Douze aventures sentimentales, suivies d'autres histoires d'à présent
THÉRÈSE
Dans le beau jardin du pensionnat de Mme Bayle, à Auteuil, les « grandes », une quinzaine de toutes jeunes filles, se promenaient par groupes.
Simone Presles, une petite blonde vive et rieuse, s’était emparée de la « nouvelle » que la directrice venait de présenter.
— Alors, vous vous appelez Thérèse Ferrière ? C’est un joli nom. Est-ce que vous avez déjà été en pension ? Mais je suis bête, il faut nous tutoyer !… Comme c’est drôle, qu’on t’ait mise ici à Pâques !…
La nouvelle restait silencieuse et comme effarouchée. C’était une enfant vêtue de deuil, mince et brune, aux grands yeux sombres et aux lourds cheveux indisciplinés. Elle finit par dire quelques mots d’elle-même : elle avait perdu ses parents quand elle était toute petite, et elle avait été élevée au fond de la Vendée, dans un vieux château solitaire, par une grand’mère fantasque qui venait de mourir, la laissant aux soins d’un tuteur qui habitait Paris et qu’elle connaissait à peine.
— Et qui as-tu à la guerre ? interrompit Simone. Moi, mon père est colonel. Il commande un régiment dans les Vosges. Et j’ai un cousin qui est lieutenant ; il a été blessé… Dis donc, Madeleine, s’écria-t-elle en arrêtant une des pensionnaires, tu ne m’as pas donné de nouvelles de ton frère !
— Oh ! il va bien, maintenant, dit Madeleine. Mais Germaine n’a pas de nouvelles de son père depuis quinze jours, ajouta-t-elle en baissant la voix, et le beau-frère de Lucie est prisonnier…
D’autres jeunes filles s’étaient jointes à elles et elles parlaient de ceux qu’elles avaient là-bas, pères où frères, cousins ou amis. Et toutes avaient tant de hâte à raconter qu’elles ne s’écoutaient pas mutuellement.
Cependant, Thérèse ne disant rien, Simone la prit à part, afin d’avoir une auditrice.
— Mon cousin s’appelle Robert Tréman. Je voudrais bien que tu le voies… Il m’écrit… oh ! pas très souvent, parce qu’il n’a pas le temps… Il est venu une fois me voir au parloir… Toutes étaient jalouses… Mais tu penses si je suis tourmentée !… J’ai mon père, j’ai Robert, et puis j’ai aussi un autre cousin et un oncle… Et toi, qui as-tu ? Raconte aussi.
— Je n’ai rien à raconter, murmura Thérèse.
— Oh ! tu rougis. Comme tu rougis ! s’écria Simone… Oh ! la cachottière !… Raconte tout de suite !…
Un coup de cloche l’interrompit, mais, tandis que la surveillante, Mlle Honoré, une personne sèche et effacée, les faisait rentrer, Simone, persuadée que la nouvelle avait un secret passionnant, continua inlassablement ses instances auxquelles les autres « grandes », mises au courant, joignirent les leurs.
Thérèse, pendant toute une semaine, résista. De temps à autre, elle semblait vouloir parler, mais ne s’y décidait pas. Enfin, un soir, excédée de questions, elle commença quelques confidences qui plongèrent ses compagnes dans l’admiration, tant le secret que Thérèse avait si longtemps défendu était romanesque, d’un romanesque complet, irréel et puéril, tellement conforme à leur idéal à toutes, qu’elles en furent émerveillées et jalouses. Thérèse, les jours qui suivirent, ajouta de nouveaux détails et, mystérieusement, montra des preuves. Dès lors, la curiosité et la sympathie qui l’entouraient allèrent en grandissant, à l’étonnement de la surveillante, qui ne s’expliquait pas la popularité de la nouvelle.
Mlle Honoré ayant fait une petite enquête, fut horrifiée, et la directrice, prévenue, le fut davantage encore. Thérèse, appelée sur-le-champ, comparut devant elle.
La majesté habituelle de Mme Bayle était troublée par une agitation vive.
— Mademoiselle Ferrière, dit-elle avec sévérité, l’on m’a appris sur vous des choses graves. Je représente ici votre tuteur, qui remplace les parents que vous n’avez plus. J’ai besoin de savoir la vérité, toute la vérité… Ne niez pas, je suis au courant… Malheureuse enfant !… Par l’entremise de cette vieille bonne que j’ai eu la faiblesse de vous autoriser à voir parfois au parloir, vous êtes en correspondance avec un officier de marine actuellement aviateur au front. Vous l’avez rencontré une fois en province, par je ne sais quel hasard romanesque, et vous avez dit à vos compagnes que vous étiez fiancée avec lui… C’est insensé ! Vous lui écrivez et il vous écrit ! Et cela se passe chez moi… dans la maison que j’ai créée… que jamais n’a effleuré… De la part de ce jeune homme, il n’y a, j’en suis persuadée, que de l’enfantillage… Mais, avant tout, ses lettres ! Donnez-moi ses lettres !… Non, ne répliquez pas ! A l’instant même ! Je sais que vous les gardez sur vous ! Je les veux !
Thérèse tremblait ; elle fouilla dans sa robe et tendit un paquet de lettres que Mme Bayle se mit à parcourir avidement. Mais elle n’en lut que deux ou trois et releva les yeux, non plus avec indignation, mais avec ahurissement, sur Thérèse.
— Voyons, voyons, Thérèse, que signifie cette histoire ? Qui a écrit ces lettres ? demanda-t-elle.
— C’est moi, Madame, avoua Thérèse, très rouge et la tête basse.
Mme Bayle eut un mouvement, mais Thérèse, qui faisait de grands efforts pour ne pas pleurer, continua :
« Oui, c’est moi. J’ai déguisé mon écriture… Je vais vous en écrire d’autres pareilles si vous voulez. J’ai mis des phrases que j’ai lues dans de vieux livres, chez grand’mère, et que j’ai arrangées de mon mieux… Et la boucle de cheveux, c’est une boucle à moi, Madame…
— Mais alors, toute l’histoire ? L’officier aviateur ? dit Mme Bayle, qui éprouvait un soulagement si intense qu’elle pouvait à peine s’empêcher de sourire.
— J’ai tout inventé, gémit Thérèse. C’est elles toutes ici qui m’ont forcée… Toutes, elles me racontaient leurs histoires. Et elles me demandaient de raconter aussi… Et qu’est-ce que je pouvais dire ?… Je suis toujours restée enfermée, en Vendée, dans le château de grand’mère, et depuis qu’elle est morte, je suis toute seule. Et toutes ici, elles ont quelqu’un à la guerre, pour qui elles s’inquiètent, leur père, ou bien leur frère, ou bien leur cousin… Alors j’ai inventé ce que je trouvais le mieux parce que moi je n’ai personne et que j’avais trop honte !…
Elle éclata en sanglots et répéta :
« J’avais trop honte !… »