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Propos sur le christianisme

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XV
LA CATHÉDRALE

« L’Église, dit l’un, est le théâtre du peuple. La messe est un drame musical dont la fable n’intéresse plus, mais qui plaît encore par les formes architecturales, la musique et les cortèges. Je ne vois, parmi nos arts réels, que la Revue Militaire qui ait autant de puissance que la messe ; et je crois que cette nouvelle religion, qui nous emporte, agit encore plus que l’autre, qui nous retient. Ceux qui veulent être étrangers à l’une et à l’autre n’ont point d’art solide qui les dispose selon leurs idées par gymnastique et musique. Nos théâtres profanes sont légers comme leurs toiles peintes ; ce jeu d’apparences délasse et disperse ; il ne peut mieux. L’Humanité n’a point de temples. »

« Il faudrait donc, dit l’autre, un théâtre plus solidement planté ; des décors de pierre convenables pour tout drame humain, et qui fassent réellement comme un fond de tableau pour le spectacle de notre vie. Une architecture qui assemble les formes des abris naturels et celles de nos toits. De puissants échos qui détournent de crier, et qui ramènent la parole au chant, et le chant lui-même à la décence. Un lieu pour la méditation commune, d’où soit bannie la dangereuse Effervescence, qui traîne Violence à sa suite. Remarquez que le théâtre profane arrive à apaiser cette agitation qu’il excite, et cela par les signes partout visibles de la Frivolité. Il y a un ridicule, dans toutes les scènes d’Opéra, dont le spectateur ne sent pas tout le prix ; c’est ce ridicule qui détourne de croire vraiment, d’aimer et de haïr vraiment. Ce que la Comédie met en pleine lumière, afin de rompre le fanatisme par le rire, se trouve déjà enfermé dans la Tragédie. Ces arts sont bien dits profanes, car ils usent la foi. Le théâtre de l’Humanité, au contraire, se doit garder du mensonge, et donc se relier, sans aucun intermédiaire, à l’art de l’architecte, qui ne sait pas mentir. De nouveau le théâtre sera temple, et le temple, théâtre. »

« Maintenant, dit le premier, quelle tragédie en ce solide décor ? Il n’y a qu’un drame, il me semble ; c’est l’esprit humain à l’épreuve, et harcelé par la nature inférieure. En chacun c’est le seul drame et c’est la passion essentielle. Mais ce qui n’est que passion n’est plus rien du tout ; car il n’importe point à la pierre de rouler ou de s’arrêter. Il faut donc, pour que le drame s’élève, quelque centre de résistance, quelque génie intérieur qui dise non aux forces, enfin quelque dieu insulté. Défaite, d’une certaine manière, parce qu’aucun homme n’achève rien de ce qu’il veut ; mais victoire en ce sens que toujours l’Esprit est ressuscité. Toujours le juste est vaincu par les forces, mais toujours la justice garde valeur. La guerre peut tout contre la paix, excepté de la rendre moins belle. Que le juste soit méprisé, renié, mis en croix, et adoré, d’un même mouvement en tous, et d’un même mouvement en lui-même, tel est le drame humain, sans aucun dieu extérieur. Comédie et Tragédie ont le même âge que les dieux homériques ; ici la Fatalité règne seule, sous l’aspect du mécanisme extérieur. Le drame des temps nouveaux ne fera qu’un avec le nouveau culte. Mais qui l’écrira ? »

L’œuvre est toujours faite avant qu’on y pense. Et le symbole signifie bien avant qu’on ait songé à le comprendre. Le dieu de pierre attend.

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