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Douze aventures sentimentales, suivies d'autres histoires d'à présent

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L’ENFANT TROUVÉ

Dans une petite rue tranquille de la rive gauche, M. et Mme Peluche, depuis cinq ans qu’ils étaient mariés, tenaient un petit commerce de papeterie, auquel était annexé un cabinet de lecture, composé de quelques centaines de romans surannés que se repassait inlassablement une clientèle de vieilles demoiselles.

M. Peluche était un timide petit homme empressé et soumis, dont les joues étaient roses, la chevelure blonde, la moustache incolore et les yeux faibles. Mme Peluche était une jolie petite femme brune, délicate et vive, romanesque à force d’avoir lu les livres qu’elle louait ; M. Peluche ne ressemblait en rien aux personnages séduisants et aventureux qui s’y trouvaient décrits, mais, tel qu’il était, il était à elle et elle faisait peser sur lui le joug d’une tendresse jalouse. Ils vivaient heureux et la papeterie marchait très bien.

Un soir, comme M. Peluche, pour mettre les volets de la devanture, ouvrait la porte de la rue, dont un rideau d’images cachait les vitres, il s’arrêta, étonné. Au seuil, dans le retrait formé par la porte, était posé un vaste panier ovale, à anse, et tout rempli par un paquet enveloppé de sombre.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? se dit M. Peluche, qui, dans l’ombre, distinguait mal.

Il poussa du pied le panier. Un vagissement s’éleva. M. Peluche sauta en arrière, resta un moment ahuri, puis se tourna vers le fond de la boutique, où était Mme Peluche.

— Amélie ! Amélie ! viens voir ! Il y a un panier à la porte. Ça crie !

Mme Peluche accourut, regarda le panier, le saisit, l’entra dans la boutique et en retira le paquet, qu’elle défit. Sous une toile noire, il y avait, roulé dans une couverture grise, un tout petit enfant qui criait.

— Mon Dieu, qu’est-ce que c’est que ça ? dit M. Peluche.

— Un enfant, tu le vois bien ! Un enfant qu’on a abandonné à notre porte… Et pas depuis longtemps, puisqu’une cliente est venue il y a dix minutes à peine.

— Par exemple !… En voilà une histoire… Qu’est-ce qu’on va faire ?…

— Commence par fermer la devanture. Ce n’est pas une raison pour laisser tout ouvert.

M. Peluche obéit, mais l’événement l’avait ému et il faillit casser une vitre.

Quand il rentra, Mme Peluche avait posé sur un comptoir, en l’étayant avec deux coussins, l’enfant qui ne criait plus, et, la mine grave, les sourcils froncés, elle tenait les yeux fixés sur lui. Elle tourna la tête vers son mari lorsqu’elle l’entendit.

— J’ai regardé ses langes, déclara-t-elle, il n’y a aucune marque, aucun papier comme on en trouve souvent sur les enfants abandonnés : « Prenez soin de lui », ou bien : « Je le confie à la Providence » ou quelque chose de ce genre… C’est bien singulier qu’on ait choisi notre porte pour y laisser cet enfant… Tu trouves pas ça singulier, toi ?

— Si… Non… C’est le hasard…

— Le hasard, c’est bientôt dit…

Elle eut un rire sec et, brusquement, éclata en sanglots.

« Oh ! misérable, misérable ! Et tu fais semblant de m’aimer !… Oui, oui, ne prends pas l’air ahuri ! Tu ne me donneras pas le change ! Je sais à quoi m’en tenir ! Je ne suis pas idiote ! Tu veux que je te le dise pourquoi on a apporté ici cet enfant ? C’est parce qu’il est à toi ! Oui, à toi ! Oui, à toi ! Tu m’as trompée ! Tu m’as trompée depuis longtemps, puisque l’enfant a près d’un an ! Tu m’as trompée depuis tout le temps, probablement ! Non, non, ne nie pas, ce n’est pas la peine ! Je sais ce que je dis ! Pourquoi l’aurait-on apporté ici, cet enfant, s’il n’était pas à toi ? Sans doute tu viens de quitter la mère pour une autre, alors, elle se venge ! Oh ! quelle honte ! quelle honte ! Du reste, tu t’es trahi toi-même, j’ai bien vu ton émotion quand tu as trouvé le panier ! Et, après, tu tremblais tellement que tu as failli enfoncer la devanture avec le volet !… Oh ! Julien, Julien, moi qui t’aimais tant !… »

