ancien que l’espèce humaine, qui est de nous jeter l’absurde aux yeux, de grossir et de redoubler l’impossible, par quoi l’imagination est définie, en même temps qu’elle est éveillée, et rappelée à son rôle de Folle. A quoi servent aussi ces comparaisons étranges que le génie poétique jette comme un défi. J’admire la grandeur des enfants, qui ne discutent jamais sur la Lettre. Non qu’ils saisissent d’abord l’Esprit ; mais ils savent bien que l’Esprit ne vise pas ce maigre gibier. Ainsi en s’amusant de l’absurde ils ne déshonorent pas l’Esprit, mais au contraire ils l’honorent. Par la croissance qu’il sent à l’œuvre en lui, et qui lui donne espoir et patience, ce bel âge voit grand. Il attend quelque chose de mieux que des fictions cohérentes. Certes il y a de la Majesté à laisser jouer l’Imagination en même temps que le corps, et par les mêmes lois. Mais il y a quelque chose d’impérieux aussi à vouloir que l’absurde soit conservé comme il est ; c’est refuser les petites raisons. Shakespeare se moque de ceux qui voudraient comprendre comment Othello ou Hamlet sont passés d’un lieu à l’autre, invitant ainsi énergiquement le spectateur à comprendre d’autres vérités, plus cachées et plus difficiles. Sur l’absurde même l’Esprit rebondit, car il n’y peut rester. Cette apparence ne peut tromper, il faut donc voir au delà. Ces signes nous délivrent des signes. Au contraire, par des signes de raisonnable apparence, nous venons à penser les signes, et la coutume nous tient. Telle est la vieillesse de l’Esprit.