Les larmes la suffoquèrent un moment. M. Peluche, béant, offrait l’image de la stupidité. L’enfant n’était pas de lui. Il ignorait entièrement qui l’avait apporté à son seuil. Il n’avait jamais trompé sa femme et n’avait jamais eu l’idée, même lointaine, qu’il pût jamais la tromper. Il était complètement innocent, mais cette innocence, c’est en vain qu’il cherchait un moyen de la prouver, à l’instant même, d’une façon éclatante. Il ne trouvait pas et s’affolait.

— Tu as raison de ne rien dire, reprit Mme Peluche. Je ne croirais pas à tes mensonges…

— Mais c’est de la démence ! Amélie, je te jure !…

Un vagissement désespéré de l’enfant interrompit M. Peluche.

— On ne peut pas le laisser mourir, prononça Mme Peluche. Je vais lui donner le lait que j’avais acheté pour toi, parce que tu es enrhumé.

Tragiquement, elle s’éloigna vers la cuisine. M. Peluche demeura accablé.

Le ménage ne dîna pas et la nuit fut dramatique. Après une période de silence lugubre et de désespoir contenu, Mme Peluche, soudainement, vers onze heures, eut une crise effrayante. Elle sanglota, cria, trépigna, se tordit les bras, se roula, réclama le divorce et la mort. M. Peluche, qui d’abord s’était répandu en protestations éperdues, dut lutter avec elle pour lui arracher un flacon de pharmacie qu’elle avait saisi au hasard, afin de s’empoisonner. Enfin, à trois heures du matin, elle s’apaisa et, toute vêtue, se jeta sur son lit, non pour dormir, dit-elle, mais pour réfléchir.

M. Peluche, dans un fauteuil, ne goûta qu’un assoupissement précaire, coupé d’affreux cauchemars.

Au matin, emporté par l’habitude commerciale, il alla ouvrir la boutique, et, tout grelottant, la tête dans ses mains, s’assit à la caisse.

Mme Peluche parut devant lui. Son visage était pâle, mais empreint d’une résolution énergique.

— J’ai réfléchi, Julien, dit-elle d’une voix grave. Je te connais maintenant : tu es de ces hommes qui font souffrir celle qui les aime… Hélas ! je souffrirai donc… Mais l’innocent ne doit pas être frappé. Une victime suffit… Nous garderons ton fils. Je l’élèverai moi-même…

— Mais c’est fou ! gémit M. Peluche atterré, puisque je te jure…

— Ne mens plus, Julien. Avoue la vérité et je te pardonnerai… Mais tu me ferais horreur si, à ton tour, tu songeais à abandonner…

La porte de la boutique, ouverte violemment, lui coupa la parole.

— Mon enfant ! mon enfant ! cria une jeune femme nu-tête, qui fit irruption, le visage bouleversé. Je l’ai laissé à votre porte, hier !… J’étais folle !… Ah ! le voilà !

Elle s’élança sur l’enfant qui, au fond, dormait encore sur des coussins, et le serra contre elle avec emportement.

— Je n’ai plus que lui ! Le père m’a quittée hier, après une scène affreuse… J’étais folle, désespérée !… J’ai abandonné le petit… Mon Dieu, mon Dieu, comment ai-je pu faire ça ?… Je voulais me noyer !… Je ne sais plus… Et puis, je me suis calmée… Je suis revenue en courant pour le reprendre… mais toutes les boutiques étaient fermées et je n’ai pas reconnu la porte ! Toute la nuit je suis restée dans la rue en attendant que vous ouvriez… Je n’ai plus que lui, maintenant… Je reviendrai, monsieur et madame. Je reviendrai vous remercier… Je n’oublierai jamais !…

Elle s’enfuit, son enfant dans les bras. Le ménage Peluche resta abasourdi.

— Eh bien, Amélie, tu vois ?… dit enfin M. Peluche.

— C’est vrai… Mon pauvre ami… Comment ai-je pu croire ça de toi ?… lui répondit-elle doucement.

Et il y avait dans sa voix un mépris si évident que M. Peluche en resta saisi.

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